OPHTALMOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Guillaume Payen
Fonctions : (dipECVO)Service d’ophtalmologie
Centre hospitalier vétérinaire Frégis
9 rue de Verdun
94250 Gentilly
Lors d’uvéite, la réalisation précoce d’examens complémentaires peut permettre d’établir le diagnostic étiologique et d’améliorer le pronostic lorsqu’une maladie systémique est en cause.
Le premier article de ce dossier a montré la diversité des signes cliniques associés aux uvéites chez le chien et le chat, tandis que le deuxième a mis en lumière un grand nombre de causes susceptibles de provoquer une inflammation intraoculaire. Ce troisième article a pour objectif de cibler les examens complémentaires en cas d’uvéite afin d’établir un diagnostic étiologique. Les examens non spécifiques mentionnés sont adaptés, à quelques nuances près, au chien comme au chat, alors qu’une partie des examens spécifiques (sérologiques notamment) sont propres à une espèce.
Avant l’examen des yeux, un examen clinique complet est indispensable, car il peut permettre d’orienter le diagnostic et le choix des examens complémentaires, notamment (mais pas seulement) en cas de présence concomitante de signes systémiques. Tout d’abord, les propriétaires doivent être interrogés sur l’existence éventuelle de signes de dégradation de l’état général tels qu’une baisse d’entrain, une diminution de l’appétit, des troubles digestifs, une toux ou des difficultés respiratoires. L’examen général doit donc être exhaustif, en attachant une importance particulière à la palpation de tous les nœuds lymphatiques. Un examen attentif des muqueuses doit rechercher d’éventuelles pétéchies et des signes d’anémie (photo 1). Une adénomégalie conforte ainsi l’hypothèse d’une affection systémique, comme une maladie vectorielle transmise par les tiques, une leishmaniose ou un lymphome. La palpation abdominale et l’auscultation thoracique révèlent parfois des manifestations cliniques indiquant la présence d’un foyer inflammatoire, infectieux, voire tumoral. Une hyperthermie est également compatible avec une maladie systémique, de nature infectieuse notamment.
L’examen ophtalmologique doit être le plus exhaustif possible (biomicroscopie et ophtalmoscopie, test de Schirmer, mesure de la pression intraoculaire, test à la fluorescéine) car certaines lésions peuvent avoir un impact sur les choix thérapeutiques. Si la pression intraoculaire n’est pas “augmentée”, il est fortement recommandé de dilater les pupilles à l’aide de tropicamide en collyre. En cas d’uvéite, un spasme irido-ciliaire limite ou retarde la dilatation pupillaire. Il peut donc être indiqué de procéder à plusieurs instillations (une goutte toutes les dix minutes) pour permettre une dilatation pupillaire compatible avec l’examen du segment postérieur et du fond d’œil. L’ophtalmoscope direct, ou idéalement la lampe à fente sont également utiles pour évaluer la chambre antérieure à la recherche d’un effet Tyndall, pathognomonique de l’uvéite antérieure. Comme évoqué précédemment(1), un certain nombre de lésions oculaires peuvent parfois orienter le diagnostic étiologique. Ainsi, la présence de larges précipités kératiques chez le chat est évocatrice d’une inflammation de nature granulomateuse, comme la péritonite infectieuse féline (PIF) ou la toxoplasmose. Un hyphéma sans traumatisme rapporté est compatible avec des troubles hématologiques, un lymphome ou une ehrlichiose. Une déformation de l’iris témoigne d’un infiltrat de nature tumorale. Toutefois, aucune lésion d’uvéite n’est spécifiquement reliée à une cause particulière.
Chez le chien, après un diagnostic lésionnel d’uvéite, il est recommandé de procéder à un examen sanguin complet, incluant un hémogramme et un profil biochimique, ainsi qu’à une analyse d’urine. Ces examens visent à rechercher des signes d’inflammation systémique ou de maladie sous-jacente afin d’établir un diagnostic étiologique (par exemple, une thrombocytopénie dans le cadre d’une maladie transmise par les tiques). De plus, certaines anomalies paracliniques peuvent être de nature à modifier le traitement prescrit. Par exemple, quelques valeurs biochimiques contre-indiquent le recours à des anti-inflammatoires non stéroïdiens par voie parentérale. De même, plusieurs maladies entraînent des modifications sanguines particulières (encadré 1). Une diminution significative du rapport albumine/globulines sanguines peut inciter le praticien à prescrire une électrophorèse des protéines sériques. Ainsi, de nombreuses maladies systémiques chroniques affichent souvent des pics globuliniques sur le profil électrophorétique (péritonite infectieuse féline, leishmaniose, ehrlichiose, cryptococcose, etc.).
La radiographie est utile en cas de traumatisme pour détecter la présence d’un projectile comme un plomb, mais aussi dans le cadre d’un bilan d’extension locorégional pour mettre en évidence une fracture orbitaire ou sinusale. Elle est aussi indiquée lors d’un bilan d’extension systémique lorsqu’une uvéite est associée à une maladie systémique, pour mettre en évidence des signes d’inflammation intrathoracique, ou des foyers tumoraux primitifs ou secondaires dans le thorax.
L’échographie oculaire est l’examen de choix pour évaluer les différentes structures de l’œil, notamment postérieures, face à un myosis serré ou à une opacité des milieux transparents. Elle permet ainsi de diagnostiquer une luxation du cristallin, un décollement de la rétine ou une tumeur intraoculaire, et de détecter la présence d’un exsudat vitréen.
L’échographie abdominale est indiquée dans le cadre d’un bilan d’extension systémique (recherche d’un foyer infectieux, inflammatoire ou tumoral à distance de l’œil). Toute uvéite peut en effet être associée à une maladie générale dans la mesure où l’œil est le seul viscère directement accessible de l’extérieur. Habituellement, cet examen complémentaire intervient en seconde ligne, après la réalisation des bilans d’orientation sanguin, hémato-biochimique et urinaire chez le chien, lorsque les résultats sont compatibles avec une affection systémique. Cet examen est également indiqué chez le chien et le chat lors de la suspicion d’un lymphome, ou quand la palpation abdominale révèle l’existence d’une anomalie.
Une hypertension artérielle systolique (supérieure à 160 mmHg) permet d’orienter le diagnostic dans le cadre de l’exploration de la cause d’un hyphéma, d’un décollement de la rétine ou d’hémorragies rétiniennes.
Lorsque l’examen clinique et/ou les examens paracliniques d’orientation (hémogramme, bilan biochimique sanguin, analyse d’urine) ont révélé des anomalies, d’autres examens complémentaires plus spécifiques sont indiqués. Ils incluent des examens sérologiques, d’imagerie, cytologiques, ainsi qu’un test de réaction de polymérisation en chaîne (PCR) sur un échantillon d’humeur aqueuse.
Des tests sanguins supplémentaires visant à rechercher des agents infectieux spécifiques doivent être
effectués selon les résultats de l’examen clinique, des données épidémiologiques et de la zone d’endémie (encadré 2).
Différentes sérologies peuvent être envisagées suivant les maladies suspectées.
La sérologie n’est jamais spécifique de la PIF. Néanmoins, une étude indique qu’un dosage d’anticorps supérieur à 1:3 200 est évocateur de cette maladie [3]. Elle peut également servir d’aide au diagnostic dans les populations félines à faible prévalence. Dans ce cas, la valeur prédictive positive de cet examen est correcte, mais insuffisante à elle seule pour établir le diagnostic [5]. La sérologie doit donc toujours être interprétée conjointement avec les résultats des examens biochimiques, hématologiques, ou de la PCR.
En pratique, le diagnostic de la leucose repose sur une mise en évidence immunologique. La méthode la plus utilisée est une technique Elisa fondée sur la mise en évidence de l’antigène spécifique soluble p27. Tester les animaux pour le virus FeLV est toujours indiqué en cas de suspicion de lymphome oculaire, le pronostic dépendant du statut de l’animal. Néanmoins, un résultat positif ne prouve pas que l’uvéite est secondaire à l’infection. Inversement, un test négatif ne peut exclure l’hypothèse de lymphome oculaire dans la mesure où 20 à 70 % des animaux atteints sont FeLV négatifs. Toute la difficulté réside donc dans l’association diagnostique d’une sérologie positive et des signes cliniques de l’uvéite [9].
Comme pour la leucose féline, l’absence de spécificité des symptômes lors d’infection par le FIV ne permet que d’émettre une hypothèse diagnostique qui doit être obligatoirement infirmée ou confirmée par la réalisation d’un test sérologique [9]. La détection d’anticorps dirigés contre le FIV ne prouve pas que l’uvéite est secondaire à l’infection. Les autres causes d’uvéite doivent être exclues, notamment le développement d’affections opportunistes ou d’un lymphome uvéal.
Lors de toxoplasmose, les analyses sérologiques sont délicates à interpréter car le sérum de 60 % des chats (chiffre variable selon les effectifs) contient des immunoglobulines G (IgG) spécifiques. La recherche combinée des IgG et des IgM semble donner les meilleurs résultats pour le diagnostic d’une infection clinique à Toxoplasma gondii. Un taux d’IgM élevé indique une infection récente. Toutefois, cette méthode diagnostique semble très limitée lors d’une forme oculaire de toxoplasmose [9]. À ce jour, le rôle de la toxoplasmose comme inducteur d’uvéite chez le chat est controversé.
L’implication du parasite est en effet très difficile à confirmer en cas d’uvéite et aucune publication n’a histologiquement démontré la présence du parasite dans l’œil de chats souffrant d’uvéite antérieure [2].
La cryptococcose est rare en France, mais des cas sporadiques sont toutefois recensés chez le chat comme chez le chien. Les signes oculaires sont le plus souvent localisés dans le segment postérieur (choriorétinite, décollement de la rétine). Une névrite optique est parfois observée. Un test d’agglutination au latex permet la détection des antigènes de la capsule. Cette méthode est très sensible chez le chat (à plus de 90 %) et le titre en anticorps est corrélé à la gravité de la maladie. Ce titre peut également être utilisé pour contrôler la réponse thérapeutique. Le pronostic visuel est généralement sombre [4].
La ponction d’humeur aqueuse requiert une anesthésie générale dans la majorité des cas, car il s’agit d’un prélèvement invasif. Le matériel le plus simple et le plus pratique à utiliser pour cette procédure est une aiguille à injection hypodermique d’insuline de 16 mm de long et 5 à 8 mm de diamètre, montée sur la seringue à insuline correspondante (photo 2). Le niveau de l’anesthésie nécessaire étant relativement bas, il convient d’instiller préalablement sur la cornée une goutte d’anesthésique local. La cornée est désinfectée à l’aide d’une solution de povidone iodée diluée à 1 ou 2 %. La conjonctive bulbaire est saisie à l’aide d’une pince atraumatique (par exemple une pince de Graeffe) afin d’immobiliser le globe. La ponction est réalisée à environ 1 mm du limbe en territoire cornéen, mais elle peut aussi être effectuée juste en arrière du limbe au travers de la conjonctive bulbaire. L’orientation de l’aiguille doit être parallèle au plan sagittal (plan de l’iris). Cela permet d’éviter de léser l’iris ou le cristallin, et de tunnéliser en partie l’implantation. Cette tunnelisation empêche l’aiguille de s’implanter perpendiculairement à la cornée et limite ainsi les fuites d’humeur aqueuse après son retrait. Un maximum de 0,2 ml d’humeur aqueuse est aspiré, puis l’aiguille est retirée. En raison de la rupture de la barrière hémato-oculaire, des hémorragies limitées a vacuo (hyphémas) sont fréquentes, même en l’absence de ponction de l’iris, après le retrait de l’aiguille. Elles sont consécutives à la chute brutale de la pression intraoculaire provoquée par l’aspiration d’humeur aqueuse. Ces hyphémas se résorbent rapidement sans laisser de séquelles.
En général, l’examen cytologique de l’humeur aqueuse ne fournit pas de renseignements spécifiques susceptibles d’orienter le diagnostic, sauf en cas de lymphome, pour lequel la ponction d’humeur aqueuse permet l’identification de lymphocytes tumoraux, car les cellules tumorales s’exfolient facilement dans l’humeur aqueuse [10]. La sensibilité de ce test est donc relativement bonne dans cette indication. L’identification de cellules tumorales pour les autres tumeurs uvéales est néanmoins très limitée. Ainsi, une étude sur un échantillon d’humeur aqueuse n’a pas montré de différences cytologiques significatives chez des chats atteints d’uvéite associée à une PIF et chez ceux atteints d’une uvéite idiopathique [7].
Le dosage d’anticorps est surtout utilisé dans le cadre de l’exploration d’une suspicion de toxoplasmose, pour rechercher une production locale d’anticorps. Une pondération du taux d’anticorps dans l’humeur aqueuse par un dosage sérologique permet d’obtenir le coefficient de Goldmann-Witmer. Toutefois, bien que le calcul de ce coefficient soit plus spécifique qu’une sérologie isolée, cet examen est rarement effectué car il est onéreux et relativement lourd à mettre en œuvre. En outre, même si un coefficient supérieur à 1 est théoriquement en faveur d’une forme oculaire de toxoplasmose, les recommandations actuelles incitent plutôt à prendre en considération des coefficients supérieurs à 8 [6].
Les techniques de PCR sur l’humeur aqueuse mettent en évidence certains agents infectieux intraoculaires, comme le coronavirus de la PIF et Toxoplasma gondii. Dans la mesure où aucune étude, à notre connaissance, n’a évalué jusqu’à présent la sensibilité d’une technique PCR sur un échantillon d’humeur aqueuse pour le diagnostic d’une PIF en cas d’uvéite, l’intérêt de ce test en pratique ne peut être précisé. Selon notre expérience, il n’est a priori pas d’une grande sensibilité. De même, concernant la toxoplasmose, bien que des antigènes aient déjà été identifiés dans l’humeur aqueuse (gène B1) de chats infectés par T. gondii, aucune étude ne démontre la sensibilité de ce test [6]. Ainsi, de tels tests peuvent être utiles, mais aucun n’est fiable à 100 % et ils souffrent de certaines limites, dont leur sensibilité probablement peu élevée [7].
La paracentèse du vitré est généralement réservée aux cas pour lesquels le pronostic visuel est quasiment désespéré, en raison des risques non négligeables de complications (hémorragie oculaire, décollement et déchirure de la rétine) (figure). Étant donné la densité visqueuse du vitré, une seringue d’au moins 3 ml est utilisée pour créer une aspiration suffisante. Elle doit mesurer au minimum 30 mm de long et 7 à 10 mm de diamètre. Cependant, en cas d’inflammation, le vitré peut être liquéfié, ce qui facilite son aspiration.
L’animal est anesthésié et la partie dorso-latérale du globe est saisie à l’aide d’une pince atraumatique (de type pince de Graeffe) à 7 ou 8 mm en arrière du limbe après la désinfection à l’aide d’une solution de povidone iodée (dilution au cinquantième). Le globe est ponctionné 7 à 9 mm en arrière du limbe et l’aiguille est dirigée vers le centre du globe afin d’éviter la choroïde et la rétine. Le prélèvement est alors soumis à une analyse cytologique en cas de suspicion de lymphome ou de cryptococcose notamment. Une culture fongique ou une recherche d’antigènes peuvent aussi être réalisées lors de suspicion de cryptococcose.
Le frottis conjonctival est rarement indiqué en cas d’uvéite. Toutefois, il peut révéler des inclusions intracytoplasmiques de formes amastigotes de leish manies dans des cellules macrophagiques, permettant ainsi de diagnostiquer une leishmaniose (photo 3).
L’examen histologique du globe oculaire après l’énucléation est indiqué lorsque l’œil est douloureux et la vision perdue. Cet examen est réalisé à des fins diagnostiques. L’énucléation révèle parfois la cause de l’uvéite, contribue à une meilleure planification du traitement visant à prendre en charge une maladie systémique ou susceptible d’entraîner des lésions similaires à l’œil adelphe, et permet de préciser le pronostic vital.
La plupart des uvéites résultent d’un processus inflammatoire isolé à l’œil, à médiation immune chez le chien et “idiopathique” chez le chat. Toutefois, une démarche paraclinique raisonnée est indispensable pour explorer l’hypothèse d’une maladie systémique. En effet, dans un grand nombre de cas, la mise en évidence par les propriétaires de signes oculaires précède souvent l’expression clinique de signes d’atteinte de l’état général associés à ces maladies. La réalisation précoce d’examens complémentaires permet dans certains cas d’anticiper le diagnostic étiologique et d’influer ainsi sur le pronostic vital de l’animal.
Conflit d’intérêts : Aucun
En cas de péritonite infectieuse féline (PIF), une anémie modérée non régénérative, normochrome et normocytaire ainsi qu’une leucocytose avec lymphopénie (1 500 cellules/mm3) peuvent être mises en évidence. En phase terminale de la maladie, une leucopénie est parfois notée. Une hausse significative de la protéinémie (supérieure à 80 g/l) est observée dans 70 % des formes sèches de PIF [1]. Elle se caractérise par une hypergammaglobulinémie, voire par une hypoalbuminémie. Une perturbation de l’hémostase secondaire est également fréquente (augmentation des temps de Quick et de céphaline activée).
Lors d’infection par le virus de l’immunodéficience féline (FIV), les modifications hématologiques associées sont une anémie, une leucopénie, une neutropénie, et plus rarement une thrombopénie et une pancytopénie [8].
Des tests immunochromatographiques sont disponibles pour la détection des anticorps contre plusieurs agents pathogènes :
- Borrelia burgdorferi ;
- Ehrlichia canis ;
- Brucella canis (pour les animaux reproducteurs) ;
- Leptospira spp. ;
- Toxoplasma spp. ;
- Cryptococcus neoformans.