AMYLOÏDOSE RÉNALE CHEZ UNE CHIENNE DE 9 ANS - Le Point Vétérinaire n° 458 du 01/10/2024
Le Point Vétérinaire n° 458 du 01/10/2024

NÉPHROLOGIE

Néphrologie

Auteur(s) : Cécile Désormière-Lecat*, Franck Lecat**

Fonctions :
*(CEAV de médecine interne)
**Clinique du Val d’Agé, Univet Bréval
1 rue du Vieux Chêne
78980 Bréval

Le diagnostic définitif d’une amyloïdose rénale est histologique et nécessite le recours à des biopsies rénales. Cependant, l’analyse d’urine et le dépistage de la protéinurie permettent une première orientation diagnostique.

L’amyloïdose rénale est une glomérulopathie relativement rare, caractérisée par le dépôt d’une protéine amyloïde au sein des glomérules rénaux. Des formes familiales existent (sharpeï, beagle) mais, dans la majorité des cas, l’aff ection est secondaire à un processus inflammatoire sousjacent. Le motif de consultation est souvent peu explicite et des signes cliniques non spécifiques d’insuffisance rénale sont généralement mis en évidence. L’analyse d’urine est indispensable et devrait être systématiquement eff ectuée dans ce contexte.

PRÉSENTATION DU CAS

Commémoratifs et anamnèse

Une chienne épagneul français non stérilisée, âgée de 9,5 ans, est présentée pour une anorexie consécutive à une dysorexie. La chienne vit à la campagne, chasse régulièrement et n’a jamais quitté la région normande. Ses vaccins CHPPiL3 sont à jour et elle reçoit un traitement antiparasitaire interne deux fois par an et un antiparasitaire externe à un rythme irrégulier. Plusieurs lactations liées à des pseudogestations sont rapportées. À l’admission, la chienne présente une dysorexie depuis six jours et une anorexie depuis la veille. Les propriétaires ne signalent aucune nausée ni trouble digestif. La prise de boisson et les mictions sont normales.

Examen clinique

L’animal est très agité et les conditions d’examen sont difficiles. Le score corporel est de 4 sur 9 et la température rectale mesurée à 39,6 °C. La chienne est en polypnée. L’auscultation cardiorespiratoire est normale (fréquence cardiaque de 92 battements par minute). Le temps de remplissage capillaire est inférieur à deux secondes. L’état d’hydratation est correct. La palpation abdominale est souple, non douloureuse. Le reste de l’examen est normal. Le bilan anamnestique et clinique est donc en faveur d’une anorexie et d’une hyperthermie chez une chienne épagneul français non stérilisée de 9 ans.

Hypothèses diagnostiques et examens complémentaires

Le diagnostic diff érentiel de l’anorexie est large compte tenu de la nonspécificité de ce signe. L’anamnèse permet d’éliminer les causes toxicologiques, médicamenteuses et comportementales. L’examen clinique de la face et de la cavité buccale ne montre pas d’anomalie susceptible de gêner la préhension et la déglutition des aliments. L’agitation extrême de la chienne ainsi que la polypnée orientent vers une hyperthermie liée au stress, sans pouvoir écarter une maladie systémique (infectieuse, inflammatoire, néoplasique ou auto-immune). En l’absence de signe digestif, une atteinte digestive stricte est moins probable, mais ne peut être exclue. Les signes présentés étant peu spécifiques, un bilan d’orientation diagnostique est entrepris en première intention.

Analyses sanguines

Un hémogramme et un bilan biochimique de base sont réalisés pour rechercher un syndrome inflammatoire et évaluer les fonctions rénale et hépatique (tableaux 1 et 2 en ligne). La biochimie révèle une azotémie modérée : créatinine à 304 mmol/l (valeur usuelle de 44 à 159 mmol/l) et urée à 11,8 mmol/l (valeur usuelle de 2,4 à 9,4 mmol/l). Une hyperglobulinémie (52 g/l) est aussi notée, compatible avec un processus inflammatoire, ainsi qu’une hypoalbuminémie modérée (20 g/l). L’hypoalbuminémie peut être consécutive à une inflammation aiguë, une perte liée à une néphropathie ou une entéropathie exsudative, un défaut de synthèse consécutif à une insuffisance hépatique. Compte tenu de l’azotémie, l’hypothèse retenue en priorité est une perte rénale sélective. La cholestérolémie est évaluée pour dépister un syndrome néphrotique, qui serait partiel à ce stade, étant donné l’absence d’œdèmes périphériques. La valeur obtenue (3,59 mmol/l) est comprise dans l’intervalle des valeurs usuelles (de 0,26 à 8,26 mmol/l). L’hyperglobulinémie n’est pas caractérisée, l’électrophorèse des protéines sériques n’ayant pas été réalisée. L’hémogramme montre une thrombocytose modérée, probablement liée au stress (contraction splénique) ou réactionnelle (maladie inflammatoire). Le frottis sanguin est sans anomalie. En raison de l’azotéBIOPSIEmie, le bilan est complété par un ionogramme qui met en évidence une hyperphosphatémie à 3,64 mmol/l (tableau 3 en ligne). L’animal présente donc une insuffisance rénale. L’apparition soudaine des signes cliniques sans amaigrissement progressif ainsi que l’absence d’anémie orientent vers une atteinte rénale aiguë, mais la distinction avec une maladie rénale chronique est difficile à ce stade. Les examens complémentaires sont poursuivis afin de caractériser l’azotémie et de rechercher une protéinurie.

Analyse d’urine

La chienne étant peu coopérative, elle est tranquillisée afin de recueillir de l’urine via une cystocentèse échoguidée. La densité urinaire mesurée au réfractomètre est de 1,022 (modérément diminuée). La bandelette urinaire indique une protéinurie marquée (500 mg/dl) et une activité peroxydasique également marquée (tableau 4). Le rapport protéines sur créatinine urinaires (RPCU) est mesuré pour quantifier la protéinurie, qui apparaît marquée avec un RPCU de 6,6. Un examen cytobactériologique des urines (ECBU) révèle un sédiment inactif et l’absence de bactériurie. La protéinurie marquée, associée à l’hypoalbuminémie, est en faveur d’une néphropathie d’origine glomérulaire. Une électrophorèse des protéines urinaires a aussi été demandée pour identifier l’origine de la protéinurie (glomérulaire, tubulaire ou mixte), mais elle n’a pas été effectuée en raison de difficultés techniques. Compte tenu du contexte (chien de chasse), la recherche de leptospirose par réaction de polymérisation en chaîne (PCR) a également été réalisée sur le sang et les urines (résultats négatifs).

La persistance de la protéinurie avec un RPCU supérieur à 2 et un sédiment inactif orientent vers une glomérulopathie (tableau 5). Étant donné que cette lésion est majoritairement chronique, une insuffisance rénale chronique de stade 3 selon la classification de l’I nternational Renal Interest Society (Iris) est probable.

Échographie abdominale

Une échographie abdominale est réalisée pour rechercher des anomalies rénales compatibles notamment avec une pyélonéphrite ou une glomérulopathie, mais aussi une aff ection sousjacente compatible avec une glomérulopathie secondaire. Elle montre des reins de taille normale avec des anomalies non spécifiques comme un cortex hyperéchogène et un anneau médullaire (photos 1a et 1b). Aucune dilatation pyélique ni lésion obstructive n’est identifiée. La seule autre anomalie observée est une échostructure hétérogène du parenchyme splénique.

Orientation diagnostique et autres examens complémentaires

Recherche d’une aff ection sous-jacente

Une glomérulopathie secondaire à une maladie infectieuse, dysimmunitaire ou néoplasique étant fortement suspectée à ce stade, plusieurs examens complémentaires sont entrepris (tableau 6). Le dosage des anticorps antinucléaires revient négatif et le lupus est exclu. Le test sérologique rapide (Snap 4Dx Plus) pratiqué pour détecter les principales maladies vectorielles (anaplasmose, borréliose, ehrlichiose, dirofilariose) est négatif. La chienne n’ayant jamais quitté la Normandie, la leishmaniose n’est pas recherchée. Compte tenu de l’échostructure du parenchyme splénique, des cytoponctions de la rate sont réalisées et permettent d’exclure un processus néoplasique. Des radiographies du thorax ne montrent pas d’anomalie spécifique. L’ensemble des examens réalisés ne permet pas d’identifier une aff ection sousjacente à l’origine de la glomérulopathie.

Évaluation des risques de complication

Les glomérulopathies exposent à un risque d’hypertension artérielle et de thromboembolie. La pression artérielle systolique moyenne (PAS) est mesurée à 170 mmHg par la méthode oscillométrique (high-definition oscillometry), ce qui correspond à une hypertension modérée. La chienne étant extrêmement agitée, le résultat est cependant à interpréter avec prudence. Par précaution, un fond d’œil est réalisé. Il ne montre aucun signe de rétinopathie hypertensive nécessitant une prise en charge de l’hypertension à ce stade. L’activité de l’antithrombine III est normale (93 %, valeur usuelle de 70 à 150 %) et n’est pas en faveur d’un état d’hypercoagulabilité.

Traitement

La chienne reçoit une fluidothérapie à base de chlorure de sodium à 0,9 % (à raison de 4 ml/kg par heure pendant 24 heures, puis au débit d’entretien de 2 ml/kg par heure) et un traitement antibiotique (oxytétracycline à la posologie de 10 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse pendant six jours). L’antibiothérapie est instaurée lors de la prise en charge compte tenu de l’activité de chasse, et poursuivie jusqu’à l’obtention des résultats négatifs de la PCR leptospirose et de l’ECBU. Elle reçoit également un traitement symptomatique du syndrome urémique (citrate de maropitant à la dose de 1 mg/kg une fois par jour). Une fois la protéinurie confirmée par le RPCU, un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) est ajouté (bénazépril à raison de 0,5 mg/kg une fois par jour par voie orale). Le lendemain, la température rectale est normale lors des contrôles, ce qui oriente vers une hyperthermie et non une fièvre. La chienne est hospitalisée durant sept jours, mais reste agitée en permanence. Elle s’alimente uniquement en présence de ses propriétaires et refuse l’alimentation spécifique à base de protéines de bonne qualité et hypophosphorée qui est préconisée (Renal de Royal Canin). Un régime ménager avec un chélateur de phosphore (carbonate de calcium à raison de 5 g deux fois par jour) est donc mis en place et le retour à domicile décidé, avec la poursuite du traitement par voie orale.

Suivi

À J14

Durant les deux premières semaines qui suivent la prise en charge initiale, les paramètres rénaux sont régulièrement surveillés pour évaluer la progression des lésions rénales (mesure de l’urée et de la créatininémie tous les trois jours et dosage hebdomadaire du RPCU) (figure). Le phosphore, l’ionogramme et la numérationformule sont aussi réévalués la semaine qui suit le retour au domicile. L’azotémie progresse pendant les sept premiers jours, puis l’urémie reste élevée, tandis que la créatininémie diminue, parallèlement à la perte de masse musculaire, importante durant cette période. La protéinurie augmente rapidement, le RPCU passant de 6,6 à 22,98 en une semaine. L’hyperphosphatémie persiste, les autres paramètres ioniques restent stables. L’hypoalbuminémie s’accentue (18 UI au dixième jour). Le bénazépril est donc augmenté, après chaque évaluation du RPCU, par palier de 0,5 mg jusqu’à 1 mg/kg deux fois par jour. Une numération-formule, réalisée dix jours après l’analyse initiale, révèle une anémie normochrome normocytaire arégénérative modérée (interprétée en lien avec une maladie inflammatoire chronique et/ou un déficit en érythropoïétine) (tableau 7 et photo 2). La pression artérielle systolique est réévaluée dix jours après la mesure initiale et affiche une valeur augmentée à 200 mmHg, qui correspond à une hypertension élevée Compte tenu de cette augmentation, le fond d’œil est de nouveau contrôlé sans révéler de lésions hypertensives. La dose de bénazépril venant d’être augmentée, il est décidé de ne pas ajouter d’agent antihypertenseur immédiatement, mais de l’introduire si l’hypertension (PAS supérieure à 180 mmHg) persiste au contrôle prévu quelques jours plus tard.

Biopsies rénales et diagnostic

Des biopsies rénales par laparotomie sont proposées, mais déclinées par les propriétaires dans un premier temps. L’examen est finalement effectué, étant donné la majoration rapide du RPCU en une semaine. Plusieurs biopsies sont réalisées à l’aide d’une aiguille Tru-Cut®.

L’analyse histologique par microscopie optique est demandée en urgence et une biopsie est conservée dans un milieu spécifique (glutaraldéhyde) pour la microscopie électronique.

Traitement médical en attendant les résultats histologiques

Dans l’hypothèse d’une glomérulopathie dysimmunitaire, un traitement immunomodulateur à base de mycophénolate mofétil (à la dose de 10 mg/kg matin et soir par voie orale) est mis en place en attendant les résultats histologiques.

Diagnostic définitif

L’histologie met en évidence des lésions de tous les glomérules, avec le dépôt d’une substance amorphe acidophile typique de l’amyloïde (photos 3a et 3b). La chienne souffre d’une glomérulopathie dont l’origine est une amyloïdose rénale.

Évolution

L’état de la chienne s’aggrave progressivement, la dysorexie s’accentue et s’accompagne de vomissements. La perte de poids est importante (16,5 % en cinq mois) (photo 4). Les propriétaires souhaitent limiter le traitement et privilégier le confort de leur animal. Seul le traitement symptomatique du syndrome urémique est donc poursuivi, dans la mesure du possible. La pression artérielle systolique est contrôlée à domicile au bout d’un mois à 160 mmHg.

La chienne est revue en contrôle à six mois (urée à 44,8 mmol/l, créatinine à 497 mmol/l). Elle est cachectique et présente des ulcères buccaux. Une euthanasie est effectuée.

DISCUSSION

Étiopathogénie de l’amyloïdose rénale

L’amyloïdose est caractérisée par un dépôt extracellulaire de protéines insolubles. Chez le chien, le rein est le site préférentiel de ce dépôt et souvent le seul concerné. La substance amyloïde se dépose principalement au sein des glomérules, beaucoup plus rarement dans la medulla (sharpei) ou l’insterstitium [13]. L’amyloïdose est donc à l’origine d’une glomérulopathie (atteinte de la barrière de filtration glomérulaire caractérisée par une protéinurie anormale).

Épidémiologie

L’épagneul français ne semble pas être prédisposé à l’amyloïdose, bien qu’une forme familiale soit décrite chez le sharpeï et suspectée dans d’autres races de chiens de chasse (beagle, fox terrier, épagneul breton, fauve de bretagne, bruno du jura, braque italien) [3, 4, 10]. La moyenne d’âge des animaux atteints est de 9 ans, comme dans notre cas, à l’exception des formes familiales qui apparaissent plus tôt [4, 13].

D’après une étude réalisée à partir de 500 biopsies rénales dans un contexte de suspicion de glomérulopathie, l’amyloïdose est retrouvée dans 15 % des cas, les glomérulopathies avec dépôt d’immuns complexes dans 48 % des cas et les glomérulopathies sans dépôt d’immuns complexes dans 30 % des cas [12].

Pathogénie

Il existe deux types d’amyloïdose : une forme primaire très rare et une forme secondaire ou réactive liée à une maladie chronique infectieuse (ehrlichiose, pyomètre, pyélonéphrite, arthrite septique, etc.), tumorale (myélome, lymphome) ou auto-immune. Les dépôts contiennent la protéine amyloïde A, qui est le fragment terminal de la sérum amyloïde A, une protéine de la phase aiguë de l’inflammation [10].

Pour une prise en charge précoce, il est nécessaire de rechercher l’affection sous-jacente, bien qu’elle soit difficile à diagnostiquer selon les études (23 à 53 % des cas, 64 % des cas au mieux) [10, 13]. Dans notre cas, le processus inflammatoire primaire n’a pu être précisément identifié. Une électrophorèse des protéines sériques aurait pu apporter des informations supplémentaires en aidant à différencier une hypergammaglobulinémie polyclonale (inflammatoire) d’une hypergammaglobulinémie monoclonale (origine tumorale fortement suspectée). Par ailleurs, même si l’épagneul français n’est pas une race prédisposée à l’amyloïdose, l’activité de chasse exposait cependant l’animal à de nombreuses stimulations antigéniques infectieuses.

Présentation clinique

L’amyloïdose conduit généralement à une insuffisance rénale et les signes cliniques non spécifiques qui y sont associés sont alors observés (dysorexie suivie d’une anorexie dans notre cas). Le tableau clinique peut être très fruste au départ (perte de poids, amyotrophie discrète). Un syndrome néphrotique, défini par l’association d’une protéinurie, d’une hypoalbuminémie, d’une hypercholestérolémie et d’épanchements et/ ou d’œdèmes, est décrit dans 10 % des cas [8, 13]. Face à une insuffisance rénale, la première étape consiste à déterminer le caractère aigu ou chronique de l’affection, car le pronostic et la prise en charge sont différents. Dans notre cas, les propriétaires dataient formellement l’apparition des premiers signes (dysorexie) au cours des huit jours précédents et n’avaient pas noté d’altération du poids ou de l’état général auparavant. Cependant, l’amyloïdose évolue majoritairement selon un mode chronique. Il était toutefois difficile d’évaluer précisément le mode d’évolution sans avoir de références antérieures, les propriétaires ayant jusqu’alors décliné les analyses complémentaires proposées lors des consultations précédentes.

D’autres manifestations cliniques liées à la fuite protéique peuvent également être observées, comme des symptômes liés à des thromboembolies (dyspnée aiguë, boiterie avec diminution du pouls, etc.) ou des signes d’hypertension artérielle systémique (décollement rétinien, troubles cardiaques ou cérébraux, troubles de la coagulation tels qu’une épistaxis) [10].

Démarche diagnostique

L’amyloïdose représente une forme particulière de glomérulopathie. Elle relève par conséquent de la démarche diagnostique et de la prise en charge générale des glomérulopathies [5, 7].

Démarche diagnostique en cas de glomérulopathie

Lors de suspicion d’une affection glomérulaire, la mise en évidence d’une protéinurie persistante est une étape incontournable. Le RPCU est l’examen de choix qui permet de quantifier précisément la protéinurie et fournit des indications sur la localisation des lésions (atteinte glomérulaire probable lors de valeur supérieure à 2) [3, 9]. La démarche diagnostique doit alors être rigoureuse afin d’établir un diagnostic étiologique et d’adapter les décisions thérapeutiques (traitement spécifique en cas de glomérulopathie dysimmunitaire).

Le choix des examens complémentaires à mettre en œuvre doit être raisonné en tenant compte de nombreux facteurs (stade de l’affection, examens disponibles, contraintes budgétaires des propriétaires, etc.).

En 2013, un consensus d’experts a établi des recommandations visant à guider le praticien dans ses choix [5]. Dans notre cas, l’exploration de la glomérulopathie a ainsi été effectuée selon les recommandations consensuelles, pour la souscatégorie protéinurie rénale persistante avec azotémie (Tiers III) [5].

Biopsie rénale

Ces recommandations précisent également qu’une phase active de glomérulopathie est une indication pour réaliser une biopsie [5, 6]. L’hypoalbuminémie progressive et l’aggravation rapide de l’azotémie ont donc conduit à la proposer. Un RPCU élevé est en faveur d’une amyloïdose, mais cet examen manque de spécificité et l’histologie est l’examen de référence pour caractériser une glomérulopathie [5, 6]. Toutefois, l’apport de la microscopie conventionnelle étant limité, la microscopie optique électronique se révèle indispensable pour visualiser la membrane basale lorsqu’un processus dysimmunitaire est suspecté. L’étude rétrospective portant sur 501 cas de biopsies rénales a ainsi montré que la microscopie électronique avait été nécessaire dans 27 % des cas pour établir le diagnostic de glomérulopathie dysimmunitaire [12]. Les prélèvements doivent être examinés par un pathologiste expérimenté, dans un laboratoire spécialisé, via la microscopie électronique et l’immunofluorescence. Dans notre cas, l’observation en microscopie optique de dépôts extracellulaires colorés au rouge Congo, avec une biréfringence vert-jaune en lumière polarisée liée à la conformation en feuillets ß des protéines, était caractéristique de l’amyloïdose [2, 9]. Au vu des premiers résultats, la microscopie électronique n’a pas été utilisée en complément. Néanmoins, il est important d’expliquer les limites de l’examen conventionnel au propriétaire et l’intérêt de caractériser précisément la glomérulopathie afin d’adapter la prise en charge. Les contre-indications de la biopsie rénale sont une hypertension non contrôlée, un trouble de l’hémostase, une anémie sévère, une insuffisance rénale terminale (stades Iris III et IV) [5]. Dans notre cas, la pression artérielle de la chienne était difficilement évaluable en raison de son comportement agité. Toutefois, les mesures obtenues avec les propriétaires montraient une hypertension modérée et ces valeurs étaient confortées par l’absence de lésions du fond d’œil.

Par ailleurs, même si aucun signe n’évoquait un trouble de la coagulation, il aurait été souhaitable de compléter l’évaluation de l’hémostase secondaire par la mesure des temps de coagulation.

Critères de décision thérapeutique

Le pronostic associé à l’amyloïdose est sombre à moyen terme (8,5 % d’animaux survivants au-delà d’un an), aucun traitement n’étant efficace actuellement [10].

Réduire la protéinurie

En l’absence de traitement spécifique, l’amyloïdose bénéficie du traitement commun aux glomérulopathies [7]. Ainsi, la réduction de la protéinurie est essentielle pour ralentir la progression des lésions rénales. Elle repose sur l’instauration d’une alimentation spécifique avec un apport réduit en protéines et une complémentation en acide oméga 3, ainsi que sur l’inhibition du système rénine-angiotensine-aldostérone. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) étant jusque-là recommandés en première ligne, un traitement à base de bénazépril a été instauré dès l’identification de la protéinurie dans notre cas [3, 7]. Les antagonistes des récepteurs de type 1 de l’angiotensine II, ou sartans, peuvent également être employés (telmisartan à la dose de 1 mg/kg par jour par voie orale avec une augmentation possible par palier de 0,5 mg jusqu’à 2 mg/kg par jour) [1, 3, 7]. Comme leur utilisation était encore peu documentée chez le chien lors de la prise en charge de ce cas, ils n’ont pas été employés. Cependant, une étude randomisée en double aveugle récente confirme leur intérêt et ils peuvent représenter une alternative intéressante [11]. Par ailleurs, il est possible de recourir à un immunomodulateur, même en l’absence de biopsie, lorsque l’azotémie est rapidement progressive et compliquée d’une hypoalbuminémie [6]. Une forte suspicion d’amyloïdose est toutefois une contre-indication. Dans notre cas, l’azotémie s’est rapidement accentuée et, sans élément de certitude à ce stade, du mycophénolate mofétil, qui est recommandé en première ligne, a été prescrit en attendant les résultats histologiques [6].

Prévenir les complications

Pour évaluer le risque de thromboembolie souvent associé aux glomérulopathies (21 % des cas d’amyloïdose en post-mortem), une perte en antithrombine III a été recherchée dans notre cas [13]. Le résultat étant normal, aucun traitement préventif n’a été prescrit. Cependant, selon des études prospectives, le taux d’antithrombine III ne suffit pas pour évaluer le risque de thromboembolie, qui est multifactoriel [14]. Les experts recommandent donc de mettre systématiquement en place une thromboprophylaxie : aspirine à dose faible (1 à 5 mg/kg par jour) ou clopidogrel (1,1 mg/kg par jour) [7].

Enfin, concernant la prise en charge de l’hypertension, en l’absence de lésions du fond d’œil, il a été décidé de réévaluer l’effet de l’IECA (diminution de la pression artérielle de 10 % généralement) avant d’introduire un traitement complémentaire avec un inhibiteur calcique (amlodipine) [7]. Lors des dernières mesures, effectuées au calme à domicile un mois plus tard, la pression artérielle était dans les normes.

Références

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Conflit d’intérêts : Aucun

Complément de lecture :

Tableaux 1 ; 2 et 3

https://bit.ly/3zuAlKv

Points clés

• L’amyloïdose représente 15 % des glomérulopathies. Elle est généralement secondaire à une maladie inflammatoire dont l’identification est difficile.

• Le diagnostic de l’amyloïdose est histologique et nécessite la réalisation de biopsies rénales.

• Les complications telles que l’hypertension artérielle, les thromboembolies et le syndrome néphrotique sont fréquentes.

• Le pronostic est sombre, avec seulement 8,5 % des animaux toujours en vie au-delà d’un an. Aucun traitement n’est efficace

CONCLUSION

L’amyloïdose rénale est une affection rare qui représente 15 % des glomérulopathies, toutes causes confondues. Elle est souvent diagnostiquée à un stade avancé, les signes cliniques étant peu spécifiques et tardifs. Ce cas illustre l’intérêt de l’analyse d’urine et du dépistage de la protéinurie, a minima par une bandelette urinaire en première intention, qui devrait être réalisée systématiquement dans la pratique généraliste. Le diagnostic définitif est histologique et nécessite le recours à des biopsies rénales. Des techniques peu invasives comme la biopsie percutanée échoguidée rendent le prélèvement plus simple (anesthésie courte, acte moins douloureux), mais requièrent néanmoins un certain degré d’expertise. La création d’un centre européen de pathologie rénale vétérinaire (European Veterinary Renal Pathology Service) permet désormais de recourir à une procédure standardisée via un site internet qui facilite l’obtention de milieux de transport spécifiques, l’acheminement et l’évaluation des biopsies par des experts selon trois méthodes complémentaires (microscopie optique, électronique et immunofluorescence). Les recherches actuelles portent sur les prédispositions génétiques suspectées chez plusieurs races ainsi que sur les mécanismes sous-jacents de l’amyloïdose. Enfin, d’autres facteurs pourraient être étudiés, par exemple l’impact environnemental dans les élevages de chiens courants.