ÉVALUATION COMPORTEMENTALE CANINE : ASPECTS PRATIQUES - Le Point Vétérinaire n° 454 du 01/06/2024
Le Point Vétérinaire n° 454 du 01/06/2024

COMPORTEMENT

Dossier

Auteur(s) : Christian Diaz

Fonctions : (spécialiste en médecine
du comportement des animaux de compagnie,
expert près la cour d’appel de Toulouse)
31240 L’Union

L’évaluation comportementale constitue une expertise vétérinaire qui demande compétence, objectivité et impartialité. Elle vise à apprécier un risque selon des facteurs de gravité et de probabilité.

Créée par la loi du 5 mars 2007, étendue en juin 2008, l’évaluation comportementale canine est une procédure visant des objectifs de santé et de sécurité publiques à propos de laquelle il est possible de se demander si les buts ont été réellement atteints [2, 3]. Elle implique différents acteurs, dont le vétérinaire inscrit à l’Ordre et sur une ou plusieurs listes préfectorales, qui doit connaître le rôle de chacun d’eux. Le vétérinaire est notamment chargé de la réaliser et de transmettre ses conclusions au maire et sur la plate-forme I-CAD. L’évaluation comportementale vise à évaluer le danger potentiel du chien, avec des niveaux de risque définis. Cet article propose un protocole appliqué depuis plusieurs années par l’auteur et de nombreux praticiens, qui peut constituer un outil de référence pour le vétérinaire.

LES ACTEURS DE L’ÉVALUATION COMPORTEMENTALE

Le maire

Le maire peut demander une évaluation comportementale pour tout chien susceptible de présenter un danger pour les personnes ou les animaux domestiques. C’est lui qui est en charge de la délivrance du permis de détention pour les chiens de catégorie et de la mise en œuvre des mesures préconisées par le vétérinaire, au besoin en usant de ses pouvoirs de police. Il engage ainsi sa responsabilité.

Le vétérinaire

Tout vétérinaire inscrit à l’Ordre est susceptible de s’inscrire sur une liste départementale tenue par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. Il n’est pas nécessaire de justifier d’un diplôme ou d’une qualification spécifique, cette compétence, à la demande de la profession, étant censée faire partie du socle des compétences inscrites dans le référentiel des études vétérinaires (décembre 2017). Si la profession, dans une démarche unitaire, a formé environ 3 000 praticiens entre 2008 et 2010, des organismes de formation continuent de pérenniser cet enseignement. La liste des vétérinaires réalisant l’évaluation comportementale est centralisée (sur www.veterinaire.fr) et l’inscription se fait auprès du conseil régional de l’Ordre dont dépend le domicile professionnel administratif du praticien, qui peut s’inscrire sur plusieurs listes départementales.

Le détenteur

Le détenteur du chien est celui qui en a la garde juridique, définie jurisprudentiellement par les pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage. C’est lui qui, généralement, présente le chien au vétérinaire.

Le propriétaire

Le propriétaire, s’il est souvent également le détenteur, peut être une personne différente. Il a le pouvoir de disposer du chien (notamment de le céder). C’est lui qui paye l’évaluation. Par exemple, pour un chien en famille d’accueil, le propriétaire sera l’association et non la famille d’accueil.

OBJECTIF ET QUALIFICATION DE L’ÉVALUATION COMPORTEMENTALE

Définition

Selon l’article D.211-3-1 du Code rural et de la pêche maritime, « l’évaluation comportementale prévue à l’article L.211-14-1 du présent code est réalisée dans le cadre d’une consultation vétérinaire. Elle a pour objet d’apprécier le danger potentiel que peut représenter un chien. L’évaluation comportementale est effectuée, sur des chiens préalablement identifiés (…), par un vétérinaire inscrit sur une liste départementale » [4]. L’évaluation comportementale est définie comme une procédure visant à apprécier le danger potentiel que peut représenter un chien. Sa réalisation est un acte vétérinaire. Les conclusions sont transmises au maire par le vétérinaire, à charge pour l’édile de veiller à la mise en œuvre des mesures prescrites.

Expertise et impartialité

Si la diagnose de catégorie est un constat, sous réserve de rapporter des éléments objectifs sans se prononcer sur leurs conséquences de droit ou de fait, l’évaluation comportementale est un dispositif technique « ayant pour objet de fournir à un commanditaire, en réponse à la question posée, une interprétation, un avis ou une recommandation aussi objectivement fondés que possible, élaborés à partir des connaissances disponibles et de démonstrations, accompagnés d’un jugement professionnel ». Il s’agit là de la définition littérale de l’expertise au sens de la norme NFX 50-110. De par son diplôme, tout vétérinaire est un expert dans le domaine de l’animal (expert de jure). La compétence, l’impartialité et l’objectivité sont des exigences absolues (encadré). Bien que l’article D.211-3-1 du Code rural et de la pêche maritime évoque le danger potentiel, c’est bien un risque que le vétérinaire doit évaluer, conformément aux dispositions de l’article D.211-3-2.

ÉVALUATION DU RISQUE

Un risque se définit par la composition de deux facteurs : la gravité d’un dommage et la probabilité d’occurrence de ce dommage. Ce sont ces deux items que le praticien doit prendre en compte pour attribuer au chien qu’il évalue l’un des quatre niveaux de risque prévus par le texte :

- niveau 1 : le chien ne présente pas de risque particulier de dangerosité en dehors de ceux inhérents à l’espèce canine ;

- niveau 2 : le chien présente un risque de dangerosité faible pour certaines personnes ou dans certaines situations ;

- niveau 3 : le chien présente un risque de dangerosité critique pour certaines personnes ou dans certaines situations ;

- niveau 4 : le chien présente un risque de dangerosité élevé pour certaines personnes ou dans certaines situations.

Pour évaluer la probabilité, il doit tenir compte des modalités de garde, un élément essentiel, ainsi que des facteurs de risque (tableaux 1 et 2).

PROPOSITION DE PROTOCOLE

La consultation d’évaluation, si elle relève des compétences d’un praticien, n’est pas une consultation classique de médecine, composante d’un contrat de soins. Il ne s’agit pas de soigner un animal (contrat de soins en référence à l’arrêt Mercier) dans l’intérêt d’un client, mais d’évaluer un risque afin d’éclairer un tiers décideur (le maire). L’objectif n’est ni d’établir un diagnostic, ni de mettre en place un traitement médical. La prise en charge médicale et/ou comportementale éventuelle relèvera du vétérinaire traitant et des consignes imposées par le maire. Il n’y a pas de méthode imposée pour l’évaluation comportementale, il s’agit essentiellement d’une démarche clinique, mais il est néanmoins nécessaire d’avoir de la méthode et de respecter la procédure à mettre en œuvre. Le protocole exposé ici n’est qu’une proposition de procédure appliquée depuis plusieurs années par l’auteur et de nombreux praticiens, il n’a pas de caractère obligatoire mais peut constituer un outil de référence sécurisant pour le vétérinaire [1].

Étapes préliminaires

Les choses doivent être clairement explicitées avant la consultation, de façon à obtenir le consentement éclairé du demandeur, d’autant plus important que l’évaluation est une procédure obligatoire, imposée et non désirée qui devra être présentée comme une mesure de santé et de sécurité publiques. Lors de la prise de rendez-vous, la demande doit être précisée : permis de détention de chien de catégorie, morsure sur une personne ou demande du maire. La nécessité de l’identification préalable du chien doit être soulignée, à la diligence du vétérinaire traitant. En l’absence de vétérinaire traitant, l’identification doit être effectuée avant le début du processus. L’information délivrée porte également sur le déroulement prévisible de la consultation, sa durée et son coût. Certains praticiens sollicitent également le versement préalable de tout ou partie du prix, limitant ainsi le risque de rendez-vous non honoré ou de refus de paiement.

L’accueil

Avant même de commencer la consultation proprement dite, l’observation du chien et de son entourage est riche d’enseignements, notamment concernant la maîtrise du chien, ses relations avec les animaux et les personnes présentes, sa tolérance à la contrainte non violente et la qualité des interactions avec les personnes et les congénères. Durant tout le déroulement de l’intervention, le vétérinaire, gardien juridique de l’animal, est responsable des dommages qu’il pourrait causer, y compris en présence de son propriétaire (article 1243 du Code civil).

La consultation proprement dite

Elle comprend deux parties : une partie objective (examen clinique et tests) et une partie subjective (questionnement).

Anamnèse et commémoratifs

Le questionnement portera notamment sur le développement du chien, les circonstances qui ont imposé l’évaluation (contexte de la morsure, des incidents éventuels), le comportement de l’animal en tenant compte des modalités de garde, etc. Il est évident que certains items importants comme l’attitude du chien envers les enfants, ne pourront pas toujours être évalués objectivement en l’absence d’enfant, et reposeront sur les déclarations. Cela devra être précisé dans le rapport.

Examen clinique

Cet examen clinique doit être réalisé (à condition d’être possible eu égard au comportement de l’animal), dans des conditions de sécurité satisfaisantes pour le chien, son entourage et le vétérinaire (photo 1). Il permet de mettre en évidence certains éléments d’importance, par exemple des phénomènes algiques, un état physiologique particulier (pseudocyèse) pouvant expliquer des réactions agressives.

Tests et mises en situation

Il n’y a pas de tests imposés à proprement parler, le praticien doit avoir une certaine latitude et de l’initiative dans ce domaine. Le chien est si possible mis en contact avec diverses personnes et animaux (au moins des chiens), soumis à diverses situations (sortie en extérieur), et des exercices simples sont proposés (par exemple pose de la muselière sur un chien catégorisé, marche en laisse), des contacts ou des bruits imprévus peuvent lui être imposés dans le respect du bien-être animal (photos 2a et 2b). Les exercices douloureux (piquer avec une aiguille, torsion des testicules), qui relèvent des mauvais traitements pénalement répréhensibles, sont interdits. Le but n’est pas de pousser le chien dans ses retranchements, à la limite de la morsure du praticien, mais d’évaluer le risque qu’il représente objectivement dans ses modalités habituelles de détention. Les mauvais traitements à animal et la mise en danger volontaire des personnes, à commencer par l’opérateur, constituent des fautes professionnelles.

Examens complémentaires

Dans certains cas, des examens complémentaires peuvent être utiles pour préciser les conditions d’une agression ou de modifications comportementales (imagerie, biochimie). Ces examens doivent être menés en synergie avec le vétérinaire traitant. Si les résultats sont différés, le compte rendu de l’évaluation peut l’être d’autant, car même s’ils ne modifient pas obligatoirement le niveau de risque, ils auront une incidence sur les mesures prescrites.

Le recours à un sapiteur

Un sapiteur est un technicien spécialisé dans une autre discipline que l’expert, qui agit sous son contrôle et sa responsabilité. S’il peut apporter un appui technique ponctuel, il ne peut effectuer l’essentiel de l’évaluation en lieu et place de l’évaluateur : si le vétérinaire ne s’estime pas compétent pour conduire personnellement une consultation d’évaluation, sa déontologie doit lui interdire de s’inscrire sur les listes. À titre d’exemple, si le recours à un dresseur pour mettre en évidence un dressage au mordant mal conduit, voire illégal, est pertinent, confier la quasi-totalité de la partie “physique” de l’évaluation à un éducateur/dresseur est à proscrire. De même, le vétérinaire qui s’est déclaré compétent ne peut confier l’essentiel de son évaluation à un vétérinaire consultant en comportement. S’il estime que le chien présente un trouble du comportement, sans nécessairement le nommer, il lui appartient de prescrire, dans ses conclusions, une prise en charge spécialisée à la diligence du vétérinaire traitant. Dans le cas particulier éventuel où le vétérinaire traitant demande au vétérinaire évaluateur de prendre en charge le chien à la suite de l’évaluation, une nouvelle évaluation destinée à apprécier les effets de la prise en charge sera confiée à un autre praticien.

LE RAPPORT

Une rédaction claire

Une chaîne vaut par le plus faible de ses maillons. Quelle que soit la qualité des investigations, une évaluation n’a de valeur que si elle est conclue par un rapport éclairant le maire décideur et lui permettant de prescrire et d’imposer des mesures pertinentes visant à prévenir le danger.

Le rapport doit être écrit en français, dans le respect de l’orthographe, et compréhensible par son destinataire. Les termes techniques doivent être traduits en langage courant.

Des mentions obligatoires

Les textes imposent des mentions obligatoires. Selon le niveau de classement du chien évalué, le vétérinaire propose des mesures préventives visant à diminuer sa dangerosité et émet des recommandations afin de limiter les contacts avec certaines personnes et les situations pouvant générer des risques. Il peut conseiller de procéder à une nouvelle évaluation comportementale et indiquer le délai qui doit s’écouler entre les deux évaluations.

En cas de classement du chien au niveau de risque 4, le vétérinaire informe son détenteur ou son propriétaire qu’il lui est conseillé de placer l’animal dans un lieu de détention adapté ou de faire procéder à son euthanasie. Un lieu de détention adapté est un lieu dans lequel, sous la responsabilité du propriétaire ou du détenteur, l’animal ne peut pas provoquer d’accident.

Un rapport signé et transmis

Le rapport d’évaluation doit être daté et signé de la main du vétérinaire. Il est authentifié par la signature et le timbre du praticien conformément aux dispositions de l’article R.242-38 du Code rural et de la pêche maritime [5].

À l’issue de la visite, le vétérinaire en charge de l’évaluation communique les conclusions de l’évaluation comportementale au maire de la commune de résidence du propriétaire ou du détenteur du chien et, le cas échéant, au maire qui a demandé l’évaluation comportementale en application de l’article L.211-11, ainsi qu’au Fichier national canin. Depuis 2014, le résultat de l’évaluation doit être transmis sur I-CAD par voie dématérialisée (procédure simple, onglet dédié). L’absence de cet enregistrement peut être sanctionnée.

Références

  • 1. Debove C, Diaz C. L’évaluation comportementale : guide pratique et juridique, 2e édition. Le Point Vétérinaire. 2017:144p.
  • 2. Légifrance. Article 25 de la loi 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, modifiant l’article L.211-14-1 du Code rural et de la pêche maritime. JORF n° 0056 du 7 mars 2007.
  • 3. Légifrance. Loi n° 2008-582 du 20 juin 2008 renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux. JORF n° 0144 du 21 juin 2008.
  • 4. Légifrance. Article D.211-3-1 du Code rural et de la pêche maritime, modifié par le décret n° 2018-820 (article 1).
  • 5. Légifrance. Article R.242-38 du Code rural et de la pêche maritime : certificats et autres documents. Modifié par le décret n° 2015-289 (article 1).
  • 6. Légifrance. Article R.242-82 du Code rural et de la pêche maritime : expertise. Modifié par le décret n° 2015-289 (article 1).

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré
LIMITES RÉGLEMENTAIRES ET MORALES DES MISSIONS DU VÉTÉRINAIRE

Pour s’assurer du respect de l’impartialité et de l’objectivité, l’article R.242-82 du Code rural et de la pêche maritime interdit au vétérinaire d’accepter une mission d’expertise concernant l’un de ses clients [6]. Si le vétérinaire n’est pas assuré d’être impartial et objectif, il est préférable qu’il ne s’inscrive pas sur les listes, notamment si sa sensibilité lui commande de tout faire pour sauver tous les chiens ou au contraire de rechercher un risque zéro.

CONCLUSION

L’évaluation comportementale est un processus relevant exclusivement de l’exercice vétérinaire. Elle a pour objectif d’apprécier le risque représenté par un chien compte tenu des modalités de sa garde, d’éclairer le maire et de lui permettre de prescrire si nécessaire des mesures visant à prévenir le danger. Compétence, impartialité, objectivité sont les qualités exigées du vétérinaire, auxquelles il convient d’ajouter le respect de l’animal et de la sécurité des personnes et des autres animaux.