LA CONSTIPATION CHEZ LE CHAT
Dossier
Auteur(s) : Tarek Bouzouraa
Fonctions : (dipl. ECVIM-CA)
Vetalpha
1305, route de Lozanne
ZA des Grandes Terres
69380 Dommartin
Lorsque le vétérinaire constate une constipation chez un chat lors d’un examen clinique, il doit explorer la cause de cette affection au moyen d’examens complémentaires comme l’imagerie et les analyses sanguines.
La constipation chez le chat entraîne une morbidité conséquente et peut même conduire à une euthanasie lors d’une prise en charge inadaptée et d’une évolution vers une atteinte réfractaire à tous les soins. Le vétérinaire doit reconnaître la présentation clinique de cette affection, afin de réaliser les examens complémentaires adaptés, puis d’offrir une prise en charge précoce et performante.
Cet article présente les données anamnestiques et épidémio-cliniques, ainsi que la démarche diagnostique lors de constipation chez le chat.
La constipation est un motif de consultation qui doit inviter à analyser l’historique clinique, les commémoratifs et l’anamnèse, puis à réaliser un examen clinique général et approfondi (orthopédique et nerveux).
Si une constipation est suspectée chez le chat, il convient d’interroger le propriétaire sur l’antériorité et le mode d’installation des signes cliniques. Une constipation d’apparition récente et aiguë oriente vers une cause douloureuse ou obstructive, tandis qu’en cas de progression insidieuse vers un stade avancé, ou d’épisodes résolutifs mais récurrents, une dysmotilité ou même une lésion obstructive plus ancienne sont à envisager [2-7, 9, 10].
Il est nécessaire de savoir si le chat a déjà subi un traumatisme à l’origine d’une éventuelle atteinte pelvienne. Le vétérinaire doit faire l’inventaire des aliments distribués à l’animal, vérifier que l’accès à l’abreuvement est adapté, recenser tous les traitements (antidiarrhéiques opioïdes ou anticholinergiques, agents couvrants la muqueuse) et les éventuelles prises en charge chirurgicales viscérales susceptibles de générer un iléus et une dysmotilité colorectale [2-7, 9, 10]. Le mode de vie doit également être considéré, puisque la sédentarité réduirait le péristaltisme, augmentant ainsi le risque de dysmotilité et de constipation.
Les propriétaires consultent pour des diarrhées et une hémochésie, lorsque l’irritation colorectale induite par le fécalome génère une inflammation et des exsudats fécaloïdes muco-hémorragiques. Il est important, dans cette situation clinique, de suspecter la constipation et de ne pas investiguer, par erreur, une possible colite inflammatoire ou parasitaire [2-7, 9, 10].
Le ténesme fécal, un signe clinique fréquent lors de constipation, correspond à des efforts expulsifs répétitifs mais improductifs. Parfois, le chat reste couché continuellement dans sa litière, maintenant une posture infructueuse d’émission de fèces. Le ténesme s’accompagne souvent d’épreintes, qui sont des contractions colorectales douloureuses et qui n’aboutissent pas à l’émission de selles [2-7, 9, 10]. Ces signes cliniques peuvent également se compliquer par des anomalies fonctionnelles du sphincter anal, qui se contracte anormalement ou présente une béance quasi permanente, en cas de progression importante de l’atteinte [2-7, 9, 10].
Lors de mégacôlon, le chat ne peut plus déféquer et la constipation se complique d’un fécalome et d’une distension colique au-delà des capacités de la musculature lisse. Les selles impactées et solidifiées sont nommées fécolithes [2-7, 9, 10]. Cette situation d’occlusion terminale génère des signes cliniques tels qu’un abattement, une prostration, une anorexie, des vomissements, une distension et un inconfort abdominal que le praticien pourra mettre en évidence lors de l’examen clinique.
La constipation semble concerner les chats adultes matures (moyenne d’âge autour de 6 ans), sans disposition raciale évidente. Selon certains auteurs, les mâles seraient plus fréquemment atteints (jusqu’à 70 % des cas), tandis que les races communes pourraient représenter jusqu’à 46 % de la totalité des cas [2-7, 9, 10]. Une publication très récente révèle que les chats en surpoids, plutôt âgés et atteints d’une néphropathie chronique sont surreprésentés, et que leur taux de calcémie ionisée est significativement augmenté [1]. Cependant, ces données n’ont pas fait l’objet d’une revue systématisée et n’indiquent que des tendances, qui restent néanmoins utiles au praticien. Les chats de race de l’île de Man présentent des anomalies congénitales au niveau des conformations vertébrales sacrées qui prédisposent à la constipation et au mégacôlon [2-7, 9, 10]. Les rares cas d’hypothyroïdie congénitale chez le chaton se manifestent également par une constipation, qui est le principal motif de présentation dans ce cas de figure.
L’examen clinique général permet de détecter une anomalie comme une faiblesse neuromusculaire, une perte de poids, une déshydratation. La palpation abdominale est primordiale, puisqu’elle peut mettre en évidence une distension du côlon avec une coprostase. L’inspection visuelle des zones anale, périnéale et génito-urinaire aide à localiser toute anomalie cutanée (plaie, ulcère, abcès, granulome inflammatoire) et à évaluer le tonus sphinctérien [2-7, 9, 10].
Bien que le toucher rectal soit difficile à envisager chez un chat vigile qui présente une douleur, cette exploration peut se réaliser sous sédation ou anesthésie. La procédure permet de palper les fèces impactées, de détecter des lésions granulomateuses pariétales, une masse colorectale (rares dans la portion distale chez le chat, contrairement au chien), un corps étranger, une fracture pelvienne, un cal osseux exubérant, une sténose, une adénomégalie rétropéritonéale, un diverticule, voire un engorgement ou un abcès des glandes sacculaires [2-7, 9, 10].
L’examen neurologique a pour objectif d’évaluer l’intégrité de la mœlle épinière et des nerfs issus des racines lombaires, sacrées et coccygiennes. La dysautonomie est une affection nerveuse dégénérative du système nerveux autonome très rare, qui se manifeste par d’autres signes tels qu’une incontinence urinaire liée à une vidange vésicale passive par trop-plein, une sécheresse lacrymale et buccale, une bradycardie, des régurgitations et une mydriase aréflective [2-7, 9, 10].
L’évaluation orthopédique à distance permet d’apprécier la démarche (détection d’une boiterie, évaluation des aplombs et déformations du squelette appendiculaire). La recherche d’une déformation osseuse, d’un œdème, d’une douleur ou d’une ankylose articulaire est réalisée via un examen rapproché des articulations et des segments squelettiques (palpation, pressions, flexion et extension). Une attention particulière est portée à l’examen du rachis lombosacré ainsi que des zones pelvienne et sacro-coccygienne [2-7, 9, 10].
En présence d’une constipation chez le chat, il est utile de rechercher une atteinte métabolique et d’investiguer les causes obstructives et douloureuses non objectivées à l’examen clinique.
Les désordres biologiques peuvent être des causes et des conséquences de la constipation. En effet, l’hypokaliémie, la néphropathie chronique et l’hypothyroïdie sont des déclencheurs de dysmotilité colorectale. Cependant, lorsqu’un chat atteint de constipation présente une baisse d’appétit et de prise hydrique, ces défauts d’apport peuvent à leur tour générer une déshydratation avec azotémie prérénale et une hypokaliémie [2-7, 9, 10]. Dans ce cadre, l’évaluation biochimique, électrolytique, et un dosage de la thyroxine totale (T4) sont indispensables afin de dépister et de corriger ces anomalies via un plan de fluidothérapie adapté.
Chez le chaton présenté pour une constipation, une hypothyroïdie congénitale doit être explorée. De plus, chez le chat anciennement hyperthyroïdien traité par iodothérapie, une hypothyroïdie iatrogène doit être recherchée en cas de constipation, d’abattement et de prise de poids anormale. La conjonction d’une hypothyroxinémie et d’une azotémie est alors un critère pronostique péjoratif qui réduit la survie [2-7, 9, 10].
Par ailleurs, un hémogramme peut être réalisé pour évaluer l’état général de l’animal et dépister une atteinte inflammatoire locale ou générale survenue dans le cadre d’une constipation (processus infectieux, paranéoplasique, péritonite, etc.) [2-7, 9, 10].
La radiographie abdominale sans préparation est l’examen diagnostique le plus utile lors de constipation chez le chat. Elle permet de confirmer et d’apprécier la dilatation colique, de quantifier le volume de fèces impactées et d’évaluer les structures ostéo-articulaires rachidiennes et pelviennes [2-7, 9, 10].
La radiographie permet d’apprécier la taille et la position des autres viscères abdominaux, ainsi que le contraste abdominal. Une étude, incluant 13 chats constipés et 26 chats présentant un mégacôlon, révèle que le rapport entre le diamètre maximal du côlon et la longueur du corps vertébral de L5 supérieur à 1,48 est un indicateur utile de mégacôlon chez le chat, avec une sensibilité de 77 % et une spécificité de 85 % [8]. À l’inverse, un rapport inférieur à 1,28 permet de confirmer que le côlon présente un diamètre habituel avec une sensibilité de 96 % et une spécificité de 87 %.
Il est également optimal de caractériser l’étendue de la dilatation (segmentaire ou généralisée) afin d’orienter la suite de la démarche. Une dilatation segmentaire qui n’intéresse que la première portion du côlon (ascendant et transverse) évoque en priorité une cause obstructive physique (endoluminale, pariétale ou extraluminale). Une dilatation généralisée oriente quant à elle vers une atteinte fonctionnelle avec une perte totale de motilité [2-7].
Le dépistage d’autres anomalies radiographiques (viscérale ou ostéo-articulaire) aide le praticien à identifier la cause de la constipation. La dilatation d’un organe, un effet de masse, ainsi que la baisse du contraste abdominal peuvent notamment indiquer l’existence d’une tumeur, d’une péritonite ou d’un épanchement (photo 1). La hausse du contraste, associée à la visualisation des parois digestives, évoque un pneumopéritoine consécutif à une performation digestive, qui nécessite une intervention en urgence [2-7, 9, 10]. La visualisation de matériaux radio-opaques dans les selles impactées (os, éléments minéralisés ou métalliques ingérés) suggère une origine diététique à la coprostase.
L’évaluation des structures ostéo-articulaires (pelvis, rachis, fémurs et vertèbres coccygiennes) est idéalement réalisée après la vidange des fèces impactées. Il est important d’évaluer la présence d’une ancienne fracture pelvienne, d’une réduction du diamètre de la filière pelvienne, de lésions osseuses évocatrices d’arthrose ou d’une lyse tumorale [2-7, 9, 10]. Une observation minutieuse de l’articulation sacro-iliaque permet également de dépister une anomalie telle qu’une subluxation, une fissure, une fracture ou une disjonction sacroiliaque, récente ou ancienne. Le diamètre du côlon ne doit pas dépasser la longueur du corps de la septième vertèbre lombaire [8]. Très rarement, les masses colorectales ou l’adénomégalie rétropéritonéale peuvent être mises en évidence via la radiographie abdominale [2-7, 9, 10].
L’échographie abdominale présente un intérêt limité dans le cadre de l’exploration d’une constipation chez le chat. Elle peut être envisagée lorsqu’une anomalie clinique ou radiographique oriente vers une lésion pariétale colique, viscérale ou péritonéale. Elle permet d’apprécier la paroi colique, mais pas l’espace endoluminal, compte tenu des artefacts liés à la présence de gaz ou de matière fécale [2-7, 9, 10]. Cependant, l’échographie abdominale peut révéler un épaississement pariétal focal, segmentaire ou diffus, sans perte d’échostructure en couche, compatible avec une colite concomitante qui est le plus souvent consécutive à la constipation (phase d’hypertrophie pariétale avant le mégacôlon terminal) [2-7, 9, 10].
L’examen peut également montrer un épaississement pariétal marqué avec une perte d’échostructure en couche, synonyme d’infiltration tumorale ou d’inflammation granulomateuse (photo 2). En cas de mise en évidence d’une lésion, sa délimitation et les précisions ultérieures sur sa localisation permettront de déterminer si une prise en charge chirurgicale est possible. Les tumeurs colorectales du chat, principalement localisées dans les portions proximales du côlon, sont donc théoriquement visualisables à l’échographie. Elles incluent les adénocarcinomes, les lymphomes et les mastocytomes (photo 3). Elles peuvent entraîner un épaississement pariétal intrinsèque (carcinome) ou extrinsèque (lymphome), tous deux générateurs d’une (sub) obstruction, donc d’une constipation.
Le scanner est une procédure diagnostique de plus en plus employée et qui présente un intérêt certain dans la démarche diagnostique lors de constipation chez le chat. Il permet la caractérisation et la délimitation précise à la fois des lésions pariétales coliques pouvant générer une obstruction, mais aussi des lésions rétropéritonéales dans leur ensemble (photo 4). Il permet également d’évaluer le rachis lorsqu’une myélopathie est suspectée. Cet examen est réservé à des cas précis, pour lesquels une procédure chirurgicale est envisagée (colectomie, exérèse d’une tumeur rétropéritonéale ou rachidienne) [2-7, 9, 10]. Comme le scanner est réalisé sous anesthésie générale et qu’il implique l’injection de produit de contraste, la déshydratation et l’azotémie doivent être corrigées si besoin, préalablement à la procédure.
La coloscopie est un examen qui doit être réalisé après le lavement et la vidange colorectale afin de visualiser une éventuelle lésion pariétale, faisant protrusion dans la lumière (photo 5). Cet examen ainsi que le scanner sont des procédures diagnostiques performantes pour mettre en évidence une tumeur colorectale sténosante à l’origine de la constipation [2-7, 9, 10].
La coloscopie sert aussi à réaliser des biopsies perendoscopiques en cas de masse colorectale qui, après une analyse histopathologique, permettent d’obtenir un diagnostic étiologique, d’établir le pronostic et d’adapter la prise en charge.
Conflit d’intérêts : Aucun
Lors de constipation, l’examen clinique révèle une douleur abdominale et une coprostase, tandis que les évaluations orthopédique et neurologique permettent d’orienter le praticien. Il est utile de réaliser un bilan sanguin essentiellement biochimique et électrolytique, une éventuelle exploration de la T4 et obligatoirement une radiographie abdominale, afin d’apprécier la coprostase et d’évaluer les structures ostéo-articulaires pelviennes, rachidiennes lombosacrées et coccygiennes. Dès que la cause de la constipation est identifiée, ou à défaut qu’une origine idiopathique est présumée, le clinicien peut adapter sa prise en charge.