GASTRO-ENTÉROLOGIE
Gastro-entérologie
Auteur(s) : Marc Massal*, Julien Trnka**, Davy Sfez***
Fonctions :
*(CEAV de médecine interne)
**Alphavet
31 avenue Frédéric de Candale
33260 La Teste-de-Buch
***(CES orthopédie,
master II sciences chirurgicales)
****MermozVet
76 rue Marius Berliet
69008 Lyon
*****(CES orthopédie)
94080 Vincennes
Le traitement du léiomyosarcome gastrique, très rarement observé chez le chat, fait appel à une exérèse large et à un suivi échographique régulier. Ce cas est le deuxième rapporté dans la littérature scientifique.
Les principales tumeurs digestives félines sont le lymphome et l’adénocarcinome. Les tumeurs gastriques mésenchymateuses (léiomyome, léiomyosarcome) sont rarissimes chez le chat. Cette description rapporte un cas de léiomyosarcome gastrique chez un chat traité par une exérèse (pylorectomie associée à une gastro-duodénostomie).
Un chat européen mâle castré, âgé de 12 ans, est présenté pour des vomissements chroniques observés depuis un mois, sans perte de poids associée. L’animal vit en intérieur strict. Son appétit est conservé. Une réponse partielle au traitement symptomatique mis en place par le vétérinaire traitant, à base de citrate de maropitant (Cerenia®, à la dose de 1 mg/kg par voie sous-cutanée) et de métoclopramide (Emeprid®, à raison de 0,5 mg/kg matin et soir par voie orale pendant cinq jours), a été observée.
À l’examen clinique, le chat apparaît en bon état général, normotherme. Les muqueuses sont roses. L’examen cardio-vasculaire et l’auscultation pulmonaire ne montrent aucune anomalie. À la palpation, l’abdomen est souple mais source d’un inconfort associé à un effet de masse dans la région craniale droite.
Les vomissements chroniques combinés à la présence d’une masse abdominale craniale orientent le diagnostic vers une masse digestive (inflammatoire, tumorale), hépatique, pancréatique ou moins probablement surrénalienne.
Un bilan biochimique est effectué, incluant le dosage de l’urée, de la créatinine, des phosphatases alcalines (PAL), de l’alanine-aminotransférase (Alat), des protéines totales, de l’albumine et de la glycémie, mais il ne révèle pas d’anomalie. Une numération et formule sanguine aurait pu aussi être réalisée, étant donné l’âge de l’animal.
L’imagerie médicale Pour explorer l’origine de la masse, une échographie abdominale est décidée. L’examen échographique met en évidence une masse de 1,7 × 2,2 cm, provenant de la paroi gastrique au niveau de l’antre pylorique, qui fait protrusion dans la lumière de l’estomac. La masse apparaît hétérogène et entraîne une obstruction partielle. Aucune adénopathie satellite n’est observée. L’examen d’imagerie permet ainsi d’identifier une masse d’origine gastrique à l’origine d’une substruction digestive, gênant la vidange de l’estomac (photos 1 et 2).
Afin de déterminer la nature de la masse, une cytoponction échoguidée à l’aiguille fine est réalisée sous anesthésie gazeuse (isoflurane). L’examen cytologique met en évidence une inflammation périlésionnelle peu spécifique qui ne permet pas de conclure sur la nature de la masse. Bien que le lymphome gastrique soit la tumeur de l’estomac la plus courante, l’absence de cellules rondes à la cytologie n’est pas en faveur de ce type d’infiltration. Les tumeurs à cellules rondes desquament, elles sont donc souvent visibles à l’analyse cytologique, par comparaison avec les tumeurs mésenchymateuses. Un adénocarcinome, une fibroplasie éosinophilique sclérosante, un mastocytome, un léiomyosarcome ou léiomyome, un polype bénin adénomateux ou encore un plasmocytome sont alors envisagés. La réalisation d’une gastroscopie, dans le but de pratiquer des biopsies et d’orienter le diagnostic, est proposée mais rejetée par les propriétaires. Après discussion, une exérèse suivie d’une analyse histologique est planifiée. Les risques inhérents à cette intervention et ses potentielles complications graves sont évoqués. En raison du caractère subocclusif de la masse et de la possibilité d’un échec du traitement médical, les propriétaires ont choisi l’intervention chirurgicale.
Dans le cadre du bilan d’extension, les radiographies thoraciques effectuées (trois vues, deux de profil et une de face) ne montrent pas de métastases radiovisibles.
Une exérèse de la masse est réalisée afin d’obtenir un diagnostic histologique tout en effectuant un geste à visée thérapeutique. L’animal reçoit une prémédication à base de morphine (à raison de 0,2 mg/kg) et de diazépam (à la dose de 0,2 mg/kg). L’induction de l’anesthésie est assurée à l’aide de propofol (titration pour réaliser l’intubation) avant un relais gazeux avec de l’isoflurane. Une antibioprophylaxie (amoxicilline-acide clavulanique à la posologie de 20 mg/kg par voie intraveineuse trois fois par jour) est également mise en place.
Une laparotomie est pratiquée afin de visualiser l’estomac et le duodénum descendant. La masse est visualisée et son degré d’extension évalué par palpation (photo 3). Le canal cholédoque est identifié et la papille duodénale majeure est repérée en lien avec le trajet du canal cholédoque. Le segment anormal, qui comprend le pylore, est individualisé par deux drains de Penrose avec une marge d’environ 10 mm de part et d’autre de la masse. Le drain distal est placé à 5 mm en amont de l’entrée du canal cholédoque, dans la séreuse duodénale. Une attention particulière est portée au canal cholédoque et au pancréas pour éviter de les léser. L’artère gastro-duodénale et la veine pancréatico-duodénale craniale sont identifiées et préservées. Les artères et les veines gastro-épiploïques droites et gastriques droites sont identifiées et sectionnées après une hémostase sur leur portion pylorique et duodénale proximale (zone d’exérèse). À l’issue de la pylorectomie, une anastomose gastro-duodénale est réalisée par des sutures sur deux couches (photo 4). La muqueuse est suturée en deux hémisurjets puis la séreuse et la sous-muqueuse par des points simples à l’aide d’un fil monofilament 4-0 (polydioxanone). L’étanchéité est contrôlée par l’injection de sérum physiologique au niveau du site d’anastomose. Un rinçage abdominal complet est effectué, puis l’abdomen est refermé. La masse apparaît bien circonscrite, avec une croissance intraluminale (photos 5a et 5b).
L’intervention et la période postopératoire se déroulent sans complication. La douleur est prise en charge à l’aide de morphine, à la posologie de 0,2 mg/kg toutes les quatre heures par voie intraveineuse lente. Un traitement antibiotique (amoxicilline-acide clavulanique à raison de 20 mg/kg par voie intraveineuse trois fois par jour) et antiémétique (maropitant à la dose de 1 mg/kg une fois par jour) est mis en place. Une reprise de l’alimentation spontanée est observée vingt-quatre heures après l’intervention. Elle est donnée de manière fractionnée (toutes les quatre à six heures) afin de limiter le risque de vomissements. Le chat sort d’hospitalisation trois jours après l’exérèse avec la poursuite de l’antibiothérapie par voie orale pendant sept jours. L’analyse histologique identifie un léiomyosarcome gastrique qui prend naissance dans la musculeuse gastrique. Les marges d’exérèse sont saines.
Vingt et un jours après l’intervention, le chat présente un bon appétit sans vomissements. À trois mois postopératoires, l’animal est en bon état général, ne présente plus de vomissements et une prise de poids (200 g) est notée. L’échographie de contrôle ne montre aucun signe de récidive ou d’adénopathie satellite. Deux ans après l’intervention, aucun vomissement n’est rapporté et le poids reste stable.
Les principales tumeurs intestinales félines sont le lymphome (47 %) et l’adénocarcinome (27 %) [10]. Les léiomyosarcomes digestifs sont rares chez le chat (14 cas sur 1 311), avec une répartition égale entre l’intestin grêle et le côlon [10]. Un seul cas de léiomyosarcome gastrique félin a été rapporté récemment [6].
Les signes cliniques sont souvent peu spécifiques. Lors de léiomyosarcome digestif félin, un amaigrissement et une dysorexie sont décrits. Une masse digestive est quelquefois détectée à la palpation abdominale [1, 6]. Chez le chien, les signes observés sont une anorexie, un abattement, des vomissements, un amaigrissement, une distension abdominale et une diarrhée, avec une présentation clinique aiguë dans la majorité des cas [3]. Une hypoglycémie (43 %) ou une polyuro-polydipsie (36 %) peuvent aussi être observées [3]. L’hypoglycémie est parfois majorée lors d’un phénomène septique secondaire à une perforation gastrique. Dans le cas présenté, les vomissements chroniques étaient associés à un effet de masse observé au sein de l’abdomen cranial.
L’échographie est à privilégier pour l’identification d’une masse abdominale détectée à l’examen clinique, car c’est un examen non invasif qui permet la réalisation d’un bilan d’extension. À l’échographie, les léiomyosarcomes gastriques visualisés sont généralement de grande taille (plus de 3 cm). Affectant la totalité de l’épaisseur de la paroi gastrique, ils sont souvent localisés au niveau de l’antre pylorique [9, 13]. L’origine est intrapariétale, avec une croissance extraluminale ou moins souvent intraluminale susceptible de provoquer une subostruction [9]. Dans l’unique cas décrit chez le chat, la masse était présente au niveau du pylore et faisait protrusion dans la lumière gastrique, comme dans notre cas [6].
À l’endoscopie, ce type de tumeur apparaît sous la forme d’une masse indurée avec une muqueuse à l’aspect normal, potentiellement ulcérée ou pas [13]. Les ulcérations observées lors de léiomyome ou léiomyosarcome gastrique ont un aspect en cratère, avec des bords surélevés [13]. Les tumeurs qui infiltrent seulement la muqueuse, comme le lymphome, sont le plus souvent non diagnostiquées à l’échographie en raison de la difficulté à les différencier d’une infiltration inflammatoire [8, 9, 13]. Lors de localisation gastrique, l’endoscopie permet d’identifier la quasi-totalité des tumeurs, à la différence de l’échographie (95 % versus 50 %) [8]. Les deux examens sont complémentaires, en particulier pour localiser et caractériser une tumeur gastrique [8].
La cytoponction à l’aiguille fine apparaît moins conclusive dans le cas de tumeurs gastriques par rapport à des tumeurs intestinales, en lien avec une inflammation concomitante ou la présence de nécrose [2]. La sensibilité est, en règle générale, plus importante dans le cas de lymphome gastrointestinal (71 %) qu’en présence d’un léiomyome ou d’un léiomyosarcome (44 %) [2]. En revanche, la cytologie présente une spécificité de 100 %, rendant l’examen intéressant avec très peu de faux positifs [2].
Les biopsies endoscopiques permettent d’établir un diagnostic dans 59 % des cas de tumeur gastrique [8]. Le facteur limitant vient du fait que les biopsies endoscopiques sont de petite taille et que l’accès aux couches plus profondes est difficile. Ainsi, l’échographie apparaît comme un examen approprié, en première intention, pour évaluer la probabilité d’établir un diagnostic via des biopsies par endoscopie. Dans le cas présenté, la réalisation d’une endoscopie a été discutée après les résultats non conclusifs de la cytologie, mais la réalisation d’une exérèse a été préférée par le propriétaire en raison du risque de biopsies non conclusives. De plus, en l’absence de métastases observées, l’exérèse permettait la réalisation d’un geste à la fois diagnostique et potentiellement thérapeutique, en particulier dans les cas d’adénocarcinome, de fibrose éosinophilique sclérosante et de léiomyosarcome pour lesquels l’exérèse est le traitement de choix [4, 7]. En cas de lymphome ou de fibrose éosinophilique sclérosante, un traitement médical aurait pu être privilégié en l’absence d’occlusion secondaire à la masse, et/ou en phase postopératoire [4, 7].
La prise en charge de ce genre de tumeur, au sens large, repose sur une exérèse [14]. Dans le cas rapporté en 2018, aucune complication n’a été observée après la réalisation d’une pylorectomie associée à une gastro-duodénostomie (Billroth 1) [5]. Cette intervention est rare. Elle peut être pratiquée lors de sténose pylorique ou de perforation duodénale proximale [11, 12]. Chez le chien, le pronostic à court terme semble plutôt bon (75 % de survie à quatorze jours) [5]. Les principales complications sont la déhiscence des sutures avec une péritonite septique (8,3 %), une atonie gastrique ou une obstruction persistante [5]. L’amaigrissement en phase préopératoire représente un facteur pronostique négatif pour la période postopératoire immédiate. L’hypoalbuminémie (risque de déhiscence majoré) ainsi que la réalisation d’une pancréatectomie concomitante sont aussi des facteurs pronostiques négatifs. La présence d’une infiltration tumorale n’a pas d’influence sur la mortalité en phase postopératoire immédiate, mais elle assombrit le pronostic à long terme, justifiant la nécessité d’établir un diagnostic préopératoire lorsque cela est possible [5].
Le pronostic semble bon après l’exérèse. D’après l’unique cas de léiomyosarcome gastrique rapporté chez le chat, aucun signe de récidive ou de métastase n’a été observé six mois après l’intervention [6]. Une récidive locale a été notée 102 jours après l’exérèse lors d’une localisation intestinale chez un chat [1]. Une exérèse large s’impose pour prévenir les récidives. Un contrôle échographique tous les deux à trois mois est recommandé après l’exérèse [9].
Dans le cas présenté, aucune récidive n’a été observée après trois mois et aucun signe clinique après deux ans. Le pronostic peut être considéré comme bon après le retrait chirurgical.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Les léiomyosarcomes gastriques sont très rares chez le chat.
• La cytologie est peu fiable lors de tumeurs gastriques, en particulier mésenchymateuses.
• Une exérèse large est le traitement chirurgical de choix lors de léiomyosarcome digestif.
• Le pronostic associé à l’exérèse semble bon, d’après ce cas et un autre précédemment décrit.
La prise en charge des léiomyosarcomes gastriques repose sur une exérèse large. Lors de localisation pylorique, l’intervention est complexe, notamment en matière de marges, mais elle n’a pas généré de complications dans notre cas, ni dans celui précédemment décrit. Une surveillance échographique régulière reste recommandée par la suite afin d’évaluer l’absence de récidive. Le pronostic semble plutôt bon avec, dans les deux cas décrits, une absence de récidive clinique à long terme.