ONCOLOGIE
Oncologie
Auteur(s) : Camille Barrere
Fonctions : Clinique de l’Etang
25 chemin de l’Etang
34140 Mèze
Les plasmocytomes extramédullaires non cutanés sont des tumeurs rares chez le chien. La localisation œsophagienne et la nature bénigne de cette tumeur chez ce chihuahua ont permis de réaliser une exérèse complète.
Ce cas, le second décrit dans la littérature vétérinaire, relate le diagnostic et la prise en charge d’un plasmocytome œsophagien survenu chez un chien de 8 ans dans un contexte de toux, d’éructations et de vomissements salivaires chroniques.
Un chihuahua mâle castré, âgé de 8 ans, est présenté à de multiples reprises chez son vétérinaire traitant, pendant un an, pour une toux sèche et quinteuse. La détection d’un souffle cardiaque holosystolique apéxien de grade 2 sur 6 à l’auscultation et la visualisation d’une cardiomégalie sur les radiographies thoraciques conduisent le praticien à suspecter une toux d’origine cardiogénique. Le chien est alors référé pour une échocardiographie au CHV Languedocia. Elle met en évidence une maladie valvulaire mitrale dégénérative de stade B2 asymptomatique, selon la classification de l’American College of Veterinary Internal Medicine (Acvim), qui ne nécessite pas la mise en place d’un traitement.
Les éructations, apparues à la suite d’une toux persistante au repos, sont suivies de vomissements de salive quelques mois plus tard, initialement sans altération de l’état général puis associés à une fatigabilité à l’effort. Dans ce contexte, des radiographies thoraciques permettent d’identifier une opacification broncho-interstitielle des lobes caudaux, évocatrice d’une bronchopneumopathie infectieuse ou à médiation immune. Les analyses biochimique et urinaire réalisées ne révèlent aucune anomalie, mais les signes cliniques persistent malgré un traitement à base d’anti-inflammatoires stéroïdiens, de diurétiques, d’antibiotiques et d’antiparasitaires. Face à l’apparition récente d’un abattement, le chien est référé pour une échographie abdominale. Une masse œsophagienne (2,2 cm de long sur 1,5 cm de large), à l’aspect hétérogène et tissulaire et au contour bien défini, est alors mise en évidence (photo 1). Le traitement entrepris par le vétérinaire traitant consiste en l’administration d’un pansement digestif et d’un prokinétique. Le surlendemain, l’animal est présenté aux urgences en raison de l’apparition aiguë d’une hématémèse, de spasmes abdominaux, ainsi que d’une aggravation de la toux et des éructations.
Le chien présente un abattement marqué et il est en surpoids modéré. L’auscultation cardio-respiratoire permet de détecter un souffle cardiaque de grade 4 sur 6 à gauche et 3 sur 6 à droite. À la palpation, l’abdomen est souple, mais source d’un inconfort cranialement.
Les anomalies cliniques initialement observées concernent les sphères cardio-respiratoire et digestive. Le signe le plus spécifique pour le diagnostic différentiel est une hématémèse (tableau 1). Dans ce cadre, l’échographie abdominale a montré une masse œsophagienne susceptible d’expliquer cette hématémèse (tableau 2).
Un bilan biochimique, en complément de celui du vétérinaire traitant, ne révèle pas d’anomalie. Un examen tomodensitométrique thoracique est réalisé afin de déterminer la localisation et les tissus infiltrés par la masse et d’établir un bilan d’extension thoracique. Il confirme et caractérise la masse œsophagienne qui est intraluminale (1,9 cm de diamètre et 2,5 cm de long), présente des contours mal définis avec la paroi œsophagienne, et est positionnée en regard de la base du cœur, sans métastase thoracique visible (photos 2 et 3). Un examen endoscopique œsophagien et stomacal montre que la masse est pédiculée, intra-œsophagienne, et qu’elle comprend une portion nécrotique caudalement (photos 4a et 4b).
Une endoscopie des voies respiratoires supérieures est réalisée afin d’explorer les causes de toux et met en évidence des signes de bronchopneumopathie chronique, un collapsus bronchique, un collapsus trachéal cervical et en regard de la carène, lié à un probable effet de masse de l’œsophage.
Un traitement symptomatique à visée digestive est mis en place dès l’admission aux urgences. Il comprend un antiacide (oméprazole), un pansement digestif (sucralfate), un analgésique (buprénorphine) et une fluidothérapie avec un soluté cristalloïde isotonique, au faible débit de 1 ml/kg par heure pour prévenir une surcharge volumique compte tenu de la cardiopathie sous-jacente.
Une exérèse de cette lésion est décidée afin de lever la subobstruction occasionnée et d’établir un diagnostic histopathologique.
Le protocole anesthésique comprend une prémédication avec un myorelaxant (midazolam), une induction au propofol puis un relais gazeux (isoflurane dans 100 % d’oxygène) après l’intubation endotrachéale. Pendant l’ensemble de la procédure chirurgicale, une fluidothérapie de soluté isotonique (Ringer lactate), une analgésie à l’aide d’un opioïde (méthadone) et une antibioprophylaxie (amoxicilline) sont instaurées. L’animal est placé sous ventilation mécanique et positionné sur un tapis chauffant en décubitus latéral droit. Enfin, une préparation aseptique de la région thoracique gauche est effectuée.
Une thoracotomie gauche est pratiquée en regard du 3e espace intercostal à la suite de la localisation de la masse sur les images scanner. L’aorte, le tronc brachiocéphalique et l’œsophage sont repérés. La masse œsophagienne est localisée par palpation transpariétale (photo 5). Ensuite, une œsophagotomie longitudinale craniale à l’aorte est réalisée, afin de visualiser la masse intraluminale, à distance de son pédicule (vidéo en ligne). Elle est alors extériorisée par traction puis retirée à la base du pédicule, avec des marges de 2 mm, en effectuant une exérèse intéressant uniquement la muqueuse œsophagienne au pourtour du pédicule et en préservant ainsi la continuité pariétale œsophagienne (photo 6). La plaie muqueuse où se situait le pédicule de la masse est suturée par voie intraluminale avec des points simples à l’aide d’un monofilament résorbable (PDS 4-0).
La suture du site d’œsophagotomie est réalisée par des points simples continus en deux plans, le premier intéressant la muqueuse et la sous-muqueuse et le second la musculeuse et l’adventice, à l’aide d’un monofilament résorbable (PDS 4-0). Un lavage thoracique avec du sérum physiologique stérile (chlorure de sodium à 0,9 %) tiédi (38 °C) est pratiqué, puis un drain thoracique est mis en place. Une fermeture de la paroi thoracique est réalisée plan par plan, puis le vide pleural est restauré. Une sonde d’œsophagostomie, dont l’extrémité est positionnée dans le dernier tiers distal de l’œsophage, est également mise en place afin de réalimenter précocement l’animal tout en shuntant la plaie d’œsophagotomie.
À la suite de l’intervention chirurgicale, l’animal reçoit un traitement antibiotique (amoxicilline-acide clavulanique), un antiacide (oméprazole), un gastrokinétique (métoclopramide), un pansement gastrique (sucralfate) et un antalgique (tramadol). Il est aussi réalimenté (Convalescence Support, Royal Canin), via la sonde d’œsophagostomie, cinq fois par jour pendant une semaine.
L’analyse histologique révèle la présence d’une tumeur à cellules rondes évoquant un plasmocytome extramédullaire œsophagien ulcéré et surinfecté. L’index mitotique est faible. L’exérèse est complète, mais la marge à la base du pédicule semble toutefois étroite (inférieure à 2 mm).
Un contrôle endoscopique de l’œsophage est recommandé aux propriétaires quatre mois après l’exérèse de la masse, mais il ne sera pas effectué.
Six mois après l’intervention, les nouvelles obtenues par téléphone sont très satisfaisantes. L’animal est en très bon état général et ne présente plus de toux ni de troubles digestifs depuis le retrait de la masse.
Les masses œsophagiennes sont rares et peuvent être suspectées chez des animaux présentant un ptyalisme, un bruxisme, une dysphagie, une odynophagie, des régurgitations ou des vomissements, une hématémèse, un méléna ou une perte de poids. Ces signes apparaissent souvent de façon progressive, bien qu’une présentation aiguë soit possible lorsque la masse provoque une subobstruction. En cas de perforation de l’œsophage, un état de choc peut également être objectivé. Une atteinte respiratoire, secondaire à la présence d’une masse œsophagienne, est souvent liée à l’existence d’un épanchement thoracique, d’une médiastinite, d’une bronchopneumonie par fausse déglutition ou de métastases pulmonaires [5, 7].
Chez ce chien, le premier signe clinique était une toux chronique, qui pouvait être déclenchée lors de la palpation du cou. Cette toux était probablement liée à la stimulation des récepteurs tussigènes localisés dans la trachée par l’inflammation de contact occasionnée par la masse, ou via la compression mécanique de la trachée par un effet de masse. Cette hypothèse est renforcée par les résultats endoscopiques qui montrent un collapsus trachéal en regard de la masse œsophagienne. Elle peut également être due à la bronchopneumopathie chronique observée chez cet animal. Les signes digestifs tels que les éructations, les vomissements salivaires, l’hématémèse et les spasmes abdominaux sont apparus tardivement.
Dans le cas d’une tumeur de l’œsophage, les analyses sanguines sont souvent peu indicatives [7]. Chez ce chien, une numération formule sanguine aurait pu être réalisée pour quantifier les pertes liées aux saignements de la masse, sans pour autant modifier la démarche diagnostique ou thérapeutique.
L’examen de choix, sur un animal vigil, reste la radiographie thoracique, tant pour l’exploration des causes de toux que des régurgitations salivaires ou de l’hématémèse. Chez un animal sain, l’œsophage ne peut être visualisé radiographiquement. En présence d’une masse œsophagienne, un effet de masse, une rétention gazeuse luminale ou une distension luminale en amont de la masse peuvent être visualisés, tout comme d’éventuelles métastases pulmonaires [11]. La réalisation d’une œsophagographie avec du sulfate de baryum, mélangé à un repas de préférence, permet d’évaluer la déglutition, la motilité œsophagienne et le transit du bol alimentaire, et de mettre en évidence une irrégularité de la muqueuse, un rétrécissement et/ou une dilatation de la lumière œsophagienne ou une lésion intraluminale qui peut former une image en soustraction. Dans le cas présenté, les radiographies thoraciques réalisées par le vétérinaire traitant n’ont pas permis de suspecter la présence de la masse œsophagienne.
Une échographie des régions cervicale, thoracique et abdominale (vue diaphragmatico-hépatique) permet de visualiser l’œsophage et, ainsi, de suspecter ou de diagnostiquer la présence d’une masse [5]. En pratique, l’œsophage thoracique est difficilement évaluable dans son intégrité via cet examen. Chez ce chien, la présence d’une masse a été suspectée à l’échographie abdominale. La masse étant en position très craniale dans le thorax, il est légitime de se demander si elle a bel et bien été visualisée par cet examen échographique ou si elle a pu être confondue avec un péristaltisme altéré ou une portion nécrotique qui se serait détachée, mimant la présence d’une masse.
Une exploration sous anesthésie générale est recommandée lors de la suspicion d’une atteinte œsophagienne. L’examen tomodensitométrique permet de confirmer le diagnostic et de préciser la taille et la forme de la masse, l’implication des tissus adjacents, mais aussi de réaliser un bilan d’extension complet [5]. Dans le cas présenté, le scanner a permis d’attester que la masse intéressait uniquement l’œsophage, sans affecter les tissus environnants et sans métastase thoracique. L’échographie a quant à elle permis d’exclure la présence de métastases abdominales.
L’œsophagoscopie est toujours recommandée dans la démarche diagnostique lors de masse œsophagienne. Elle permet de situer le nodule, d’évaluer son aspect luminal et le degré d’invasion pariétale, notamment en différenciant les masses pédiculées de celles à base large. Cet examen, couplé à ceux de l’imagerie médicale (scanner entre autres), permet ainsi d’estimer les possibilités d’une exérèse de la masse [5]. Chez ce chien, l’œsophagoscopie a mis en évidence la présence d’une masse relativement volumineuse, pédiculée et à la surface nécrotique, intéressant l’œsophage thoracique cranial. L’exérèse de cette masse a été jugée possible en raison de son caractère pédiculé, sans infiltration des tissus mous périphériques ni présence de métastase thoracique ou abdominale.
Une fois la masse objectivée, des cytoponctions percutanées à l’aiguille fine guidées par échographie peuvent être réalisées, ou encore des biopsies lors de l’endoscopie [5]. Chez cet animal, ces examens complémentaires n’ont pas été pratiqués car une intervention chirurgicale s’imposait dans un délai raisonnable, afin de lever la gêne mécanique occasionnée par la masse. Le traitement chirurgical a été couplé à une analyse histopathologique du nodule.
Les techniques chirurgicales intéressant l’œsophage dépendent de la portion concernée. Sa partie thoracique craniale peut être atteinte via une thoracotomie par le côté gauche (3e ou 4e espace intercostal) ou le côté droit (3e, 4e ou 5e espace intercostal) [5]. Un abord chirurgical gauche a été choisi pour ce chien.
Selon l’objectif de l’acte chirurgical, la taille de la portion concernée, les couches infiltrées, il est possible de pratiquer une œsophagotomie ou une œsophagectomie. L’œsophagectomie, suivant la longueur retirée, peut provoquer une tension excessive sur l’anastomose, ce qui augmente le risque de complications peropératoires. De ce fait, cette intervention ne doit être réalisée que lorsque cela est nécessaire [6]. Toutefois, chez le chien, des résections expérimentales de 20 à 50 % de l’œsophage ont été effectuées avec succès. Les auteurs s’accordent sur la réalisation de sutures avec un fil résorbable de type polydioxanone en deux plans (muqueuse et sous?muqueuse puis musculeuse et adventice) par des points simples [6].
Compte tenu de ces considérations, la masse étant pédiculée sur une petite surface et intéressant seulement la couche muqueuse, une exérèse purement muqueuse, à la base du pédicule, a été décidée dans notre cas. Une œsophagotomie longitudinale initiale a été réalisée afin d’obtenir une visualisation intraluminale directe de la masse et faciliter son exérèse. Les sutures ont été effectuées en deux plans par des points simples. Le risque majeur de cette technique est de ne pas retirer l’ensemble des tissus infiltrés. Un tube de gastrostomie peut être posé afin de laisser l’œsophage cicatriser sans contamination du site chirurgical. Chez ce chien, comme le site opératoire était situé dans la portion thoracique craniale, une sonde d’œsophagostomie, avec l’extrémité positionnée dans le dernier tiers de l’œsophage, a été mise en place. L’objectif était de shunter la plaie d’œsophagotomie lors de la réalimentation comme l’aurait fait une sonde de gastrostomie.
L’analyse histopathologique de la masse a révélé la présence d’un plasmocytome extramédullaire. Il s’agit d’une tumeur monoclonale de plasmocytes qui se développe dans divers tissus mous. Les tissus concernés par ce type de tumeur sont principalement la peau (86 %), les muqueuses de la cavité orale et les lèvres (9 %), le rectum et le côlon (4 %). Cette tumeur n’a été décrite qu’une seule fois dans l’œsophage d’un chien, et dans de rares cas chez l’humain [1, 2, 3, 4, 9, 13]. Le cocker spaniel américain ou anglais et le west highland white terrier sont prédisposés au développement de cette tumeur. L’âge médian des chiens atteints est de 9 à 10 ans.
Les formes cutanées et orales du plasmocytome chez le chien sont bénignes, bien qu’il existe une forme rare relevant d’un processus généralisé et plus agressif, le myélome multiple. Les formes non cutanées et non orales se révèlent plus agressives, avec une tendance au développement de métastases au niveau des nœuds lymphatiques de drainage. Un envahissement de la moelle osseuse et une gammapathie monoclonale sont moins fréquents. Il est par conséquent important d’évaluer le stade tumoral afin d’orienter la prise en charge vers un traitement local ou systémique, en particulier dans les cas de plasmocytome digestif. Cette évaluation repose sur une ponction de moelle, une électrophorèse des protéines, une échographie abdominale, des radiographies du squelette, ainsi qu’une endoscopie digestive [12]. Dans le cas présenté, le résultat histologique n’est revenu que lorsque l’animal était déjà retourné chez lui. Compte tenu de la faible proportion d’envahissement systémique, la ponction de moelle osseuse et l’électrophorèse des protéines n’ont pas été réalisées a posteriori.
Le traitement des formes digestives repose sur l’exérèse, une thérapie systémique n’étant utile qu’en cas d’atteinte généralisée. Pour les autres formes de plasmocytome, la thérapie systémique est fondée sur la chimiothérapie à base de melphalan et de prednisone. La radiothérapie, avec l’utilisation de strontium 90, est décrite dans les cas où l’exérèse n’est pas envisageable [12]. Chez le chien de ce cas, compte tenu de l’absence de métastases aux nœuds lymphatiques de drainage ou à distance, une exérèse a pu être effectuée. L’histologie a révélé le retrait complet du plasmocytome à faible index mitotique, mais la présence de marges proches. C’est pour cette raison qu’une endoscopie de contrôle a été recommandée à quatre mois postopératoires, afin de dépister une potentielle récidive locale. Le pronostic associé au plasmocytome digestif canin est relativement bon, puisqu’une survie à long terme est rapportée dans la majorité des cas [12].
Conflit d’intérêts : Aucun
• Les plasmocytomes extramédullaires non cutanés sont des tumeurs peu fréquentes chez le chien. Ce cas est le second décrit dans la littérature vétérinaire.
• Les masses œsophagiennes peuvent être mises en évidence à la radiographie thoracique. Cependant, le scanner thoracique et l’œsophagoscopie restent les examens de choix pour établir le diagnostic et définir la prise en charge la plus adaptée.
• L’exérèse est le traitement de choix des plasmocytomes digestifs. Une thérapie systémique est initiée seulement en cas d’atteinte généralisée.
• Le pronostic associé aux plasmocytomes digestifs après leur exérèse est relativement bon.
Remerciements à l’équipe du CHV Languedocia et plus particulièrement aux Drs?Dunié-Merigot (dipECVS) et Baudin (dipECVDI) pour leur aide lors de la rédaction de ce cas clinique.
Ce cas clinique illustre un cas rare de plasmocytome œsophagien à l’origine de signes digestifs et respiratoires. Il met en évidence l’importance d’une prise en charge pluridisciplinaire combinant des examens d’imagerie médicale tels que la radiographie, le scanner ou l’endoscopie, en vue de la résection chirurgicale des masses œsophagiennes.