COMMENT FAIRE FACE À L’ÉVOLUTIONDU COÛT DE PRODUCTION DU LAIT ? - Le Point Vétérinaire n° 442 du 01/06/2023
Le Point Vétérinaire n° 442 du 01/06/2023

ÉCONOMIE DU LAIT

Article original

Auteur(s) : Matthieu Leblanc

Fonctions : Responsable technique élevage
Coopérative Terre comtoise
2 rue Victor Considérant
25770 Vaux-les-Prés

Conseiller à l’éleveur de rationaliser les coûts alimentaires et de faire évoluer ses pratiques vers plus de préventif peut lui permettre de réaliser des économies non négligeables.

L’impact des principales charges variables sur le coût de production du lait est changeant selon les différents types d’exploitation, mais il est globalement compris entre 45 et 70 € de hausse aux 1 000 litres de lait produits [2, 5]. En parallèle, le prix du lait a favorablement évolué, mais de façon inégale : de 80 à 100 € pour 1 000 litres en un an sur certains secteurs conventionnels, de 20 à 30 € par 1 000 litres pour les appellations d’origine protégée (AOP) et le lait issu de l’agriculture biologique (AB) [5]. Ainsi, pour de nombreuses exploitations laitières françaises, la marge nette de l’atelier laitier a fortement été impactée par ces évolutions liées aux charges. Si la plupart des indicateurs tendent vers des prix du lait qui continueront d’évoluer favorablement sur l’année 2023, et si les dernières semaines laissent apparaître une éclaircie dans les cours des matières premières utilisées dans l’alimentation du bétail, la tendance haussière des matières premières se poursuivra probablement encore au premier trimestre 2024. De ce fait, il est primordial pour l’éleveur de savoir sur quels postes de dépense travailler afin d’améliorer la conduite technico-économique de l’élevage sans pénaliser les résultats de son atelier.

RATIONALISER LES COÛTS ALIMENTAIRES

1. Modifier la ration de base sans pénaliser la production

Le coût lié à l’achat des concentrés est un poste de dépense important dans une exploitation laitière. Depuis deux ans, les aliments du bétail connaissent une hausse inédite liée à de nombreux paramètres qui se sont cumulés : crise sanitaire liée à la Covid-19, crise géopolitique liée à la guerre en Ukraine, explosion du coût de l’énergie, crise climatique impliquant de mauvais rendements dans plusieurs zones agricoles mondiales, etc. Aucune catastrophe n’a été épargnée à ce secteur.

Les repères technico-économiques s’en trouvent fortement perturbés, tant et si bien qu’actuellement l’énergie coûte aussi cher, voire plus, que l’azote dans une ration (encadré 1). Dans une période aussi perturbante pour l’éleveur, il peut adopter la logique suivante : « Si mes bêtes, pour qu’elles produisent du lait, coûtent aussi cher, les rationner et produire moins sera plus avantageux financièrement. » Dans cette optique, et sans vouloir prendre un parti productiviste, il est de bon ton de rappeler à l’éleveur que des vaches sous-nourries produisent certes moins de lait, mais sont aussi beaucoup plus sujettes à des troubles métaboliques majeurs et pénalisants pour la santé du troupeau (photo). Par exemple, réduire la part du correcteur azoté pour équilibrer une ration riche en ensilage de maïs provoque un risque non négligeable de subacidose dans le cheptel. De même, limiter l’énergie, dont le coût a connu une hausse inédite, entraîne une mobilisation des réserves corporelles graisseuses et un risque d’acétonémie chez les vaches en début de lactation. Ces deux situations, certes caricaturales, ont cependant des conséquences à long terme connues sur la santé du troupeau laitier. Il est ainsi nécessaire d’éviter les éventuels surplus de concentrés énergétiques ou azotés et de ne pas modifier la ration sur des critères de coût sans tenir compte de l’équilibre qui permet aux vaches de produire sans pénaliser leur santé. Il convient en revanche de réaliser la meilleure ration de base possible et ainsi de valoriser au mieux les achats réalisés pour l’équilibrer.

2. Options pour l’éleveur

Assurer les stocks de fourrage

D’abord, il convient de fournir au troupeau la quantité de fourrage nécessaire pour le nourrir. Avant de savoir comment améliorer la qualité de la ration de base, il est nécessaire de s’assurer que tous les animaux mangent à leur faim. Il peut paraître aberrant d’acheter des engrais minéraux à leur prix actuel, mais une année sèche comme celle-ci prouve que si les terres arables sont privées d’une minéralisation organique et minérale adéquate, les rendements s’en trouvent fortement pénalisés (observation personnelle). De même, afin de garantir des stocks de fourrage suffisants dans une exploitation, il peut être intéressant de travailler sur la taille du cheptel.

Qualité et diversité des fourrages

Ensuite, il convient de veiller à la qualité et à la diversité des fourrages produits. Le climat évolue, les pratiques également, et il est indispensable de rechercher une autonomie protéique et énergétique de plus en plus complète pour le cheptel. S’il paraît difficile de nourrir demain un troupeau laitier uniquement avec des aliments produits à la ferme, des pistes sérieuses existent concernant des fourrages qualitatifs. Par exemple, l’implantation de luzerne, dans des conditions de sols adéquats et avec des itinéraires culturaux adaptés, a montré des résultats très intéressants chez les exploitants qui l’ont testé. Les méteils, sous leur forme fourragère ou céréalière, sont également une piste à suivre afin d’améliorer la concentration azotée des fourrages. Si leur implantation coûte relativement cher et que les résultats sont variables selon les mélanges et les pratiques, ils présentent néanmoins la particularité d’offrir la plupart du temps des rendements soutenus, de l’ordre de 8 à 10 tonnes de matière sèche par hectare dans de bonnes conditions [6]. L’exploitation de fourrages exotiques tels que le moha, la silphie ou le mûrier blanc peut également être une solution à explorer [3]. Ces cultures, dont la principale caractéristique est la résistance aux fortes chaleurs, semblent offrir des opportunités pour la nutrition animale puisque des essais en cours mettent en avant leurs qualités nutritionnelles, le rendement obtenu et la possibilité d’une intégration cohérente dans une ration [3]. Il reste cependant à considérer leur coût à l’implantation et l’étude des avantages suivant les exploitations et les surfaces arables disponibles.

Gérer les prairies

Pour la plupart des exploitations françaises, il est indispensable de tirer parti de l’herbe. Les prairies sont des cultures en tant que telles et demandent du travail et de l’entretien pour exprimer au mieux leur potentiel qualitatif et quantitatif. La gestion du pâturage, le choix des semences pour les prairies artificielles, ainsi que le travail sur la conservation des fourrages sont autant de pistes à exploiter pour améliorer l’autonomie protéique fourragère. L’herbe est un fourrage largement utilisé en France mais, quelle que soit sa forme, des progrès restent à faire pour améliorer sa qualité. Cela passe par une connaissance fine de la production végétale, l’utilisation de mélanges riches en légumineuses, des itinéraires culturaux précis et cadrés ainsi qu’une gestion au cas par cas des aléas climatiques.

CHANGER LES PRATIQUES POUR PLUS DE PRÉVENTION

Les frais d’élevage, qui regroupent les frais de reproduction, les frais de conseil et les frais vétérinaires pour l’essentiel, représentent entre 30 et 50 € par 1 000 litres selon les études récentes, avec une disparité forte (plus de 20 € entre le premier et le dernier décile) [1]. Pour la moyenne des exploitations laitières françaises, cela peut représenter 9 % du coût total de production. Par exemple, pour un élevage produisant 500 000 litres de lait, la facture totale annuelle peut s’élever à 25 000 €.

D’après ce constat, il est logique de s’intéresser de près à ces dépenses. Il n’est cependant pas question de porter un jugement sur l’utilité de ces frais, mais il convient d’affiner le raisonnement, notamment dans le cas des frais vétérinaires. L’éternel débat autour du vétérinaire trop cher peut être relativisé par une discussion entre éleveur et vétérinaire traitant : pour deux éleveurs ayant les mêmes frais vétérinaires, soit 9 € par 1 000 litres en moyenne en France en 2022, il convient de différencier ceux liés au curatif et ceux liés au préventif [1]. Plus la proportion de traitements préventifs est importante, plus cette dépense est justifiée. Pour l’éleveur qui se pose des questions à ce sujet, il peut être bon de faire le point et de différencier l’acte de la vente de produits dans un premier temps, puis de classer les dépenses par poste curatif/préventif. L’éleveur est ensuite incité à travailler sur la réduction de la part du curatif, tout en mettant en avant que la part du préventif doit être considérée comme un investissement et non une charge. La vaccination contre une maladie a certes un coût, mais qu’en serait-il si elle n’était pas réalisée et que la maladie en question sévissait dans le troupeau ? Par rapport au prix des traitements, il apparaît plus judicieux d’investir pour prévenir la survenue des affections, ou au moins de limiter leur impact. Ainsi, le conseil et la prescription de produits préventifs sont mis en avant, et le praticien entretiendra plus facilement une relation de confiance dans l’accompagnement de sa clientèle. Cela peut sembler utopiste, mais c’est un travail nécessaire dans une période compliquée où de nombreux éleveurs se posent beaucoup de questions et cherchent à faire des économies, pas toujours de façon raisonnée. Il s’agit également d’un discours fondé sur l’amélioration continue en élevage qui parle à de plus en plus d’éleveurs.

TRAVAILLER SUR LA TAILLE DU TROUPEAU ET LA PRODUCTIVITÉ

Comme évoqué précédemment, il est primordial que les besoins quantitatifs en fourrage soient pourvus. Dans le secteur laitier conventionnel, le prix du lait actuellement soutenu incite nombre d’éleveurs à traire le plus possible. Il convient de veiller aux dérives classiques du surchargement dans les bâtiments, qui entraîne une baisse globale des performances du troupeau. Il ne faut pas hésiter à le répéter : il est préférable de nourrir 50 bêtes correctement que 60 bêtes de façon limitée. Ainsi, optimiser l’atelier laitier passe par la réduction du nombre d’animaux plutôt que par une conduite extensive, a priori source d’économies (encadré 2). Sans caricaturer et en essayant d’être le plus près possible de la réalité d’un élevage, il apparaît que si les économies sont faibles sur la ration d’un troupeau à l’économie par rapport à une conduite plus intensive, ces choix techniques ont un impact conséquent sur la sécurisation du bilan fourrager. De plus, la réduction du nombre de vaches à la traite conduit mécaniquement à la diminution de la taille du prétroupeau, or c’est sur ce poste qu’il est possible de réaliser de réelles économies.

Références

  • 1. Bodiou D. Les frais d’élevage en exploitation laitière : de 30 à 50 €/1 000 litres. Mon-cultivar-élevage.com. 2022.
  • 2. Chotteau P, You G, Rubin B et coll. Flambée des matières premières et impact sur le lait. Conférence grand angle lait, 9e édition. Institut de l’élevage-Idèle. 2022:55p.
  • 3. Ehrhard F. Essais de la chambre d’agriculture : des taillis de mûrier blanc à pâturer ou ensiler. La France agricole. 2022:3967-3968.
  • 4. Lalouelle R. Combien vous coûtent vos génisses ? Littoral-normand.fr, performance et conseil en agriculture. 2021.
  • 5. Leblanc M. Impact de l’évolution des charges et du prix du lait sur le coût de production en atelier laitier. Point Vét. 2023;54 (441):70-74.
  • 6. Vergonjeanne R. Méteils riches en légumineuses : ils ensilent 8 tMS/ha de fourrage à 18 % de MAT avant de semer le maïs. Web-agri.fr. 2015, consulté le 27 mars 2023.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1 : ÉVOLUTION DES COÛTS LIÉS À L’ÉNERGIE ET À L’AZOTE DANS LA RATION

Historiquement, l’apport azoté représentait le coût le plus important dans une ration pour vache laitière, puisque c’est une part pour laquelle l’autonomie est faible, contrairement à la part énergétique ou fibreuse de la ration. Or, désormais, plus aucune production n’est épargnée par la hausse du prix des matières premières. Ainsi, les fourrages ont connu une hausse élevée de leur prix de production, de même que les céréales produites à la ferme et autoconsommées.

Par exemple, en considérant que 400 g d’orge et 100 g de tourteau sont nécessaires pour produire 1 litre de lait, que l’orge autoproduite est estimée à 200 € la tonne et le tourteau à 650 €/t, le coût pour produire 1 litre de lait est de 0,20 € × 0,400 kg = 8 cts en orge et de 0,65 € × 0,100 kg = 6,5 cts en tourteau. L’énergie dans une ration pour vache laitière coûte donc aujourd’hui autant, voire plus que l’azote, ce qui est une situation inédite en élevage en France.

Points clés

• La prise en compte de l’augmentation du coût de production est un élément clé dans la résilience des élevages laitiers face aux hausses actuelles.

• Il peut être tentant de réduire les principales charges variables de façon drastique, mais l’impact peut se révéler plus néfaste que bénéfique sur la rentabilité de l’exploitation.

• Il est nécessaire de continuer à investir dans les frais d’élevage à visée préventive et de maîtriser les frais d’élevage curatifs.

• Les pratiques culturales sont à considérer en tenant compte des aléas météorologiques afin de produire en quantité suffisante des fourrages de qualité.

• Il convient de travailler sur l’âge au premier vêlage et sur le taux de réforme pour maîtriser la taille du cheptel.

Encadré 2 : EXEMPLE DE CALCUL DU POTENTIEL LAITIER DU TROUPEAU

Le calcul est réalisé sur la base d’une exploitation type qui produit 500 000 litres de lait par an avec environ 60 vaches laitières (tableau). Dans la première situation, dite “économique”, la production est assurée par le nombre de vaches, en limitant au maximum l’achat de concentrés, sans chercher à atteindre le plein potentiel laitier du troupeau. Dans la seconde situation, dite “productiviste”, le plein potentiel laitier des animaux est exploité au maximum, sans pour autant être incohérent du point de vue du rationnement et des achats.

• Partie production : elle repose sur le droit à produire et la valorisation de la production individuelle moyenne. Si le potentiel laitier de chaque animal est augmenté de 400 litres, à ration de base égale, il convient de concentrer davantage la ration totale. En considérant que 1 kg de concentré équilibré permet de produire théoriquement 2 litres de lait*, il est nécessaire de donner 200 kg de concentrés en plus par animal pour passer de 8 000 à 8 400 litres de potentiel.

• Partie prétroupeau : pour la productivité, les coûts liés au prétroupeau doivent également être pris en compte. En travaillant sur l’âge au premier vêlage et sur le taux de renouvellement, donc sur la prévention sanitaire et le bien-être animal notamment, il est possible d’économiser de façon substantielle. Les frais d’élevage d’une génisse diffèrent beaucoup d’une situation à l’autre, mais les publications sur le sujet estiment qu’une génisse laitière coûte au total entre 1 200 et 1 800 € à l’éleveur, soit environ 1 500 € en moyenne [4]. Ces dépenses englobent les frais d’élevage, d’alimentation et vétérinaires, la mécanisation et le foncier. La part liée au travail (Mutualité sociale agricole et masse salariale) représenterait en moyenne 200 € de surplus environ.

• Partie pâture : dans le cas d’un élevage offrant un pâturage aux vaches et aux génisses, en considérant un chargement moyen à 1 unité gros bovin (UGB) par hectare pour les adultes et 1,2 UGB par hectare pour les génisses, une économie de 12 hectares apparaît entre la situation économique et la situation productiviste. Ces hectares peuvent alors servir à produire du fourrage en plus afin de sécuriser les quantités ou être valorisés en productions végétales pour la commercialisation de céréales, par exemple.

* Le contrôle laitier considère que 1 kg de concentré permet de produire 2,2 litres de lait : le calcul est basé sur les unités fourragères lait (UFL), en prenant 1 UFL par kilo de concentré et 0,44 UFL par litre de lait produit.

CONCLUSION

Si les pistes mentionnées dans cet article ne sont pas nouvelles, elles sont toutefois plus que jamais d’actualité. À l’heure où le moindre choix technique entraîne des conséquences économiques beaucoup plus importantes qu’auparavant, il est du devoir du conseiller en élevage d’aider l’éleveur à s’y retrouver. Le vétérinaire rural doit être au fait de ces notions afin d’accompagner sa clientèle dans cette période inédite. Avec du bon sens et une connaissance fine de l’exploitation suivie, il est possible de profiter de ces questionnements pour aiguiller l’éleveur vers les bons choix pour son exploitation.