DYSPHAGIE CRICOPHARYNGÉE CHEZ UN JEUNE CHIEN - Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023
Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023

NEUROLOGIE

Neurologie

Auteur(s) : Manon David*, Antoine Dunié-Merigot**, Laure Poujol***, Robin Cavalerie****

Fonctions :
*Centre hospitalier vétérinaire Languedocia
395 rue Maurice Béjart
34080 Montpellier
**(dipECVS)
***(CEAV de médecine interne)

Il n’est pas toujours aisé de distinguer les régurgitations des vomissements, et parfois difficile d’estimer les délais d’apparition (régurgitations instantanées ou décalées). C’est pourtant une observation décisive dans le choix des examens complémentaires, qui peuvent être complexes à mettre en œuvre.

La déglutition est un phénomène complexe, dans lequel intervient une succession d’événements le plus souvent automatiques. Elle peut être divisée en trois phases distinctes : la phase orale de constitution du bol alimentaire, la phase oropharyngée caractérisée par le transit du bol de la base de la langue vers le sphincter cricopharyngien, et la phase cricopharyngée pendant laquelle le relâchement de ce sphincter permet le passage du bol dans l’œsophage. La dysphagie désigne toute perturbation de la déglutition, avec une distinction entre les origines lésionnelles et fonctionnelles. L’achalasie cricopharyngée est une maladie rare, mais reste néanmoins le trouble moteur de l’œsophage le plus fréquent. Il s’agit stricto sensu d’une hyperpression du sphincter œsophagien proximal, associée à une anomalie de synchronisation des contractions ou relaxations des muscles de l’œsophage. Son origine est encore discutée et semble nerveuse. Cette atteinte est presque toujours précoce, autour du sevrage, mais peut se manifester plus tard, comme l’illustre le cas de ce jeune cavalier king charles.

DESCRIPTION DU CAS

1. Anamnèse

Un cavalier king charles mâle castré, âgé de 1 an et 5 mois, est présenté en urgence pour des régurgitations incoercibles immédiatement après tout repas ou toute prise de boisson, associées à des épisodes très fréquents de “raclements de gorge” (photo 1).

Les signes cliniques évoluent depuis cinq mois de façon intermittente, avec une résolution transitoire après la mise en place d’un traitement à base d’un antibiotique (amoxicilline-acide clavulanique), d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (méloxicam) et d’un anticholinergique (glycopyrrolate).

Une aggravation marquée des signes est observée depuis trois semaines, avec le constat d’un amaigrissement sévère malgré un appétit conservé. L’analyse biochimique de dix paramètres, des radiographies thoraciques et une échographie abdominale, réalisées par le vétérinaire traitant deux semaines auparavant, n’ont pas révélé d’anomalie. Par ailleurs, l’animal est correctement vacciné, traité contre les parasites externes et internes, et ne présente pas d’antécédents médicaux.

2. Examen clinique

À l’admission, le chien est modérément abattu et son score corporel est estimé à 2 sur 9 pour un poids de 5,5 kg. L’auscultation cardio-respiratoire révèle une augmentation des bruits inspiratoires et expiratoires. Une gêne à la palpation cervicale est observée, et de nombreux épisodes de raclements de gorge sont relevés lors de la consultation. L’administration d’aliment déclenche une série de déglutitions associée à des régurgitations immédiates. La température rectale est de 38,7 °C et le reste de l’examen clinique est satisfaisant.

3. Hypothèses diagnostiques

Le tableau clinique est dominé par une dysphagie chronique en phase d’aggravation, associée à des régurgitations incoercibles instantanées après le repas et des signes d’atteinte pharyngée chez un jeune chien de race cavalier king charles. Les causes de dysphagie à manifestation pharyngée sont multiples (tableau). Compte tenu du jeune âge et de la race du chien, des anomalies congénitales telles qu’un mégaœsophage et une achalasie ou asynchronie cricopharyngée sont retenues en premières hypothèses diagnostiques.

Une achalasie est privilégiée du fait du caractère instantané des régurgitations après la prise alimentaire, bien que les atteintes œsophagiennes (mégaœsophage notamment) soient nettement plus fréquentes.

Dans un contexte de régurgitations chroniques, l’augmentation des bruits respiratoires laisse suspecter l’existence d’une bronchopneumonie bactérienne secondaire par aspiration.

4. Examens complémentaires

Analyses sanguines

Un bilan sanguin d’orientation révèle une hypocréatininémie à 2,5 mg/l (valeurs de référence de 5 à 18 mg/l) compatible avec une fonte musculaire et des modifications en faveur d’un état inflammatoire, avec une neutrophilie mesurée à 13 970/µl (valeurs usuelles de 2 950 à 11 640/µl) et une lymphopénie à 950/µl (norme de 1 050 à 5 100/µl).

Examen radiographique

Afin de rechercher un mégaœsophage et ses éventuelles complications (broncho­pneumonie), des radiographies du thorax ainsi qu’une mesure de la pro­téine C réactive sont réalisées. Cette dernière est modérément augmentée à 28,7 mg/l (valeurs de référence de 0 à 10 mg/l). Les radiographies mettent en évidence une opacification broncho-interstitielle marquée, associée à des signes d’hypertension artérielle pulmonaire (congestion artérielle) et à une cardiomégalie droite (photos 2a et 2b). Ces images sont en faveur d’une bronchopneumopathie, de nature inflammatoire ou infectieuse en première hypothèse, possiblement secondaire à des épisodes répétés de fausse déglutition dans le contexte d’une dysphagie. La suspicion d’hypertension artérielle pulmonaire et de répercussion sur le cœur droit est compatible avec la chronicité de l’atteinte pulmonaire. En l’absence d’anomalie radiographique permettant d’expliquer les signes observés, l’étude lésionnelle (recherche de plaie ou de masse pharyngée notamment) est complétée par un examen endoscopique des voies respiratoires hautes et de l’œsophage. Une grande quantité de salive encombre le larynx et la trachée (photos 3a à 3c). La muqueuse nasopharyngée présente une irrégularité et un aspect légèrement érythémateux et nodulaire. La conformation et l’aspect des autres segments, en particulier du pharynx, sont sans anomalie. L’analyse histologique de la muqueuse nasopharyngée est en faveur d’une discrète laryngite congestive. Un lavage broncho-alvéolaire est également réalisé afin d’explorer les anomalies radio­graphiques pulmonaires précédemment mises en évidence. L’examen cytologique révèle une inflammation à composante septique, mais la bactériologie n’est pas conclusive. Le bilan lésionnel ne montre pas d’anomalie permettant d’expliquer les signes cliniques.

5. Diagnostic provisoire

L’hypothèse d’une atteinte fonctionnelle, et notamment d’une dysphagie ou asynchronie cricopharyngée, est privilégiée à ce stade.

6. Examens supplémentaires

Œsophagographie

L’examen radioscopique étant indisponible dans le centre, une œsophagographie est réalisée dans un premier temps. Du produit de contraste baryté (Micropaque) est administré à l’animal par voie orale, puis des clichés radiographiques de la tête et du cou sont réalisés immédiatement. Une accumulation de produit de contraste en regard du pharynx, du larynx et de la trachée est objectivée (photo 4). Ces images confirment une anomalie fonctionnelle de la phase de déglutition cricopharyngée.

Le diagnostic de certitude d’une achalasie cricopharyngée stricto sensu passe par la réalisation d’un examen dynamique radioscopique dans un centre externalisé, qui n’est pas souhaitée par les propriétaires. À ce stade, les maladies neuromusculaires ne sont pas rigoureusement exclues. Il est décidé de poursuivre l’exploration sous anesthésie générale par des méthodes d’électrodiagnostic (encadré), associées à une myectomie du muscle cricopharyngé à visée diagnostique (analyse histologique) et thérapeutique (traitement de choix de l’achalasie cricopharyngée).

Examen électromyographique

L’examen électromyographique est effectué sur les muscles appendiculaires du bipède gauche et épaxiaux (en période préopératoire) et sur les muscles cricopharyngés et cricothyroïdiens (en phase peropératoire). De nombreuses pointes positives et des potentiels de fibrillation sont mis en évidence sur l’ensemble des muscles appendiculaires et épaxiaux (photo 6). Des décharges répétitives complexes sont également observées sur quelques muscles appendiculaires et sur les muscles cricopharyngés (photo 7).

L’examen électroneurographique révèle quant à lui une diminution importante de l’amplitude des potentiels moteurs à la stimulation de tous les sites testés, associée à une baisse significative de la vitesse de conduction sur la portion cuisse-grasset. Les anomalies observées au niveau du muscle cricopharyngé laissent suspecter une affection chronique et sévère. Les examens sont en faveur d’une atteinte neuromusculaire généralisée à manifestation clinique pharyngée. Dans ce contexte, la créatine kinase sanguine est mesurée et se révèle discrètement augmentée (511 U/l).

En conséquence, une polyneuropathie inflammatoire ou dégénérative est prioritairement suspectée, sans pouvoir exclure une polymyosite inflammatoire dysimmunitaire ou idiopathique.

Histologie du muscle cricopharyngé

L’exérèse du muscle cricopharyngé (voir la prise en charge chirurgicale) est à la fois diagnostique et curative. À la suite de son prélèvement, le muscle cricopharyngé est envoyé au Clinical & Comparative Neuropathology Laboratory (Munich). La représentativité de cette pièce d’exérèse a été jugée suffisante pour ne pas justifier d’autres biopsies musculaires, afin de diminuer le temps et le risque anesthésique pour l’animal. L’analyse histologique met en évidence une atrophie, une fibrose ainsi qu’une infiltration lymphoplasmocytaire modérée et neutrophilique discrète des myofibres. Des figures de myophagocytose sont visualisées. La paroi des vaisseaux montre une infiltration neutrophilique, ainsi que des zones de nécrose endo­théliales. Ces observations sont compatibles avec une myosite lymphohistio­cytaire et une atrophie musculaire de dénervation chroniques, diffuses et modérées, ainsi qu’une vascularite nécrosante multifocale.

7. Diagnostic définitif

À la lumière de ces examens, une atteinte neuromusculaire chronique généralisée est identifiée. Des composantes à la fois musculaires (de type polymyosite) et neuropathiques sont mises en évidence. L’incidence de ces affections sur la dysphagie reste difficile à apprécier, et l’évolution conjointe avec une achalasie cricopharyngée demeure possible.

8. Thérapeutique et suivi

Traitement médical

À l’admission, un traitement non spécifique est mis en place : perfusion de soutien de Ringer lactate, antiémétique en perfusion continue (métoclopramide à la dose de 2 mg/kg par jour), analgésie (buprénorphine à raison de 20 µg/kg par voie intraveineuse trois fois par jour par jour) et protecteurs digestifs (oméprazole à la dose de 1 mg/kg per os deux fois par jour par jour, sucralfate à raison de 500 mg per os trois fois par jour par jour). Une résolution immédiate des épisodes de raclements de gorge est observée, mais le chien continue de régurgiter, en particulier lors de l’administration d’aliments ou de traitements par voie orale.

Prise en charge chirurgicale

Une myectomie totale du muscle cricopharyngée est pratiquée. Le protocole anesthésique comprend une prémédication au midazolam et à la morphine, suivie d’une induction au propofol à effet puis d’un entretien à l’isoflurane en mélange gazeux après une intubation endotrachéale.

Un abord cervical ventral du larynx est effectué. Après la séparation des muscles sternohyoïdiens, le larynx est exposé (photo 8a). Une rotation de 45° à gauche est réalisée à l’aide d’un fil de traction afin d’exposer sa partie latérale gauche. Les muscles cricopharyngé et thyropharyngé sont identifiés dorsalement au muscle sternothyroïdien. Une dissection fine du muscle cricopharyngé est effectuée (photo 8b), puis ce dernier est réséqué dans sa totalité. La même procédure est renouvelée à droite, associée à une myectomie du muscle thyropharyngé. Une fermeture conventionnelle plan par plan conclut le temps opératoire. L’analgésie est adaptée (morphine à la dose de 0,2 mg/kg par voie intraveineuse toutes les quatre heures). Une antibiothérapie probabiliste (amoxicilline-acide clavulanique à raison de 20 mg/kg par voie intraveineuse trois fois par jour par jour) est ajoutée. Les traitements gastroprotecteurs sont poursuivis.

Évolution postopératoire

Environ 24 heures après l’intervention, une amélioration partielle de la dysphagie est notée : le chien est capable de boire sans anomalie de déglutition. Cependant, l’administration d’aliments (même liquides) entraîne la réapparition des signes de dysphagie. Une corticothérapie est initiée dans le contexte d’une suspicion de polyneuropathie. Malheureusement, une dégradation de l’état général, avec une perte de poids persistante et la manifestation de signes de bronchopneumonie (hyperthermie, dyspnée), est observée après 48 heures. Une intensification du traitement médical, avec la pose d’une sonde d’œsophagostomie, est proposée mais refusée par les propriétaires. Dans ce contexte, une décision de fin de vie est prise.

DISCUSSION

1. Données épidémiologiques et cliniques

L’achalasie cricopharyngée est une affection rare chez le chien comme chez l’humain [3, 16]. Elle est caractérisée par une absence ou une asynchronie de relaxation des muscles pharyngés (hyopharyngé, ptérygopharyngé, palatopharyngé) et des muscles du sphincter œsophagien proximal (cricopharyngé et thyropharyngé) lors de la déglutition. Le bol alimentaire reste alors bloqué dans le pharynx, entraînant de multiples efforts de déglutition, des reflux nasopharyngés et des régurgitations concomitantes de la déglutition [4, 19]. Le mécanisme sous-jacent n’est pas élucidé, mais la section de la branche pharyngée du nerf X permet de reproduire ce phénomène, ce qui laisse supposer une origine nerveuse (avec dégénérescence des nerfs de la paroi œsophagienne) [7]. Une origine congénitale est privilégiée, et l’héritabilité des dysfonctions cricopharyngées a été établie chez le golden retriever dans une étude portant sur 117 chiens [2, 16]. Les races de type spaniel semblent prédisposées [4].

Les premiers signes apparaissent le plus souvent lors du sevrage ou au cours des premiers mois de vie, mais des cas d’apparition plus tardive (jusqu’à l’âge de 10 ans) sont décrits [4, 12, 16, 18]. Un amaigrissement marqué dû à la dénutrition accompagne les cas les plus sévères d’achalasie [4, 19]. La présentation clinique et anamnestique de notre cas s’inscrit donc dans la ligne des données publiées, à l’exception de l’âge relativement avancé du chien lors de l’apparition des symptômes (1 an).

En règle générale, les chiens affectés sont affamés et les régurgitations toujours quasiment immédiates [4, 19]. De leur côté, les régurgitations associées à un mégaœsophage, par exemple, peuvent être rapides ou retardées. Dans le cas décrit, le second signe est bien objectivé, mais le chien est plutôt dysorexique. Il faut donc surtout retenir que cette atteinte est caractérisée par un rejet du bol alimentaire presque immédiat, quelquefois en partie par voie nasale (“anomalie haute”).

2. Démarche diagnostique

Bilan lésionnel

La démarche diagnostique lors de la suspicion d’une achalasie cricopharyngée passe par l’exclusion des autres causes de dysphagie. Un examen buccal approfondi, le plus souvent réalisé sous sédation, permet d’explorer les causes orales. Le bilan lésionnel est ensuite complété par la réalisation de clichés radiographiques du cou et du thorax (recherche d’effet de masse, de méga­œsophage, de hernie hiatale) [4, 14, 19]. À cette occasion, une éventuelle bronchopneumonie par fausse déglutition peut être révélée, à l’image de notre cas. La fréquence de cette complication n’a pas été évaluée, elle est retrouvée dans respectivement 67 % (4 sur 6) et 21 % (3 sur 14) des cas dans les publications [12, 18]. En l’absence de signes discriminants sur les clichés radiographiques, un examen endoscopique du pharynx et de l’œsophage est indiqué [4]. Des signes de dénervation de la région, tels qu’une paralysie laryngée, peuvent être observés. En cas de suspicion d’une bronchopneumonie par fausse déglutition, il convient d’effectuer un lavage broncho-alvéolaire dans le même temps anesthésique.

Radioscopie

Lorsque le bilan lésionnel est négatif, la radioscopie constitue l’examen de choix pour confirmer un dysfonctionnement du sphincter œsophagien proximal [4, 14, 15]. L’animal est placé en décubitus latéral droit (ou debout si l’appareil le permet), sans sédation. Du baryum est administré par voie orale en bolus de petite quantité (10 à 15 ml), répétés si nécessaire. Le transit du bol alimentaire est ensuite observé.

Chez les chiens atteints d’achalasie, la phase oropharyngée est complètement normale, mais le délai d’ouverture du sphincter œsophagien cranial est significativement augmenté en comparaison des chiens sains (0,09 +/- 0,02 versus 0,31 +/- 0,14 seconde) [15]. Des efforts infructueux et répétés de déglutition associés à une rétention du bolus dans le pharynx, voire à des reflux nasopharyngés, sont visualisés. Par ailleurs, l’aspiration trachéale de baryum est une complication fréquemment observée qui peut entraîner l’apparition ou l’aggravation d’une bronchopneumonie par fausse déglutition, assombrissant le pronostic vital de l’animal [15]. Enfin, l’examen radioscopique peut être complété par une mesure de la pression œsophagienne, mais cette dernière est rarement réalisée en pratique en raison de sa difficulté technique et de l’allongement du temps procédural associé [15]. Dans notre cas, l’absence d’examen radioscopique a constitué un frein majeur. En effet, l’analyse image par image de la séquence obtenue permet de différencier une atteinte oropharyngée d’une cricopharyngée, donc d’orienter le diagnostic vers une achalasie ou asynchronie, voire vers une cause autre. La dimension statique de l’examen radiographique ne permet pas cette dichotomie.

Recherche d’une atteinte neuromusculaire

En cas de diagnostic radioscopique d’achalasie, l’existence d’une éventuelle atteinte neuromusculaire sous-jacente est à considérer. Dans la classification humaine, l’achalasie cricopharyngée est décrite comme d’origine congénitale primitive (en particulier chez les jeunes enfants), ou consécutive à une intervention chirurgicale dans la région cervicale ou à des maladies neuromusculaires chez l’adulte [3].

Chez le chien, des signes concomitants à la dysphagie accompagnent généralement les polymyopathies et polyneuropathies, notamment une dysphonie, une faiblesse ou atrophie musculaire, une incapacité ou douleur à l’ouverture de la mâchoire lors de myosite des muscles masticateurs, une exophtalmie lors de myosite extraoculaire [5]. La cachexie observée dans notre cas a initialement été attribuée à une dénutrition liée aux régurgitations incoercibles de l’animal, mais pourrait représenter le signe d’une maladie neuromusculaire sous-jacente (amyotrophie sévère par dénervation). Des syndromes achalasia-like, avec une dysphagie pour seul signe clinique, sont sporadiquement décrits chez des chiens souffrant de myopathie inflammatoire (n = 2), de myasthénie grave (n = 1), d’hypothyroïdie (n = 1) et chez un cavalier king charles secondairement à une compression du foramen magnum dans un contexte de malformation de type Chiari [1, 8, 9, 17].

En résumé, l’examen radioscopique permet la caractérisation d’un dysfonctionnement du sphincter œsophagien proximal, mais il ne différencie pas une achalasie primaire d’un syndrome achalasia-like. En conséquence, la poursuite de la démarche diagnostique par la réalisation d’analyses sanguines ciblées (ionogramme, thyroxine, créatine kinase, thyréostimuline, recherche d’anticorps anti-récepteur de l’acétylcholine), d’un électromyogramme et d’un électroneurogramme est indiquée pour exclure une maladie neuromusculaire sous-jacente.

Cette distinction est d’autant plus importante qu’elle conditionne la prise en charge thérapeutique et le pronostic associé [4].

3. Prise en charge

Myectomie du muscle cricopharyngé

La myectomie du muscle cricopharyngé est le traitement de choix de l’achalasie. Plusieurs techniques chirurgicales sont décrites (myotomie seule, myectomie unilatérale ou bilatérale, partielle ou complète). Il n’existe pas de consensus, mais une myectomie bilatérale complète, par un abord latéral, semble associée à de meilleurs résultats [7, 12, 18]. Cette technique a donc été privilégiée dans notre cas, et les temps opératoires sont identiques à ceux exposés précédemment. Les complications peropératoires sont liées à des hémorragies ou à des perforations de l’œsophage. Les complications postopératoires incluent une persistance de l’achalasie, une récidive due à une fibrose du site opératoire ou une infection.

Dans une série portant sur six jeunes chiens (âgés de moins de 1 an) souffrant d’une achalasie cricopharyngée diagnostiquée par la radioscopie, la myectomie bilatérale a été associée à une résolution complète des signes dès douze heures après l’intervention pour l’ensemble des animaux, avec des durées de suivi allant de deux à huit ans [12]. Plusieurs rapports de cas, toujours chez de jeunes chiens, décrivent une évolution similaire [10, 13].

Une autre série portant sur quatorze animaux présente des résultats plus contrastés [18]. Les chiens inclus sont d’âge variable (5 à 120 mois). La radioscopie est en faveur d’une achalasie crico­pharyngée pour l’ensemble des animaux. Cependant, d’autres anomalies en lien avec la dysphagie sont mises en évidence chez certains chiens : œdème laryngé (deux cas) à l’endoscopie, signes de dénervation (un cas) ou de myopathie (deux cas) à l’examen histologique et myasthénie grave (un cas) sans anomalie associée à l’examen du système nerveux. Parmi les quatorze chiens, seuls deux ont présenté une résolution complète de la dysphagie. Une amélioration partielle (trois cas), transitoire (trois cas) ou une absence d’amélioration (six cas) sont observées chez les animaux restants. Au total, huit chiens seront euthanasiés en raison de la persistance de la dysphagie ou pour la complication sévère d’une broncho­pneumonie. Dans cette étude, l’identification d’une maladie neuromusculaire sous-jacente ou d’une anomalie lésionnelle préchirurgicale ou postchirurgicale (œdème laryngé en particulier) est associée à un moins bon pronostic et un plus grand risque de développer une bronchopneumonie sévère. Ces résultats sont compatibles avec l’évolution de notre cas. La discrète amélioration observée en période postopératoire pourrait suggérer une composante d’achalasie chez cet animal. L’atteinte neuromusculaire sous-jacente explique la persistance des signes de dysphagie et l’aggravation de la bronchopneumonie.

Les données bibliographiques, tout comme le cas décrit, illustrent le fait qu’une prise en charge chirurgicale pourrait ne pas être bénéfique pour les animaux chez lesquels une cause sous-jacente à l’achalasie est identifiée.

Traitement des maladies sous-jacentes ou en préopératoire

Il n’existe pas de traitement médical spécifique à l’achalasie cricopharyngée. La mise en place de mesures hygiéniques (changement de consistance de l’alimentation, surélévation des gamelles) ne permet pas d’améliorer la dysphagie [4, 18]. En revanche, une prise en charge médicamenteuse peut être indiquée pour le traitement spécifique de maladies sous-jacentes ou en vue d’une prise en charge chirurgicale. La corticothérapie à dose immunosuppressive représente le traitement de choix des poly­myosites et polyneuropathies d’origine dysimmunitaire, mais peut aggraver une bronchopneumonie lorsqu’elle existe. Cette particularité thérapeutique explique le délai de mise en place des corticoïdes dans le cas décrit.

Par ailleurs, la présence de signes de dénutrition (faible score d’état corporel en particulier) avant la chirurgie est un facteur pronostique négatif. Le cas échéant, la réalimentation de l’animal via la pose d’une sonde de gastrotomie percutanée est recommandée [4, 18].

En médecine humaine, l’injection d’une toxine botulinique de type A in situ dans le muscle cricopharyngé a montré des résultats satisfaisants pour stabiliser des patients atteints, chez lesquels la pose d’une sonde de gastrotomie n’était pas réalisable [11]. Elle entraîne une paralysie du muscle, associée à une résolution de l’achalasie allant jusqu’à six mois après l’injection.

Cette technique n’est pas décrite chez le chien, mais pourrait représenter une solution alternative mini-invasive lorsqu’une intervention chirurgicale n’est pas souhaitée, considérée comme risquée à l’admission, ou pour évaluer le bénéfice de l’opération quand le diagnostic d’achalasie stricto sensu est incertain.

Enfin, la détection d’une bronchopneumonie justifie une antibiothérapie à large spectre (à adapter selon l’antibiogramme) et des mesures de soutien durant l’hospitalisation.

Références

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Conflit d’intérêts : Auncun

Points clés

• L’achalasie cricopharyngée primaire est une maladie congénitale rare chez le chien qui se caractérise par une absence ou une asynchronie de relaxation des muscles du sphincter œsophagien proximal lors de la déglutition.

• L’achalasie cricopharyngée se manifeste essentiellement chez le jeune chien par des régurgitations incoercibles immédiatement après le repas et par des efforts de déglutition infructueux.

• Le diagnostic de certitude de l’achalasie cricopharyngée est établi par la radioscopie et par l’exclusion des maladies neuromusculaires sous-jacentes via des examens d’électrodiagnostic.

• Le traitement de choix est chirurgical, par myectomie du muscle cricopharyngé. Un traitement médical des complications les plus fréquentes (bronchopneumonie par aspiration) peut être nécessaire.

• Le pronostic varie de relativement favorable lors d’une achalasie primaire stricte à réservé ou sombre en cas de maladie concomitante (bronchopneumonie, atteinte neuromusculaire).

Encadré : FINALITÉ DE L’EXAMEN D’ÉLECTRODIAGNOSTIC

L’intégrité structurelle et fonctionnelle du système nerveux périphérique peut être investiguée grâce à l’examen d’électrodiagnostic. Les trois composants structurels du système nerveux périphérique (nerfs, muscles et jonctions neuromusculaires) sont testés. Une anesthésie générale est nécessaire afin de limiter toute contraction musculaire volontaire. L’examen se compose généralement de deux parties [6] :

– l’électromyogramme (EMG) consiste à enregistrer l’activité électrique spontanée de la portion d’un muscle en insérant une aiguille (électrode) dans ce dernier. Pour un muscle sain, après une brève activité lors de l’insertion de l’aiguille, aucun signal électrique n’est relevé, si ce n’est quelques tracés électriques physiologiques de faible amplitude. En revanche, en cas de myopathie ou de neuropathie (avec implication de l’axone), une activité électrique spontanée anormale est enregistrée selon différents patterns (potentiels de fibrillation, pointes positives, décharges répétitives complexes, décharges myotoniques, etc.). L’EMG ne permet cependant pas de faire la distinction entre une myopathie et une neuropathie ;

– l’électroneurogramme (ENG) consiste en l’étude des paramètres de conduction nerveuse, motrice et sensitive, et de transmission neuromusculaire. L’activité motrice est étudiée en enregistrant la réponse musculaire à la stimulation électrique d’un nerf (photo 5). Les ondes sensitives nerveuses sont mesurées dans la portion proximale d’un nerf après avoir stimulé électriquement la peau au niveau de son dermatome. Un trouble de la jonction neuromusculaire peut être identifié par le biais de stimulations électriques répétées. L’objectif de l’ENG est de préciser l’atteinte neuromusculaire en identifiant la ou les portions de l’unité motrice touchées, de définir une variation régionale dans la sévérité de l’atteinte et de détecter les parties du nerf affectées.

CONCLUSION

L’achalasie cricopharyngée est une affection rare qui se manifeste par une dysphagie marquée, fréquemment compliquée d’une bronchopneumonie par fausse déglutition. La classification humaine décrit une forme primaire congénitale et une forme dite achalasia-like, consécutive à une maladie neuromusculaire ou à une atteinte lésionnelle sous-jacente. Une démarche diagnostique rigoureuse est nécessaire pour exclure ces causes secondaires et adapter au mieux la prise en charge. En effet, seule l’achalasie cricopharyngée stricto sensu semble bénéficier d’une prise en charge chirurgicale par myectomie bilatérale complète du muscle cricopharyngé. Le pronostic de récupération est diminué lorsqu’une maladie neuromusculaire est mise en évidence. Notre cas illustre la complexité de la démarche diagnostique et thérapeutique en cas de syndrome achalasia-like, et confirme l’importance des examens électrodiagnostiques pour l’exploration d’une dysphagie.