PARASITOLOGIE DES RUMINANTS
Thérapeutique
Auteur(s) : Antoine Rostang*, Meg-Anne Moriceau**, Yassine Mallem***, Christophe Chartier****
Fonctions :
*Unité de pharmacologie
et de toxicologie
**Unité de médecine des animaux
d’élevage
Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes
De nouvelles données européennes changent le regard sur la paromomycine utilisée dans le cadre du traitement de la cryptosporidiose chez les ruminants nouveau-nés.
La paromomycine est un antibiotique à large spectre de la famille des aminoglycosides. En France, elle est disponible sous la forme de poudre ou de solution pour une utilisation par voie orale chez les veaux préruminants (et les porcs) dans le cadre du traitement des infections gastrointestinales causées par Escherichia coli. L’autorisation de mise sur le marché (AMM) prévoit une dose quotidienne de 25 à 50 mg/kg pendant trois à cinq jours.
La seule molécule qui dispose d’une AMM pour la cryptosporidiose en France est le lactate d’halofuginone. Cette molécule cryptosporidiostatique a une efficacité bien démontrée en prophylaxie, à la fois sur l’excrétion de parasites et sur les diarrhées, mais des résultats très hétérogènes lorsqu’elle est utilisée en traitement curatif [17].
La paromomycine présente également une activité démontrée contre Cryptosporidium parvum, bien que le schéma posologique reste discuté [4]. Elle est ainsi régulièrement employée hors AMM, dans le cadre de la cascade, pour la prise en charge curative et métaphylactique de la cryptosporidiose en élevage, en parallèle de mesures hygiéniques [15, 16].
Aucune autre molécule n’a démontré une efficacité suffisante contre Cryptosporidium parvum pour être utilisée dans la maîtrise de la cryptosporidiose chez les ruminants [16].
En juillet 2019, deux AMM avec l’indication cryptosporidiose ont été octroyées à la paromomycine dans une vingtaine de pays de l’Union européenne (mais pas la France), via une procédure communautaire décentralisée, pour une utilisation par voie orale en traitement curatif précoce, c’est-à-dire après la confirmation de l’excrétion d’oocystes par l’animal traité, mais avant l’apparition de la diarrhée. La dose quotidienne retenue est de 50 mg/ kg pendant sept jours pour les veaux, les agneaux et les chevreaux [9, 10]. Ce schéma posologique peut surprendre par rapport aux recommandations historiques de 100 mg/kg par jour pendant dix jours [15, 16]. Cette dose quotidienne de 100 mg/kg a essentiellement pour origine le premier essai conduit en 1993, sur un nombre restreint d’animaux (quatre veaux par dose testée), après une infection expérimentale. La posologie qui a alors été retenue est celle qui a permis une excrétion d’oocystes nulle [7]. Les études publiées jusqu’à récemment ont principalement testé ce schéma posologique dans différentes situations (tableau, et tableau complet sur lepointveterinaire.fr). Comme les études des dossiers d’AMM sont toujours confidentielles, il est impossible de conclure sur la dose à privilégier.
Par ailleurs, après avoir été testée chez des veaux sains dans le cadre du dossier d’AMM, la tolérance de la paromomycine est apparue moins bonne que supposée : des lésions gastro-intestinales ont été observées après autopsie (ulcération, inflammation chronique), ainsi que du bruxisme, une perte d’appétit, voire de la mortalité, notamment lors de traitements de plus de sept jours à raison de 50 mg/kg par jour, de surdosages répétés ou d’utilisation chez des animaux plus âgés [10]. Ces troubles ne sont pas rapportés chez les petits ruminants [9].
Le principal facteur limitant l’utilisation généralisée de la paromomycine est le risque de sélection et de dissémination de gènes de résistance par exposition de la flore commensale digestive. Le support de la résistance aux aminosides est principalement plasmidique.
Ces plasmides peuvent conférer une résistance croisée à de nombreux aminosides, mais ils peuvent aussi être porteurs de gènes de résistance à d’autres familles d’antibiotiques, ce qui a déjà été démontré chez la dinde après l’utilisation de paromomycine à la dose de 100 mg/kg par jour pour la gestion de l’histomonose [12]. Comme l’a rappelé l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en 2014, et en accord avec les restrictions d’usage préventif des antibiotiques prônées par la nouvelle réglementation européenne, le vétérinaire doit utiliser en priorité le lactate d’halofuginone (associé à de très fortes mesures hygiéniques) pour prévenir la cryptosporidiose en élevage. Il en est de même pour le traitement des animaux qui présentent une diarrhée : le recours au principe de la cascade ne devrait se faire qu’après une déclaration de pharmacovigilance pour défaut d’efficacité [1]. Toutefois, le vétérinaire demeure « libre de sa prescription (…) s’il estime un médicament non approprié », selon le règlement européen 2019/6. Face à une cryptosporidiose clinique sévère dans un élevage, la mise en place d’un traitement curatif et/ou métaphylactique à base de paromomycine peut se justifier en première intention, mais doit s’accompagner de mesures sanitaires strictes (isolement des animaux malades, hygiène, désinfection) et rester exceptionnelle.
Conflit d’intérêts : Aucun
Le choix du schéma posologique (50 mg/kg ou plus, sept jours d’administration ou plus) relève du prescripteur. La dose historique de 100 mg/kg par jour pendant dix jours a largement démontré son efficacité, ce qui ne discrédite pas pour autant celle de 50 mg/kg par jour pendant sept jours qui est probablement mieux tolérée et expose moins les flores commensales. Selon le principe de la cascade, un temps d’attente de 30 jours (20 × 1,5) doit toutefois être appliqué chez les différents ruminants.