La dermatologie en 10 étapes
Auteur(s) : Adrien Idée*, Didier Pin**, Mélanie Legain***, Marion Mosca****, Pauline Panzuti*****
Fonctions :
*(MSc, ancien rés. ECVD)
VetAgro Sup
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy l’Étoile
**(DipECVD,
professeur en dermatologie)
***CHV Languedocia
395 rue Maurice Béjart
34080 Montpellier
Le respect des bonnes pratiques de diagnostic et de traitement des pyodermites est essentiel pour tendre vers une limitation de la prescription d’antibiotiques. L’usage des antiseptiques est l’un des moyens de lutte alternatifs à exploiter.
Les pyodermites sont des affections fréquentes en dermatologie vétérinaire, en particulier chez le chien (encadré 1). Bien que leur expression clinique soit polymorphe, leur diagnostic est facilité par l’observation fine des lésions et la réalisation d’examens complémentaires simples. Une fois le diagnostic établi, le traitement des pyodermites est relativement standardisé et les recommandations doivent être respectées sous peine de récidives. En outre, l’antibiorésistance est un phénomène fréquemment observé qui influe fortement sur la démarche thérapeutique.
L’antibiorésistance est le mécanisme par lequel des bactéries résistantes aux antibiotiques sont sélectionnées. Il s’agit d’un phénomène majeur en médecine humaine et en médecine vétérinaire. Une étude récente rapporte que tous les staphylocoques isolés à partir de dermatites animales sont résistants à au moins un antibiotique [1]. Le principe de l’antibiorésistance est le suivant : un traitement antibiotique élimine les bactéries sensibles à cet antibiotique, mais les bactéries résistantes persistent et se multiplient. Ces bactéries deviennent alors dominantes et peuvent transmettre leurs gènes de résistance à d’autres bactéries, l’antibiotique précédemment utilisé étant désormais inefficace.
Staphylococcus pseudintermedius est la bactérie responsable de la majorité des pyodermites du chien. Tout comme Staphylococcus aureus, il présente de nombreux mécanismes de résistance ayant un impact important en pratique. Deux gènes jouent un rôle majeur : blaZ, le gène des pénicillinases responsables de la résistance à l’amoxicilline seule, et mecA, le gène de la protéine responsable de la résistance aux bêta-lactamines (protéine de liaison à la pénicilline 2a ou PLP2a, PBP2a en anglais). Ces gènes peuvent se transmettre de façon horizontale, par le biais de plasmides ou d’éléments transférables, ou de façon verticale, par prolifération.
Le meilleur moyen de prévenir la sélection de bactéries résistantes est d’éviter, autant que possible, l’utilisation d’antibiotiques. Il est donc nécessaire d’établir un diagnostic précis, de traiter sur une durée adéquate, de ne pas associer des corticoïdes et de prendre en charge les éventuelles maladies sous-jacentes afin de prévenir les récidives.
En outre, le recours à des thérapies alternatives, qui se révèlent efficaces, est indispensable.
Dans le cas des pyodermites de surface, constituées du syndrome de prolifération bactérienne de surface et de la pyodermite cutanéo-muqueuse, les bactéries agissent depuis la surface de la peau (photos 1a et 1b). Le syndrome de prolifération bactérienne de surface se traduit par un érythème et des lésions secondaires au prurit et à l’inflammation chronique (excoriations, dépilations, lichénification, hyperpigmentation). La pyodermite cutanéo-muqueuse est caractérisée par une dépigmentation, des fissures, des croûtes, des érosions et, dans les cas sévères, des ulcères des jonctions cutanéo-muqueuses. Malgré ces lésions, elle reste généralement classée parmi les pyodermites de surface.
La séborrhée et l’odeur sont des signes cliniques typiques des proliférations bactériennes de surface. Leur diagnostic passe par l’examen clinique et l’examen cytologique de calques cutanés, qui révèlent des cocci en nombre variable, tandis qu’il repose sur l’examen histopathologique de biopsies cutanées pour la pyodermite cutanéo-muqueuse.
Les pyodermites superficielles sont folliculaires ou non folliculaires. La forme folliculaire résulte de la multiplication de bactéries dans les follicules pileux et de l’accumulation de pus à l’origine de papules et de pustules folliculaires, de croûtes et d’une alopécie en moucheture (photo 2). Lors de pyodermite non folliculaire, d’impétigo et de pyodermite superficielle extensive, les bactéries pénètrent dans l’épiderme interfolliculaire et produisent des papules et des pustules non folliculaires, des plaques, des croûtes et des collerettes épidermiques (photo 3). Le prurit, d’intensité variable, peut être présent dans les deux types de pyodermite superficielle. Parfois, les pyodermites superficielles sont associées à une pyodermite de surface. Leur diagnostic repose sur la cytologie de pus, la cytologie sous-crustacée et les calques cutanés, qui révèlent des cocci, parfois phagocytés par des polynucléaires neutrophiles, dont la plupart sont dégénérés.
Les pyodermites profondes traduisent l’atteinte du derme par le processus infectieux. Cela aboutit à la destruction du follicule pileux, donnant un furoncle et, par extension, une furonculose. La coalescence de furoncles est appelée cellulite, l’atteinte de l’hypoderme signe une panniculite (photo 4). Les lésions des pyodermites profondes sont donc variées : nodules, bulles hémorragiques, ulcères, croûtes, fistules, etc. Le pus est hémorragique. Certaines présentations cliniques sont typiques, comme la furonculose-cellulite interdigitée, la furonculose-cellulite des points de pression, la furonculose-cellulite idiopathique du berger allemand, la furonculose-cellulite du menton, la furonculose-cellulite post-toilettage à Pseudomonas aeruginosa, la fasciite nécrosante à streptocoques. Leur diagnostic s’appuie sur la cytologie de pus, la cytologie sous-crustacée, les cytologies par écouvillon, les biopsies cutanées et les cultures bactériennes. L’abcès est une forme fréquente qui n’est pas traitée ici.
Pour chaque type de pyodermite, le recours aux antiseptiques est indispensable. Un traitement antiseptique bien conduit est souvent équivalent à une antibiothérapie, mais il ne sélectionne pas de résistances, peut être utilisé sur le long terme ou en entretien, et est généralement moins coûteux [2]. Une tonte préalable, partielle ou totale, facilite l’observance et l’efficacité du traitement topique. Les shampooings contenant au moins 2 % de chlorhexidine sont préférables et un réhydratant peut être utilisé lors de traitements rapprochés. Les antiseptiques seuls ne sont généralement pas suffisants lors de pyodermites profondes. Les shampooings antiseptiques peuvent être couplés à l’application de mousses ou de lotions, voire au nettoyage à l’aide de lingettes.
Les antibiotiques efficaces en dermatologie sont peu nombreux (tableau). L’objectif est de trouver celui qui diffuse dans la peau, est efficace sur le germe suspecté (Staphylococcus pseudintermedius dans la majorité des cas), de préférence administrable par voie orale, bien toléré et peu coûteux. Les différentes molécules peuvent être divisées en antibiotiques de première intention, antibiotiques de seconde intention, antibiotiques critiques et d’utilisation restreinte. Les antibiotiques de seconde intention ne peuvent être utilisés que si ceux de première intention sont inefficaces. Les antibiotiques critiques ne peuvent être prescrits qu’en l’absence d’alternative et ceux d’utilisation restreinte ne doivent pas être utilisés.
Les antibiotiques systémiques sont à réserver au traitement des pyodermites superficielles et profondes étendues. En cas de pyodermite de surface ou de pyodermite superficielle peu étendue ou peu sévère, les antiseptiques sont généralement suffisants. Pour une pyodermite profonde localisée, un traitement antibiotique topique à base d’acide fusidique peut suffire.
Les recommandations de durées pour les traitements antibiotiques, définies de façon empirique, dépendent de la profondeur de la pyodermite. Une durée initiale de deux à quatre semaines, suivie d’un contrôle sans interruption du traitement, est optimale. Lors du contrôle, la guérison doit être évaluée par un examen visuel, une palpation et via une cytologie. Lorsque la cytologie est négative et que les lésions sont guéries, excepté les lésions permanentes (fibrose) ou postinflammatoires, l’antibiothérapie doit être arrêtée pour les pyodermites de surface, poursuivie durant sept à dix jours pour les pyodermites superficielles et poursuivie pendant quinze à vingt et un jours pour les pyodermites profondes.
Lors de pyodermites superficielles et profondes, les prélèvements pour la culture bactérienne et la réalisation d’un antibiogramme sont recommandés dans plusieurs cas (encadré 2).
Le prélèvement pour la culture bactérienne repose idéalement sur la récolte du pus d’une lésion fermée (pustule, furoncle), après un nettoyage de la surface au sérum physiologique stérile. À défaut, une croûte récente peut être soulevée et le pus sous-jacent est alors récupéré à l’aide d’un écouvillon stérile. Pour les pyodermites profondes, en l’absence de lésion fermée exploitable, une biopsie cutanée, réalisée dans des conditions d’asepsie rigoureuses, dont l’épiderme est retiré, peut être envoyée en culture. Enfin, pour les pyodermites de surface, un écouvillon de surface imbibé de sérum physiologique stérile peut être utilisé, mais cette pratique présente un risque majoré de faux positifs. Les prélèvements de pus de lésions ulcérées, érodées ou présentes à la surface de la peau sont à proscrire, car ils sont aisément contaminés.
L’interprétation des antibiogrammes doit tenir compte de l’espèce de la bactérie isolée, qui peut être un simple contaminant, d’autant plus lors d’isolement d’autres genres que Staphylococcus, et des diamètres d’inhibition, qui peuvent révéler un germe proche de la résistance. Il faut alors choisir l’antibiotique de première intention, si possible efficace sur le bon germe, avec un diamètre aussi large que possible.
Plusieurs traitements alternatifs à une antibiothérapie sont disponibles, en plus des antiseptiques. La biomodulation par fluorescence (Phovia®) semble efficace pour diminuer la durée de l’antibiothérapie, voire comme traitement unique dans le cadre des pyodermites superficielles et des pyodermites profondes [4, 5, 6]. Les autovaccins pourraient permettre de diminuer le recours aux antibiotiques lors de pyodermite chronique ou récidivante. Ils consistent en la mise en culture d’un prélèvement de l’animal atteint, suivi de l’inactivation de la souche d’intérêt qui est préparée sous forme injectable, à des concentrations croissantes, pour effectuer des injections sous-cutanées. Les autovaccins sont classiquement utilisés dans les élevages d’animaux de rente, mais aucun laboratoire n’en fabrique en France. D’autres solutions alternatives aux antibiotiques sont aussi à l’étude (bactériophages, transplantations de microbiote cutané, peptides antimicrobiens, etc.).
De nombreuses maladies peuvent favoriser l’apparition et la récidive des pyodermites. La recherche de ces maladies est indispensable lorsque des signes cliniques suggestifs sont présents, mais des examens complémentaires systématiques ne sont pas recommandés. En effet, une part importante des pyodermites n’a pas de cause sous-jacente identifiable. Il convient par conséquent de rechercher une dysendocrinie (hyper-corticisme, hypothyroïdie, dysendocrinie sexuelle), une allergie (dermatite par allergie aux piqûres de puces) ou encore une dermatite inflammatoire chronique (dermatite atopique).
Étant donné que les pyodermites étendues ou sévères contribuent parfois à diminuer le taux d’hormones thyroïdiennes, la recherche d’une éventuelle hypothyroïdie est conseillée après la résolution de la pyodermite.
En outre, de nombreuses affections cutanées (pemphigus foliacé, fistules périanales, lupus cutanéo-muqueux, etc.) peuvent se compliquer d’une infection bactérienne et nécessiter un traitement, antiseptique ou antibiotique, avant la mise en place du traitement étiologique.
Conflit d’intérêts : Aucun
Étymologiquement, une pyodermite est une dermatite suppurée. Par convention, chez le chien, les dermatoses suppurées dues à des bactéries pyogènes courantes sont dénommées communément pyodermites. Toutefois, il existe des dermatites bactériennes à bactéries non pyogènes, des pyodermites infectieuses non bactériennes, des pyodermites non infectieuses (par exemple, le pemphigus foliacé) et des pseudo-pyodermites. Dans cet article, le terme “pyodermite” est employé pour désigner une pyodermite bactérienne.
• Le diagnostic des pyodermites s’appuie essentiellement sur l’observation des lésions et sur quelques examens complémentaires à résultats immédiats, plus rarement à résultats différés.
• Le traitement des pyodermites de surface et des pyodermites superficielles repose principalement sur les antiseptiques.
• L’administration d’antibiotiques lors de pyodermites doit être poursuivie après la guérison, sur une durée qui dépend de la profondeur de l’infection.
• Un prélèvement pour la réalisation d’un antibiogramme doit être systématiquement effectué en cas d’échec thérapeutique, d’observation de bacilles phagocytés à l’examen cytologique et d’antécédents d’infection à germe résistant. Il est conseillé dès la première consultation lors de pyodermite grave.
• Des traitements adjuvants et alternatifs existent pour limiter l’utilisation des antibiotiques.
Les principales indications sont les suivantes :
- échec d’un traitement adapté, avec une réduction des lésions de moins de 50 % après deux semaines, ou l’apparition de nouvelles lésions après deux semaines, ou une persistance des lésions après six semaines ;
- observation de bacilles, avec des images de phagocytose à la cytologie ;
- antécédents d’infection à germe résistant.
D’autres indications peuvent être ajoutées :
- pyodermite profonde, sévère, étendue ou avec une atteinte de l’état général ;
- nécessité d’utiliser un antibiotique de seconde intention ou un antibiotique critique.
D’après [3].
Le respect des bonnes pratiques de diagnostic et de traitement des pyodermites est essentiel pour limiter l’apparition d’antibiorésistances. En particulier, le recours aux antiseptiques est primordial pour réduire l’usage des antibiotiques. Lorsqu’ils sont nécessaires, la durée d’utilisation doit être adaptée à la profondeur de l’infection et à la résolution des signes cliniques. En outre, il ne faut pas hésiter à recourir à la culture bactérienne et à l’antibiogramme.