Pathologie de la reproduction en 10 étapes
Auteur(s) : Anne Gogny
Fonctions : Reproduction des animaux de compagnie
Centre hospitalier universitaire vétérinaire
Campus vétérinaire d’Oniris
101 route de Gachet
44300 Nantes
En cas de tumeurs mammaires, l’approche recommandée ne se limite pas à une exérèse. Elle doit aussi prendre en compte le comportement biologique de la tumeur.
Chez le chien comme chez le chat, les tumeurs malignes représentent une forte proportion des tumeurs mammaires (50 à 75 % des cas chez la chienne, 80 à 96 % chez la chatte), avec un potentiel métastatique élevé (93 % chez la chatte). Localement, l’infiltration métastatique concerne le plus souvent les nœuds lymphatiques axillaires et inguinaux, la glande mammaire controlatérale ou la peau. Les métastases à distance se développent dans 80 % des cas dans la cavité thoracique, mais elles peuvent aussi atteindre le foie, la rate, les reins, les glandes surrénales, l’encéphale et les os.
Bien que des signes tels que l’évolution rapide, la taille de la tumeur ou l’ulcération locale soient considérés comme des critères de malignité, différencier avec certitude les tumeurs mammaires bénignes des tumeurs malignes uniquement sur la base du tableau clinique se révèle quasi impossible (photo). Ainsi, l’analyse histologique de la masse entière après son exérèse est l’examen complémentaire de référence. La plupart des autres examens envisageables affichent une sensibilité ou une spécifi- cité très médiocres pour discriminer les tumeurs malignes (tableau 1). L’analyse cytologique peut néanmoins aider à déterminer si la masse concerne effectivement le tissu mammaire lorsque l’examen clinique ne permet pas de conclure, d’identifier des tumeurs cutanées ou sous-cutanées (mastocytome, lipome, etc.) ou certains types tumoraux rares comme les mastocytomes ou les lymphomes mammaires, voire une carcinomatose mammaire. Cependant, dans la plupart des cas, le comportement prévisible de la tumeur n’est connu qu’avec les résultats de l’analyse histologique, c’est-à-dire après avoir engagé le traitement.
La prise en charge d’une tumeur maligne dans les conditions chirurgicales préconisées lors de tumeur bénigne induit une perte de chance pour l’animal (exérèse insuffisamment large, majoration de l’inflammation locale favorisant la progression du cancer, difficultés en lien avec la présence de tissu cicatriciel lors de l’intervention ultérieure destinée à corriger les marges, etc.). Par conséquent, la démarche actuellement recommandée est de prendre en charge toutes les tumeurs comme si elles étaient malignes, donc de réaliser systématiquement un bilan d’extension, sauf lorsque la nature des masses a pu être déterminée avec certitude (lipome ou mastocytome diagnostiqué par l’analyse cytologique, par exemple).
Le bilan d’extension permet d’une part d’identifier les animaux qui sont à un stade avancé de la maladie afin d’orienter le traitement vers des mesures palliatives, et d’autre part d’obtenir des données essentielles pour établir un pronostic. Les organes à explorer en priorité sont les nœuds lymphatiques drainants et les poumons, qui sont les sites de dissémination les plus fréquents. Si l’animal présente des signes évocateurs, un examen de la cavité abdominale et une exploration cérébrale ou osseuse peuvent aussi être envisagés (encadré). Avec un seuil de détection estimé à 1 mm, le scanner est plus sensible que la radiographie pour dépister des métastases thoraciques. Il peut également permettre de détecter et d’explorer une infiltration métastatique des nœuds lymphatiques sentinelles en réalisant un lymphangioscanner.
Les analyses anatomopathologiques des nœuds lymphatiques peuvent déceler des lésions métastatiques passées inaperçues lors des examens clinique et d’imagerie. Ainsi, l’analyse cytologique peut mettre en évidence une infiltration métastatique avec une sensibilité de 100 % et une spécificité de 96 % [11]. De même, l’analyse histologique peut révéler des cellules tumorales isolées ou des micrométastases, mais avec une sensibilité limitée [16]. Une approche immunohistochimique est donc recommandée en complément [15, 16].
L’exérèse du tissu mammaire atteint est la première étape du traitement, mais elle n’est pas recommandée chez les animaux présentant une forme aggravée de l’affection, comme un carcinome inflammatoire (tableau 2). Compte tenu du risque de progression du cancer, la prise en charge chirurgicale est à envisager le plus rapidement possible. Une résection totale de la chaîne mammaire est privilégiée chez la chatte comme chez la chienne. Cependant, chez les chiennes de grand format, l’exérèse complète peut donner lieu à des complications locales en lien avec l’espace mort généré par l’intervention [6]. Dans ce cas, une approche conservatrice, qui ne concerne que la demi-chaîne atteinte (M1-M3 ou M3-M5), est envisageable, au risque néanmoins de devoir réintervenir dans un second temps, puisqu’une récidive est observée sur les mamelles adjacentes dans 58 % des cas [23]. Si les deux chaînes mammaires sont atteintes, l’exérèse de la seconde est réalisée deux à six semaines après la première. Les nœuds lymphatiques inguinaux sont systématiquement retirés en même temps que la chaîne mammaire. Dans la région axillaire, un curage complet, très délabrant, n’est pas recommandé : en l’absence d’adénomégalie ou d’analyse cytologique témoignant d’une infiltration des nœuds lymphatiques, seule l’exérèse du ganglion sentinelle est préconisée. Sa localisation peut être facilitée par l’injection préalable de bleu patenté V ou la réalisation d’un lymphangioscanner dans le cadre du bilan d’extension [2, 22].
Pendant l’intervention, le chlorhydrate de morphine, le fentanyl ou la méthadone permettent un contrôle satisfaisant de la douleur. Une anesthésie locale apporte un soulagement supplémentaire. La kétamine administrée à faible dose en perfusion continue peut améliorer le confort de l’animal et stimuler la récupération postopératoire. Si le maintien de la pression artérielle est garanti par la perfusion, un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) est à administrer une heure avant l’intervention, puis pendant trois à cinq jours. Si les AINS sont contre-indiqués, la morphine, la buprénorphine ou le butorphanol peuvent être utilisés. Une antibiothérapie préventive est justifiée par l’importance de l’exérèse. Une collerette ou un body en jersey sont recommandés pour empêcher l’animal d’accéder à la plaie.
Chez la chienne, l’ovariectomie réalisée au moment ou au cours des jours qui suivent la mammectomie n’a aucune influence sur la survie mais elle est associée à un allongement de la durée de vie sans récidive, notamment lors de tumeur maligne de grade 2 et lorsque la masse présente des récepteurs aux œstrogènes [1, 3, 10, 21]. Chez la chatte, elle augmente la durée de vie spécifique lorsque le carcinome présente des récepteurs aux oestrogènes ou à la progestérone [18]. Le dosage des récepteurs hormonaux exprimés par les tumeurs mammaires est donc à recommander pour affiner la prise en charge des animaux atteints(1).
L’exérèse du tissu mammaire tumoral est curative dans tous les cas sans dissémination métastatique, donc chez les femelles qui présentent des tumeurs bénignes, et chez environ 25 % des chattes et 50 % des chiennes atteintes de tumeurs malignes [7, 18]. Dans les autres cas, c’est-à-dire chez 75 % des chattes et 50 % des chiennes atteintes de tumeurs malignes, le pronostic dépend de nombreux facteurs cliniques, histopathologiques et immunohistochimiques. Par exemple, les carcinomes non invasifs (in situ), qui représentent 2 à 20 % des carcinomes chez la chienne comme chez la chatte, métastasent très rarement. Il est donc intéressant de recourir systématiquement à une recherche immunohistochimique du marqueur p 63 qui permet de les identifier [15].
Aucun protocole à base d’agents cytotoxiques n’a apporté la preuve d’une efficacité incontestable pour le traitement des tumeurs mammaires [9, 14]. Toutefois, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) inhibiteurs sélectifs de la cyclo-oxygénase 2 (COX-2) semblent intéressants pour traiter un carcinome mammaire inflammatoire. L’administration de piroxicam à des chiennes affectées, à la dose quotidienne de 0,3 mg/kg par voie orale, a ainsi permis de porter la médiane de survie à 185 jours [4].
Lorsque le cancer est à un stade avancé, un traitement visant à améliorer le confort de l’animal est nécessaire. Dans ce cadre, une exérèse limitée au tissu mammaire atteint peut être entreprise.
Lorsque la tumeur n’est pas opérable, un traitement à base d’agents cytotoxiques peut se révéler bénéfique.
Quant à la douleur, elle doit être évaluée régulièrement et un plan analgésique mis en œuvre au besoin. L’euthanasie est à envisager lorsque l’état de l’animal ne permet plus un niveau de confort acceptable.
(1) Voir le dossier « Les marqueurs tumoraux, vers un traitement personnalisé » dans Le Point vétérinaire n° 411, novembre 2020.
Conflit d’intérêts : Aucun
La prise en charge des tumeurs mammaires du chien et du chat repose le plus souvent sur une exérèse complète de la chaîne mammaire atteinte, suivie d’une analyse histologique. Les protocoles de chimiothérapie testés à ce jour chez les deux espèces se révèlent d’un intérêt limité. Une meilleure caractérisation des tumeurs malignes via une analyse immunohistochimique permet une prise en charge ciblée, plus adaptée à chaque cas.
• Une hypertrophie ou une induration palpable des nœuds lymphatiques drainants.
• Des images radiographiques d’opacité pulmonaire diffuse broncho-interstitielle, ou des images nodulaires dites en “lâcher de ballons”.
• Des images échographiques nodulaires hypoéchogènes ou au contraire hyperéchogènes, voire en cible, localisées au foie, à la rate, au rein, aux glandes surrénales.
• Des images radiographiques évocatrices de lésions osseuses mixtes prolifératives et lytiques.
• Des images cérébrales via l’imagerie par résonance magnétique montrant de multiples nodules intracérébraux ou méningés, souvent à centre nécrotique, cernés d’une inflammation plus ou moins étendue et entraînant, lors de lésions de grande taille, un effet de masse sur les structures adjacentes (herniation, dilatation ventriculaire, etc.).
• Il n’est pas possible de distinguer les tumeurs mammaires bénignes des tumeurs malignes sur la seule base du tableau clinique.
• L’analyse histologique de la masse entière après l’exérèse est l’examen complémentaire de référence.
• Les examens anatomopathologiques peuvent révéler des métastases passées inaperçues lors de l’examen clinique ou à l’imagerie.
• Lors de carcinome mammaire inflammatoire, un traitement à base d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) inhibiteur sélectif de la cyclo-oxygénase 2 (COX-2) peut augmenter la durée de vie de l’animal