CONDUITE À TENIR LORS DE TUMEURS MAMMAIRES CHEZ LA CHIENNE ET LA CHATTE - Le Point Vétérinaire n° 458 du 01/10/2024
Le Point Vétérinaire n° 458 du 01/10/2024

ONCOLOGIE

Dossier

Auteur(s) : Frédérique Nguyen

Fonctions : (DipECVP, PhD)
Oniris, VetAgroBio
Lab Oniris secteur histopathologie animale
101 route de Gachet
44300 Nantes

L’analyse histopathologique des lésions mammaires canines et félines permet d’orienter la surveillance ainsi que les prises en charge chirurgicale et postchirurgicale.

Selon les lésions mammaires diagnostiquées chez une chienne ou une chatte lors de l’examen histopathologique de la pièce opératoire à l’issue d’une mammectomie, le vétérinaire peut être amené à prescrire une surveillance régulière des glandes mammaires restantes, réintervenir via une mammectomie élargie et/ou mettre en œuvre des traitements adjuvants à la chirurgie. La conduite à tenir est bien codifiée pour les cancers du sein humains, où elle dépend beaucoup du stade du cancer et de facteurs dits prédictifs, c’est-à-dire prévoyant la réponse à une modalité thérapeutique particulière (encadré) [6]. À ce jour, peu de facteurs prédictifs sont connus chez la chienne et la chatte entières, mais il est montré que l’expression des récepteurs hormonaux dans les carcinomes mammaires permet de prédire la réponse à une ovariectomie [2, 8].

EXÉRÈSE DE TOUTES LES TUMEURS, QUEL QUE SOIT LEUR ASPECT

Compte tenu du comportement de la majorité des tumeurs mammaires, une exérèse est recommandée dans la plupart des cas. Les tumeurs mammaires bénignes sont toutes associées à un excellent pronostic, quel que soit leur type (adénome, adénomyoépithéliome, myoépithéliome, fibroadénome, tumeur mixte bénigne, papillome intracanalaire, tumeur phyllode, lipome, ostéome, hémangiome). Ainsi, leur exérèse complète est curative.

Chez la chienne, l’évolution d’une tumeur mammaire bénigne en tumeur maligne est possible : il existe en effet des “carcinomes dans un adénome complexe” ou “dans une tumeur mixte bénigne” [1]. Par conséquent, cela justifie de procéder à l’exérèse de l’ensemble des tumeurs mammaires, même celles d’apparence bénigne, d’une part parce que des tumeurs malignes peuvent être petites, non adhérente à la peau et au muscle, et mimer une tumeur bénigne, d’autre part parce que des tumeurs bénignes évoluent parfois en cancer [9]. Si lors du bilan histopathologique, la chienne ou la chatte ne présente que des lésions mammaires non tumorales ou tumorales mais bénignes, pour lesquelles une mammectomie en marges saines est curative, les traitements adjuvants éventuels visent à réduire le risque de tumeur mammaire ultérieure. Si la tumeur est maligne, l’objectif est d’améliorer la survie.

REPRISE CHIRURGICALE PLUS LARGE ET MAMMECTOMIE PRÉVENTIVE

Le premier motif de reprise chirurgicale est le diagnostic d’un carcinome mammaire retiré en marges infiltrées. Par ailleurs, la mise en évidence de lésions précancéreuses sur une pièce chirurgicale de mammectomie régionale peut justifier la mise en œuvre ultérieure d’un geste chirurgical plus large tel qu’une mammectomie radicale préventive (exérèse de toute la chaîne mammaire, voire des deux chaînes) destiné à retirer les hyperplasies atypiques avant leur évolution en carcinome mammaire [10].

SURVEILLANCE DU TISSU MAMMAIRE

La surveillance régulière et attentive des glandes mammaires restantes, solution alternative à la mammectomie radicale, est facile à mettre en œuvre, moins coûteuse et sans risque de complications chirurgicales. Elle peut cependant conduire à prendre en charge la tumeur mammaire tardivement, à un stade où elle sera devenue visible ou palpable. Il s’agit probablement d’une perte de chance pour l’animal, comme cela est démontré en médecine humaine où environ 70 % des cancers du sein sont infracliniques (c’est-à-dire ni visibles ni palpables) et détectés lors du dépistage systématique via la mammographie, un examen qui contribue à la nette amélioration des probabilités de survie des patientes [4].

La réalisation de mammographies n’étant pas standardisée en médecine vétérinaire, le choix entre une mammectomie radicale préventive et une surveillance clinique des glandes mammaires après le diagnostic d’une hyperplasie canalaire atypique repose sur l’appréciation du rapport coût/bénéfice, sachant que 13 % de ces lésions évoluent en carcinome mammaire chez la chienne [10].

RÉALISATION D’UNE OVARIECTOMIE

Lors de tumeur mammaire bénigne ou d’hyperplasie

Chez la chienne atteinte de tumeurs mammaires bénignes ou d’une hyperplasie mammaire, le risque d’apparition d’une nouvelle tumeur est estimé entre 18 et 50 %, mais il est réduit de moitié après une ovariectomie (ablation ovarienne) ou une ovariohystérectomie (ablation ovarienne et utérine) [7, 9].

Par analogie, l’ovariectomie pourrait également être proposée chez la chatte entière, bien qu’il n’existe aucune preuve scientifique d’efficacité du même type. Chez la chatte atteinte d’hyperplasie mammaire fibro-épithéliale, le traitement de référence est fondé sur les antagonistes de la progestérone (aglépristone) et la réalisation d’une ovariohystérectomie. Cependant, il n’existe pas de preuve démontrant que cette intervention protège du risque ultérieur d’apparition d’une tumeur mammaire [3, 5].

Lors de carcinome mammaire

Chez les chiennes entières qui présentent un carcinome mammaire, l’expression du récepteur aux œstrogènes (ER) dans la tumeur est prédictive d’une réponse favorable à l’ovariohystérectomie, en termes de gain de survie globale(1). Les chiennes chez lesquelles la suppression ovarienne améliore la survie sont celles dont le carcinome mammaire est soit de grade II, soit ER positif (score d’Allred d’au moins 3 points sur 8) et associé à une œstradiolémie élevée lor du diagnostic (E2 supérieur ou égal à 35 pg/ml), sachant que ce dernier paramètre est rarement mesuré [8]. Or, dans cette étude, les risques de progression cancéreuse étaient élevés pour les carcinomes de grade III, mais non significativement différents entre les grades I et II, ce qui indique que les carcinomes de grade III nécessitent une modalité thérapeutique adjuvante à la mammectomie. Cela peut conduire à proposer une ovariohystérectomie pour les chiennes entières dont le carcinome mammaire est de grade II ou III et ER positif, si la valeur d’estradiolémie sérique n’est pas disponible. Chez les chattes entières présentant un carcinome mammaire, une ovariectomie est bénéfique si le carcinome est positif pour le récepteur de la progestérone (PR exprimé par plus de 1 % des cellules tumorales). Cela ne concerne que 28 % des chattes (25 sur 90), mais le risque de mortalité liée au cancer est diminué de 64 % (hazard ratio de 0,36) dans le groupe ayant subi une ovariectomie (survie spécifique(2) médiane de 39,5 mois) par rapport aux femelles non stérilisées (survie spécifique médiane de 13,6 mois) (figure) [2].

  • (1) La survie globale est définie comme le délai écoulé entre le diagnostic de carcinome mammaire et la mort de l’animal, quelle qu’en soit la cause

  • (2) La survie spécifique est définie comme le délai écoulé entre le diagnostic de carcinome mammaire et la mort de l’animal à cause du cancer.

Références

  • 1. Cassali GD, Jark PC, Gamba C et coll. Consensus regarding the diagnosis, prognosis and treatment of canine and feline mammary tumors - 2019. Braz. J. Vet. Pathol. 2020;13 (3):555-574.
  • 2. Collange E. Effets de l’ovariectomie sur le devenir des chattes atteintes de carcinomes mammaires invasifs. Thèse doctorat vétérinaire, Oniris (Nantes). 2022:222p.
  • 3. De Melo EH, Câmara DR, Notomi MK et coll. Effectiveness of ovariohysterectomy on feline mammary fibroepithelial hyperplasia treatment. J. Feline Med. Surg. 2021;23 (4):351-356.
  • 4. Duffy SW, Tabár L, Yen AM et coll. Mammog raphy screening reduces rates of advanced and fatal breast cancers: results in 549,091 women. Cancer. 2020;126 (13):2971-2979.
  • 5. Görlinger S, Kooistra HS, van den Broek A et coll. Treatment of fibroadenomatous hyperplasia in cats with aglepristone. J. Vet. Intern. Med. 2002;16 (6):710-713.
  • 6. Hou Y, Peng Y, Li Z. Update on prognostic and predictive biomarkers of breast cancer. Semin. Diagn. Pathol. 2022;39 (5):322-332.
  • 7. Kristiansen VM, Nodtvedt A, Breen AM et coll. Effect of ovariohysterectomy at the time of tumor removal in dogs with benign mammary tumors and hyperplastic lesions: a randomized controlled clinical trial. J. Vet. Intern. Med. 2013;27 (4):935-942.
  • 8. Kristiansen VM, Peña L, Díez Córdova L et coll. Effect of ovariohysterectomy at the time of tumor removal in dogs with mammary carcinomas: a randomized controlled trial. J. Vet. Intern. Med. 2016;30 (1):230-241.
  • 9. Sorenmo KU, Kristiansen VM, Cofone MA et coll. Canine mammary gland tumours; a histological continuum from benign to malignant, clinical and histopathological evidence. Vet. Comp. Oncol. 2009;7 (3):162-172.
  • 10. Valdivia G, Alonso-Diez Á, Alonso-Miguel D et coll. Epitheliosis is a histopathological finding associated with malignancy and poor prognosis in dogs with mammary tumors. Vet. Pathol. 2022;59 (5):747-758.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : FACTEURS PRÉDICTIFS RECONNUS DU CANCER DU SEIN CHEZ LA FEMME

Le facteur prédictif est une donnée objectivement mesurable du diagnostic du cancer, concernant la patiente ou sa tumeur, qui est significativement associée à la réponse à un traitement donné. Dans le cas du cancer du sein, les facteurs prédictifs reconnus sont quasi exclusivement des données immunohistochimiques. L’expression du récepteur aux œstrogènes (ER pour estrogen receptor), couplée à celle du récepteur à la progestérone (PR pour progesterone receptor) ou à l’index de prolifération Ki-67, prédit la réponse à la thérapie hormonale. Une surexpression de la protéine human epidermal growth factor recepto r 2 (HER2) ou une amplification du gène HER2 prédit la réponse aux anticorps monoclonaux anti-HER2. L’expression du programmed death-ligand 1 (PD-L1) dans les cancers du sein triple négatifs (négatifs pour ER, PR et HER2) prédit la réponse à une immunothérapie [6].

CONCLUSION

L’analyse histopathologique des lésions mammaires des chattes et des chiennes apporte certaines informations qui aident à choisir la prise en charge postchirurgicale. Une décision de mammectomie élargie ou de surveillance rapprochée peut être envisagée après le diagnostic d’une hyperplasie canalaire atypique, car il s’agit d’une lésion précancéreuse susceptible d’évoluer en carcinome mammaire. Concernant les traitements adjuvants systémiques, il n’existe pas de donnée sur la probabilité d’une bonne réponse à la chimiothérapie anticancéreuse actuellement. Chez les chiennes entières, une ovariectomie est bénéfique après le diagnostic de tumeur bénigne ou d’hyperplasie pour diminuer le risque de nouvelle tumeur mammaire, ou en cas de carcinome hormonodépendant positif pour le récepteur aux œstrogènes afin d’améliorer la survie. Chez les chattes entières, le bénéfice en matière de survie est apporté par une ovariectomie en cas de carcinome mammaire hormonodépendant, positif pour le récepteur à la progestérone.