ANTICORPS MONOCLONAUX
Étude
Auteur(s) : Corinne Piquemal*, Elisabeth Bégon**, Flore Demay***, Sylviane Laurentie****
Fonctions :
*Anses-ANMV
Département inspection,
surveillance du marché
et pharmacovigilance
14 rue Claude Bourgelat
ZA de la Grande Marche, Javené
35300 Fougères
Le recul sur l’utilisation à grande échelle des trois médicaments vétérinaires contenant des anticorps monoclonaux est limité. Cette étude rétrospective qui synthétise les effets indésirables de ces médicaments (déclarés en France) est donc très utile pour éclairer les praticiens afin qu’ils utilisent au mieux ces traitements.
Développés chez l’humain depuis plusieurs décennies dans le cadre du traitement des maladies infectieuses, inflammatoires ou tumorales, les médicaments à base d’anticorps monoclonaux semblent être une nouvelle voie thérapeutique particulièrement prometteuse en médecine vétérinaire. Néanmoins, pour le moment, peu de spécialités sont disponibles pour les animaux, et seules deux espèces cibles (le chien et le chat) sont concernées. Le recul sur leur utilisation à grande échelle est encore limité.
Notre étude rétrospective présente une synthèse des effets indésirables déclarés en France à la suite de l’utilisation des différents médicaments vétérinaires contenant des anticorps monoclonaux, entre leur date de commercialisation et le 30 juin 2022. Les dates de commercialisation n’étant pas les mêmes pour l’ensemble des molécules, l’étude a une durée différente pour chaque médicament (entre vingt et soixante mois). Son objectif est d’apporter aux praticiens des informations utiles pour un choix raisonné des traitements, leur suivi et leur adaptation au profil de l’animal concerné.
L’analyse a porté sur l’ensemble des cas graves et non graves déclarés en France, chez des animaux traités avec un médicament contenant des anticorps monoclonaux, de leur date de commercialisation jusqu’au 30 juin 2022. Ces médicaments étaient Cytopoint® (lokivetmab, anticorps caninisé anti-IL31) et Librela® (bedinvetmab, anticorps canin anti-nerve growth factor) dont l’espèce cible est le chien, et Solensia® (frunévetmab, anticorps félin anti-NGF) dont l’espèce cible est le chat (tableau 1). Seuls les cas pour lesquels le lien de causalité entre le médicament et l’effet indésirable n’a pas été exclu lors de l’évaluation ont été pris en compte (imputation A, B, ou O1/O selon la classification Abon) (encadré 1). Les cas de manque d’efficacité n’ont pas, quant à eux, été pris en compte dans l’analyse. Les principaux effets secondaires sont visibles dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de chaque médicament. Pour chaque cas retenu, les données relatives aux animaux affectés (race, sexe et âge), aux médicaments coadministrés, ainsi qu’aux effets indésirables rapportés (aspects chronologiques et cliniques) ont été analysées.
L’incidence apparente des effets indésirables est calculée pour chaque médicament. Elle représente le rapport entre le nombre d’animaux affectés par un effet indésirable et l’estimation du nombre d’animaux traités sur la période considérée. L’estimation du nombre d’animaux traités pendant la période d’étude avec chaque principe actif a été fournie par le laboratoire Zoetis qui commercialise les trois spécialités, sur la base de leurs chiffres de vente.
Pour cette étude, il a été estimé qu’un traitement consiste en moyenne en l’administration de deux doses de médicament à trente-cinq jours d’intervalle (estimation fondée sur des données d’utilisation issues de cliniques vétérinaires au Royaume-Uni et recueillies via le réseau Small Animal Veterinary Surveillance Network). Enfin, les données collectées par l’institut de sondage Kantar pour l’année 2020 ont permis de déterminer des chiffres de référence concernant les principales caractéristiques générales des populations canines et félines françaises. Des tests statistiques (Chi2) ont ainsi pu être réalisés.
L’incidence des effets indésirables (tous signes cliniques confondus) associée à l’utilisation des médicaments contenant des anticorps monoclonaux, entre leur commercialisation et juin 2022 en France, a été estimée en supposant qu’un traitement comprend en moyenne deux injections à trente-cinq jours d’intervalle (tableau 2). Seuls les cas pour lesquels le lien de causalité entre le médicament et l’effet indésirable n’a pas été exclu lors de l’évaluation ont été pris en compte (imputation A, B, ou O1/O selon la classification ABON).
Sur la base des critères détaillés plus haut, en ne prenant en compte que les cas pour lesquels le lien de causalité entre le médicament et l’effet indésirable n’a pas été exclu, 135 cas ont été retenus pour le bedinvetmab, 51 cas pour le frunévetmab et 122 cas pour le lokivetmab.
Chez le chien, environ 47 % des cas déclarés à la suite de l’usage du bedinvetmab, et 25 % des cas déclarés après celui du lokivetmab, ont été jugés graves (figure 1). Chez le chat, 37 % des cas déclarés à la suite de l’usage du frunévetmab ont été jugés graves. Le lien de causalité avec le médicament a été évalué non classable, ou non concluant (imputation O1 et O) dans 69 % des cas pour le bedinvetmab, dans 35 % des cas pour le frunévetmab et dans 61 % des cas pour le lokivetmab (figure 2).
Un usage concomitant à d’autres médicaments a été mentionné dans 24 % des déclarations qui concernent le lokivetmab (par exemple antiparasitaires externes, antibiotiques, anti-inflammatoires stéroïdiens). Des traitements concomitants étaient rapportés dans 31 % des cas pour le frunévetmab (médicaments indiqués dans la gestion des maladies rénales, anti-inflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens), et dans 13 % des cas pour le bedinvetmab (anti-inflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens dans 67 % de ces cas).
Parmi les 131 déclarations enregistrées chez le chien après l’administration de bedinvetmab, la race la plus citée est le labrador retriever (17 % des déclarations), suivie du golden retriever (11 %). Viennent ensuite le boxer et le berger allemand (8 % chacun), le border collie (6 %) et le bouvier bernois (5 %). Une surreprésentation significative est ressortie pour le labrador (p < 0,001) par rapport à la population de référence. Les critères permettant de réaliser un test du Chi2 n’étant pas remplis, l’analyse statistique n’a pu être réalisée pour le golden retriever, le boxer, le berger allemand, le border collie et le bouvier bernois, mais une surreprésentation de ces races semble se dessiner. En ce qui concerne l’âge, 38 % avaient entre 8 et 11 ans, et 52 % plus de 11 ans, les animaux de ces deux classes d’âge se révélant surreprésentés par rapport à la population de référence (respectivement p < 0,02 et p < 0,001). Pour ce qui est de l’influence du sexe, aucune tendance n’a été mise en évidence. Concernant les 122 déclarations enregistrées à la suite de l’usage de lokivetmab, les races les plus citées étaient le bouledogue français (26 %), puis le jack russell terrier (6 %), le boxer et le bichon frisé. Une surreprésentation significative des races boxer et bichon frisé a été observée (p < 0,05). L’analyse statistique n’a pas pu être réalisée pour le bouledogue français, mais une surreprésentation de cette race semble se profiler. En ce qui concerne l’âge, l’analyse statistique a mis en évidence une surreprésentation significative des chiens âgés de 4 à 7 ans (p < 0,001). Concernant l’influence du sexe, aucune tendance n’a été mise en évidence.
Parmi les chats impliqués dans les cas, 85 % des individus étant déclarés comme européens ou issus de croisements, ce critère n’a pas été analysé. L’analyse statistique a mis en évidence une surreprésentation significative des chats âgés de plus de 12 ans (p < 0,001) par rapport à la population de référence, avec 76 % des animaux ayant présenté un effet indésirable appartenant à cette classe d’âge. Quant au sexe des animaux, 57 % des chats étaient des mâles (castrés ou non), mais aucune surreprésentation n’a été mise en évidence par le test du Chi2.
L’analyse globale des profils d’effets indésirables associés à l’usage de chacun des médicaments étudiés permet de mettre en évidence des caractéristiques communes (figure 3).
Des symptômes généraux, souvent peu spécifiques (léthargie, anorexie), sont régulièrement rapportés (entre 33 et 40 % des déclarations) pour les trois molécules. Ces symptômes peuvent survenir de façon isolée, mais sont dans certains cas associés à d’autres signes cliniques. Des troubles digestifs (diarrhées et vomissements, hors de tout contexte d’hypersensibilité de type 1) sont décrits pour les trois médicaments, mais concernent plus fréquemment l’espèce canine (environ 25 % des déclarations chez les chiens, versus 14 % chez les chats). En outre, des atteintes neurologiques (ataxie, crises convulsives, tremblements) sont aussi mentionnées consécutivement à l’usage de ces traitements (entre 15 et 24 % des déclarations). La majorité de ces cas ont été imputés O1/O dans le système Abon.
Les effets indésirables apparaissent généralement dès la première injection (dans environ 75 % des cas pour le bedinvetmab et le frunévetmab, 60 % des cas pour le lokivetmab). Le délai d’apparition de ces effets après la première administration du produit a été analysé (figure 4). Pour le bedinvetmab ou le lokivetmab, les réactions apparaissent, dans 45 % des cas, au cours des vingt-quatre heures qui suivent l’injection et dans plus de 90 % des cas dans les quinze jours. Pour le frunévetmab, les effets indésirables sont survenus de façon homogène pendant le mois suivant l’injection.
Le délai d’apparition des effets indésirables lorsque ceux-ci surviennent après plusieurs injections de médicament a également été évalué. Des tendances similaires à celles observées lorsque la réaction est survenue dès la première administration semblent ressortir pour les trois médicaments, mais restent à confirmer en raison d’un nombre de cas répertoriés encore limité. En outre, le nombre exact d’injections réalisées n’est pas toujours spécifié dans les déclarations, rendant toute interprétation assez difficile.
Les principaux effets indésirables qui sont apparus après des administrations multiples ont aussi été étudiés. Pour le lokivetmab, dans la majorité des déclarations (70 %) rapportant la survenue d’effets indésirables consécutifs à au moins deux injections, le lien de causalité avec ces administrations reste non conclusif. Ces cas, qui mentionnent des durées de traitement et des fréquences d’administration rarement précises, se sont révélés polymorphes (hypersensibilité, troubles digestifs, leucopénie, lymphome, troubles hépatiques, anémie, convulsions, pyomètre, atteintes cutanées, etc.). Ces données ne mettent en évidence aucune tendance majeure susceptible de suggérer l’apparition d’effets indésirables spécifiques à l’issue d’administrations multiples. Le bedinvetmab et le frunévetmab n’ont quant à eux été autorisés respectivement qu’en novembre 2020 et février 2021, et l’analyse des profils d’effets indésirables à la suite d’une utilisation de ces molécules à moyen et long termes n’a pu être réalisée, faute de données disponibles.
Avec le lokivetmab, près de 16 % des animaux (20 cas) ont présenté des réactions d’hypersensibilité de type 1. Celles-ci se caractérisent principalement par la survenue de signes cutanés (urticaire, œdème de la face, prurit) qui apparaissent dans les quarante-huit heures après l’injection, ou par des troubles digestifs (vomissements, diarrhée) survenant au cours des minutes ou heures qui suivent. Une réaction d’hypersensibilité de type 1 n’est en revanche rapportée que dans 2 % des déclarations en lien avec le bedinvetmab (3 cas) et le frunévetmab (1 cas).
Ces symptômes sont observés avec les trois molécules, mais dans des proportions et avec des profils différents. Des signes cliniques cutanés (prurit, lésions croûteuses, alopécie) sont rapportés chez 53 % des animaux (27 cas) à la suite de l’administration de frunévetmab, en particulier avec l’apparition d’un prurit cervico-facial mentionné dans 33 % des déclarations. Le lien de causalité entre l’administration du médicament et les signes cutanés observés a été jugé probable ou possible dans près de 93 % des déclarations correspondantes. Dans 66 % des cas, ces troubles dermatologiques sont apparus à la suite de la première injection, et majoritairement (61 % des cas) au cours des quinze jours qui ont suivi l’administration.
Des désordres cutanés, non identifiés comme étant consécutifs à des réactions d’hypersensibilité de type 1 (délai d’apparition souvent supérieur à quarante-huit heures), sont aussi mentionnés après l’administration des deux autres molécules, mais dans des proportions moindres et avec des expressions cliniques plus diversifiées : pour le lokivetmab, 25 cas (20 %) ont présenté une dermatite, une urticaire, une alopécie ou un prurit ; pour le bedinvetmab, 16 cas (12 %) ont développé une infection, une dermatite ou un prurit.
Près de 14 % des déclarations (19 cas) en lien avec le bedinvetmab signalent la survenue de symptômes rénaux et urinaires tels qu’une polyurie (6 %), une incontinence urinaire (5 %), une insuffisance rénale (3 %). C’est également le cas dans 8 % des cas déclarés pour le frunévetmab (correspondant à 4 cas, dont l’un avec une suspicion de diabète), ou 7 % des cas déclarés pour le lokivetmab (correspondant à 8 cas, avec des signes cliniques polymorphes d’insuffisance rénale, de cystite, d’incontinence urinaire). Que ce soit pour le bedinvetmab ou le frunévetmab, le lien de causalité avec l’administration du médicament est resté douteux (cas imputés O1/O).
Vingt-huit déclarations (21 % des cas) rapportent une issue fatale pour l’animal traité avec du bedinvetmab, dès la première injection pour la moitié des cas. Les symptômes ayant abouti à la mort spontanée de l’animal sans signe clinique précurseur (4 cas) ou à son euthanasie (12 cas) se sont révélés particulièrement polymorphes et sont apparus dans des délais très variables (de vingt-quatre heures à dix-huit jours, hors euthanasies). Dans près de 86 % des cas mentionnant la mort de l’animal, aucun lien évident entre l’administration du médicament et la réaction observée n’a pu être établi (cas imputés O1/O). En effet, la plupart des animaux (tous âgés de plus de 9 ans) n’étaient pas en parfait état de santé au moment de l’administration, souffrant de maladies concomitantes en cours de traitement ou seulement suspectées, sans confirmation par des examens complémentaires. Dans 6 cas (12 %) impliquant des chats âgés de plus de 11,5 ans, l’issue a été fatale (spontanément ou après une euthanasie) à la suite de l’usage de frunévetmab, mais le lien de causalité avec l’administration du médicament n’a généralement pas été établi (cas imputés O1/O). Chez 5 animaux (4 % des cas), la mort (spontanée ou due à une euthanasie) a suivi le traitement par le lokivetmab. Le lien de causalité entre la mort (ou l’apparition des signes cliniques ayant motivé l’euthanasie) et l’administration du médicament n’a été confirmé dans aucune des déclarations correspondantes.
Les dernières années ont été marquées par la mise à disposition de nouvelles options thérapeutiques en médecine vétérinaire, avec en particulier le développement et la commercialisation de médicaments contenant des anticorps monoclonaux jusqu’ici réservés à la médecine humaine. Le lokivetmab, la première molécule mise sur le marché en 2017, est indiqué pour le traitement des dermatites allergiques chez le chien. En 2020 et 2021, la commercialisation du bedinvetmab et du frunévetmab a offert de nouvelles solutions thérapeutiques pour la prise en charge de la douleur associée à l’arthrose, respectivement chez le chien et le chat. Ces molécules présentent l’avantage d’avoir des modes d’action très spécifiques et sont dirigées contre des cibles précises, l’interleukine 31 (IL-31) pour le lokivetmab et le facteur de croissance nerveuse (nerve growth factor, NGF) pour le bedinvetmab et le frunévetmab. Cela permet a priori de s’affranchir des effets indésirables associés à l’usage à moyen ou long terme d’anti-inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens, classiquement prescrits dans le cadre du traitement de ces maladies (photo). Toutefois, si des études relatives aux effets indésirables associés à l’usage des anticorps monoclonaux chez l’humain sont disponibles dans la littérature, les données publiées sont encore limitées en médecine vétérinaire. Cette analyse rétrospective des cas rapportés à l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) apporte une première synthèse des effets indésirables constatés chez l’animal en France, à la suite de l’administration des différents médicaments contenant des anticorps monoclonaux actuellement disponibles sur le marché.
Les profils d’effets indésirables issus de cette étude sont à interpréter au regard de certains biais inhérents à la pharmacovigilance. Le premier reste la sous-déclaration : seulement 10 % des effets indésirables seraient déclarés [5]. Par ailleurs, les effets jugés graves sont en général davantage déclarés que ceux perçus comme bénins. Enfin, dans la majorité des cas, un lien de causalité fort n’a pu être établi, en particulier avec le lokivetmab et le bedinvetmab (respectivement 39 % et 31 % de cas pour lesquels un lien de causalité a été jugé possible ou probable). En effet, l’évaluation du lien de causalité est souvent difficile en raison de signes cliniques peu spécifiques, de l’âge de la population visée et/ou de l’administration concomitante d’autres médicaments.
À la différence du lokivetmab, la période d’analyse des effets indésirables consécutifs à l’utilisation du bedinvetmab et du frunévetmab est beaucoup plus courte, les autorisations de mise sur le marché (AMM) de ces médicaments ayant été délivrées respectivement en octobre 2020 et février 2021.
Même si certains effets indésirables sont identifiés dès les essais cliniques, l’usage à grande échelle, dans des situations physiopathologiques très variables, permet généralement, grâce aux déclarations, de compléter la liste des signes cliniques susceptibles d’être rencontrés. Le suivi des données de pharmacovigilance qui est réalisé en France est complété par une surveillance des effets indésirables enregistrés dans l’ensemble des pays européens (encadré 2). Ce double niveau d’analyse permet, selon les cas, de conforter les données nationales, d’identifier plus rapidement des signaux faibles, voire de mettre en évidence des spécificités françaises. Les effets secondaires identifiés dans les études cliniques ou la surveillance postcommercialisation pour chacun des produits, et pour lesquels le rôle du médicament a pu être établi avec un niveau de probabilité suffisant, sont mentionnés dans leur RCP.
L’analyse des profils d’effets indésirables déclarés a révélé certaines tendances communes, mais également des particularités selon la molécule concernée et l’espèce de destination. Les effets indésirables associés à l’utilisation de ces molécules sont majoritairement non graves et leur fréquence de survenue est rare ou peu fréquente. Les incidences des effets indésirables doivent néanmoins être interprétées en gardant en mémoire que le nombre d’animaux traités est particulièrement complexe à évaluer, et reste une estimation. Des symptômes généraux (léthargie et troubles de l’appétit) sont régulièrement mentionnés (33 à 40 % des déclarations), mais demeurent relativement peu spécifiques. Ils sont parfois associés à d’autres signes cliniques laissant suspecter qu’il peut s’agir de manifestations secondaires. Des troubles digestifs sont également souvent cités, et plus fréquemment rapportés chez les chiens (25 % des cas) que chez les chats (14 % des cas). Néanmoins, ces signes digestifs restant aussi peu spécifiques, un lien de causalité avec l’administration du médicament n’est pas toujours établi. Pour les trois produits étudiés, 15 à 24 % des déclarations signalent des symptômes neurologiques également non spécifiques (ataxie, convulsions). Dans cette étude, les effets indésirables apparaissent généralement dès la première injection, toutes espèces et médicaments confondus. Pour le bedinvetmab et le lokivetmab, la réaction chez le chien survient dans près de la moitié des cas au cours des vingt-quatre premières heures suivant l’administration. Pour le frunévetmab, les cas d’effets indésirables chez le chat sont répartis de façon homogène durant le mois qui suit l’injection.
L’analyse des cas déclarés pour le lokivetmab, réalisée sur une période de cinq ans, affiche des résultats en adéquation avec les informations déjà mentionnées dans le RCP de Cytopoint® et conforte ceux obtenus lors d’une précédente étude réalisée par l’Anses-ANMV [10]. Cette étude confirme la bonne tolérance apparente du médicament, avec des effets indésirables qui restent rares et non graves dans 75 % des cas. Il convient toutefois de rester attentif vis-à-vis des réactions d’hypersensibilité de type 1 qui se sont révélées plus fréquentes pour le lokivetmab comparativement aux deux autres molécules analysées. Les données de pharmacovigilance, maintenant disponibles sur une période de cinq ans, ont permis d’établir un profil d’effets indésirables qui paraît assez complet, même s’il reste nécessaire de confirmer les effets de ce médicament sur le long terme (traitement destiné à être administré régulièrement à des animaux souvent jeunes), d’autant plus que le rôle de l’IL-31, cible du lokivetmab, notamment dans les mécanismes de la réponse immunitaire, n’est pas parfaitement connu chez le chien [11].
L’analyse des effets indésirables consécutifs à l’usage de bedinvetmab, autre médicament contenant des anticorps monoclonaux à destination des chiens, permet de constater qu’ils sont également rares. Si les proportions de cas graves (47 %) et ayant connu une issue fatale (21 %) paraissent élevées, il est important de rappeler que les animaux traités pour des lésions arthrosiques sont généralement âgés, avec par conséquent de possibles comorbidités.
Une étude incluant 287 chiens sélectionnés dans des clientèles de plusieurs pays européens n’a pas mis en évidence de différences significatives concernant la survenue d’atteintes pathologiques, en comparant des chiens traités à des chiens ayant reçu un placebo [4].
Les données de la pharmacovigilance française ont quant à elles mis en évidence la survenue de désordres neurologiques (tels qu’une ataxie, des convulsions et des tremblements) ou digestifs (diarrhée, vomissements). Ces signes cliniques ont également été identifiés à l’échelle européenne et constituent de nouveaux signaux de pharmacovigilance qui sont actuellement sous surveillance.
D’autre part, l’analyse des données au niveau européen a conduit à recommander au titulaire de l’AMM des modifications du RCP de Librela® afin de préciser notamment la possible survenue de polyuro-polydipsie (dont 4 cas ont été rapportés en France sur la période d’étude) ou de maladies auto-immunes (anémie hémolytique, thrombocytopénie). En France, aucun cas de maladie auto-immune n’a été déclaré en association avec l’usage de Librela® durant la période étudiée.
L’analyse des cas déclarés pour le frunévetmab montre des effets indésirables peu fréquents et globalement non graves. Toutefois, peu de cas sont pour le moment répertoriés pour ce médicament, en raison de sa commercialisation récente. Les manifestations dermatologiques qui ressortent de cette étude, avec en particulier l’apparition d’un prurit cervico-facial, sont déjà mentionnées dans le RCP de Solensia®. Il pourrait s’agir d’une spécificité de l’espèce féline puisque l’analyse des effets indésirables associés à l’usage du bedinvetmab, qui est également un anticorps anti-NGF mais destiné à l’espèce canine, n’a pas mis en évidence de tels signes cliniques. Peu de données en relation avec l’usage du frunévetmab sont à ce jour disponibles dans la littérature. Deux études visant à évaluer l’efficacité et la sécurité d’utilisation du frunévetmab menées aux États-Unis ont mis en évidence une incidence plus importante de troubles cutanés chez les animaux traités comparativement aux animaux témoins [6, 7]. Les mécanismes en jeu restent encore indéterminés. Ces cas de prurit cervico-facial pourraient faire écho à la survenue de cas de paresthésie décrits chez l’humain dans le cadre de traitements contenant des anticorps anti-NGF [2]. Après l’analyse des seules données de la pharmacovigilance française, un cas de diabète sucré et un cas de réaction d’hypersensibilité de type 1 ont été identifiés. Comme des cas supplémentaires sont rapportés dans d’autres pays européens, ces affections constituent actuellement des signaux placés sous surveillance à l’échelle européenne. Le NGF, cible du frunétvetmab et du bedinvetmab, est une molécule particulièrement pléiotrope susceptible d’intervenir dans la régulation de multiples voies métaboliques, en particulier au niveau des systèmes nerveux périphérique et immunitaire ou de la croissance tumorale [12]. Tous les effets possibles de ces médicaments chez l’animal ne sont probablement pas encore connus.
Les résultats de notre étude ne suggèrent pas d’incidence du sexe sur la survenue d’effets indésirables chez les animaux traités avec chacun des trois médicaments ciblés. L’analyse des données issues des déclarations d’effets indésirables consécutifs à l’usage de bedinvetmab montre une surreprésentation des chiens de races de grande taille et âgés de plus de 8 ans. Toutefois, ces classes d’âge et ces races sont aussi les plus prédisposées aux atteintes arthrosiques, et constituent donc la principale population de chiens exposés au traitement [1]. De façon similaire, pour le frunévetmab, les chats âgés de plus de 11 ans sont sureprésentés. Si ces populations gériatriques sont celles qui souffrent le plus d’atteintes articulaires, ce sont aussi celles dont les individus sont les plus susceptibles de présenter des maladies intercurrentes et d’avoir bénéficié de traitements concomitants. Une représentation accrue des races bouledogue français, boxer et bichon a été mise en évidence dans les déclarations d’effets indésirables après l’usage de lokivetmab. Là encore, il s’agit de races pour lesquelles une prédisposition aux dermatites atopiques est identifiée [3, 8]. Il semble une nouvelle fois difficile de conclure sur une sensibilité accrue de ces individus vis-à-vis du médicament. Les animaux âgés de 4 à 7 ans se sont aussi révélés surreprésentés, ce qui pourrait correspondre à l’âge moyen de mise en place des premiers traitements des atteintes allergiques. Il est donc difficile de conclure concernant une sensibilité particulière de certaines races ou classes d’âge vis-à-vis des médicaments étudiés.
Les cas de manque d’efficacité n’ont pas été analysés en raison de leur faible nombre et des difficultés liées à leur interprétation.
Néanmoins, des cas d’échappement thérapeutique étant décrits chez l’humain dans le cadre du traitement avec des anticorps monoclonaux, des situations cliniques similaires pourraient donc se présenter chez l’animal [9]. Dans un contexte d’échec survenant après plusieurs mois ou années d’efficacité, la possibilité d’apparition d’anticorps anti-médicaments devra par conséquent être envisagée (phénomène connu en médecine humaine).
Comme les dermatites allergiques et les atteintes arthrosiques peuvent nécessiter l’usage concomitant de plusieurs médicaments, la question des interactions médicamenteuses (en particulier avec les anti-inflammatoires) sera également à surveiller. Cependant, de telles interactions ne pourront être étudiées que si les futures déclarations de pharmacovigilance précisent l’ensemble des traitements mis en place.
Conflit d’intérêts : Aucun
L’ensemble des données disponibles, confrontées aux données bibliographiques et aux précédents cas enregistrés, conduit à une imputation, c’est-à-dire à un classement du cas dans l’une des quatre catégories (A, B, O, N). Elle exprime le lien entre le médicament administré et les signes cliniques observés :
– A : probable.
– B : possible (autre cause non exclue).
– O1 : non concluant.
– O : non classable.
– N : improbable (rôle du médicament exclu).
• Les effets indésirables déclarés à la suite de l’utilisation des anticorps monoclonaux en France sont majoritairement non graves, rares à peu fréquents.
• La plupart des réactions surviennent dès la première injection.
• Des symptômes généraux, digestifs, et neurologiques sont rapportés pour les trois anticorps étudiés.
• Certains profils de réaction semblent plus spécifiquement liés à un anticorps donné : les troubles cutanés pour le frunétvetmab, l’hypersensibilité pour le lokivetmab, et les désordres urinaires et rénaux pour le bedinvetmab.
Les données de pharmacovigilance font l’objet d’une surveillance constante. Afin de faciliter l’accès des professionnels aux informations disponibles, les signaux potentiels résultant de l’analyse des données de la pharmacovigilance européenne ou de la littérature scientifique sont accessibles via la plate-forme publique Iris (https://iris.ema.europa.eu/publicreglist/). Ces signaux potentiels concernent l’ensemble des médicaments autorisés en Europe, quelle que soit la procédure d’autorisation. De plus, pour les médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché centralisée, les modifications du résumé des caractéristiques des produits, demandées aux titulaires à la suite de l’exploitation des données de pharmacovigilance, sont également disponibles sur le site de l’European Medicines Agency où elles sont actualisées tous les mois (« Pharmacovigilance regulatory recommendations for centrally authorised veterinary medicinal products » sur www.ema.europa.eu).
Pour les trois médicaments étudiés, les effets indésirables sont majoritairement non graves et leur survenue est globalement rare à peu fréquente. Toutefois, dans le cadre de tout traitement d’une maladie chronique, une surveillance des risques liés à l’utilisation de ces molécules à long terme est nécessaire. Le rôle des vétérinaires, via leurs remontées de pharmacovigilance, demeure crucial pour permettre de mieux cerner le profil de sécurité de ces médicaments(1).
(1) La déclaration d’un événement indésirable peut se faire en ligne sur le site de télédéclaration de l’Agence nationale de sécurité sanitaire-Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV), par mail ou par téléphone auprès du Centre de pharmacovigilance vétérinaire de Lyon (CPVL). L’ensemble des informations relatives à la déclaration est disponible à l’adresse : https://pharmacovigilance-anmv.anses.fr