NUTRITION FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Géraldine Blanchard*, Lolita Sommaire**
Fonctions :
*(dipECVCN)
(CES de diététique canine et féline)
Vet-Nutrition
ZA Lana 24
64210 Arbonne
Le traitement de l’obstruction urétrale est médical ou chirurgical, indépendamment de l’origine de l’affection. Lorsque la présence de cristaux dépassant un seuil critique est avérée, il existe des mesures alimentaires préventives efficaces.
Les affections du bas appareil urinaire du chat sont associées à des signes cliniques tels qu’une strangurie, une pollakiurie ou une hématurie. Selon les publications, 55 à 69 % des chats atteints présentent une cystite idiopathique, 12 à 22 % des urolithiases et 1,5 à 20 % une infection bactérienne [10]. L’alimentation peut intervenir dans la gestion du stress chez le chat, mais cet article se limite à la prise en charge des urolithiases. La gestion nutritionnelle des autres causes associées à des affections obstructives (néoplasie, troubles neurologiques, etc.) n’est pas abordée.
La lithiase urinaire est fréquente chez le chat, avec un taux de récidives élevé. Cette maladie peut concerner l’ensemble du tractus urinaire. Les calculs de struvite et d’oxalate de calcium représentent plus de 85 % des cas rapportés au cours des quinze dernières années [3, 5, 9, 10, 12]. Selon la nature des calculs, leur taille et leur emplacement, le traitement sera médical ou chirurgical (voir les articles précédents de ce dossier). La mise en place de différentes mesures nutritionnelles permet de dissoudre certains cristaux et participe à la prévention des récidives dans leur ensemble, surtout lorsqu’il s’agit de mâles reproducteurs pour lesquels une urétrostomie n’est à envisager qu’en dernière extrémité.
Ces mesures peuvent être mises en place même si la nature des urolithes n’est pas encore connue.
Diluer les urines permet de limiter la concentration urinaire en précurseurs de cristaux, de réduire le temps de cristallisation et d’évacuer les petits calculs via des mictions fréquentes [6, 7, 16, 17].
Même si la teneur en minéraux de l’eau de boisson est basse comparée à celle des aliments, il est d’usage de recommander des eaux faiblement minéralisées adaptées aux bébés, ou l’eau du robinet si elle est de bonne qualité. L’eau doit être propre et renouvelée tous les jours. Chaque zone d’alimentation doit disposer d’un point d’eau et ne doit pas être trop proche de la litière du chat. Pour les récipients, différents matériaux (céramique, verre, etc.) sont à tester, le plastique étant déconseillé (libération de particules). La fontaine à eau constitue une option à recommander, mais son entretien (vidange, nettoyage et eau propre) doit être quotidien (photo 1).
Plusieurs études montrent que, à composition égale, les chats consommant une alimentation très humide (taux d’humidité supérieur à 75 %) ingèrent davantage d’eau au cours de la journée et produisent plus d’urine, diminuant ainsi le risque de calculs, notamment d’oxalate de calcium [4, 7, 17]. Différents aliments peuvent alors être prescrits.
Les marques vétérinaires proposent des aliments complets physiologiques et diététiques à visée urinaire avec une humidité de plus de 75 % et des goûts et textures variés (pâtée en sachet, mousse, etc.). Buckley et ses collaborateurs ont étudié l’effet d’humidifier des croquettes à hauteur de 25, 53 et 73 % chez le chat : seule l’hydratation maximale a permis une augmentation significative de la quantité d’eau ingérée et de la production d’urine, en comparaison des croquettes non humidifiées (18 ml versus 9 ml d’urine par kilo et par jour) [4]. Il est donc possible de mouiller les croquettes avec de l’eau jusqu’à l’obtention d’une soupe pour avoir une teneur en eau supérieure ou égale à 75 %, mais cela peut être difficile à faire accepter au chat.
Chez le chat, une ration ménagère adaptée (par exemple 60 % de blancs de poulet + 30 % de courgettes + 3 % de flocons d’avoine cuits + 0,1 % de sel + 5 % d’huile de colza + 2 % de Vit’i5 Bleu®) réduit la saturation urinaire en oxalate de calcium de manière aussi efficace et plus homogène que les aliments industriels à visée urinaire (photo 2) [2]. De plus, cette ration couvre mieux le besoin en protéines des chats castrés et sédentaires, tout en apportant peu de matières minérales (encadré 1) [2]. C’est donc une solution à considérer même après un premier épisode d’urolithiase, notamment à oxalate de calcium. Elle peut par ailleurs être ajustée (formulation spécifique par un spécialiste en nutrition) pour prendre en compte une autre maladie, ou une hypercalcémie. Même en cas d’urolithiase, la ration ménagère doit être équilibrée à l’aide d’un complément minéral et vitaminé spécifique, avec calcium et sans phosphore, afin d’obtenir un ratio phosphocalcique supérieur ou égal à 1 dans l’alimentation finale. Sans complément minéral et vitaminé, le ratio calcium/phosphore sera nettement inférieur à 1, et le chat va maintenir sa calcémie en mobilisant ses réserves via la sécrétion de parathormone, conduisant à une hyperparathyroïdie secondaire, à la fragilisation des os, et à une excrétion plus élevée de calcium et de phosphore dans les urines.
Cette option moitié industrielle, moitié ménagère est séduisante, efficace, et moins contraignante pour le propriétaire que la ration ménagère seule (photo 3). Une condition est toutefois impérative : l’ensemble doit être équilibré et la partie ménagère doit contenir un complément minéral et vitaminé adapté (avec calcium, sans phosphore et en quantité ajustée), puisque la partie industrielle ne compense jamais le déséquilibre de viande et de légumes de la ration ménagère.
La courgette est riche en eau, contient peu d’acide oxalique, et est appréciée du chat. Il est démontré que la consommation de ce légume peu calorique (16 kcal pour 100 g), à hauteur de 10 g de courgettes par kilo de poids et par jour, diminue la saturation urinaire en oxalate de calcium [2]. L’astuce consiste à proposer quelques dés de courgettes (5 mm de côté), crus ou peu cuits, une fois par jour, puis d’augmenter progressivement la quantité.
L’ajout de sel dans l’aliment est une méthode retenue par certains fabricants pour augmenter la consommation d’eau [2, 15, 17, 18]. L’effet sur la dilution urinaire apparaît seulement pour un taux de sel très élevé (plus de 2 % de la matière sèche) et les aliments secs enrichis en sel ne sont pas recommandés en première intention par l’American College of Veterinary Internal Medicine (Acvim) [15].
Pour les chats qui n’ont pas accès à l’extérieur, le logement devrait compter une litière de plus que le nombre de félins. Les bacs doivent être facilement accessibles, entretenus tous les jours et la litière changée régulièrement. La forme ou la hauteur du bac et le type de litière doivent être adaptés aux préférences du chat, qui peut être gêné en cas de surpoids ou d’arthrose.
Après chaque repas, une vague alcaline postprandiale est observée, avec une augmentation du pH urinaire pendant quatre à six heures, proportionnelle au volume de la prise alimentaire [7, 17]. Fractionner la ration journalière en au moins quatre repas chez le chat permet de lisser ces variations de pH urinaire [15]. Ce fractionnement correspond au comportement naturel du chat, favorise son activité et est plus adapté à la distribution d’un aliment humide qui ne se conserve pas plus de deux heures à l’air libre (encadré 2) [8].
Il existe une corrélation entre l’obésité et l’incidence des urolithiases, notamment à oxalate de calcium et à urate [6, 13, 14]. Chez un chat en surpoids et souffrant d’urolithiase, l’alimentation doit être adaptée pour qu’il retrouve son poids optimal et pour prévenir la formation de calculs. Il existe des aliments diététiques vétérinaires à double objectif formulés pour résorber certaines urolithiases. Une ration ménagère ou mixte adaptée individuellement permet de gérer cette double situation pathologique, quels que soient les calculs et le niveau de surpoids grâce à l’adaptabilité individuelle de la composition.
Les besoins nutritionnels doivent toujours être couverts : en énergie pour maintenir ou atteindre le poids optimal, en protéines pour maintenir la masse maigre et les fonctions liées (au moins 5 g/kg par jour chez le chat) [13]. Jouer sur la composition de l’alimentation permet de limiter la saturation urinaire en précurseurs et d’acidifier ou d’alcaliniser le pH urinaire (photo 4 et tableau 1) [15, 17].
Pour chaque type de cristaux, la supersaturation relative (RSS), qui intègre les teneurs en précurseurs, la densité urinaire et le pH urinaire, peut être évaluée [16, 17] :
– sous-saturation : dissolution (si possible), pas de croissance des cristaux existants, pas de nouveaux cristaux ;
– état métastable : croissance lente, pas de nouveaux cristaux ;
– supersaturation : croissance, formation de nouveaux cristaux.
Lors de calculs mixtes, les adaptations nutritionnelles se font selon la nature du cœur du calcul. Après la mise en place de ces mesures, des contrôles mensuels sont à effectuer avec une pesée et une analyse urinaire (pH, densité urinaire, culot sur les urines du matin plus concentrées) ainsi qu’un ajustement de l’alimentation au besoin (encadré 3).
Les études épidémiologiques menées dans différents pays montrent que la race, la stérilisation, le mode de vie, l’état corporel et le type d’alimentation sont des facteurs de risque d’urolithiase [3, 5, 9, 10, 12]. Ces éléments permettent d’identifier des profils à risque pour lesquels il serait intéressant de proposer une consultation de nutrition préventive (photos 5a et 5b, tableau 2). De plus, certaines pratiques alimentaires sont particulièrement à risque. Kennedy et ses collaborateurs ont notamment montré que, chez le chat, une alimentation constituée à plus de 75 % de croquettes (aliment sec) multiplie par 15,9 le risque de formation d’urolithes urétéraux par rapport à une alimentation mixte ou totalement humide [11]. Compte tenu des connaissances actuelles, certaines pratiques alimentaires identifiées lors du bilan nutritionnel doivent être modifiées, grâce à une prescription nutritionnelle individuelle.
– Alimentation sèche au-delà de 75 % : limiter la quantité d’aliment sec disponible, prescrire une partie humide (aliments industriels humides, ajout de courgettes, moitié ménagère équilibrée) et préciser comment fractionner les repas. Si le chat ne mange que deux fois par jour, la ration doit être fractionnée en au moins quatre repas (encadré 2).
– Aliments industriels humides avec beaucoup de minéraux : les matières minérales ne devraient jamais excéder 12 % de la matière sèche (MS) en alimentation humide (% minéraux/MS = % cendres brutes pour 100 g d’aliment / (100-humidité) × 100) et il convient là encore de fractionner les repas [7].
– Régime Barf (biologically appropriate raw food) : cette alimentation à base d’os charnus, parfois broyés, conduit à un équilibre minéral douteux. Proposer une ration ménagère bien équilibrée, sans féculent mais avec un complément minéral vitaminé et des courgettes, permet de concilier les attentes des propriétaires vis-à-vis du Barf à la bonne santé de leur animal. Pour remplacer le complément minéral vitaminé, il faut, sans garantie de composition, mélanger de l’os broyé, du foie, des rognons, de la cervelle et de la levure de bière.
– Ration ménagère non équilibrée : rééquilibrer la ration passe par la prescription d’un complément minéral vitaminé adapté (CMV avec un ratio Ca/P égal à 2 ou 3 en accord avec la recommandation actuelle de l’apport en phosphore pour les jeunes et les adultes, et sans phosphore pour les seniors).
– Passage à une alimentation sèche : chez un chat à risque de calculs, mieux vaut éviter de passer d’un aliment humide à un aliment sec. S’il est impossible de conserver une partie humide, ajouter au moins 10 g de courgettes par kilo de poids vif, et choisir une alimentation sèche adaptée, diététique, à distribuer en quantité limitée et fractionnée. Dans tous les cas, la transition devra se faire sur deux à trois semaines pour que l’animal s’habitue à boire plus (ce qui peut être mesuré).
Conflit d’intérêts : les auteurs sont employés de la société Vet-Nutrition, mais ne s’expriment pas en son nom dans cet article.
• Les conditions
– Formulation de la ration par un spécialiste en nutrition.
– Prescription écrite avec toutes les informations permettant sa mise en œuvre.
– Bonne observance par les propriétaires.
• Les avantages
– Une ration ménagère diététique adaptée est une option à considérer dans plusieurs situations : lorsque le propriétaire le demande spontanément, lorsque le chat a déjà ce type d’alimentation, lors de récidive de l’affection urinaire avec une alimentation industrielle, en cas de refus de consommation d’un aliment industriel adapté, lorsque la ration ne permet pas de couvrir les besoins, de maintenir le poids ou la qualité du pelage, etc.
– Une ration ménagère peut être ajustée en présence de plusieurs entités pathologiques (urolithiase et diabète, insuffisance rénale, arthrose, hypercalcémie, etc.).
– Il s’agit d’une solution moins onéreuse qu’une alimentation industrielle humide.
– Une ration ménagère peut être congelée en portion à décongeler au réfrigérateur, ce qui limite son temps de préparation à moins d’une heure par semaine.
Le praticien peut proposer au propriétaire de répartir la ration de croquettes dans un distributeur à six cases qui s’ouvrent à des heures réparties sur le nycthémère, et la ration humide journalière en quatre repas au moins : le matin au lever, le matin avant de quitter le domicile, au retour au domicile quelle que soit l’heure, avant de se coucher. Une fois le fractionnement mis en place et accepté, des dés de courgettes peuvent être laissés en plus, dans un récipient dédié, au moins matin et soir, quel que soit le type d’alimentation distribué.
Dans tous les cas, les auteurs suggèrent de procéder à une consultation de suivi, au plus tard un mois après la première prescription nutritionnelle. Elle permet de valider la bonne mise en œuvre de la nouvelle alimentation, le respect des quantités et du fractionnement de la distribution, etc.
Le degré d’hydratation de l’animal, le type d’alimentation, la saturation urinaire en précurseurs de cristaux et le pH urinaire sont des éléments qui participent à la formation des calculs urinaires chez le chat. Les mesures nutritionnelles adaptées jouent sur ces facteurs pour aider à prévenir les récidives et participer au traitement lorsque les calculs peuvent être dissous. En l’absence d’obstruction urinaire, la recommandation valable pour tous les urolithes est la prescription d’une alimentation humide majoritaire (au-delà de 75 % du besoin énergétique), dès le premier épisode. Une ration ménagère bien adaptée est très efficace et présente l’avantage de pouvoir être ajustée même dans une situation complexe, ou pour traiter le surpoids en parallèle. Le fractionnement des repas et le retour au poids optimal en cas de surpoids sont également à recommander dès le premier épisode. Le taux de récidives étant élevé, les chats affectés doivent conserver une alimentation adaptée à long terme. La bonne connaissance des facteurs de risque d’urolithiase que sont la race, la sédentarité, le statut physiologique, le surpoids et une alimentation majoritairement sèche permet au praticien d’identifier les animaux à risque et de proposer des adaptations nutritionnelles afin de participer à la prévention de cette maladie.