DIARRHÉE DU JEUNE VEAU : QUAND ET DANS QUELLE MESURE INCRIMINER L’ALIMENTATION ? - Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023
Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023

ÉLEVAGE BOVIN

Article original

Auteur(s) : Matthieu Leblanc

Fonctions : Responsable technique élevage
2 rue Victor Considérant
Coopérative Terre comtoise
25770 Vaux-les-Prés

Avant le sevrage, plusieurs paramètres simples permettent d’évaluer la bonne gestion de l’alimentation dans son ensemble.

La phase lactée chez les ruminants est une période particulière pendant laquelle le veau est très sensible aux affections digestives. Si la lutte contre les virus, les bactéries et les parasites fait partie intégrante des soins prodigués par le vétérinaire rural, de nombreux autres facteurs de risque interviennent dans l’équation tels que le logement, la prévention vaccinale et surtout l’alimentation. Ces facteurs de risque sont donc à prendre en compte pour adapter au mieux le conseil et les mesures correctives à mettre en place. Si tous ces aspects sont largement documentés dans la littérature, cet article aborde la question de la gestion alimentaire afin de savoir quand et comment suspecter un potentiel lien avec l’alimentation. Plutôt que d’apprendre (ou de réapprendre) à lire les étiquettes des poudres de lait, il apparaît plus judicieux d’envisager l’alimentation sous un angle global, en prêtant une attention particulière à certains points afin d’orienter ou non le diagnostic vers le facteur alimentaire. Cet article n’aborde pas la phase colostrale, dont l’importance mérite une publication dédiée.

LA PHASE LACTÉE : IMPORTANCE DES CARACTÉRISTIQUES DE L’ALIMENT

À la naissance, le veau présente un système digestif enzymatique : la digestion des protéines et des lipides est assurée dans la caillette, avec une distinction importante à faire selon la nature coagulante ou non de l’aliment lacté distribué (lait entier ou reconstitué, à base de matières premières d’origine laitière et/ou végétale). Lorsque l’éleveur utilise du lait en poudre, certains critères sont à vérifier pour s’assurer de la bonne qualité du produit. Deux grandes règles régissent la digestion du lait en poudre par le veau. En premier lieu, un veau digère globalement mieux ce qui se rapproche de ce qu’il aurait ingéré s’il avait tété sa mère. Ainsi, la digestibilité des protéines et des lipides est meilleure lorsque celles-ci se rapprochent de la composition naturelle du lait entier :

– pour les protéines, les matières premières d’origine laitière sont globalement plus digestibles que les matières premières d’origine végétale à l’exception du gluten de blé (tableau). Dans le cas des protéines végétales, leur digestibilité dépend surtout du traitement qu’elles ont subi et par conséquent de leur teneur finale en facteurs antinutritionnels de type aflatoxines [3] ;

– pour les lipides, les acides gras saturés à chaîne courte, retrouvés majoritairement dans le lait, sont les plus digestibles pour le veau. Cela fait des huiles de palme et de coprah deux matières premières adaptées à son alimentation, en substitution des lipides d’origine laitière (plus chers) ou animale (saindoux, suif) dont l’utilisation est anecdotique aujourd’hui ;

– pour les glucides, l’apport principal est recommandé sous la forme de lactose, issu de la poudre de lait écrémé ou du lactosérum. L’incorporation de glucides (amidon de pomme de terre, de blé ou de pois) est à limiter, car leur digestibilité pour le veau est plus faible [1]. Globalement, lorsque la composition d’un aliment d’allaitement dépasse le taux de 0,25 % de cellulose brute, la part de glucides d’origine végétale est considérée comme non négligeable.

En second lieu, un régime coagulant (généralement défini comme un aliment contenant 30 % ou plus de poudre de lait écrémé) permet la formation d’un caillé dans la caillette, donc une durée de transit plus longue de l’aliment lacté, ce qui améliore ainsi la digestibilité. La formation du caillé est également directement conditionnée par la quantité de salive (donc de bicarbonates) produite lors de la tétée. En matière de distribution, le praticien rural se doit de vérifier notamment que le lait est proposé dans un seau avec une tétine relativement rigide et surtout non percée, et non bu directement dans le seau.

Si ces notions sont incontestables, il convient de les nuancer car certaines conduites d’élevage avec des aliments issus du commerce à 0 % de poudre de lait écrémé fonctionnent bien dans un cadre donné, sans provoquer davantage de problèmes digestifs que dans les élevages qui utilisent une poudre avec 50 % de poudre de lait écrémé ou plus, a priori “plus qualitative”. C’est pourquoi, au-delà de la composition même du lait en poudre utilisé, il faut aller plus loin dans la démarche (encadré).

LA BONNE GESTION DE LA PHASE LACTÉE : LAIT ENTIER VERSUS POUDRE DE LAIT

Dans le commerce, il est possible de trouver des aliments d’allaitement à tous les prix et à la composition diverse et variée. Là encore, force est de constater que certains aliments d’allaitement de qualité moindre fonctionnent très bien dans certaines exploitations, tandis que d’autres, qui utilisent des poudres de lait de haute qualité, subissent une morbidité et des pertes chez les veaux pour cause de diarrhées. Le constat est le même pour l’utilisation du lait entier. Outre l’aspect sanitaire, il existe donc des facteurs de risque “para-alimentaires” dont il convient de tenir compte. Plusieurs points, qui ne concernent pas directement l’alimentation mais impactent fortement la santé digestive du veau, sont facilement vérifiables en élevage.

Il faut tout d’abord rappeler que le logement, l’ambiance, la concentration des animaux, l’humidité, l’ammoniac et tous les facteurs non alimentaires influent énormément sur la santé du veau ­nouveau-né. À ce titre, il est bon de commencer par vérifier ces éléments d’ambiance et d’hygiène avant d’incriminer l’alimentation. De même, la préparation au vêlage, les conditions de la mise bas et la qualité ainsi que la quantité de colostrum fournie au veau au cours des premières heures de vie conditionnent beaucoup son devenir. Ce sont également des points qu’il faudra aborder avant de se lancer dans le conseil en alimentation.

En outre, les bonnes conditions de préparation et de distribution du lait ont un impact important sur la qualité de la digestion du veau. Le lait, entier ou reconstitué, doit être distribué à bonne température, dans du matériel propre, lavé tous les jours et régulièrement désinfecté. Idéalement, une tétine suit le veau de sa naissance jusqu’au sevrage (photo). Une attention particulière sera portée aux élevages équipés d’un distributeur automatique de lait, un outil performant et fonctionnel sous réserve d’un entretien rigoureux et régulier. Un distributeur automatique non étalonné se dérègle rapidement, et a minima le contrôle de la température et de la concentration du lait en sortie de tétine est à effectuer régulièrement. Le réfractomètre peut servir à contrôler la bonne concentration d’un lait reconstitué (figure 1).

Au-delà de ces aspects, quelques points de contrôle sont directement liés à l’alimentation lactée.

Premièrement, une eau propre et fraîche doit être proposée dès la naissance, une évidence rarement appliquée à la ferme lorsque les veaux sont logés en cases individuelles. L’éleveur doit comprendre que le lait nourrit, mais ne réhydrate pas. Une solution simple consiste à rincer les seaux à tétine après la buvée pour ensuite y mettre de l’eau. Le veau dispose alors d’eau toute la journée entre les repas. Idéalement, il faut mettre l’eau à disposition au moins une heure après la distribution du repas lacté pour ne pas perturber la formation du caillé, le cas échéant.

Deuxièmement, l’aliment d’allaitement doit être adapté au système de distribution. Outre la composition intrinsèque de la poudre de lait choisie, certains produits ne correspondent pas à l’utilisation qui en est faite. En effet, il est tout à fait possible d’utiliser un aliment non coagulant dans un distributeur automatique de lait car, même si la satiété est moins bonne qu’avec un régime coagulant, le veau peut aller boire plus de deux fois par jour. Mais la réciproque n’est pas toujours vraie : les laits “non coagulants” sont souvent peu adaptés au système de distribution en une ou deux fois par jour, sauf si l’alimentation solide est soutenue.

Troisièmement, dans le cadre du recours à du lait entier, la variabilité du lait utilisé peut faire défaut. Il est admis que les taux mesurés chez une vache fraîchement vêlée ne montent pas de façon synchrone. Les variabilités individuelles sont fortes, mais globalement le taux butyreux (TB) monte plus rapidement que le taux protéique (TP) : quelques jours pour le premier au lieu de plus d’une semaine pour le second en général. Ainsi, l’écart déjà important entre le lait produit par la mère et les besoins du veau est d’autant plus important au cours des premiers jours de vie. Cette situation peut être observée dans des exploitations où les taux butyreux et protéique sont importants : les laits “trop riches” peuvent provoquer de façon passagère des diarrhées légères à modérées chez les veaux. Ce point est à suspecter surtout lorsque le phénomène est passager et correspond à des périodes de transition alimentaire dans le troupeau laitier (mise à l’herbe par exemple). Dans ce cas, couper le lait avec de l’eau ne résoudra pas le problème puisque tous les taux étant dilués, le produit final sera trop faible en protéines pour le jeune veau. De même, écrémer le lait se révèle souvent inefficace, là encore en raison de fortes variabilités.

Par ailleurs, il faut surtout être attentif au passage entre le lait de la mère et le lait de mélange ou en poudre. Il n’est pas rare de constater, en interrogeant l’éleveur, que les épisodes de diarrhée classiquement liés aux agents pathogènes surviennent lorsque le veau passe du lait de sa mère au lait de mélange ou au lait en poudre. Dans ce cas, la solution passe par une transition alimentaire moins brutale, par exemple à l’aide d’un sachet repas réhydratant ou le passage au lait en poudre dès 48 heures après la naissance au lieu de cinq à huit jours plus tard.

L’ALIMENT LACTÉ AU CŒUR DU TRIPTYQUE FOURRAGE-CONCENTRÉ-LAIT

La complémentarité entre l’alimentation lactée et solide est un point souvent négligé, bien qu’il soit tout aussi important que les précédents (figure 2). En effet, l’objectif de l’éleveur est de sevrer rapidement des veaux en bonne santé. Ainsi, le veau passe d’un système digestif monogastrique par l’alimentation liquide à un système de ruminant par la digestion fermentaire d’aliments solides. Ce bouleversement doit être le plus rapide et le plus graduel possible, et l’une des solutions consiste à commencer précocement. Dès 15 jours de vie, il est nécessaire d’apporter au veau du fourrage grossier et un aliment concentré pour soutenir sa croissance. Pour illustrer cela, le calcul est simple : de la naissance (40 kg) au sevrage (100 kg), il faut aller chercher 60 kg. Il est admis que, dans de bonnes conditions, 1,3 kg de poudre de lait permet de faire gagner 1 kg de poids vif via l’énergie. Si le veau consomme en moyenne 50 kg de poudre de lait écrémé entre la naissance et le sevrage, il aura donc gagné 38 kg, soit 38 sur 60 = 63 % de gain moyen quotidien obtenu par l’aliment lacté. Il manque donc 22 kg à obtenir via l’alimentation solide. La complémentarité entre les aliments liquide et solide est un prérequis indispensable à l’alimentation du veau avant le sevrage.

Dans ce contexte, il convient de prendre en compte l’aliment de premier âge distribué, ainsi que le fourrage. En effet, de la paille d’orge ou de blé est beaucoup plus pauvre en énergie et en azote qu’un foin, même grossier, mais elle présente une sécurité digestive plus importante en raison de sa stabilité d’une botte à l’autre. De façon assez simple, il suffit d’évaluer le taux de matière azotée totale dans l’aliment concentré pour estimer s’il est adapté ou non au système d’élevage. Des veaux élevés sur la paille supportent facilement un aliment jusqu’à 22 ou 24 % de matière azotée totale, sous réserve qu’il ne soit pas distribué à plus de 2 kg par animal et par jour et que sa composition soit sécurisée [4]. Dans la situation inverse, un aliment à 16 ou 18 % de matière azotée totale pourra suffire à des veaux élevés au foin. L’important est de fournir le fourrage à volonté et de retirer régulièrement les refus pour inciter les veaux à le consommer. C’est également le fourrage qui conditionne la taille des papilles, donc la capacité de digestion de la future laitière.

Plus spécifiquement, la diversité des sources d’énergie est également importante à prendre en compte. Dans l’optique de la future carrière laitière de la génisse d’élevage, il convient d’apporter de l’énergie tant sous la forme d’amidon que de cellulose et de matière grasse, pour favoriser la production de tous les acides gras volatils intéressants. L’amidon des céréales permet la formation de propionates, tandis que la cellulose, notamment issue de la pulpe de betteraves ou des pellicules de soja, préside à la formation d’acétates et de butyrates.

Références

  • 1. Arzul P, Laumonnier G. L’allaitement du veau laitier. Proc. Journées nationales GTV, Nantes. 2016:657-668.
  • 2. Eurovo. Nourrir votre croissance. Site lactalisfeed.fr, consulté le 10/10/2022.
  • 3. Gautier F, Labussière E. Origines alimentaires et digestion des nutriments chez le veau préruminant. Inra Prod. Anim. 2011;24 (3):245-258.
  • 4. Laumonnier G. La valse des étiquettes : aliment d’allaitement et concentré premier âge (support de travaux pratiques). Journées nationales GTV, Nantes. 2016:30p.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : LECTURE D’ÉTIQUETTE EN DEUX CALCULS

Pas besoin de mesures savantes, une approximation avec un calcul de tête vaut aussi bien qu’une lecture attentive de l’étiquette pour connaître le type de poudre de lait.

1. Commencer par la matière grasse (MG) :

– 1 point de MG sur l’étiquette = 1 point de MG dans la composition ;

– souvent à base de 70 % de palme et 30 % de coprah (ou 60 % palme, 30 % coprah, 10 % autre).

2. Décomposer la teneur en protéines brutes des principaux ingrédients :

– poudre de lait écrémé = 36 points de matière azotée totale (MAT) ;

– lactosérum = 11 points de MAT ;

– gluten de blé = 80 points de MAT ;

– concentré de lactosérum = 1,1 point de MAT ;

– babeurre = 3,4 points de MAT.

Points clés

• Chez le veau non sevré, la digestibilité des protéines et des lipides est meilleure lorsque celles-ci se rapprochent de la composition naturelle du lait entier. Les acides gras saturés à chaîne courte sont les plus digestibles.

• Le régime coagulant permet la formation d’un caillé dans la caillette, allonge la durée du transit de l’aliment lacté et améliore sa digestibilité.

• Des facteurs para-alimentaires, tels que le mode et l’hygiène de la distribution, doivent également être contrôlés.

• L’aliment de premier âge distribué doit être adapté au fourrage. Le taux de matière azotée nécessaire dans l’aliment diffère selon le type de fourrage, de paille ou de foin.

CONCLUSION

Lorsque des diarrhées alimentaires sont suspectées chez le veau non sevré, il convient de ne pas prendre en compte uniquement l’alimentation lactée pour ce qu’elle est, mais bel et bien la ration dans son ensemble. Une poudre de lait non adaptée sera tout aussi préjudiciable à la santé et au devenir du jeune veau qu’un aliment de premier âge mal formulé ou distribué en complément d’un fourrage de mauvaise qualité.