UTILISATION DU BEDINVETMAB ET DU FRUNÉVETMAB EN PRATIQUE - Le Point Vétérinaire n° 431 du 01/07/2022
Le Point Vétérinaire n° 431 du 01/07/2022

ANALGÉSIE

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
8 rue des Culquoilès
La Croix Michaud
17630 La Flotte-en-Ré

Huit observations cliniques, qui représentent plusieurs types de problématiques autour de l’arthrose et plusieurs façons d’utiliser les anticorps monoclonaux, sont présentées afin d’illustrer les prises en charge possibles.

Le choix de présenter plusieurs observations cliniques, plutôt que des cas cliniques exhaustifs, permet de montrer la diversité des situations rencontrées (multimorbidités, errance médicale ou médico-chirurgicale, etc.) et les atouts de l’utilisation systématique des client specific outcome measures (CSOM). La grille CSOM, comme toute méthode d’évaluation, est imparfaite et présente des limites méthodologiques. Rappelons que seule la nociception se mesure objectivement, que la subjectivité est consubstantielle de la douleur et qu’ainsi cette dernière ne s’évalue que subjectivement. La multiplicité de ces observations cliniques “en vie réelle” et menées sur de longues périodes apporte un éclairage complémentaire aux cas cliniques qui seraient détaillés, mais présentés en plus petit nombre. Cinq observations cliniques d’arthrose canine traitées avec du bedinvetmab et trois d’arthrose féline traitées avec du frunévetmab sont présentées avec le système de cotation de la douleur CSOM.

1. OBSERVATIONS CLINIQUES

Arthrose du coude

L’arthrose du coude apparaît à la suite d’anomalies cartilagineuses dues à un défaut d’ossification enchondrale (ostéochondrose, puis ostéochondrite disséquante avec parfois décollement du cartilage fissuré) ou d’anomalies osseuses liées à une allométrie de croissance radio-ulnaire (non-union du processus anconé, fragmentation du processus coronoïde médial, syndrome du compartiment médial incluant des lésions dégénératives du processus coronoïde, de la trochlée et du condyle médial avec ou sans incongruence du coude). Le radius-curvus congénital ou traumatique, les mal-unions traumatiques et les fractures, les arthrites septiques ou auto-immunes sont d’autres causes d’arthrose.

L’arthrose du coude est particulièrement douloureuse, en relation avec le frottement des trois surfaces osseuses (humérale, radiale et ulnaire) mises à nu au stade de l’éburnation : les frictions dans l’articulation provoquent la conversion réactive de l’os sous-chondral en une surface semblable à de l’ivoire sur le site de l’érosion du cartilage.

Observation n° 1

Un chien labrador âgé de 9 ans, pesant 33,7 kg (score corporel de 6 sur 9 selon l’indice de la World Small Animal Veterinary Association, ou Wsava), est présenté en consultation pour une arthrose bilatérale très sévère des deux coudes, insuffisamment soulagée par une polythérapie par voie orale prescrite pendant dix mois par le vétérinaire traitant, à base de paracétamol (à la dose de 250 mg, soit 7,3 mg/kg, quatre fois par jour), de carprofène (à raison de 100 mg, soit 3 mg/kg, une fois par jour), de tramadol (à la dose de 50 mg, soit 1,5 mg/kg, quatre fois par jour) et de chondroprotecteurs (collagène de type II et oméga 3, une bouchée par jour). L’identification d’une composante neuropathique prépondérante conduit à la prescription par titration de gabapentine (à la posologie de 100 mg, soit 3 mg/kg, trois fois par jour per os) et à l’arrêt du paracétamol et du carprofène, ainsi qu’au sevrage du tramadol. Cette dose de gabapentine diffère des préconisations nord-américaines (10 à 20 mg/kg deux ou trois fois par jour per os) qui, selon notre expérience clinique, ne sont pas adaptées à une balance bénéfices/risques optimale (excès de sédation très fréquente). Ainsi, une titration a été privilégiée, c’est-à-dire une augmentation progressive des doses en relation avec la surface corporelle, sous la condition d’une évaluation régulière et tenant compte des associations médicamenteuses. L’intensité de la douleur a été significativement diminuée par des injections successives de bedinvetmab, à une fréquence mensuelle, à raison de 20 mg par voie sous-cutanée (figure 1).

Observation n° 2

Un chien cane corso de 9 ans et 55 kg (score Wsava de 5 sur 9), souffrant d’une arthrose bilatérale très sévère des deux coudes, est présenté en consultation (photo 1). Selon la propriétaire, il souffre depuis l’âge de 4 mois en raison d’une dysplasie (non-union du processus anconé) opérée tardivement à l’âge de 2 ans et de douleurs chroniques postopératoires. La prescription par le vétérinaire traitant de méloxicam (à la dose de 5 mg, soit 0,1 mg/kg, une fois par jour per os) et de gabapentine (à raison de 300 mg, soit 5,4 mg/kg, deux fois par jour per os,) l’application d’ondes de choc et enfin deux infiltrations d’acide hyaluronique à six mois d’intervalle réalisées par le praticien n’ont pas apporté de résultats satisfaisants. La propriétaire envisage une décision d’euthanasie, en raison de la forte dégradation de la qualité de vie de l’animal, mais choisit de l’amener en consultation douleur sur les conseils de son vétérinaire traitant. Nous décidons de le traiter avec des injections intra-articulaires de Canipren®-Joint, contenant dix millions de cellules souches mésenchymateuses : l’amélioration est particulièrement nette pendant dix-huit mois. Deux courts accès inflammatoires sont pris en charge avec un traitement par voie orale à base de méloxicam (à la dose de 5 mg, soit 0,1 mg/kg une fois par jour) et de tramadol (à raison de 100 mg, soit 1,8 mg/kg deux fois par jour). Au bout de dix-huit mois, le chien reçoit une première injection sous-cutanée de 30 mg de bedinvetmab. Le score CSOM s’effondre durablement après la 2e injection qui a lieu trente jours plus tard, et reste stable pendant six mois avec des injections d’anticorps monoclonaux mensuelles et la prescription bihebdomadaire de méloxicam. Une violente crise algique survient ensuite, en relation avec une sténose lombo-sacrée, une infiltration ostéophytique des foramens L7-S1 et une oblitération des trous de conjugaison, constatées à l’examen tomodensitométrique. Cet accès douloureux paroxystique est résolu par une perfusion à débit constant de méthadone (0,2 mg/kg/h) et de kétamine (0,5 mg/kg/h) pendant huit heures, suivie de la prescription de gabapentine (titration à la dose de 200 mg le matin, soit 3,5 mg/kg, et de 300 mg le soir, soit 5,5 mg/kg) et d’une augmentation de la dose de bedinvetmab, injectée mensuel lement (40 mg). Dix mois après, la baisse du score CSOM par rapport à la situation avant l’utilisation de bedinvetmab est toujours hautement significative, avec cependant la poursuite nécessaire de la prescription bihebdomadaire de méloxicam (figure 2).

Observation n° 3

Un chien retriever âgé de 14 ans, pesant 39,7 kg (score Wsava de 5 sur 9), est présenté en consultation pour un accès douloureux paroxystique en relation avec une arthrose bilatérale très invalidante des deux coudes (photo 2). Une insuffisance rénale chronique concomitante interdit le recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) anti-COX. L’accès douloureux paroxystique est pris en charge avec succès par une perfusion à débit constant de méthadone (0,2 mg/kg/h) et de kétamine (0,5 mg/kg/h) pendant huit heures, suivie d’une prescription au long cours d’un AINS anti-EP4 (grapiprant à la dose de 100 mg, soit 2,5 mg/kg, une fois par jour).

Devant l’aggravation du handicap fonctionnel, deux injections sous-cutanées, à trente jours d’intervalle, de 20 mg puis de 30 mg de bedinvetmab sont pratiquées, sans bénéfices satisfaisants pour le soulagement de la douleur (figure 3). L’apparition d’une tumeur colorectale, six mois plus tard, conduit à l’euthanasie du chien.

Arthrose du grasset

L’arthrose du grasset apparaît à la suite d’une dégénérescence du ligament croisé antérieur, d’une luxation patellaire, de défauts d’ossification endochondrale (ostéochondrite disséquante du condyle latéral), de fractures articulaires (de Salter-Harris type fémoral distal) ou d’entorses graves. La douleur est associée à un épanchement articulaire et à une inflammation synoviale.

Observation n° 4

Une chienne beauceron de 6,5 ans pesant 41 kg (score Wsava de 7 sur 9), handicapée par une arthrose très sévère du grasset droit, est présentée en consultation. Parmi les différents signes cliniques observés, l’épaississement médial articulaire, l’ankylose du grasset droit et l’amyotrophie associée sont particulièrement remarquables (photos 3a à 3c). Les signes du tiroir (direct et indirect) sont absents. Le degré de boiterie est de 4 sur 5 (permanente, du bout des doigts) et des réactions inédites d’irritabilité et de retrait au toucher (allodynie) sont rapportées par le propriétaire. L’absence complète d’instabilité et le degré sévère d’arthrose font l’objet d’une discussion avec le propriétaire sur une décision d’intervention chirurgicale qui, finalement, est écartée. En complément de massages et d’une correction du régime alimentaire, six injections sous-cutanées de 30 mg de bedinvetmab sont pratiquées à intervalles croissants (quatre, cinq, six et huit semaines), sous la condition d’une évaluation régulière de la douleur via l’application digitale CSOM. Une amélioration rapide et durable est observée, avec un effondrement du score CSOM (figure 4).

Arthrose de la hanche

L’arthrose de la hanche apparaît à la suite d’une incongruence et d’une laxité excessive de l’articulation coxo-fémorale (dysplasie), d’une nécrose aseptique de la tête fémorale, de fractures (acétabulaire, tête fémorale, Salter-Harris ou non), de luxations de la hanche, d’un glissement épiphysaire, etc. Les douleurs inflammatoires s’accompagnent de contractures musculaires invalidantes (muscles pectiné, iliopsoas, etc.).

Observation n° 5

Une chienne golden retriever âgée de 11 ans obèse (45,3 kg, score Wsava de 9), atteinte d’une coxarthrose bilatérale invalidante, est traitée par le vétérinaire avec du méloxicam (à la dose de 45 mg, soit 0,1 mg/kg, une fois par jour) et du tramadol (à raison de 100 mg, soit 2,2 mg/kg, trois fois par jour). Devant l’aggravation du handicap fonctionnel, une double prothèse de hanche est conseillée. Le chirurgien consulté préconise plutôt une ostéotomie de nivellement du plateau tibial (TPLO) à cause d’une suspicion de rupture partielle du ligament croisé antérieur droit et prescrit de la gabapentine (à la dose de 400 mg, soit 8,9 mg/kg, deux fois par jour). La propriétaire sollicite une consultation douleur fondée sur la méthodologie suivante : médecine narrative et CSOM, examen clinique général, orthopédique et neurologique, diagnostic étiologique et des mécanismes des douleurs associées, objectifs de retour à la mobilité et de qualité de vie partagés avec le propriétaire, projet thérapeutique multidisciplinaire et individualisé, alliance et éducation thérapeutique, calendrier de suivi. La prescription de gabapentine est arrêtée en raison de l’absence de critères de suspicion de douleurs neuropathiques et d’une forte sédation. L’examen orthopédique permet d’infirmer la suspicion d’atteinte du ligament croisé antérieur et de confirmer la localisation coxo-fémorale de la douleur.

Le projet thérapeutique suivant est proposé : régime amaigrissant, ergothérapie (matelas à mémoire de forme, rampe d’accès), physiothérapie (massages, hydrothérapie), exercices physiques à faible impact, biothérapies à base d’injections mensuelles de bedinvetmab à la posologie de 30 mg. Neuf mois plus tard, le retour à la mobilité est très satisfaisant et l’état dépressif associé aux douleurs chroniques a disparu. L’espacement des injections de bedinvetmab est envisagé, sous la condition d’une évaluation régulière de la douleur par les CSOM (figure 5).

Utilisation du frunévetmab et premières observations cliniques chez le chat

De mai 2021 à mars 2022, 58 injections de frunévetmab sont pratiquées chez 17 chats arthrosiques. Tous les chats présentent des scores CSOM supérieurs à 8 sur 12 et des comorbidités variables (maladie rénale chronique, hyperthyroïdie, diabète, cardiomyopathie hypertrophique, obésité, etc.). Au 15 mars 2022, compte tenu du profil des propriétaires et du recrutement en cours, 13 chats reçoivent une 2e injection, 8 une 3e injection, 7 une 4e injection, 6 une 5e injection, 4 une 6e injection, 1 une 7e, 8e et 9e injections (total de 58 injections).

Selon les recommandations de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), les doses utilisées vont de 1 à 2,8 mg/kg.

Observation n° 6

Un chat européen de 16 ans et 4,9 kg (score Wsava de 4 sur 9), souffrant de douleurs articulaires localisées aux hanches, grassets et coudes ainsi que d’une cardiomyopathie hypertrophique, est reçu en consultation. La prescription par le vétérinaire traitant de méloxicam (à la dose de 0,25 mg, soit 0,05 mg/kg, une fois par jour per os pendant dix jours) a contribué à l’amélioration temporaire des signes cliniques (difficulté à sauter, allodynie et état dépressif), mais doit être arrêtée en raison de l’administration concomitante d’un diurétique (œdème pulmonaire). Les injections mensuelles de 7 mg de frunévetmab, entre mai et septembre 2021 la même année, sont à l’origine d’une amélioration spectaculaire (figure 6). Le report de l’injection de la 4e dose à huit semaines entraîne une réapparition brutale des signes de douleur surveillés par le propriétaire. La nouvelle amélioration constatée est stoppée en raison de comorbidités (insuffisance rénale chronique et lymphome métastasé), et une euthanasie est décidée en octobre 2021.

Observation n° 7

Un chat maine coon, âgé de 9 ans et pesant 8,6 kg (score Wsava de 6 sur 9), est présenté en consultation car il est handicapé par une coxarthrose bilatérale (difficulté à sauter et à courir, allodynie avec irritabilité). L’examen orthopédique met en évidence une douleur marquée à la manipulation des hanches. Une maladie rénale chronique est objectivée (stade Iris II, selon la classification de l’International Renal Interest Society). Six injections de 14 mg de frunévetmab, espacées de six à neuf semaines, améliorent significativement la qualité de vie de ce chat, même si un léger ressaut douloureux est constaté entre la 4e et la 5e injection, espacées de huit semaines (figure 7). La propriétaire s’est engagée dans un parcours de suivi au long cours (évaluation CSOM et injections mensuelles de frunévetmab).

Observation n° 8

Un chat maine coon de 20 ans pesant 4,2 kg (score Wsava de 3 sur 9), atteint de maladie rénale chronique (stade Iris III) stabilisée à l’aide de telmisartan (à la dose de 4 mg, soit 1 mg/kg, une fois par jour per os) et d’une double affection articulaire douloureuse (coxarthrose et sténose lombo-sacrée), est présenté en consultation.

Au-delà des signes fonctionnels liés à l’âge (sarcopénie) et à l’arthrose, des troubles du comportement sont rapportés : irritabilité au toucher (allodynie), état dépressif, vocalisations nocturnes avec troubles du sommeil. Sept injections mensuelles de 7 mg de frunévetmab améliorent progressivement, puis très significativement la qualité de vie du chat (figure 8). L’administration concomitante de 4 mg de cannabidiol par voie transmucosale corrige la dyssomnie et l’anxiété associée. Les injections mensuelles de frunévetmab sont poursuivies à plus long terme.

2. DISCUSSION

Les éléments de discussion fournis sont le fruit de l’expérience personnelle de l’auteur en tant que praticien spécialisé dans la prise en charge de la douleur (438 injections pratiquées chez 100 chiens et plus de 90 chez 32 chats) et conférencier. Ces développements engagent exclusivement l’auteur, qui revendique l’intérêt scientifique des débats menés avec plus de 800 praticiens sur des cas, multisites et de multimorbidités, suivis de juin 2021 à juin 2022.

Efficacité des anticorps monoclonaux

L’apport bénéfique des anticorps monoclonaux anti-NGF dans la prise en charge des douleurs arthrosiques est confirmé par ces observations cliniques, selon l’expérience de l’auteur : le soulagement apparaît dans les premières semaines chez le chien et semble notablement consolidé après la 2e injection chez le chat. Le profil d’innocuité observé, remarquable par les caractéristiques pharmacologiques des anticorps monoclonaux et constaté lors des essais cliniques, a été retrouvé dans les cas complexes de multimorbidité (via le suivi des stades Iris de la maladie rénale chronique).

Fréquence des injections

Selon l’AMM, la fréquence des injections sous-cutanées doit être mensuelle, mais cette recommandation ne tient pas compte des bénéfices apportés par l’ensemble des mesures nécessairement prises dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire : coanalgésie, nutrition clinique, ergothérapie, physiothérapie manuelle et instrumentale (laser, hydrothérapie), ostéopathie, etc. Un programme personnalisé a donc plutôt été adopté, tenant compte de la gravité des signes cliniques, de l’âge des chiens, de l’implication des propriétaires dans les soins à domicile et le respect des exercices à faible impact, ainsi que de la réponse au traitement. Une évaluation systématique de la douleur (score CSOM) ainsi qu’un nouvel examen clinique ont été réalisés à chaque rendez-vous. Dans les cas favorables, il est apparu envisageable d’espacer progressivement les injections toutes les six, huit, voire douze semaines.

Posologie

L’AMM du médicament vétérinaire à base de bedinvetmab préconise une posologie de 0,5 à 1 mg/kg chez le chien. Le tableau de posologie précisé dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de ce médicament n’est pas utilisé, car nous estimons qu’il a tendance à préconiser les doses les plus faibles (0,5 mg/kg) pour les limites supérieures des colonnes de poids. La posologie est à adapter à l’animal traité (sévérité des symptômes et poids). Ainsi, un chien de 40 kg bénéficiera parfois avantageusement d’une dose de 30 mg, plutôt que de la dose de 20 mg recommandée. Nos observations cliniques nous ont incités à adapter, pour un chien de 30 kg, une dose de 15 à 30 mg en fonction de l’évolution des douleurs associées à la progression de la maladie arthrosique, suivant les préconisations de l’AMM.

Utilisation d’un AINS de façon concomitante

Chez l’humain, une arthrose destructrice rapide sous tanezumab a été observée dans 1,4 % et 2,8 % des cas traités aux doses de 2,5 mg et 5 mg, avec la prescription concomitante d’AINS sur une longue durée (plus de trois mois) [1]. Le RCP précise que, dans une étude de laboratoire menée sur une période de deux semaines chez des chiens jeunes et en bonne santé sans arthrose, le bedinvetmab n’a provoqué aucun effet indésirable lorsqu’il était administré en même temps qu’un AINS (carprofène). Il n’y a pas de données d’innocuité sur l’utilisation concomitante, à long terme, d’AINS et de bedinvetmab chez le chien. Pour un certain nombre de cas (5 sur 84, dont l’observation clinique n° 2), il est apparu nécessaire de garder une action anti-inflammatoire pulsée (deux ou trois jours par semaine) ou intermittente (selon l’expression clinique douloureuse).

Les animaux traités avec des AINS et des anticorps monoclonaux doivent être suivis très régulièrement pour détecter le plus tôt possible une éventuelle arthrose rapide (jamais décrite à ce jour). Toute observation doit faire l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance. Cette double prescription est réalisée en fonction de l’évaluation de la balance bénéfices/risques.

Rappelons que les anticorps monoclonaux ont essentiellement une activité antalgique démontrée, une action très partielle supposée sur l’hyperalgésie primaire (la soupe inflammatoire) et une action préventive probable sur l’hyperalgésie secondaire (réflexe d’axone et inflammation neurogène médiée par le NGF). Des interrogations persistent donc sur la réalité d’une action anti-inflammatoire stricto sensu suffisante pour contrer l’inflammation synoviale avec épanchement.

Approche pluridisciplinaire de la douleur

L’action antalgique parfois spectaculaire doit inciter le praticien à donner des consignes de reprise progressive des exercices (toujours à faible impact), au risque de la survenue d’accès douloureux paroxystiques. Ces bons résultats ne devraient pas conduire à une approche monomodale de la douleur, excluant de facto tous les bénéfices attendus des moyens non pharmacologiques.

Ainsi, la thérapie laser, en levant les contractures musculaires invalidantes, et l’hydrothérapie, en améliorant la mobilité (amplitude du mouvement et longueur de foulée), participent à une prise en charge globale au bénéfice d’une qualité de vie prolongée. Par ailleurs, certaines interventions chirurgicales (prothèse totale de hanche, prothèse unicompartimentale du coude, arthrodèse du carpe, etc.) doivent être envisagées en cas d’échec des traitements médicamenteux, après avoir évalué, comme pour la pharmacologie, la balance bénéfices/risques (restauration de la fonction articulaire, soulagement de la douleur lors d’arthrose handicapante, multimorbidités, complications postopératoires, etc.). Les bons résultats des anticorps monoclonaux ne devraient pas non plus conduire à la banalisation d’une injection mensuelle sans consultation associée. Un rendez-vous de suivi devrait être dédié à l’évaluation de la douleur, à un examen clinique répété pour détecter les fréquentes comorbidités, à l’adaptation du projet thérapeutique, enfin à l’éducation thérapeutique du propriétaire pour lui fournir des compétences d’évaluation et de soins (encadré).

Indications hors AMM ?

Compte tenu de la surexpression du récepteur TrkA dans les fibres nociceptives qui innervent le compartiment ostéo-articulaire, des indications hors AMM pour le soulagement de la douleur sont envisageables, et sont déjà rapportées par les adhérents du réseau CAPdouleur (avec évaluation par l’application CSOM) : il s’agit notamment des douleurs chroniques postopératoires (chirurgie orthopédique), des sténoses lombo-sacrées, des hyperostoses squelettiques idiopathiques diffuses, des ostéosarcomes, des polyarthrites érosives ou non, de l’ostéochondrodysplasie du scottish fold, du complexe gingivo-stomatite féline avec atteinte alvéolaire, etc.(1).

  • (1) Selon l’article 112 du règlement n° 2019/6 (cascade thérapeutique), il est possible d’utiliser des médicaments vétérinaires autorisés dans une espèce pour d’autres indications que celles de l’AMM lors de l’absence de médicaments autorisés pour l’indication visée, ou en cas de non-réponse ou de manque d’efficacité du traitement chez l’animal traité.

Référence

  • 1. Berenbaum F, Blanco FJ, Guermazi A et coll. Subcutaneous tanezumab for osteoarthritis of the hip or knee: efficacy and safety results from a 24-week randomised phase III study with a 24-week follow-up period. Ann. Rheum. Dis. 2020;79 (6):800-810.

Conflit d’intérêts : Fondateur du réseau CAPdouleur, conférencier et activités de consulting en analgésie pour des organismes scientifiques et la plupart des laboratoires pharmaceutiques vétérinaires (dont Zoetis).

Encadré : ALLIANCE ENTRE VÉTÉRINAIRE ET PROPRIÉTAIRE POUR LE TRAITEMENT DE L’ARTHROSE

Plus encore chez le chat que chez le chien, les défis de la prise en charge des douleurs arthrosiques concernent le dépistage (malgré une très forte prévalence), le recrutement des cas (face à un certain fatalisme des propriétaires) et l’observance (comme toute maladie chronique). Les réponses à cet enjeu éthique sont multiples. L’alliance thérapeutique tissée entre le vétérinaire généraliste et le propriétaire est fondée sur un quadruple accord portant sur :

– le problème de santé et ses conséquences, l’arthrose étant une maladie pluritissulaire invalidante source de douleurs inflammatoires, neuropathiques et nociplastiques (animaux vulnérables) ;

– les objectifs d’amélioration de la mobilité et de la préservation de la qualité de vie (évaluation continue de la douleur) ;

– les solutions grâce à un projet thérapeutique multimodal, multidisciplinaire et individualisé ;

– un engagement réciproque du propriétaire (évaluation, massages, régime alimentaire, exercices physiques à faible impact, etc.) et du vétérinaire (évaluation, approche transversale, holistique et pluridisciplinaire, éducation thérapeutique, programmation des visites de suivi, visioconsultation, médecine préventive secondaire et tertiaire, etc.).

CONCLUSION

L’actualité récente est dominée par les multiples révolutions (sémantiques, nosographiques, évaluatives et thérapeutiques) qui bouleversent notre approche de la douleur. Trois changements de paradigme devraient avantageusement servir la cause du bien-être animal en améliorant la prise en charge des douleurs chroniques : l’alliance thérapeutique, la médecine proactive de la douleur dans laquelle le praticien abandonne les démarches purement réactives (face à de nouveaux accès douloureux) ou stéréotypées (procédures standardisées uniformes) pour cultiver une médecine préventive et individualisée de l’animal douloureux, enfin la médecine préventive secondaire (qui s’intéresse à l’arthrose radiologique, limitant la prévalence de l’arthrose clinique) et tertiaire (s’intéressant à l’arthrose clinique, réduisant la fréquence et l’intensité des rechutes). Dans le contexte de la nouvelle classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui définit les douleurs chroniques comme des maladies, le nouveau cadre de la consultation douleur propose de remplir cette triple ambition au profit du bien-être animal.