CHANGEMENT DE PARADIGME - Le Point Vétérinaire n° 446 du 01/10/2023
Le Point Vétérinaire n° 446 du 01/10/2023

Spécial 50 ans

Auteur(s) : Marine Neveux

Comment la réalité virtuelle peut-elle avoir une application dans l’apprentissage de la pratique vétérinaire et en quoi se distingue-t-elle des méthodes traditionnelles ? Éclairage du professeur et médecin Nguyen Tran, cofondateur de l’École de chirurgie de Nancy et de l’hôpital virtuel de Lorraine, et de Patrick Bergeaud (A 74), enseignant à l’école de chirurgie de Nancy et membre du comité exécutif de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), qui travaillent conjointement à faire évoluer la formation vétérinaire avec les nouveaux outils de la réalité virtuelle.

Sommes-nous face à un changement de paradigme en matière d’enseignement vétérinaire ? Nguyen Tran ambitionne de mettre en place un centre de formation vétérinaire international fondé sur la simulation, donc sur la réalité virtuelle. En tant que professionnel de santé, il estime en effet que le modèle pédagogique doit changer : « Nous sommes en train de vivre un bouleversement, l’enseignement tel que nous l’avons connu, avec une transmission verticale exclusivement par l’intermédiaire du maître, c’est terminé. Le monde virtuel en cours de construction est un adjuvant éducatif fantastique ! »

LES ATTENTES AU NIVEAU DE LA FORMATION

Mais qu’attendre du virtuel appliqué à la formation initiale ? « L’enseignement doit être pratique, affirme sans hésitation Nguyen Tran. Or le système éducatif actuel est très éloigné de la pratique. En médecine humaine par exemple, les premières années sont essentiellement consacrées à la théorie. » Dans ce contexte, « le numérique va avoir un effet fantastique. Les professionnels de santé ont besoin du compagnonnage » et la réalité virtuelle permettra de répondre à cette attente.

La formation repose selon lui sur trois prérequis :

– l’exigence des meilleurs soins pour le patient, ce qui nécessite que le professionnel de santé soit le plus expérimenté possible. « Avec l’aide des nouvelles technologies, la chirurgie mini-invasive, la robotique, l’évolution constante des techniques exige du professionnel qu’il se forme en permanence et régulièrement » ;

– la certification des professionnels, qui garantit leur future mobilité. « Le numérique va également permettre cela » ;

– une vision plus éthique, y compris en santé humaine. « Il faut travailler sur d’autres substituts que les animaux, et le monde numérique va pouvoir nous l’offrir. »

LES ATOUTS DE LA SIMULATION COGNITIVE

Malgré tout cela, l’objectif est de former « un être vivant qui va soigner un autre être vivant, donc il y a tout un accompagnement émotionnel à envisager », poursuit Nguyen Tran. Dans ce cadre, « la meilleure façon d’apprendre, c’est la simulation cognitive ». Cette méthode de conceptualisation des théories ne peut pas reproduire à l’heure actuelle la totalité des sensations du chirurgien, mais la réalité augmentée est là pour guider le professionnel ou l’élève. L’apprentissage en réalité virtuelle offre aussi d’autres atouts : « On peut modéliser de façon inimaginable de nombreux cas cliniques, répéter un geste jusqu’à ce qu’il devienne un automatisme, l’améliorer, augmenter sa capacité à élaborer des hypothèses puis à les vérifier. Sur les simulateurs, tous les paramètres techniques sont enregistrés, on progresse de façon autonome, bienveillante et objective, avec un retour d’expérience quasi immédiat. »

En résumé, les simulateurs permettent un apprentissage actif, personnalisé et objectif, avec une rétro-analyse rapide, une meilleure efficience et une relation moins intimidante entre l’enseignant et l’apprenant…

DAVANTAGE D’INTERACTIONS

Selon Nguyen Tran, le métavers va permettre aux professionnels de santé de se rencontrer dans le monde virtuel avec toutes les codifications du présentiel et de manière interactive, « ce qui rend les choses vraies ». Cet univers virtuel « crée des opportunités de rencontres, ce qui est très différent du cours à distance qui est l’ennui en version numérique ! ». Et de poursuivre : « En chirurgie, on a besoin de regarder les autres opérer. Se projeter dans le bloc opératoire et s’y promener, cela permet de voir comment le chirurgien s’organise, comment est disposée la salle d’opération, on a une vision détaillée de l’intervention, et la proximité avec le formateur permet de l’observer en temps réel durant la procédure. Ça, c’est l’avenir ! Le vrai compagnonnage, c’est regarder comment fait le maître. Et vice versa, l’enseignant peut aller voir comment l’apprenant progresse et superviser ses exercices. »

La réalité numérique offre ainsi un apprentissage beaucoup plus interactif, qui permet au novice de s’améliorer à partir de ses erreurs.

ACQUÉRIR LES GESTES SANS STRESS

Patrick Bergeaud a développé des cours d’endoscopie à l’école de chirurgie de Nancy. « Nous voulons que les apprenants se retrouvent dans des conditions les plus proches possibles du réel, mais sans subir le stress de la première fois, explique-t-il. Il faut permettre aux personnes qui viennent se former d’assimiler les gestes opératoires, d’essayer, d’échouer, de faire des erreurs, mais de pouvoir recommencer tranquillement autant de fois qu’elles le veulent pour acquérir des automatismes, et bien sûr de bénéficier de l’accompagnement d’un tuteur à leurs côtés. » L’objectif est de former ses propres circuits neuronaux, d’apprendre puis de perfectionner ses gestes via la simulation avant de les effectuer pour la première fois sur les patients.

Dans le domaine de l’endoscopie, les apprenants vont passer par différents ateliers et commencer à acquérir les gestes de base (photos). « Ils ne regardent pas ce que font leurs mains, mais ce qu’elles produisent comme effet sur un écran, détaille notre confrère. Il s’agit d’abord de manipuler des outils très simples, des boîtes qui permettent à l’apprenant de découvrir ce que génèrent ses gestes, mais il peut aussi s’entraîner sur des organes isolés. » Il existe ainsi des simulateurs numériques qui permettent d’évoluer dans un intestin, un estomac, des bronches, de manière très proche de la réalité, et de réaliser des exercices qui seront évalués. « On peut rester le temps que l’on veut sur l’appareil. » Pour le moment, ces simulateurs numériques ne sont pas spécifiquement vétérinaires, mais leur développement est en cours. « Il existe des simulateurs pour la coelioscopie, l’arthroscopie, l’hystéroscopie. Des organes synthétiques sont en train d’être mis au point, mais aussi des simulateurs pour la sphère O.R.L., l’ophtalmologie, l’implantologie dentaire, etc. » Pour Patrick Bergeaud, « les gestes du chirurgien seront à l’avenir d’une précision augmentée, notamment en chirurgie mini-invasive ».