EXTRACTION DENTAIRE CHEZ LE CHAT : TECHNIQUES CHIRURGICALES - Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023
Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023

DENTISTERIE

Dossier

Auteur(s) : Isabelle Druet

Fonctions : (dipEVDC)
Clinique Alliance
8 boulevard Godard
33300 Bordeaux

Selon les dents à retirer, une extraction simple ou chirurgicale est entreprise. La maîtrise des gestes techniques et un équipement en dentisterie sont nécessaires pour réduire la durée de l’intervention.

Les extractions dentaires sont redoutées par de nombreux vétérinaires, notamment chez le chat. Pourtant, lorsqu’un matériel adapté est à disposition et que des techniques chirurgicales maîtrisées sont appliquées, ces interventions autrefois frustrantes deviennent gratifiantes. L’objectif de cet article est de présenter l’instrumentation nécessaire et les techniques de base pour mener à bien les extractions dentaires chez le chat. Des extractions multiples sont notamment indiquées pour le traitement de la gingivo­stomatite chronique féline, de la résorption dentaire féline, de la maladie parodontale sévère ou des lésions endodontiques lorsqu’un traitement endocanalaire se révèle impossible.

1. PRÉPARATION DE L’INTERVENTION

Préparation de l’animal

L’examen clinique du chat ainsi que les informations nécessaires à l’anesthésie générale sont indispensables avant de procéder à toute intervention chirurgicale. L’examen de la tête et de la cavité orale commence chez un animal vigil et est complété au moment de l’induction de l’anesthésie par la recherche d’une masse orale, d’une rougeur, d’un ulcère, d’un état parodontal, d’une anomalie dentaire, etc. Lors de chaque intervention dentaire, l’animal doit être intubé à l’aide d’une sonde endotrachéale avec un ballonnet ajusté. Un pack pharyngé (une à deux compresses reliées par un fil) peut être placé dans l’oropharynx afin de limiter le risque d’inhalation de liquides ou de débris septiques. Le maintien de la cavité orale ouverte avec un pas-d’âne à ressort est déconseillé en raison d’un risque accru de cécité postopératoire, transitoire ou permanente, dû à la compression de l’artère maxillaire [3, 6]. Le chat est placé en décubitus latéral ou dorsal selon le choix du vétérinaire. La cavité orale est rincée avant et après un détartrage avec une dilution de chlorhexidine à 0,12 %, ce qui permet de réduire la bactériémie et limite la contamination du site chirurgical [2]. Des radiographies dentaires sont réalisées avant l’intervention pour évaluer l’état de l’os alvéolaire, les variations anatomiques, et pour déceler toute autre affection susceptible de compliquer les extractions, telles qu’une résorption dentaire ou la présence de fragments dentaires (photos 1a à 1c) [8]. L’analgésie est complétée par un bloc loco-régional, infra-orbitaire ou mandibulaire caudal selon la région à traiter (photo 2a) [1].

Préparation du praticien

Le praticien doit s’équiper d’un masque, de lunettes et de gants d’examen et s’installer confortablement, assis avec un point d’appui stable pour le poignet afin de maîtriser ses gestes. Les interventions de chirurgie dentaire chez le chat sont parfois longues. Il convient d’être patient, délicat et de pouvoir anticiper tout accident peropératoire éventuel, comme des fractures dentaires, un saignement, la fenestration d’un lambeau ou le dérapage d’instruments [5, 7].

Instruments et matériel

L’instrumentation manuelle destinée aux extractions dentaires chez le chat doit être stérile, afin d’éviter toute contamination croisée. Elle est composée d’un kit de suture standard et de plusieurs instruments spécifiques (encadré, photos 3 et 4).

2. TECHNIQUES CHIRURGICALES EN PAS À PAS

Le choix de la technique opératoire, entre l’extraction simple (sans temps muqueux et osseux) ou chirurgicale (avec temps muqueux et osseux), est conditionné par deux éléments : le type de dent à extraire (monoradiculée ou non) et la nécessité de faire une séparation radiculaire ou d’élever un lambeau mucogingival. La première étape commune aux deux techniques opératoires est la syndesmo­tomie, qui consiste à rompre l’attache épithéliale. Le fond du sulcus est parcouru soit avec un syndes­motome de Chompret, soit avec une lame de bistouri n° 11 ou 15c (photo 2b).

Extractions simples

Les extractions simples chez le chat se limitent le plus souvent aux incisives et aux prémolaires 2 maxillaires. Appliquer cette technique aux autres dents entraînera leur fracture. Après la syndes­motomie, un luxateur de taille adaptée à la circonférence de la dent est inséré entre cette dernière et l’os alvéolaire. Une rotation d’un quart de tour, délicate et régulière avec une légère pression vers l’apex, est appliquée pour rompre le ligament parodontal. Cette manipulation est répétée sur toutes les faces dentaires jusqu’à ce que la dent soit suffisamment mobile pour être extraite sans forcer, avec un davier de taille adaptée. L’apex de la dent extraite est inspecté, afin de s’assurer qu’aucune fracture ne s’est produite. En cas de doute, une radiographie du site est réalisée avant la fermeture de la zone opératoire. L’alvéole est parée à l’aide une curette chirurgicale. Si la suture des marges gingivales n’est pas nécessaire lors d’une extraction simple, des points simples avec un fil monobrin résorbable sont à appliquer en cas de béance du site. Lors de déchaussement avancé d’une dent pluriradiculée, celle-ci peut être extraite par une technique d’extraction simple, après la section interradiculaire de la couronne. Les deux ou trois segments couronne-racine sont extraits comme des dents monoradiculées.

Extractions chirurgicales

Les extractions chirurgicales concernent les dents monoradiculées de grand format, les dents pluri­radiculées, ou les extractions adjacentes multiples. Cette technique chirurgicale impose la réalisation de lambeaux mucopériostés avec exposition osseuse, d’alvéolectomies et de sections dentaires.

Réalisation d’un lambeau

Après la syndesmotomie, un lambeau d’accès est réalisé. Les lambeaux en enveloppe sont privilégiés, sans incision de décharge, afin de ne pas compromettre leur vascularisation (photo 2c). Si l’accès au site est insuffisant, le lambeau peut bénéficier d’incisions de décharge verticales à partir du bord gingival et se prolonger au-delà de la ligne mucogingivale. La réalisation d’une seule incision délimite un lambeau triangulaire (photo 5a). Une seconde incision divergente à la première délimite un lambeau trapézoïdal, un type de lambeau rarement nécessaire chez le chat. Ces incisions sont pratiquées jusqu’au contact osseux le long de la ligne d’angle de la dent rostrale, afin de préserver l’apport sanguin du lambeau. Un décolleur à périoste permet de récliner les tissus mucogingivaux. L’instrument est placé dans le plan sous-périosté et progresse de proche en proche, exposant ainsi l’os alvéolaire. Les lambeaux sont à manipuler délicatement, avec une compresse, une pince atraumatique ou un fil de suture de traction posé à l’un de ses angles (photo 5b).

Alvéolectomie, séparation radiculaire et luxation dentaire

Une alvéolectomie est pratiquée. L’os alvéolaire de la face vestibulaire de la ou des dents est éliminé partiellement : avec une fraise boule diamantée montée sur un contre-angle multiplicateur ou une turbine avec une irrigation abondante, les racines dentaires sont exposées sur un tiers de leur hauteur (photos 2d et 5c). La séparation radiculaire est effectuée à l’aide d’une fraise fissure diamantée ou carbure de tungstène, sous irrigation, en partant de la furcation et en progressant à travers la couronne. Les étapes de la luxation dentaire sont similaires à celles décrites précédemment (photos 2e et 5d).

Alvéoloplastie

Une fois les extractions réalisées, les irrégularités de l’os alvéolaire ou les spicules osseux sont éliminés avec une fraise boule diamantée de gros diamètre, sous irrigation (photo 5d). Cette étape, appelée alvéoloplastie, permet de limiter l’inflammation des tissus mucogingivaux une fois suturés.

Fermeture

La cicatrisation par première intention est recherchée pour limiter la contamination du site opératoire et obtenir une cicatrisation plus rapide et moins douloureuse. Pour augmenter la laxité des lambeaux, une incision périostée est nécessaire. Le périoste est incisé délicatement mésio-distalement, avec une paire de ciseaux fins ou une lame de bistouri neuve n° 11 ou 15c (photos 2f et 5e). La position du lambeau est testée afin de s’assurer qu’il recouvre entièrement le site, sans tension (photo 5f). Des points simples avec un fil résorbable monobrin de faible diamètre sont appliqués tous les 2 mm entre le lambeau et la muqueuse palatine ou linguale. Il est conseillé de commencer le premier point par l’angle du lambeau pour répartir la tension tissulaire (photo 5g). À la fin de l’intervention, la cavité orale est inspectée et nettoyée afin de ne pas laisser de débris dentaires ou de compresses.

3. COMPLICATIONS

Il existe plusieurs types d’accidents opératoires lors d’extractions dentaires.

En cas de fracture radiculaire, lorsque le fragment est visible, il est délicatement extrait avec un luxateur fin. L’os alvéolaire vestibulaire ou septal peut être fraisé si l’espace est très étroit. Des radiographies dentaires peuvent également aider à localiser le fragment [4]. Une pince à tenon permet de saisir de petits fragments dans des espaces réduits.

Les saignements diffus oraux sont facilement contrôlés par une pression digitée lorsqu’ils proviennent des muqueuses. Un saignement abondant peut survenir lors d’une atteinte des faisceaux infra-orbitaires et mandibulaires, mais cette situation reste rare. Dans ce cas, une compresse est placée temporairement dans le canal mandibulaire lors de saignement de l’artère alvéolaire inférieure, tandis qu’une compresse hémostatique résorbable stérile (éponge de collagène d’origine animale) est laissée en place si l’hémostase n’est pas obtenue. En cas de saignement artériel maxillaire rostral, une ligature du faisceau infra-orbitaire peut être réalisée.

Les fractures mandibulaires iatrogènes sont rares lors d’extraction dentaire chez le chat. Elles sont secondaires soit à un défaut de préparation du site, soit à un geste mal maîtrisé sur une racine ankylosée. Les radiographies dentaires préopératoires servent à détecter les ankyloses et permettent ainsi d’anticiper la difficulté du geste technique.

Les déhiscences de plaie sont le plus souvent consécutives à un défaut technique, comme un excès de tension du lambeau mucopériosté ou des points de suture trop serrés [5]. Les chats immunodéprimés peuvent aussi présenter un retard de cicatrisation.

4. SOINS POSTOPÉRATOIRES

Une hospitalisation de 24 à 48 heures est recommandée chez le chat ayant subi des extractions dentaires multiples, afin d’assurer une analgésie par voie intraveineuse et de contrôler la reprise alimentaire. Le choix des molécules analgésiques dépend de l’animal et des traitements reçus en amont. Le protocole classiquement adopté comprend l’administration de méthadone (à la dose de 0,1 à 0,5 mg/kg toutes les quatre heures) ou de buprénorphine (10 à 20 µg/kg toutes les six heures) par voie intraveineuse durant l’hospitalisation, puis un anti-inflammatoire non stéroïdien (méloxicam à raison de 0,05 mg/kg par jour per os) pendant deux à quatre jours en relais. Une antibiothérapie est parfois nécessaire, mais à réserver aux animaux à risque ou atteints d’une maladie débilitante concomitante. Dans ce cas, un antibiotique est prescrit pendant sept jours (clindamycine à la dose de 11 mg/kg par jour per os en solution buvable pour une meilleure observance).

La réalimentation doit être rapide. La gestion de la douleur permet dans de nombreux cas une reprise spontanée de l’alimentation. Pour les chats dysorexiques chroniques, des orexigènes, tels que la mirtazapine (à la dose de 1,8 mg par animal per os toutes les 72 heures), sont prescrits durant plusieurs semaines selon les besoins. La première administration peut être réalisée sous anesthésie générale, à la fin de l’intervention chirurgicale, à l’aide d’une sonde d’alimentation œsophagienne. Une alimentation diversifiée (sèche, humide ou ramollie) doit être proposée dès douze heures après l’extraction.

L’alimentation assistée via une sonde d’œsophagostomie est rarement nécessaire à l’issue d’une extraction chirurgicale, même en cas de gingivostomatite chronique féline. Celle-ci est à réserver aux chats très débilités ou atteints d’une affection concomitante.

Un contrôle clinique deux à trois semaines après l’intervention est recommandé pour évaluer le bon déroulé de la cicatrisation.

Références

  • 1. Aguiar J, Chebroux A, Martinez-Taboada F et coll. Analgesic effects of maxillary and inferior alveolar nerve blocks in cats undergoing dental extractions. J. Feline Med. Surg. 2015;17 (2):110-116.
  • 2. Canullo L, Laino L, Longo F et coll. Does chlorhexidine prevent complications in extractive, periodontal, and implant surgery? A systematic review and meta-analysis with trial sequential analysis. Int. J. Oral Maxillofac. Implants. 2020;35 (6):1149-1158.
  • 3. Martin-Flores M, Scrivani PV, Loew E et coll. Maximal and submaximal mouth opening with mouth gags in cats: implications for maxillary artery blood flow. Vet. J. 2014;200 (1):60-64.
  • 4. Moore JI, Niemiec B. Evaluation of extraction sites for evidence of retained tooth roots and periapical pathology. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2014;50 (2):77-82.
  • 5. Reiter AM, Soltero-Rivera MM. Applied feline oral anatomy and tooth extraction techniques: an illustrated guide. J. Feline Med. Surg. 2014;16 (11):900-913.
  • 6. Stiles J, Weil AB, Packer RA et coll. Post-anesthetic cortical blindness in cats: twenty cases. Vet. J. 2012;193 (2):367-373.
  • 7. Troxel M. Iatrogenic traumatic brain injury during tooth extraction. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2015;51 (2):114-118.
  • 8. Verstraete FJ, Kass PH, Terpak CH. Diagnostic value of full-mouth radiography in cats. Am. J. Vet. Res. 1998;59 (6):692-695.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : MATÉRIEL POUR RÉALISER DES EXTRACTIONS DENTAIRES

• Un syndesmotome faucille de Chompret : instrument effilé et robuste mais non tranchant qui permet de rompre l’attache épithéliale, à la jonction entre l’épithélium gingival et les tissus dentaires.

• Un décolleur à périoste : instrument à double embout pour lever les lambeaux mucopériostés. En maintenant le côté concave au contact de l’os, les risques de déchirure, de perforation de lambeau gingival ou de pénétration osseuse sont mieux contrôlés.

• Des luxateurs et élévateurs dentaires : instruments composés d’un manche fort qui se tient empaumé et d’une partie travaillante incurvée et plus ou moins tranchante selon le modèle. L’index est placé sur le fût de l’instrument proche de l’extrémité pour une meilleure maîtrise des gestes. Il est nécessaire d’avoir à disposition différents diamètres pour s’adapter à chaque dent. Les luxateurs sont utilisés pour sectionner le ligament parodontal et les élévateurs permettent d’étirer le ligament parodontal par un mouvement de levier. Il est préférable d’utiliser des luxateurs de 1 et 2 mm lors d’extraction dentaire chez le chat. Ces instruments doivent être affûtés régulièrement pour conserver leurs propriétés tranchantes.

• Des daviers : ces pinces fortes pour saisir les fragments dentaires sont à utiliser lorsque la dent est suffisamment mobile pour être extraite sans forcer. Un davier pédiatrique droit à mors fin (à fermeture complète sans espace entre les mors) et une pince à tenon sont amplement suffisants dans le kit d’extraction dentaire félin.

• Un fil de suture monofilament résorbable : il est à privilégier en chirurgie buccale (Polyglecaprone 25). Chez le chat, des fils de faible diamètre (5-0 ou 4-0) avec une aiguille reverse cutting sont conseillés. Ces fils perdent la moitié de leur résistance en sept jours et se résorbent en trois mois.

• Une unité dentaire : soit pneumatique avec une turbine (fonctionnement à air comprimé), soit électrique avec un contre-angle multiplicateur dit bague rouge par exemple (fonctionnement avec courant continu), elle est incontournable pour réaliser des soins avancés en dentisterie vétérinaire. De nombreuses étapes nécessitent l’utilisation d’une fraise sous irrigation pour des sections osseuses ou dentaires de précision. Plusieurs fraises sont nécessaires : des fraises fissures (long cylindre), diamantées (enrobées de poudre de carbone galvanisé de granulométrie variable) ou carbure de tungstène (lamelles métalliques) et des fraises boules diamantées de différents diamètres (photo 4).

CONCLUSION

Selon les dents à extraire, le praticien doit choisir l’intervention adaptée : extraction simple ou chirurgicale. Les techniques opératoires sont des actes codifiés à bien appréhender (syndesmotomie, élévation d’un lambeau, alvéolectomie, séparation radiculaire, alvéoloplastie, incision périostée et suture de la zone). La maîtrise de ces gestes techniques réduit le temps opératoire et améliore le confort de l’animal. L’équipement en dentisterie vétérinaire est limité, mais indispensable au bon déroulement des gestes chirurgicaux dentaires.