ONCOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Frédérique Nguyen
Fonctions : (DipECVP, PhD)
Oniris, VetAgroBio
Lab Oniris secteur histopathologie animale
101 route de Gachet
44300 Nantes
Le pronostic des carcinomes mammaires est sombre dans la moitié des cas environ. Des thérapies adjuvantes sont souvent nécessaires en plus de la mammectomie.
Les tumeurs mammaires malignes du chien et du chat représentent un réel problème en santé animale, en raison de leur fréquence élevée et de leur gravité. L’incidence annuelle des carcinomes mammaires est estimée à 418 nouveaux cas pour 100 000 chiennes et 230 pour 100 000 chattes [8]. En France, une chienne entière sur trois développe au moins une tumeur mammaire au cours de sa vie et la moitié environ de ces tumeurs sont malignes [2, 12]. Cet article présente le devenir des chiennes et des chattes après l’établissement du diagnostic de carcinome mammaire, ainsi que les facteurs et les scores pronostiques qui permettent de l’estimer.
La récidive locorégionale est définie par l’apparition d’un nouveau carcinome sur le site de mammectomie (récidive vraie), d’une nouvelle tumeur mammaire (dans une autre mamelle) et/ou d’une métastase ganglionnaire. Chez la chienne, le risque de récidive locorégionale est estimé à 34 % à un an et 47 % à deux ans après le diagnostic de carcinome mammaire invasif. Les facteurs pronostiques indépendants, qui évaluent le risque de récidive locorégionale via une analyse de survie multivariée, sont l’invasion lymphovasculaire, le stade ganglionnaire pathologique, le statut des marges et la positivité pour le récepteur alpha aux œstrogènes (ER+ au-delà de 10 % des cellules tumorales) (encadré 1) [11]. Chez la chatte, le risque de récidive locorégionale est estimé à 39 % à un an et 59 % à deux ans après le diagnostic de carcinome mammaire invasif. Les facteurs pronostiques indépendants associés à ce risque sont la taille tumorale, le stade ganglionnaire et la positivité pour ER (tableau 1 en ligne sur lepointveterinaire.fr) [4]. Les carcinomes ER+ récidivent moins que les carcinomes ER- chez la chienne, alors qu’ils récidivent plus chez la chatte. L’explication repose sur le fait que parmi les carcinomes ER+, les chattes ont neuf fois sur dix un carcinome ER+ PR- (négatif pour le récepteur à la progestérone, PR) agressif, alors que les chiennes ont 25 % de carcinomes ER+ PR+, au comportement clinique peu ou tardivement récidivant. Le groupe “ER+” des carcinomes mammaires est très hétérogène et une positivité isolée pour ER n’est pas de bon pronostic [9].
Le risque de métastases à distance deux ans après un diagnostic de carcinome mammaire invasif est estimé entre 24 et 27 % chez la chienne, 29 et 50 % chez la chatte [4, 11, 16, 17]. Ce risque est probablement sous-estimé en raison de l’absence de recours systématique à l’imagerie médicale dans le suivi à long terme de l’extension du cancer.
La progression cancéreuse est l’apparition d’une récidive vraie, d’une nouvelle tumeur mammaire, d’une métastase ganglionnaire et/ou à distance. La différence avec la récidive locorégionale est donc la prise en compte de la généralisation métastatique. Son étude correspond à l’évaluation de l’intervalle sans rechute, ou disease-free interval (DFI). Le risque de progression d’un carcinome mammaire invasif est estimé à 34 % à un an et 45 % à deux ans après le diagnostic chez la chienne, avec un intervalle médian sans rechute de 34 mois, et à 49 % à un an et 61 % à deux ans chez la chatte, avec un intervalle médian sans rechute de 14 mois [7, 11]. Les facteurs pronostiques indépendants significativement associés au risque de progression du cancer sont le statut des marges, le stade ganglionnaire, la positivité pour ER et l’index de prolifération Ki-67 chez la chienne, et l’invasion lymphovasculaire, la positivité pour ER (de mauvais pronostic) et la positivité pour PR (de bon pronostic) chez la chatte (photos 1 et 2, tableau 2, et tableau 3 en ligne) [4, 11].
Le cancer mammaire est la première cause de mortalité des chiennes entières (30 %) et la quatrième cause de mortalité des chiennes stérilisées après l’âge de 2 ans (9 %) [2]. Le risque de mortalité toutes causes confondues des chiennes ayant présenté un carcinome mammaire invasif est estimé à 52 % à un an et 72 % à deux ans, avec une survie globale médiane de onze mois [11]. Chez les chattes, la survie globale médiane est également estimée à onze mois, avec des risques de mortalité de 52 % à un an et de 75 % à deux ans après le diagnostic de carcinome mammaire invasif [4]. Il existe de multiples modèles multivariés décrivant le risque de mortalité toutes causes confondues après le diagnostic de carcinome mammaire, mais la survie globale est fortement affectée par l’âge : plus les chiennes et les chattes sont âgées au moment du diagnostic, plus elles risquent de mourir rapidement. Ainsi, la gravité d’un carcinome mammaire est mieux appréciée via l’étude de la survie spécifique [14].
Au cours des deux ans qui suivent le diagnostic d’un carcinome mammaire, environ la moitié des chiennes et des chattes sont mortes des suites de leur tumeur [6, 7]. Cependant, ce risque dépend fortement du stade, de l’immunophénotype et de l’inflammation associée au cancer.
Les seuls carcinomes bénéficiant d’un pronostic favorable sont les tumeurs in situ, qui représentent 21 % des carcinomes mammaires canins et 14 % des carcinomes mammaires félins sans métastase à distance objectivée lors du diagnostic (tableau 4). Leur diagnostic repose sur la mise en évidence de la protéine p63, un marqueur des cellules myoépithéliales qui entourent les carcinomes in situ. Ces derniers, qui surviennent chez des chattes et les chiennes plus jeunes, sont de plus petite taille et souvent positifs pour PR, avec un index de prolifération Ki-67 plus bas que les carcinomes invasifs [6, 7]. Chez la chatte, les carcinomes de stades II et IIIA sont associés à un pronostic similaire pendant environ dix-sept mois après le diagnostic, puis le pronostic s’améliore pour le stade II par rapport au stade IIIA [7].
Il est possible de définir l’immunophénotype d’un carcinome mammaire canin ou félin de la même manière que pour les cancers du sein humains, mais six marqueurs sont nécessaires, dont le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (human epidermal growth factor receptor-2, HER2) dont le coût est prohibitif [1]. Compte tenu de la rareté des cas HER2 positifs chez la chienne et la chatte, et de l’absence de traitement disponible ciblant HER2, ce marqueur peut raisonnablement être omis [3, 5, 10]. Les marqueurs de cellules basales comme le récepteur du facteur de croissance épidermique (epidermal growth factor receptor, EGFR) et les cytokératines basales apportant peu d’informations pronostiques, un immunophénotypage simple peut reposer sur ER, PR et Ki-67 chez les chiennes (coût indicatif : 100 €). Les carcinomes ER+ ou PR+ avec un faible index Ki-67 sont assimilables à des carcinomes luminaux A, hormonodépendants, peu prolifératifs. Les carcinomes ER+ ou PR+ avec un Ki-67 élevé sont assimilables à des carcinomes luminaux B et les carcinomes ER- PR- à des carcinomes triple négatifs. Seul l’immunophénotype luminal A est significativement de meilleur pronostic que les autres chez la chienne et la chatte (tableau 5 en ligne) [1, 15]. Chez les chattes, l’immunophénotypage peut être restreint à PR (coût indicatif : 55 €), le seul marqueur dont la valeur pronostique est indépendante du stade histologique [7].
Chez la chienne, les paramètres indépendants significativement associés au risque de mortalité liée au cancer sont les paramètres de taille tumorale pathologique (pT), de stade ganglionnaire pathologique (pN) et de métastases à distance (M), ainsi que l’intensité de l’inflammation due au cancer (visualisée sur une coupe histologique de routine) et l’immunophénotype (tableau 6) [1]. Chez la chatte, les trois paramètres indépendants corrélés à la survie spécifique sont le stade histologique, l’intensité de l’inflammation associée au cancer et la positivité pour PR (tableau 7 en ligne) [7].
En combinant les facteurs pronostiques indépendants identifiés via des analyses de survie multivariées, il est possible d’attribuer des scores de gravité au carcinome mammaire, associés au devenir probable des animaux [13, 17]. Par exemple, l’index pronostique de Nottingham, appliqué aux cancers du sein humains et adapté aux chiennes, repose sur la taille tumorale clinique, le grade histologique et la présence d’une invasion lymphovasculaire et/ou de métastases ganglionnaires. Il est significativement associé à la survie globale des chiennes [13]. D’autres index pronostiques ont également été calculés (encadrés 2 et 3) [9].
Complément de lecture : Tableaux 1 ; 3 ; 5 et 7
Conflit d’intérêts : Aucun
Pour chaque facteur pronostique, comme l’invasion lymphovasculaire (LVI), la cohorte est divisée en deux groupes : l’un présente le risque de base (hazard ratio ou HR = 1,00, par exemple pour le groupe LVI-) et l’autre soit un risque accru (HR > 1,00), soit un risque diminué (HR < 1,00) de survenue de l’événement étudié (tableau). Par exemple, HR = 1,55 pour le groupe LVI+ signifie que l’invasion lymphovasculaire augmente de 55 % le risque de récidive locorégionale. Chez une chienne dont le carcinome mammaire présente une invasion lymphovasculaire mais pas de métastase ganglionnaire, a été retiré en marges saines et est positif pour le récepteur aux œstrogènes (ER), le risque de récidive locorégionale est obtenu en multipliant les hazard ratios des quatre critères indépendants : HR de la chienne = 1,55 × 1,00 × 1,00 × 0,48 = 0,74. Sachant que le risque de référence (HR = 1,00) est celui de la population entière (34 % de récidives locorégionales à un an, 47 % à deux ans), la chienne en question présente un risque de récidives locorégionales de l’ordre de 25 % (34 % × 0,74) à un an et de 35 % (47 % × 0,74) à deux ans [11].
Sincères remerciements à Anne Gogny (Oniris) pour sa relecture critique du manuscrit.
Sept critères clinico-pathologiques sont pris en compte [9] :
- l’âge de la chienne au moment du diagnostic (0 point si moins de 11,7 ans, 10 points sinon) ;
- le statut sexuel de la chienne au moment du diagnostic (0 point si entière, 23 points si stérilisée) ;
- la multicentricité (0 point si carcinome unique, 16 points si multicentrique) ;
- l’ulcération cutanée (0 point si absente, 11 points si carcinome ulcéré) ;
- le type histologique (38 points si carcinome anaplasique ou inflammatoire, 0 sinon) ;
- la taille tumorale pathologique (0 point si inférieure ou égale à 20 mm, 15 points si supérieure à 20 mm) ;
- l’invasion lymphovasculaire (0 point si absente, 30 points si LVI+).
L’index obtenu varie en théorie de 0 à 143 points (de 0 à 113 points dans la cohorte étudiée de 344 chiennes sans métastase à distance au moment du diagnostic, traitées par la chirurgie seule). Les probabilités de survie globale à un an postdiagnostic sont de 78 % jusqu’à 36 points, de 57 % de 37 à 53 points et de 22 % à partir de 54 points. Les risques de mortalité liée au cancer au cours des deux ans qui suivent le diagnostic sont de 26 % jusqu’à 36 points, de 45 % de 37 à 53 points, de 77 % de 54 à 66 points et de 87 % à partir de 67 points.
Quatre critères clinico-pathologiques sont pris en compte [9] :
- la taille tumorale pathologique (3,74 points si inférieure ou égale à 20 mm, 5,18 points si supérieure à 20 mm) ;
- le stade ganglionnaire pathologique (3,74 points si pN0-pNX, 5,43 points si pN1) ;
- le pléomorphisme nucléaire, deuxième critère du grade histologique d’Elston-Ellis (3,74 points si faible à modéré, 4,74 points si élevé) ;
- la positivité pour le récepteur à la progestérone : 0 point si PR+ (index supérieur ou égal à 10 %), 3,74 points si PR-.
L’index obtenu varie en théorie de 0 à 19,1 points (de 11,2 à 19,1 points dans la cohorte étudiée de 339 chattes sans métastase à distance au moment du diagnostic, traitées par mammectomie seule).
Quatre groupes de risque sont identifiés : groupe 1 avec moins de 15 points (26 % des chattes), groupe 2 avec 15 à 17 points (33 % des chattes), groupe 3 avec 17 à 19 points (32 % des chattes) et groupe 4 avec 19,1 points (8 % des chattes). Les probabilités de survie globale à un an postdiagnostic sont de 71 % pour le groupe 1, de 48 % pour le groupe 2, de 40 % pour le groupe 3 et de 4 % pour le groupe 4.
Les probabilités de mortalité liée au cancer dans l’année qui suit le diagnostic sont de 20 % pour le groupe 1, de 45 % pour le groupe 2, de 62 % pour le groupe 3 et de 93 % pour le groupe 4.
Le pronostic associé aux carcinomes mammaires canins et félins est sombre dans environ la moitié des cas, avec des risques élevés de récidive locorégionale ou de mortalité liée au cancer : 50 % environ des chiennes et des chattes meurent au cours des deux ans qui suivent le diagnostic. Les carcinomes in situ bénéficient d’un meilleur pronostic, mais ils sont peut-être sous-identifiés car leur diagnostic de certitude nécessite l’appui de l’immunohistochimie. Utiliser les facteurs et les index pronostiques peut aider à informer le propriétaire sur le devenir probable de son animal, mais l’intérêt principal est d’identifier les femelles “à haut risque”, chez lesquelles une mammectomie est insuffisante et doit être complétée par des thérapies adjuvantes. Actuellement, seules la chimiothérapie et l’ovariectomie sont proposées, mais de nouvelles stratégies de traitement pourraient voir le jour, reposant sur des thérapies antihormonales autres que le tamoxifène, sur des thérapies ciblées (par exemple anti-EGFR car ce récepteur est souvent surexprimé dans les carcinomes mammaires canins et félins) ou sur l’immunothérapie [8].