MÉCANISMES ET ÉTIOLOGIE DE LA CONSTIPATION CHEZ LE CHAT - Le Point Vétérinaire n° 427 du 01/03/2022
Le Point Vétérinaire n° 427 du 01/03/2022

LA CONSTIPATION CHEZ LE CHAT

Dossier

Auteur(s) : Tarek Bouzouraa

Fonctions : (dipl. ECVIM-CA)
Vetalpha
1305, route de Lozanne
ZA des Grandes Terres
69380 Dommartin

Lors de constipation, les fèces impactées entraînent une dilatation du côlon qui aboutit à un mégacôlon hypertrophique. La distension colique morbide peut causer une rupture des fibres musculaires à l’origine d’une perte totale de fonctionnalité qui correspond au mégacôlon dilaté.

La constipation est une anomalie fréquemment mise en évidence en consultation chez le chat. Elle génère une coprostase et une déshydratation des fèces, dont la progression entraîne un fécalome et une distension colique qui peut devenir irréversible : le mégacôlon [2, 3, 6, 7]. L’absence totale d’émission de selles qui en résulte est nommée l’obstipation. Il est important de connaître l’étiologie de la constipation et du mégacôlon afin d’entreprendre une démarche diagnostique raisonnée, puis de proposer une prise en charge thérapeutique rapide et adaptée.

1. ANATOMIE ET FONCTION COLORECTALE

Anatomie macroscopique

Le côlon comprend trois segments (droit ascendant, transverse et gauche descendant) qui ne sont pas toujours distincts chez le chat, une espèce chez laquelle le côlon transverse est très court. L’organe est relié à la paroi lombaire par un repli péritonéal : le mésocôlon. Ce dernier assure une protection et une mobilité adaptées à ses fonctions [2, 3, 6, 7]. Le diamètre colique varie selon son remplissage, mais la norme se situe autour de deux fois le diamètre de l’intestin grêle. Sa longueur chez le chat varie de 20 à 45 cm, et l’organe représente environ 20 % de la longueur intestinale totale [2, 3, 6, 7].

Irrigation, innervation et drainage

Le côlon est irrigué par les artères mésentériques craniale et caudale, qui dérivent de l’aorte. Son drainage veineux est assuré par un réseau vasculaire qui se projette dans la veine porte, tandis que les veines rétropéritonéales en provenance du rectum, se projettent directement dans la veine cave postérieure [2, 3, 6, 7]. Les nœuds lymphatiques coliques (droit, moyen et gauche) assurent le drainage de la zone colorectale [2, 3, 6, 7]. L’innervation autonome du côlon proximal est assurée par une branche parasympathique du nerf vague, tandis que le côlon distal est innervé par les nerfs pelviens. L’innervation orthosympathique intervient via les ganglions nerveux paravertébraux, puis via des trajets nerveux longeant le réseau artériel mésentérique et splanchnique [2, 3, 6, 7]. Tout comme dans l’intestin grêle, plusieurs plexus nerveux sont également localisés entre les couches musculaires longitudinale et circulaire (le plexus myentérique ou d’Auerbach) et dans la sous-muqueuse (plexus sous-muqueux ou de Meissner) [2, 3, 6, 7]. Ces structures contrôlent le tonus vasomoteur, donc l’apport sanguin, tout en assurant la motricité, ainsi que la rétention hydrosodée et les sécrétions électrolytiques et de mucus.

Structure histologique

La paroi colique est composée de quatre couches avec, de l’extérieur vers la lumière, la séreuse (tunique externe protectrice), la musculeuse (composée d’une couche externe longitudinale et d’une couche interne circulaire), la sous-muqueuse (couche conjonctive fine contenant des îlots lymphoïdes) et la muqueuse. Cette dernière est constituée d’un épithélium, sous lequel se tiennent le chorion et une couche de transition vers la sous-muqueuse (la muscularis mucosae) [2, 3, 6, 7]. L’épithélium contient deux types cellulaires majoritaires. Les cellules cylindriques sont impliquées dans la réabsorption hydrosodée, tandis que les cellules dites “caliciformes” sécrètent des granules de mucine, constituant le mucus qui tapisse et lubrifie la muqueuse colique. Il contient également une faible proportion de cellules épithéliales endocrines, qui sécrètent des médiateurs tels que l’histamine et des “kinines” servant de messagers dans les voies de signalisation du péristaltisme et de la défécation [2, 3, 6, 7].

Fonctions du côlon

Le côlon remplit trois grandes fonctions : la concentration des matières fécales par l’absorption d’eau et d’électrolytes depuis la lumière, le stockage, puis l’évacuation des selles. Le contenu colique provient de l’iléon via la valvule iléo-colique. Il progresse sous les impulsions des ondes propulsives de la musculature lisse. Le mucus sécrété par les cellules caliciformes lubrifie la muqueuse et facilite le cheminement des matières fécales. Il protège également la muqueuse d’éventuels dommages physiques ou chimiques [2, 3, 6, 7]. Lorsque les fèces arrivent dans le rectum, la pression intrarectale augmente, ce qui active l’information du besoin exonérateur. La compliance du rectum et du côlon distal leur permet de s’adapter à la pression luminale générée par les selles qui s’y accumulent : c’est le rôle de réservoir. La défécation est déclenchée de façon volontaire ou lorsque la pression intraluminale devient trop forte [2, 3, 6, 7].

Motilité colorectale et défécation

Il existe différents types de contractions coliques selon le segment concerné. Les contractions phasiques rythmiques lentes, provenant du côlon proximal, facilitent l’extraction de l’eau du contenu fécal, par la diffusion et le transport actif à travers la muqueuse [2, 3, 6, 7]. Les contractions géantes, dont la direction varie dans chaque segment du côlon, sont rétrogrades dans le côlon proximal, entraînant un déplacement antipéristaltique des selles, ce qui facilite leur brassage. En revanche, elles sont antérogrades dans le côlon distal, permettant la diffusion de la masse fécale vers le rectum [2, 3, 6, 7].

L’arrivée des fèces dans l’ampoule rectale provoque une augmentation de pression et une distension de la paroi rectale, qui active des barorécepteurs pariétaux. Cela déclenche le relâchement du sphincter anal interne, par la levée de l’activité autonome, puis du sphincter externe, par l’activation volontaire des voies somatiques [2, 3, 6, 7].

2. ÉTIOLOGIE DE LA CONSTIPATION

La constipation peut résulter d’une obstruction ou d’une occlusion de la lumière colique, d’une réticence à déféquer empêchant le chat d’évacuer ses fèces et à l’origine d’une rétention, ou d’une dysmotilité colique. Ces mécanismes n’étant pas exclusifs, ils peuvent parfois être associés (tableau) [2, 3, 6, 7].

3. DE LA CONSTIPATION AU MÉGACÔLON

Mécanismes d’apparition

L’obstipation est l’aggravation de la constipation vers l’absence totale d’émission de selles. Dans un premier temps, les mécanismes coliques de réabsorption hydrosodée s’intensifient. Cela entraîne la déshydratation du contenu colique et la réduction de son volume en dépit de sa solidification [1-3, 6, 7]. Le côlon ne se dilate donc pas immédiatement, mais si l’obstipation se poursuit, l’impaction des fèces entraîne des remaniements qui aboutissent à une dilatation colique avec un étirement irréversible des fibres musculaires lisses. Dès que le calibre des selles solidifiées dépasse le diamètre de la filière pelvienne, celles-ci ne peuvent alors plus être évacuées. Une perte de motilité et une inertie colique terminale en résultent : c’est le mégacôlon. Lorsque ce dernier est consécutif à une cause obstructive, il est qualifié d’hypertrophique. Il reste à ce stade réversible, si la cause de l’obstruction à l’émission des selles est identifiée et traitée. À l’inverse, dès que l’impaction progresse et entraîne une distension irréversible à l’origine d’une atonie et d’une perte de fonction totale, le mégacôlon est alors qualifié de “dilaté”.

Causes

Idiopathiques

Le mégacôlon est le plus souvent qualifié d’idiopathique chez le chat (60 à 70 % des cas). Sa pathogénie impliquerait une atteinte de l’innervation autonome colique, un dysfonctionnement des jonctions neuromusculaires (en regard des plexus myentériques), voire une atteinte intrinsèque de la couche musculaire lisse [1-3, 6, 7]. Cependant, ces informations n’étant pas prouvées, il est vraisemblable que la distension colique morbide qui résulte d’une obstipation prolongée provoque une rupture des fibres musculaires à l’origine d’une perte totale de fonctionnalité. Des études de pathologie comparée avec la médecine humaine montrent que les fibres musculaires endommagées libèrent moins de monoxyde d’azote (NO), un neurotransmetteur inhibiteur des contractions phasiques rythmiques lentes (non propagatrices). L’absence de monoxyde d’azote entraînerait alors une rétention des selles aggravant la coprostase [1-3, 6, 7].

Atteintes ostéo-articulaires pelviennes

Les atteintes ostéo-articulaires pelviennes sont des causes non négligeables de mégacôlon (20 à 25 % des cas). Les fractures du bassin suivies d’une nonunion osseuse ou d’un cal osseux exubérant, à l’origine d’une réduction ou d’une sténose de la filière pelvienne, représentent un obstacle à l’émission des fèces et peuvent générer une douleur à l’origine d’une coprostase (photo) [1-3, 6, 7].

Atteintes nerveuses

Les atteintes nerveuses centrales et périphériques sont également des causes de mégacôlon (5 à 10 %) [1-3, 6, 7]. Elles sont principalement représentées par les anomalies rachidiennes lombosacrées. Parmi elles, certaines affections sont particulièrement rapportées chez le chat manx [1-3, 6, 7]. Cette race peut présenter une dysgénésie, voire une agénésie congénitale des racines nerveuses sacrées et coccygiennes, à l’origine d’une constipation précoce, qui s’accompagne également d’une incontinence urinaire. Une hypothyroïdie congénitale doit être suspectée chez tout chaton présenté pour une constipation. La dysautonomie est également une cause de dysmotilité qui peut finalement générer un mégacôlon [4, 5].

Références

  • 1. Bertoy RW. Megacolon in the cat. V et. Clin. North Am. Sm all Anim. Pract. 2002;32 (4):901-915.
  • 2. Folley P. Constipation, tenesmus, dyschezia, and fecal incontinence. In: Ettinger SJ, Feldman EC, Cote E eds, Textbook of Veterinary Internal Medicine. 8th edition. Philadelphia: Elsevier. 2017:171-175.
  • 3. Hall EJ. Diseases of the large intestine. In: Ettinger SJ, Feldman EC, Cote E eds, Textbook of Veterinary Internal Medicine. 8th edition. Philadelphia: Elsevier. 2017:1565-1592.
  • 4. Kidder AC, Johannes C, O’Brien DP et coll. Feline dysautonomia in the Midwestern United States: a retrospective study of nine cases. J. Feline Med. Surg. 2008;10 (2):130-136.
  • 5. O’Brien DP, Johnson GC. Dysautonomia and autonomic neuropathies. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2002;32 (1):251-265.
  • 6. Washabau RJ, Holt D. Pathogenesis, diagnosis, and therapy of feline idiopathic megacolon. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1999;29 (2):589-603.
  • 7. Washabau RJ, Stalis IH. Alterations in colonic smooth muscle function in cats with idiopathic megacolon. Am. J. Vet. Res. 1996;57 (4):580-587.

Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

Lorsqu’un chat est constipé, le fonctionnement colorectal est perturbé. Les fèces se déshydratent et se durcissent, consécutivement à une réabsorption hydrosodée stimulée et prolongée. Les contractions propulsives colorectales deviennent inefficaces et la coprostase s’aggrave. Les selles impactées génèrent une dilatation colique qui entraîne un mégacôlon hypertrophique. Lorsque la dilatation s’étend au-delà de la compliance des fibres musculaires lisses, la perte irréversible de motilité, d’élasticité et de tonus du côlon correspond au mégacôlon dilaté. En cas de constipation chronique et évolutive, le chat présente des signes de gravité variables.