OPHTALMOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Guillaume Payen
Fonctions : (dipECVO)Service d’ophtalmologie
Centre hospitalier vétérinaire Frégis
9 rue de Verdun
94250 Gentilly
Les lésions associées aux uvéites sont nombreuses et peu spécifiques d’une affection ou d’une cause particulière, tout comme les séquelles de l’uvéite antérieure.
Les uvéites correspondent à une inflammation intraoculaire. Concernant le plus souvent la partie antérieure de l’uvée, l’iris et le corps ciliaire, elles peuvent aussi atteindre la partie postérieure de l’uvée, c’est-à-dire la choroïde et par contiguïté la rétine. Ce premier article a pour objectif d’étudier les lésions actives et les séquelles rencontrées lors d’uvéite en illustrant chacune d’entre elles. Un diagnostic précoce est en effet crucial pour commencer un traitement rapidement et ainsi préserver la vision.
L’uvée représente la tunique vasculaire de l’œil. L’iris et le corps ciliaire en constituent la partie antérieure et la choroïde la partie postérieure (figure 1). L’uvéite correspond donc à une inflammation de la tunique vasculaire de l’œil. Les uvéites peuvent survenir à la suite d’un traumatisme, parfois de manière isolée, ou être associées à de nombreuses affections. En effet, l’œil peut être considéré comme le seul viscère de l’organisme directement accessible de l’extérieur, donc à l’examen direct. Ainsi, les signes cliniques de nombreuses maladies systémiques, souvent d’origine inflammatoire ou infectieuse, peuvent se manifester de manière spectaculaire par une inflammation uvéale avant que d’autres signes surviennent [2]. Les uvéites sont classées selon leur localisation anatomique (encadré).
L’uvée, la tunique vasculaire de l’œil, joue un rôle fondamental dans le maintien des barrières hémato-oculaires qui protègent l’œil. Les uvéites supposent une rupture de ces barrières. Il s’ensuit une exsudation de protéines et/ou de cellules inflammatoires dans l’humeur aqueuse, le vitré ou l’espace sous-rétinien. Les barrières hémato-oculaires sont composées de la barrière hémato-rétinienne et de la barrière hémato-aqueuse. La barrière hémato-rétinienne est localisée en regard de l’endothélium des capillaires vasculaires de la rétine (capillaires non fenestrés et jonctions intercellulaires serrées) et en regard de l’épithélium pigmenté de la rétine (jonctions intercellulaires serrées) pour protéger la rétine de la vascularisation choroïdienne relativement perméable. La barrière hémato-aqueuse est constituée de jonctions intercellulaires serrées en regard de l’endothélium vasculaire de la vascularisation irienne et en regard des cellules de l’épithélium non pigmenté du corps ciliaire [3]. Ainsi, la plupart des grosses molécules, notamment des protéines, sont incapables de passer au travers de ces barrières vers l’œil. En limitant ainsi la diffusion de ces grosses molécules dans l’humeur aqueuse ou le vitré, ces barrières permettent de maintenir la transparence des milieux oculaires. Toutefois, ces barrières sont compromises en cas d’inflammation oculaire, donc d’uvéite. En raison de la continuité anatomique des différents segments de l’œil, une inflammation intraoculaire concerne souvent plusieurs structures.
L’uvée est un tissu immunologiquement compétent qui se comporte comme un nœud lymphatique accessoire. Des antigènes intraoculaires peuvent rejoindre la circulation sanguine générale et stimuler des organes lymphoïdes distants. Ainsi, des lymphocytes B et T sensibilisés peuvent migrer vers l’antigène intraoculaire, pénétrer l’uvée et provoquer la formation d’anticorps ou des réactions inflammatoires à médiation cellulaire, responsables de l’inflammation intraoculaire.
L’uvée peut aussi être le siège d’une inflammation secondaire lorsque d’autres parties de l’œil sont atteintes : par exemple, un réflexe uvéal accompagne fréquemment les kératites bactériennes. Bien que de telles réactions puissent être bénéfiques pour la résolution de la maladie primitive, comme la production d’immunoglobulines par des lymphocytes sensibilisés, une uvéite secondaire trop intense est susceptible de provoquer des séquelles invalidantes pour la vision. Ainsi, les uvéites sont fréquentes compte tenu de la riche vascularisation de l’uvée et de la sensibilité immune de l’œil. Chez le chat, elles constituent une dominante pathologique en ophtalmologie.
L’examen général chez un animal atteint d’uvéite est important. Dans certains cas, les anomalies révélées permettent d’orienter le diagnostic étiologique vers une atteinte neurologique concomitante à l’évolution d’une péritonite infectieuse féline (PIF), une adénomégalie en cas de lymphome, une hyperthermie, etc.
Les signes cliniques des uvéites sont nombreux. Ils incluent des signes d’appel non spécifiques de douleur ou d’inflammation oculaire, consécutifs au spasme du muscle ciliaire engendré par l’inflammation. De ce fait, la douleur (blépharospasme, photophobie) n’est pas atténuée par l’application d’un anesthésique par voie locale. Ainsi, plusieurs signes non spécifiques peuvent être observés en phase aiguë de l’inflammation : blépharospasme, procidence de la membrane nictitante, photophobie et hyperhémie conjonctivale profonde d’origine vasculaire ciliaire (photo 1). La douleur générée par le spasme du muscle ciliaire est, dans ce cas, viscérale. Elle est différente de la douleur superficielle induite par exemple par un ulcère superficiel de cornée. Cela se traduit par un blépharospasme moins intense, mais des signes d’atteinte de l’état général tels qu’une apathie ou une hyporexie [2]. L’hyperhémie conjonctivale concerne la vascularisation ciliaire située sous la vascularisation conjonctivale, donc plus profonde. Elle ne rétrocède pas complètement après l’instillation de collyre sympathomimétique vasoconstricteur, comme ceux à base de phényléphrine (Néosynéphrine® collyre 10 %(1)). Une atteinte de l’état général peut aussi être observée à ce stade et se traduire notamment par une apathie ou une hyporexie. Une altération de la vision est possible, par exemple dans le cas d’un oedème cornéen ou d’une opacification des milieux intraoculaires. Des séquelles d’uvéite antérieure ou postérieure (glaucome, synéchies postérieures extensives, luxation de cristallin, cataracte, décollement ou dégénérescence de la rétine) peuvent être rapidement responsables d’une altération de la vision, voire d’une cécité.
Il existe plusieurs types de lésions aiguës d’uvéite antérieure (tableau et photos 2 à 10) [1, 2, 3].
Les lésions chroniques et les séquelles d’uvéite antérieure ne sont généralement pas spécifiques d’une cause particulière. En effet, si en pratique certains signes fournissent des renseignements intéressants, et sont caractéristiques d’une maladie en particulier, ils ne peuvent pas servir pour établir un diagnostic.
Les lésions chroniques et les séquelles d’uvéite antérieure peuvent inclure [1, 2] :
- des synéchies antérieures (adhérences entre la face antérieure de l’iris et la cornée) et/ou postérieures (adhérences entre la face postérieure de l’iris et le cristallin), favorisées par le myosis spastique, avec pour conséquence une dilatation pupillaire incomplète pouvant altérer la vision et/ou induire une hypertension intraoculaire (photos 11 et 12) ;
- une cataracte, secondaire à la perturbation du métabolisme cristallinien par l’inflammation (photos 13 et 14). En cas d’uvéite antérieure, les cataractes atteignent d’abord la périphérie antérieure (ou cortex antérieur) du cristallin avant de s’étendre. Chez le chat, la plupart des cas de cataracte résultent de la progression à bas bruit de lésions d’uvéite chronique idiopathique ;
- des subluxations ou luxations du cristallin, conséquence de l’inflammation et de la fragilisation des fibres de la zonule de Zinn. Les complications d’instabilité du cristallin sont fréquentes chez le chat et les uvéites idiopathiques représentent la première cause de luxation du cristallin dans cette espèce (photos 15 et 16) ;
- une hypertension intraoculaire à l’origine d’un glaucome secondaire (photo 17). Les mécanismes responsables de l’hypertension oculaire sont multiples : la formation de synéchies antérieures périphériques (adhérences entre la cornée périphérique et la base de l’iris) peut bloquer l’accès de l’humeur aqueuse à l’angle iridocornéen, principale structure de drainage hors de l’œil de l’humeur aqueuse.
Lorsque des synéchies postérieures s’établissent sur toute la circonférence de l’ouverture pupillaire entre la face postérieure de l’iris et le cristallin, l’humeur aqueuse peut s’accumuler derrière l’iris (puisque sécrétée par le corps ciliaire) sans pouvoir rejoindre l’angle iridocornéen (photo 18) [1, 2].
Différentes lésions peuvent être présentes lors d’uvéite postérieure [4, 5] :
- des hémorragies intravitréennes ou en regard du fond d’œil (hémorragies rétiniennes) (photo 19) ;
- des décollements de rétine (photos 20 et 21) ;
- des lésions de choriorétinite, correspondant à des plages plus ou moins étendues, floues, ternes et grisâtres (photo 22). Elles sont la conséquence d’un oedème rétinien, d’un infiltrat inflammatoire, voire d’un exsudat sous-rétinien. Comme le tapis (structure qui réfléchit la lumière en regard du fond d’œil) est inclus dans la choroïde, donc sous la rétine, les lésions inflammatoires actives se traduisent par une diminution de la réflectivité du fond d’œil en regard des lésions dans la zone du tapis (figure 2).
Les lésions du fond d’œil sont plus rares et/ou difficiles à mettre en évidence. En effet, lorsqu’elles sont isolées et trop peu nombreuses pour provoquer une baisse de l’acuité visuelle, elles passent facilement inaperçues. Par ailleurs, lorsqu’elles sont associées à des lésions d’uvéite antérieure, l’augmentation de turbidité de l’humeur aqueuse peut empêcher un examen correct du segment postérieur et du fond d’œil.
Les séquelles ou cicatrices d’une uvéite postérieure (choriorétinite) peuvent inclure :
- des plages relativement bien délimitées aux contours irréguliers, vis-à-vis desquelles la zone du tapis paraît hyperréfléchissante. En effet, en regard de ces cicatrices, la rétine est atrophiée et la lumière traverse ainsi moins de filtres pour atteindre la zone du tapis, située dans la choroïde.
Parfois, le centre des cicatrices présente une pigmentation mélanique (photo 23) ;
- des plages de dépigmentation en dehors de la zone du tapis, là où l’épithélium pigmentaire de la rétine ainsi que les couches superficielles de la choroïde sont riches en mélanine.
Conflit d’intérêts : Aucun
Les uvéites impliquent une rupture des barrières hémato-oculaires qui protègent l’œil du passage de grosses molécules. Elles représentent une cause importante des maladies oculaires, notamment chez le chat. Les lésions associées aux uvéites sont nombreuses et peu spécifiques d’une affection en particulier. Les séquelles des uvéites antérieure, intermédiaire et postérieure (glaucome, synéchies postérieures extensives, luxation de cristallin, cataracte, décollement et dégénérescence de la rétine) peuvent rapidement entraîner une altération de la vision, voire une cécité.
- L’uvéite antérieure correspond à une inflammation de l’iris et du corps ciliaire. Il s’agit d’une d’iridocyclite.
- L’uvéite intermédiaire (ou iridocyclite) correspond à une inflammation de la partie intermédiaire de l’uvée, c’est-à-dire le corps ciliaire et/ou la partie antérieure de la choroïde.
- L’uvéite postérieure (ou choroïdite) correspond à une inflammation de la choroïde. Comme la rétine et la choroïde sont contiguës, une inflammation choroïdienne contamine la plupart du temps la rétine : il s’agit dans ce cas de choriorétinite.
- La panuvéite correspond à une inflammation de l’ensemble de la tunique vasculaire de l’œil.