Spécial 50 ans
Auteur(s) : Marine Neveux
Les réalités virtuelle et augmentée sont déjà bien ancrées dans la formation initiale des vétérinaires. L’enseignement dans les écoles nationales utilise ces deux approches, par exemple pour visiter un élevage virtuel et évaluer les mesures de biosécurité et les conditions d’environnement, réaliser l’examen anatomique d’un animal sous tous les angles, ou encore s’entraîner à répondre à une situation d’urgence avec des paramètres modifiés et à effectuer les premiers gestes techniques, voire les plus complexes, avant une intervention chirurgicale.
Aujourd’hui en Europe, aucune école vétérinaire accréditée par l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV) ne pourrait s’affranchir d’une salle de simulation, souligne Renaud Tissier, directeur adjoint de l’École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort et professeur en pharmacie-toxicologie. Les élèves apprennent sur des simulateurs, nous sommes complètement entrés dans l’ère du “jamais la première fois sur l’animal”. Les étudiants s’entraînent depuis dix ans à réaliser des palpations transrectales sur de fausses vaches ou des mannequins de chevaux, à poser des cathéters sur des animaux reconstitués, etc. » Ainsi, les outils de simulation sont déjà très développés (photos 1 et 2). « Les étudiants apprécient de venir s’exercer dans ces salles ouvertes en permanence. Les progrès de la plasturgie, mais aussi de la plastination d’organes qui préserve les nerfs, les vaisseaux et autres tissus qui composent les pièces anatomiques, ont totalement modifié les modalités d’apprentissage. »
« Aujourd’hui, il est possible d’aller plus loin, les perspectives sont extrêmement enthousiasmantes », poursuit Renaud Tissier. Au cours de leurs études, les étudiants ont désormais l’occasion de visiter un abattoir en réalité augmentée, ce qui permet de scénariser la visite. Mais à l’inverse, tous vont également effectuer une vraie visite dans un abattoir « car ce n’est pas la même chose de s’imprégner des odeurs, de l’ambiance », reconnaît notre confrère (encadré). Les visites d’abattoir sont réalisées dans le cadre de projets interécoles en distanciel. Des outils dédiés à la visite d’élevages porcins ou aviaires existent aussi, et seront de plus en plus utilisés (photos 3a et 3b). Les cas sont scénarisés et les quatre écoles vétérinaires construisent et mutualisent les mêmes visites. « Les modalités d’enseignement ne sont plus celles que nous avons connues, la réalité virtuelle permet de développer les outils pédagogiques. Ce n’est plus tout en distanciel, ou tout en présentiel, il faut diversifier les techniques à but scientifique et pédagogique. »
Les diverses formes d’enseignement par la réalité augmentée ou virtuelle rencontrent toutefois quelques résistances. « Les freins ne sont plus techniques mais sociétaux, au niveau de notre formation, de notre organisation de l’enseignement, des voies pédagogiques empruntées », analyse Renaud Tissier. En outre, « si les perspectives sont très enthousiasmantes concernant les techniques de pointe, le modèle économique de la robotique, y compris dans les écoles vétérinaires, est encore à construire, témoigne-t-il. La révolution numérique doit pourtant nous amener à former à 90 % les étudiants aux défis qui s’offrent à eux. » Pourra-t-on envisager demain des ponts technologiques entre les facultés vétérinaires européennes ? « Nous avons déjà des amphithéâtres complètement connectés, rien n’empêcherait de partager les platesformes avec des pays étrangers, mais pour la formation initiale, la complexité est accrue. Nous ne pouvons pas tout homogénéiser. Aujourd’hui, on envisage plutôt ces passerelles en fin de cursus, pour la spécialisation de pointe. Les généraliser au début des études, par exemple avec une version internationale de massive open online course (Mooc), est peut-être formateur sur certains sujets, mais qui n’est pas forcément indispensable pour tous. »
VISITE D’ABATTOIR VIRTUELLE EN FRANCE ET EN Belgique
Slaughterhouse virtual veterinary inspector (inspecteur vétérinaire virtuel en abattoir, S2Vi) est un outil numérique d’apprentissage accessible aux étudiants vétérinaires. Il a été développé par les quatre écoles nationales françaises (EnvA, VetAgro Sup, Oniris, ENVT), la faculté de médecine vétérinaire de Liège (Belgique), l’École nationale des services vétérinaires-France vétérinaire international (ENSV-FVI), l’Institut national de formation des personnels du ministère de l’Agriculture (Infoma) et la société d’ingénierie Eticeo. Les étudiants peuvent se déplacer dans les différentes zones de l’abattoir avec une vision en 3D. Ils réalisent ainsi la visite en réalité virtuelle et peuvent accéder, en cliquant sur les points rouges d’intérêt, à la vidéo de l’étape correspondante. Les vidéos concernent l’inspection vétérinaire, mais intègrent aussi les problématiques de protection animale.
TÉLÉMÉDECINE VÉTÉRINAIRE
Dans le cadre de la chaire de télémédecine de l’école vétérinaire de Nantes, le projet SmartVetOniris propose aux praticiens en formation continue et aux étudiants en formation initiale de se former au traitement et à l’intégration des données générées par les outils connectés en élevage bovin (monitoring, robot de traite, etc.), afin d’apprendre à utiliser et à valoriser des données fiables, quantitatives et pertinentes, par exemple dans le contexte du bilan sanitaire. Via des séquences d’enseignement dédiées aux étudiants, l’objectif pédagogique est d’intégrer l’utilisation de ces outils et des données obtenues à la pratique vétérinaire.
EN IMMERSION DANS LES ÉLEVAGES
Les écoles vétérinaires d’Alfort, de Lyon, de Nantes et de Toulouse ont développé, avec le soutien du ministère de l’Agriculture et d’Agreenium, un programme de visites des élevages porcins en réalité virtuelle pour la formation des étudiants. Munis d’un casque, ceux-ci sont plongés dans un élevage de porcs avec une problématique affichée. Les étudiants peuvent ainsi mener l’inspection en se déplaçant virtuellement dans toute l’exploitation pour évaluer les différents paramètres au niveau des locaux (température, ventilation, etc.) et les conditions d’élevage des animaux, contrôler les règles de biosécurité, etc. L’objectif pédagogique est d’acquérir les réflexes qui leur seront utiles lors de la vraie inspection.
EN PROJET OUTRE-ATLANTIQUE
De nombreux projets fleurissent dans le monde de l’enseignement vétérinaire. Ainsi, en 2022, le gouvernement du Québec a attribué 101 millions de dollars à la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Saint-Hyacinthe pour mettre en place un centre de simulation permettant aux étudiants vétérinaires de s’entraîner sur des modèles animaux inertes et des simulateurs. La livraison du centre de simulation de 600 m2 est prévue à l’automne 2024.