INTÉRÊT DES BIOMARQUEURS DE L’INFLAMMATION LORS D’ENTÉROPATHIE CHRONIQUE CHEZ LE CHIEN - Le Point Vétérinaire n° 427 du 01/03/2022
Le Point Vétérinaire n° 427 du 01/03/2022

GASTRO-ENTÉROLOGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Laurie Bonnet

Fonctions : 4, place du Marché
93100 Montreuil
laurie.bonnet.vet@gmail.com

Du diagnostic au suivi, la prise en charge des maladies chroniques est souvent une gageure. Toute simplification du protocole constitue une avancée majeure vers un traitement plus précoce et mieux adapté.

L’identification de biomarqueurs de l’inflammation chez les chiens souffrant d’entéropathie chronique offre de nouvelles perspectives pour le diagnostic et le suivi de ces affections, fréquentes dans l’espèce canine. Certains sont couramment disponibles en pratique quotidienne, d’autres le seront probablement dans un avenir proche. L e diagnostic d’entéropathie chronique chez le chien est long, complexe et généralement coûteux en raison du nombre d’examens complémentaires et d’épreuves thérapeutiques qu’il nécessite. La mise en évidence de biomarqueurs permettant de contribuer au diagnostic, à la caractérisation ou au suivi de ces affections représente un axe de recherche essentiel en médecine vétérinaire.

DÉFINITION DES ENTÉROPATHIES CHRONIQUES

Les entéropathies chroniques se définissent comme une atteinte gastrointestinale qui persiste depuis plus de trois semaines pour laquelle les causes extraintestinales (métaboliques ou endocriniennes), parasitaires ou néoplasiques ont été exclues (photo 1) [2]. Leur développement reposerait sur une rupture de tolérance de l’hôte visàvis de certains antigènes intestinaux [5]. La combinaison de facteurs génétiques, immunitaires, bactériens et alimentaires aboutirait à une infiltration inflammatoire de la muqueuse intestinale, éosinophilique, neutrophilique ou, dans la plupart des cas, lymphoplasmocytaire [1, 2]. Les entéropathies chroniques sont habituellement classées en différentes entités cliniques : les entéropathies répondant au changement alimentaire, les entéropathies répondant aux antibiotiques, les entéropathies répondant aux immuno suppresseurs et les entéropathies réfractaires.

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE LORS D’ENTÉROPATHIE CHRONIQUE

Actuellement, le diagnostic d’entéropathie chronique repose sur l’exclusion préalable de toute cause extraintestinale, parasitaire ou néoplasique susceptible d’expliquer les signes digestifs. A minima, il suppose la réalisation d’un bilan sanguin biochimique et hématologique complet, d’une analyse coproscopique associée à la recherche spécifique de certains parasites et d’une échographie abdominale. La mise en évidence de l’inflammation intestinale passe par la réalisation de biopsies intestinales, généralement via une endoscopie. Cependant, l’analyse histopathologique ne permet pas de distinguer les différentes entités cliniques (entéropathies répondant au changement alimentaire, aux antibiotiques et aux immunosuppresseurs) [3]. En raison de son caractère plus invasif, ce protocole n’est actuellement recommandé qu’après la mise en œuvre préalable d’essais thérapeutiques (alimentaire et antibiotique), sauf en cas de suspicion d’une atteinte très sévère [2, 3]. Cette démarche est donc longue et parfois complexe pour le praticien, onéreuse pour le propriétaire, et potentiellement invasive pour l’animal.

Actuellement, le suivi des entéropathies chroniques et les ajustements thérapeutiques sont effectués à l’aide d’index cliniques (le canine inflammatory bowel disease activity index et le canine chronic enteropathy clinical activity index) non corrélés au degré d’inflammation intestinale [6]. Parmi les nombreux marqueurs ayant fait l’objet d’études récentes (fonctionnels, cellulaires, biochimiques ou marqueurs du microbiome entre autres), les biomarqueurs de l’inflammation représenteraient donc un outil objectif, simple et peu invasif, complémentaire à l’utilisation de ces scores cliniques [5].

LES MARQUEURS DE L’INFLAMMATION LORS D’ENTÉROPATHIE CHRONIQUE CANINE

En médecine humaine, les biomarqueurs de l’inflammation prennent part au diagnostic des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) qui regroupent la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique (ou colite ulcéreuse) [6]. Les deux marqueurs les plus fréquemment utilisés sont la protéine C réactive et la calprotectine fécale [4].

Des études récentes se sont concentrées sur la recherche de biomarqueurs d’intérêt chez les chiens atteints d’entéropathie chronique. Un certain nombre de marqueurs de l’inflammation, sériques ou fécaux, ont été identifiés comme potentiellement utiles au diagnostic et au suivi de ces affections (photo 2). Quelques-uns de ces marqueurs sont présentés dans cet article.

1. Marqueurs sériques

La protéine C réactive est l’un des biomarqueurs couramment inclus en médecine humaine à la démarche diagnostique des MICI, en raison de sa grande sensibilité [4, 5]. En médecine vétérinaire, ce marqueur est actuellement utilisable en routine, car son dosage est proposé par la plupart des laboratoires d’analyses vétérinaires. Il est principalement utilisé dans le cadre du suivi d’affections inflammatoires ou à médiation immune. Une élévation significative de la protéine C réactive a été mise en évidence chez les chiens atteints d’entéropathie répondant aux immunosuppresseurs par rapport aux chiens sains (photo 3) [5]. La corrélation entre la protéine C réactive et le score du canine inflammatory bowel disease activity index, donc l’activité clinique de la maladie, semble encore incertaine, car les publications sur le sujet présentent des résultats contradictoires [5, 6]. Par ailleurs, dans une étude récente, une concentration de protéine C réactive supérieure à 9,1 mg/l a permis de faire la distinction entre les entéropathies répondant aux immunosuppresseurs et les autres entités cliniques avec une sensibilité de 72 % et une spécificité de 100 % [3]. La protéine C réactive étant peu spécifique, son élévation doit être interprétée avec précaution car elle ne renseigne pas sur l’origine de l’inflammation. Elle trouve davantage sa place dans le suivi de la réponse au traitement que dans le diagnostic des entéropathies chroniques [3].

Des études se sont également intéressées au dosage de certains anticorps dirigés contre des antigènes bactériens ou contre les cellules inflammatoires. En médecine humaine, le dosage des anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (p-Anca) et des anticorps anti-Saccharomyces cerevisiae (Asca), une levure intestinale, est parfois utilisé comme un outil complémentaire dans le cadre du diagnostic des MICI [1, 4].

Chez le chien, le dosage des p-Anca manquerait de sensibilité, mais il pourrait permettre de distinguer les entéropathies répondant au changement alimentaire des autres sous-types [3, 5]. En effet, une séropositivité aux p-Anca est observée dans 61 à 62 % des cas de cette entité, versus 0 à 37 % des entéropathies répondant aux antibiotiques et aux immunosuppresseurs [3]. Par ailleurs, ce biomarqueur est peu spécifique des entéropathies chroniques, ces auto-anticorps étant également retrouvés dans d’autres maladies à médiation immune ou dans des processus néoplasiques [3]. Leur intérêt clinique est donc limité chez le chien actuellement [6].

Enfin, la 3-bromotyrosine sérique (3-BrY), témoin de la dégranulation des polynucléaires éosinophiles et donc de l’inflammation éosinophilique, a également été étudiée. Les concentrations de 3-bromotyrosine sérique semblent plus élevées dans les cas d’entéropathie chronique, particulièrement chez les chiens atteints d’entéropathie répondant aux immunosuppresseurs [6]. Cependant, ce marqueur ne semble pas corrélé à l’activité clinique et des études restent à mener pour déterminer son intérêt diagnostique dans le cadre des entéropathies chroniques canines [6].

2. Marqueurs fécaux

La calprotectine fécale est l’un des marqueurs les plus performants à l’heure actuelle chez l’homme pour détecter une inflammation intestinale [5]. Cette protéine, retrouvée dans le cytoplasme des granulocytes, des macrophages et des cellules épithéliales, est libérée dans la lumière intestinale lors d’inflammation digestive [3]. La concentration de calprotectine fécale, qui semble corrélée aux signes cliniques et aux lésions histopathologiques, permettrait de dépister les formes sévères d’entéropathie chronique [3, 6]. Elle pourrait également permettre de distinguer les chiens atteints d’entéropathie répondant aux immunosuppresseurs qui présentent une rémission complète de ceux qui ne répondent pas au traitement, ou seulement partiellement [3, 5]. La calprotectine fécale représenterait donc un marqueur utile au diagnostic et à l’évaluation de la réponse au traitement dans le cadre des entéropathies chroniques. Un test, validé aux États-Unis, est actuellement réservé à la recherche (photo 4).

L’interprétation des valeurs de calprotectine fécale doit tout de même rester prudente et sa mesure effectuée chez des chiens soigneusement sélectionnés. En effet, son élévation est également retrouvée dans des cas d’inflammation intestinale aiguë [3]. Par ailleurs, les valeurs de calprotectine pourraient être modifiées lors de corticothérapie [3].

La calgranuline C présente la même distribution cellulaire que la calprotectine et semble corrélée aux signes cliniques et aux lésions endoscopiques, mais pas à la sévérité des lésions histopathologiques [3]. Comme la calprotectine, la concentration de calgranuline C fécale peut être élevée en cas d’inflammation intestinale aiguë, mais ne semble pas influencée par la corticothérapie [3]. La calgranuline C fécale pourrait représenter un biomarqueur d’intérêt pour le dépistage des entéropathies chroniques chez le chien, mais des études complémentaires restent à mener.

Références

  • 1. Cerquetella M, Spaterna A, Laus F et coll. Inflammatory bowel disease in the dog: differences and similarities with humans. World J. Gastroenterol. 2010;16 (9):1050-1056.
  • 2. Dandrieux JRS, Mansfield CS. Chronic enteropathy in canines: prevalence, impact and management strategies. Vet. Med. (Auckl.). 2019;10:203-214.
  • 3. Heilmann RM, Steiner JM. Clinical utility of currently available biomarkers in inflammatory enteropathies of dogs. J. Vet. Intern. Med. 2018;32 (5):1495-1508.
  • 4. Maaser C, Sturm A, Vavricka SR et coll. ECCO-ESGAR guideline for diagnostic assessment in IBD. Part 1: Initial diagnosis, monitoring of known IBD, detection of complications. J. Crohns Colitis. 2019;13 (2):144-164.
  • 5. Otoni CC, Heilmann RM, García-Sancho M et coll. Serologic and fecal markers to predict response to induction therapy in dogs with idiopathic inflammatory bowel disease. J. Vet. Intern. Med. 2018;32 (3):999-1008.
  • 6. Sacoor C, Barros LM, Montezinho L. What are the potential biomarkers that should be considered in diagnosing and managing canine chronic inflammatory enteropathies? Open Vet. J. 2021;10 (4):412-430.

Conflit d’intérêts : Aucun

Point clés

• L’analyse histologique ne permet pas de distinguer les entités cliniques d’entéropathie chronique.

• Un grand nombre de biomarqueurs de l’inflammation ont fait l’objet de recherches récentes chez le chien, notamment la protéine C réactive, les auto-anticorps (p-Anca), la 3-bromotyrosine sérique, les calprotectine et calgranuline fécales.

• La protéine C réactive serait utile au suivi des entéropathies chroniques et permettrait de distinguer celles qui répondent aux immunosuppresseurs des autres formes.

• La calprotectine fécale pourrait représenter un marqueur sensible et spécifique de l’inflammation intestinale.

• Les biomarqueurs inflammatoires ont pour vocation d’être complémentaires aux autres outils diagnostiques existants.

CONCLUSION

Le dosage de marqueurs de l’inflammation intestinale pourrait représenter un outil de diagnostic et de suivi, simple et peu invasif, complémentaire à l’utilisation des scores cliniques chez les chiens atteints d’entéropathie chronique. Pour la plupart de ces biomarqueurs de l’inflammation, des études supplémentaires demeurent nécessaires avant de pouvoir les utiliser en pratique courante en médecine vétérinaire, afin de préciser leur intérêt et leurs applications. En effet, parmi les marqueurs présentés, seule la protéine C réactive est actuellement accessible en routine pour le praticien. L’évaluation de différentes combinaisons de ces marqueurs reste une piste à explorer afin d’en améliorer les performances diagnostiques et d’éventuellement permettre la caractérisation de différents sous-types d’entéropathie chronique.