ONCOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Frédérique Nguyen
Fonctions : (DipECVP, PhD)
Oniris, VetAgroBio
Lab Oniris secteur histopathologie animale
101 route de Gachet
44300 Nantes
L’immunohistochimie et le bilan histopathologique des tumeurs mammaires canines et félines apportent des informations déterminantes pour le praticien.
Comme l’examen clinique ne permet pas de différencier de manière fiable les différentes lésions mammaires d’une chienne ou d’une chatte, le diagnostic de certitude est établi, après la mammectomie, par le bilan anatomopathologique. Ce bilan aide également le vétérinaire à établir un pronostic, à décider de la mise en œuvre d’une ovariectomie adjuvante chez une chienne ou chatte entière, ou encore à proposer une mammectomie radicale préventive.
En plus d’identifier avec certitude la nature d’une masse mammaire, l’analyse histopathologique fournit des informations pronostiques, notamment sur le devenir probable des animaux indépendamment du traitement mis en place, mais aussi prédictives, concernant la probabilité de réponse à un traitement donné, utiles pour la conduite à tenir au-delà de la mammectomie(1) [1, 2, 4, 6, 8-12, 17, 21, 23-24, 27, 29-33, 39, 41]. Lors de tumeur mammaire maligne, l’examen histopathologique repose sur des critères objectifs qui permettent d’estimer le risque (élevé ou faible) de récidive, de métastase ou de mortalité. Ces critères sont principalement le stade histologique et l’immunophénotype, et dans une moindre mesure le type et le grade histologiques [1, 6, 8-12, 21, 23-24, 27, 29-33, 37, 39, 41]. Dans cet article, un facteur pronostique est considéré comme fort s’il est associé au devenir des animaux dans de multiples études, ou si les analyses de survie multivariées démontrent un impact indépendant de celui des autres facteurs pronostiques connus. À l’inverse, un facteur pronostique est considéré comme faible si son association avec le devenir des animaux repose sur peu d’études ou uniquement sur des analyses de survie univariées.
Avec une probabilité d’erreur de 5 à 7 %, l’histopathologie mammaire permet d’établir un diagnostic de quasi-certitude [20]. Les lésions mammaires peuvent être non tumorales, bénignes ou malignes.
Chez la femme, les lésions mammaires non tumorales, dites non prolifératives, ne sont pas significativement associées à un risque ultérieur accru de cancer du sein, sauf s’il existe un historique familial. Les lésions prolifératives sans atypies sont associées à un risque modérément accru de cancer du sein ultérieur (odds ratio de 1,43 avec un suivi médian sur quinze ans). Enfin, les lésions prolifératives avec atypies sont associées à un fort risque de cancer du sein ultérieur (odds ratio de 4,24) [16]. Par analogie, les lésions mammaires chez la chienne et la chatte non tumorales et non prolifératives, c’est-à-dire les ectasies canalaires, les galactocèles et les métaplasies cylindriques, seraient sans risque significatif d’apparition ultérieure d’une tumeur (bénigne ou maligne) (photos 1a et 1b) [7]. Les lésions mammaires non tumorales prolifératives normotypiques, c’est-à-dire les hyperplasies fibro-épithéliales et les hyperplasies lobulaires ou canalaires sans atypies, seraient à faible risque (photos 1c et 1d) [7]. Enfin, les hyperplasies lobulaires et canalaires atypiques seraient à risque élevé (photos 1e et 1f) [7]. Certaines de ces lésions sont qualifiées de précancéreuses. C’est le cas de l’hyperplasie mammaire canalaire, dite épithéliose, présente chez 52 % des chiennes ayant subi une mammectomie radicale, qui évolue en carcinome mammaire dans 13 % des cas [40].
Chez la chienne, les tumeurs mammaires malignes coexistent le plus souvent avec des lésions non tumorales et des tumeurs bénignes, ce qui doit inciter à faire analyser toutes les lésions mammaires présentes [15]. Les tumeurs mammaires malignes de la chienne sont des carcinomes dans 77 à 95 % des cas (tumeurs épithéliales incluant les myoépithéliomes malins), devant les carcinosarcomes dans 1 à 16 % des cas (tumeurs à la fois épithéliales et conjonctives) et les sarcomes dans 4 à 7 % des cas (tumeurs conjonctives incluant les ostéosarcomes, les chondrosarcomes, les hémangiosarcomes, les sarcomes des tissus mous et les mastocytomes) [28]. Chez la chatte, les tumeurs mammaires malignes sont quasi exclusivement des carcinomes, avec de rares cas rapportés de carcinosarcome et d’ostéosarcome mammaire [35].
Le stade d’un cancer correspond à son extension dans l’organisme. Le plus connu est le stade clinique TNM qui repose sur trois critères mesurés par le praticien : T pour tumeur primitive, N pour nœud lymphatique régional ou sentinelle, M pour métastases à distance(2). Cependant, l’analyse histopathologique permet de définir le stade histologique, bien codifié pour les cancers du sein humains, qui comprend la taille tumorale dite pathologique (mesurée par le pathologiste), par opposition à la taille tumorale clinique (mesurée au pied à coulisse par le vétérinaire), ainsi que le stade ganglionnaire. Ce stade histologique doit être complété par le bilan d’extension clinique concernant les métastases à distance [9, 10]. Chez la chienne et la chatte, le stade histologique proposé comprend un quatrième critère, l’invasion lymphovasculaire (lymphovascular invasion, LVI), qui indique que le carcinome est en cours de dissémination métastatique [10].
La particularité du stade histologique est de comporter un stade 0, inexistant dans la classification clinique et qui correspond aux carcinomes mammaires in situ. Un carcinome mammaire est qualifié d’in situ s’il n’a pas encore franchi les limites des lobules ou canaux mammaires dans lesquels il s’est développé, en opposition à infiltrant ou invasif lorsqu’il envahit le stroma mammaire (figure 1) [4]. Le diagnostic différentiel nécessite la mise en évidence immunohistochimique des cellules myoépithéliales entourant normalement les lobules et canaux mammaires : elles sont présentes autour d’un carcinome in situ, mais absentes si le carcinome est invasif. Les marqueurs myoépithéliaux les plus utilisés sont la protéine p63 et la calponine [25]. Le pronostic associé aux carcinomes in situ qui ne nécessitent pas de chimiothérapie adjuvante est bien meilleur que celui associé aux carcinomes invasifs [9, 10, 30].
La taille tumorale pathologique peut être mesurée à l’aide d’un double-décimètre, soit macroscopiquement lors de la recoupe du carcinome mammaire inclus dans le formol, soit histologiquement sur une lame. Elle ne prend pas en compte l’épaisseur de la peau, contrairement à la taille clinique. Une augmentation de 1 mm de la taille pathologique d’un carcinome mammaire est associée à une hausse statistiquement significative du risque de mortalité lié au cancer de 3 % chez la chienne et de 6 % chez la chatte [9, 10].
La présence d’emboles lymphatiques ou veineux de cellules carcinomateuses, appelée invasion lymphovasculaire, indique un carcinome infiltrant en cours de dissémination métastatique. Elle est attestée en routine par l’examen des veines et des voies lymphatiques intratumorales et péritumorales, sur des coupes histologiques colorées à l’hémalun-éosine. En cas de doute, si les voies lymphatiques sont entièrement oblitérées par les cellules tumorales ou lors de rétraction artefactuelle des tissus conjonctifs, un marquage immunohistochimique de l’endothélium lymphatique peut aider à la détection des emboles. L’anticorps phare en oncopathologie humaine est le D2-40, mais il ne présente pas de réaction croisée chez le chien et le chat, et peut être remplacé par un anticorps anti-LMO2 [3, 12]. La présence d’emboles associés aux carcinomes mammaires invasifs multiplie de façon statistiquement significative le risque de mortalité liée au cancer par 3 chez la chienne et par 1,8 chez la chatte, indépendamment de la taille tumorale pathologique [9, 10].
Le stade ganglionnaire peut reposer au choix sur la cytologie (à la suite d’une cytoponction ganglionnaire à l’aiguille fine) ou sur l’histologie (après une exérèse ganglionnaire). Cependant, il n’existe pas de données sur la performance de la cytologie pour établir le stade ganglionnaire. Aussi, la méthode de référence est l’examen histologique de sections ganglionnaires réalisées tous les 2 mm, avec si besoin une confirmation de la présence de cellules métastatiques par l’immunohistochimie anticytokératine [7, 19, 25]. L’idéal est de déterminer le stade ganglionnaire d’après le ganglion sentinelle, le premier à recevoir la lymphe de la tumeur, identifié par l’injection péritumorale de bleu patenté, ou mieux par lymphographie indirecte au scanner [13, 38]. Le pathologiste peut alors distinguer les cellules tumorales isolées (amas métastatique jusqu’à 200 cellules ou 200 µm de diamètre) des micrométastases (de 200 µm à 2 mm de diamètre) ou des macrométastases (d’au moins 2 mm) du carcinome mammaire. Cependant, les cellules tumorales isolées sont associées à un pronostic similaire à celui d’un stade ganglionnaire négatif, non métastatique [11, 39]. La présence de métastases ganglionnaires du carcinome mammaire multiplie de façon statistiquement significative le risque de mortalité liée au cancer par 1,7 chez la chienne indépendamment de la taille tumorale pathologique et de l’invasion lymphovasculaire, et par 2,1 chez la chatte [9, 10].
Chez la chienne, les tumeurs mammaires malignes bénéficiant du meilleur pronostic en matière de survie après une exérèse de la tumeur sans traitement adjuvant sont les carcinomes mammaires in situ (89 sur 556 chiennes soit 16 %, survie globale médiane de quarante et un mois), puis les myoépithéliomes malins (48 sur 556 chiennes soit 9 %, survie globale médiane de vingt-sept mois), suivis à égalité par les sarcomes des tissus mous (36 sur 556 chiennes soit 6 %, survie globale médiane de douze mois) et les carcinomes mammaires invasifs (350 sur 556 chiennes soit 63 %, survie globale médiane de onze mois). Les tumeurs mammaires malignes au plus mauvais pronostic sont les ostéosarcomes ainsi que les chondrosarcomes (33 sur 556 chiennes soit 6 %, survie globale médiane de six mois) (figure 2) [9, 10, 17]. Ces études excluent cependant les carcinosarcomes, les masto cytomes et les lymphomes mammaires.
Chez la chienne, les carcinomes mammaires associés à de fortes probabilités de survie postmammectomie (via des analyses de survie univariées) sont les carcinomes dans une tumeur bénigne, les carcinomes papillaires intracalanaires (95 à 100 % de survie à deux ans) et les carcinomes complexes (82 à 96 % de survie à deux ans). Les carcinomes de très mauvais pronostic sont quant à eux les carcinomes de soustypes solides (survie globale médiane de huit à dix mois), anaplasiques, adénosquameux et les carcinosarcomes (survie globale médiane de trois à quatre mois), ainsi que les carcinomes mammaires inflammatoires (survie globale médiane de vingt-cinq jours sous corticothérapie palliative) (photos 2a à 2c) [6, 23, 26-27, 33]. Chez la chatte, les carcinomes micropapillaires sont particulièrement agressifs (survie globale médiane de quatre mois) (photo 2d) [32].
Le grade histologique d’un cancer est le reflet semi-quantitatif de son degré de malignité (agressivité). Pour les tumeurs mammaires, l’établissement du grade (ou grading) ne s’applique qu’aux carcinomes (tumeurs malignes épithéliales) non inflammatoires. Chez la chienne, une adaptation du système de grading histopronostique d’Elston-Ellis pour les cancers du sein humains est utilisée. Elle prend en compte l’hétérogénéité tumorale et l’existence de composantes myoépithéliales ou conjonctives (tableau 1) [24]. La valeur pronostique de ce grade a été confirmée via des analyses de survie univariées et multivariées, indépendamment de la taille tumorale, du stade ganglionnaire et/ou de l’index de prolifération (tableau 2) [6, 23-24, 27, 29, 37]. Chez la chatte, la valeur pronostique du grade d’Elston-Ellis a été confirmée par des analyses de survie univariées [8, 12, 21, 31]. Il est également possible d’utiliser un système de grading adapté aux chattes, prenant en compte les valeurs très élevées de l’activité mitotique observées dans les carcinomes mammaires félins, ce grade étant significativement associé à la survie globale (tableau 3). Ce système est plus performant que celui d’Elston-Ellis en termes de probabilité de mortalité liée au cancer (par analyse de survie multivariée, indépendamment du stade ganglionnaire) [12, 21]. Deux autres systèmes de grading sont proposés pour les carcinomes mammaires chez la chatte : l’un prend en compte les anomalies de forme nucléaire (il est donc subjectif et peu reproductible), l’autre mélange grade et stade puisqu’il prend en compte l’invasion lymphovasculaire [21].
Le statut des marges, positives (infiltrées, contenant des cellules carcinomateuses) ou négatives (saines), a été associé au risque de récidive locorégionale, au risque de métastase à distance, et à la probabilité de survie globale ou spécifique chez la chienne et la chatte [6, 9, 23, 37]. La présence d’ulcération cutanée en regard d’un carcinome mammaire augmente statistiquement le risque de mortalité lié au cancer de 91 % chez la chienne et de 78 % chez la chatte [9, 10].
Il est possible de détecter par immunohistochimie, à l’aide d’anticorps spécifiques, l’expression des récepteurs hormonaux ER (estrogen receptor) et PR (progesterone receptor), du marqueur de prolifération Ki-67 et du récepteur human epidermal growth factor receptor-2 (HER2) dans les carcinomes mammaires canins et félins. Cependant, l’intérêt de HER2 est à ce jour quasi nul en raison de la rareté chez la chienne et la chatte de carcinomes mammaires surexprimant HER2 et de l’absence de thérapie anti-HER2 disponible en oncologie vétérinaire [2, 5, 22]. Le seul immunophénotype de bon pronostic est le sous-type luminal A, défini comme pour les cancers du sein humains par une positivité pour ER et/ou PR, une négativité pour HER2 et un faible index Ki-67 : ce sont des carcinomes hormonodépendants et peu prolifératifs [1, 34, 41]. Plusieurs seuils de positivité pour ER et PR (1 et 10 % en index, ou score d’Allred bas) et pour Ki-67 (de 7 à 40 % chez la chienne, de 14 à 20 % chez la chatte) sont utilisables, comme c’est le cas pour les cancers du sein humains (encadré) [1, 10, 30, 36, 41]. L’important est que chaque laboratoire vérifie que les seuils qu’il utilise sont bien significativement associés au devenir des animaux, ce qui nécessite de réaliser des enquêtes de survie.
Comme cela est devenu le cas pour les cancers du sein chez la femme, il est hautement probable que dans un futur proche, le compte rendu histopathologique des carcinomes mammaires comprenne une semi-quantification de l’inflammation associée à la tumeur, qui a une valeur pronostique forte en matière de survie globale et spécifique chez la chienne et la chatte [9, 10]. À l’avenir, les lésions mammaires canines et félines seront probablement diagnostiquées en deux temps : d’abord sur une biopsie pour identifier le processus lésionnel, puis sur une pièce d’exérèse par mammectomie(3) plus ou moins large selon le diagnostic biopsique. Ce procédé ouvrira la voie à la chimiothérapie néoadjuvante, qui présente l’avantage de pouvoir évaluer rapidement la réponse au traitement [14]. Peut-être qu’alors seront évalués, sur une biopsie de carcinome mammaire, des marqueurs de radiorésistance ou de chimiorésistance, comme la glycoprotéine P et la breast cancer resistance protein (BRCP) [18].
(1) Voir la fiche « Conduite à tenir lors de tumeurs mammaires chez la chienne et la chatte » dans ce dossier.
(2) Voir l’article « Bilan d’extension clinique des tumeurs mammaires chez la chienne et la chatte » dans ce dossier
(3) Le principe est de laisser du tissu tumoral en place (après la biopsie), de faire la chimiothérapie néoadjuvante puis de retirer la tumeur pour réaliser une histologie et noter la réponse à cette thérapie.
Conflit d’intérêts : Aucun
L’expression du récepteur alpha aux œstrogènes (ER) ou du récepteur à la progestérone (PR) peut être quantifiée en index (pourcentage de cellules cancéreuses exprimant ER ou PR parmi au moins 500 cellules carcinomateuses), sachant qu’un index varie de 0 à 100 % et ne prend pas en compte l’intensité du signal positif [1, 23]. Elle peut aussi être quantifiée via le score d’Allred initialement développé pour les cancers du sein humains.
La proportion de cellules positives est notée de 0 à 5 points : 0 pour l’absence totale de cellules exprimant ER ou PR, 1 point pour 0 à 1 %, 2 points pour 1 à 10 %, 3 points pour 10 à 33 %, 4 points pour 33 à 66 % et 5 points pour plus de 66 % de cellules cancéreuses exprimant ER ou PR. L’intensité du signal positif immunohistochimique est notée 0 (protéine non exprimée), 1 point (marquage faible), 2 points (marquage modéré) ou 3 points (marquage fort). L’addition du score de proportion et du score d’intensité donne le score d’Allred, qui peut être de 0 ou compris entre 2 et 8 points. Un carcinome mammaire de chienne est généralement considéré comme positif pour ER avec un score d’Allred supérieur ou égal à 3 points [25, 41]. C’est dans quasiment tous les cas l’équivalent d’un index supérieur à 1 %, mais cela peut également correspondre à un index de 0 à 1 % avec un signal modéré à fort.
L’analyse histopathologique des lésions mammaires de la chatte et de la chienne apporte en routine des informations déterminantes telles que le type de lésion, la taille tumorale, l’invasion lymphovasculaire, le stade ganglionnaire, le grade histologique et le statut des marges. Pour obtenir des informations plus précises, comme pour le diagnostic des carcinomes mammaires in situ, des myoépithéliomes malins et des carcinomes hormonodépendants, l’immunohistochimie devient nécessaire, en particulier pour évaluer l’intérêt d’une ovariectomie.