LES ACTES VÉTÉRINAIRES AUPRÈS DES BOVINS : UNE RELATION TRIPARTITE À RÉÉQUILIBRER - Le Point Vétérinaire n° 461 du 01/01/2025
Le Point Vétérinaire n° 461 du 01/01/2025

VISITE D’ÉLEVAGE

Article original

Auteur(s) : Caroline Oulhen

Fonctions : Atout élevage
Élan créateur
7 rue Armand Herpin Lacroix
35000 Rennes

L’objectif d’instaurer une relation entre le vétérinaire, l’éleveur et les animaux fondée sur des interactions positives vise à améliorer la coopération et la confiance de chacune des parties en présence.

Si la visite d’un élevage, pour des actes longs de prophylaxie par exemple, n’est pas vécue comme un mauvais moment par le vétérinaire, c’est un événement souvent redouté par l’éleveur(1) car les animaux sont plus stressés après, parfois pendant plusieurs jours. Il convient ainsi, lors des visites, de ne pas prendre en compte la seule relation entre le vétérinaire et l’éleveur, mais d’y inclure les animaux. Le concept qui analyse l’élevage sous l’angle de l’ergonomie n’est pas nouveau [6]. L’animal est alors considéré comme un acteur à part entière de la relation de travail et doit aussi réaliser des tâches. Travailler sur la relation humain-animal permet d’améliorer la coopération, l’efficacité du travail et la sécurité de tous. Toutefois, cette relation tripartite est déséquilibrée, dans la mesure où les bovins dépendent de l’éleveur pour leur survie dans les conditions d’élevage, l’éleveur a besoin du vétérinaire pour réaliser certains actes obligatoires et stressants (notamment de prophylaxie) et les animaux doivent se soumettre à l’intervention du praticien. Ces déséquilibres créent de l’inconfort et limitent parfois la coopération entre les parties prenantes. Il est possible de limiter cet effet en améliorant les relations entre les différents protagonistes.

LES DÉTERMINANTS D’UNE RELATION

Une relation se définit comme un lien de dépendance ou d’influence réciproque entre deux individus. Elle peut être évaluée comme le degré de connectivité ou la distance entre deux êtres [7]. Ce rapport dépend de la perception qu’ils ont l’un de l’autre, et se modifie selon le nombre et la nature des interactions entre eux (positives, neutres ou négatives). Les expériences passées vont être mémorisées et influencer la perception puis la réaction de l’un des individus face à l’action de l’autre. Chacun va donc adapter son comportement suivant ses croyances ou perceptions, ses émotions et ses intentions [8]. il s’agit donc d’un processus itératif qui dépend de variables liées les unes aux autres (figure).

RELATION ENTRE LE VÉTÉRINAIRE ET L’ÉLEVEUR

Créer la confiance

Comment l’éleveur perçoit-il le vétérinaire ? Le voit-il comme un partenaire en qui il a confiance, une personne douce avec les animaux, un professionnel efficace ? De son côté, le vétérinaire considère-t-il que l’éleveur a tout mis en œuvre pour que les actes à effectuer se passent au mieux, que la sécurité soit assurée, que le lieu d’intervention soit propre et organisé de façon à travailler dans de bonnes conditions ? Ces perceptions dépendent des précédentes interactions entre l’éleveur et le vétérinaire : la façon dont se sont déroulées les dernières visites ou prophylaxies, les consignes éventuellement données lors de la prise de rendez-vous, etc. Dans ce contexte, les différentes dimensions de la confiance de l’éleveur vis-à-vis de son vétérinaire, et réciproquement, entrent en jeu (encadré 1) [2]. La confiance s’établit progressivement, au gré des interactions. Plusieurs applications pratiques peuvent alors en découler.

Clarifier et faire le point

Dès la prise de rendez-vous, il convient de formuler des recommandations visant à la bonne réalisation des soins. Un petit document récapitulant les points essentiels peut même être transmis si nécessaire. Ces deux actions permettent de clarifier les attentes et montrent le professionnalisme de la structure. Bien présentées, ces recommandations peuvent aussi exprimer de la reconnaissance envers le travail de l’éleveur. Avant de commencer la visite, il est important de prendre quelques minutes pour faire le point sur l’état d’esprit de chacun, de lever les éventuelles craintes et de vérifier la bonne organisation de l’intervention afin de sécuriser tous les opérateurs. Les techniques d’écoute active et de reformulation permettent d’instaurer un climat de bienveillance.

Faire bonne impression

Il sera beaucoup plus difficile d’établir une relation de confiance réciproque si l’éleveur et le vétérinaire ne se connaissent pas, lors de l’arrivée d’un nouveau salarié par exemple. Dans ce cas, le vétérinaire devra redoubler d’efforts pour nouer en un temps limité un premier lien avec l’éleveur, afin de faire une première bonne impression. Cela implique tout d’abord de prévenir l’éleveur en amont qu’il ne connaîtra pas son interlocuteur. De plus, le vétérinaire doit faire preuve d’exemplarité (respect des horaires, voiture et tenue propres, organisation du matériel). Un petit temps de discussion paraît également nécessaire avant de commencer la visite pour que les deux interlocuteurs se présentent, puis fassent le point sur le déroulement des opérations, avec calme et bienveillance réciproque. Enfin, quelques explications techniques sur le diagnostic et le traitement envisagé peuvent rassurer l’éleveur sur les compétences du praticien.

Se rendre disponible

Un petit point qui mérite de s’y attarder concerne la réponse aux sollicitations du téléphone portable. Faire preuve de disponibilité n’est pas synonyme d’être joignable en permanence. Éleveur comme vétérinaire trouveront probablement un bénéfice mutuel à être pleinement disponibles l’un pour l’autre lors de la réalisation des actes de prophylaxie, en laissant les téléphones en mode silencieux.

Gérer ses émotions

Un dernier facteur à prendre en considération concerne le message renvoyé à son interlocuteur. L’éleveur comme les animaux perçoivent l’humeur du vétérinaire à travers les éléments de la communication non verbale. Il est possible d’en masquer quelques-uns, par exemple en affichant un sourire qui provoque la détente des personnes alentour, ou en ralentissant les gestes effectués même si le temps presse. Une autre possibilité consiste à utiliser des méthodes de gestion des émotions avant d’arriver dans l’exploitation, afin de laisser ses préoccupations à la porte durant le temps dédié à l’intervention.

Notions de dépendance et de reconnaissance

Rappelons que la confiance renvoie aussi à la notion de dépendance. L’éleveur dépend du vétérinaire pour l’exécution de la prophylaxie. Le vétérinaire dépend de l’éleveur pour la bonne organisation des opérations, et en particulier pour la mise en sécurité de l’opérateur. Comme en médecine humaine, la relation de soin requiert « la reconnaissance mutuelle de la compétence, de la capacité à faire, à répondre aux attentes, à suivre, etc. Cela repose, plus encore que sur des actions, sur une appréciation globale (un ethos, un mode d’être) » [3]. Il est alors utile de s’interroger sur cette reconnaissance mutuelle avec chaque éleveur. Et si un doute subsiste, il est intéressant d’identifier les leviers pour améliorer cette confiance. Si tous les facteurs ne peuvent pas donner lieu à des actions immédiates, d’autres en revanche sont rapides à modifier : quelques mots simples peuvent changer drastiquement le climat de la visite. « Merci pour telle chose », « c’est bien ce que tu as mis en place », « j’apprécie cette initiative » sont autant d’interactions positives qui peuvent améliorer ou renforcer la relation entre un éleveur et son vétérinaire.

RELATION ENTRE HUMAINS ET BOVINS

Application des notions précédentes aux animaux

Les émotions

Une émotion est une sensation provoquée par une situation dont la durée est variable [5]. Elle peut être ressentie plus ou moins positivement, car il s’agit d’une évaluation subjective par l’animal. Elle se traduit par de la joie, de la surprise, de la peur, de la tristesse, du dégoût, etc. Elle engendre une activation physiologique ainsi qu’une réaction comportementale qui se traduit par un comportement général ou un mouvement, une posture du corps et une position de la tête, des oreilles, des yeux, de la queue particulières, ainsi que par d’éventuelles vocalises. L’évaluation de la situation par l’animal va dépendre de plusieurs facteurs (encadré 2) [5]. Elle est soumise à un biais de jugement : selon son état de stress, il percevra une même situation différemment. Ainsi, la même situation vécue par un même animal à des moments différents de sa vie sera perçue différemment. L’enjeu est donc de mettre un maximum d’actions en place qui tiennent compte de ces paramètres. De nombreuses situations vont générer des émotions. Parmi celles sur lesquelles les humains ont une influence, il y a les caractéristiques du logement. Elles influencent en effet fortement les relations sociales entre les individus du groupe. Ainsi, l’animal doit disposer de suffisamment de place pour se coucher, manger, boire, fuir, s’isoler, etc. Des enrichissements sont également nécessaires pour prévenir l’ennui ou réduire le stress. La relation humain-animal est aussi un facteur très important du déclenchement d’émotions.

La mémoire

La mémoire des animaux a été largement mise en évidence [4]. Chez les bovins, la mémoire en lien avec les sensations physiques leur confère différentes capacités. Par exemple, la mémoire olfactive permet l’établissement rapide du lien entre la vache et son veau. La mémoire auditive assure notamment la reconnaissance des voix humaines. La mémoire visuelle permet la reconnaissance des lieux, et la mémoire gustative celle des aliments. Enfin, la mémoire tactile induit une reconnaissance des actes douloureux provoqués par les humains [4].

La mémoire s’acquiert de manière individuelle, via l’observation des réactions de la mère ou par l’expérience propre de l’animal. La transmission sociale des connaissances permet aux moins expérimentés de fournir des efforts plus concentrés et plus efficaces que s’ils ne disposaient pas de modèle.

Le stress

Le stress, et en particulier le stress chronique, modifie le comportement de l’animal [1]. Par exemple, dans une expérimentation, les veaux soumis à un stress chronique (un réallottement quotidien) ont montré des réactions de peur beaucoup plus importantes et plus fréquentes que les veaux non soumis à ce processus [1]. Il convient donc d’identifier un maximum de facteurs de stress dans l’environnement des animaux et de mettre en place des actions pour en minimiser les effets.

Notion de relation interespèce

Le comportement d’un bovin envers l’humain va être influencé par quatre facteurs : la génétique, ce qu’il a appris en observant les réactions de sa mère, ce qu’il a retenu en observant le comportement des autres animaux, et son expérience individuelle des contacts avec les humains [4]. Il y a donc une notion de progression et de répétition des interactions positives pour créer un lien affectif humain-animal car, rappelons-le, dans cet écosystème, les bovins sont des proies et nous des prédateurs. Pour passer de cette relation de prédation à une relation de confiance, cette dernière doit se construire sur le long terme, dès le choix du plan d’accouplement réalisé par l’éleveur. Généralement, lorsque l’animal a une relation positive avec son soigneur, ses réactions au cours des procédures vétérinaires sont moins négatives, en particulier en la présence de l’éleveur (photo) [9].

Les leviers du vétérinaire pour améliorer la relation humain-animal

Plusieurs applications pratiques découlent de ces notions théoriques. En premier lieu, le vétérinaire peut s’efforcer de multiplier les interactions positives avant, pendant et après des actes entraînant un inconfort, un stress, voire une douleur. Ces actions pourront être différentes d’une ferme à une autre, car la perception positive va dépendre des habitudes des bovins. Ainsi, si la distribution d’un peu de concentrés fait l’unanimité parmi les vaches en bonne santé, il en ira autrement du grattage ou des paroles. Les animaux qui n’ont pas l’habitude du contact physique avec un humain risquent de percevoir ce geste comme une agression, tandis que ceux qui connaissent les récompenses en redemanderont. Ensuite, les bovins sont des animaux grégaires. Mieux vaut donc éviter au maximum de les isoler du reste du groupe, en tout cas le moins longtemps possible lorsque c’est nécessaire. La contrainte physique sera aussi à limiter dans le temps. Les cases équipées de barrière de contention facile à manipuler sont d’un grand intérêt dans cette perspective. Si le vétérinaire n’a pas de levier direct pour améliorer la relation entre les animaux et leur éleveur, il peut influencer ce dernier en lui donnant des conseils, en l’orientant vers des formations ou des ressources bibliographiques. Tout l’art réside dans la manière de présenter le projet. Les bénéfices mutuels sont importants, en particulier pour l’éleveur dans son travail au quotidien. D’autre part, si les relations entre le vétérinaire et l’éleveur sont bonnes, que l’ambiance de travail est calme et sereine, il semble raisonnable de présumer que les réactions négatives des animaux seront moins fréquentes et/ou moins vives. Il est possible d’aller beaucoup plus loin dans l’amélioration de la relation humain-bovin, mais cela nécessite de comprendre comment l’animal perçoit son environnement, comment sont générées les émotions positives ou négatives, comment il communique… Ces sujets feront l’objet d’un prochain article, de façon à améliorer la perception des humains par les bovins, en particulier lors des visites vétérinaires.

  • (1) Pour des raisons de simplification, les termes « éleveur » et « vétérinaire » utilisés englobent les éleveuses, les praticiennes, les collectifs d’agriculteurs, etc.

Références

  • 1. Boissy A, Veissier I, Roussel S. Behavioural reactivity affected by chronic stress: an experimental approach in calves submitted to environmental instability. Anim. Welf. 2001;10(S1):S175-S185.
  • 2. Drouet A, Le Mat J, Belloc C et coll. Développement et validation d’une échelle de mesure de la confiance entre éleveurs et vétérinaires porcins. Proc. Journées de la recherche porcine, Paris. 2020;52:227-232.
  • 3. Membrado M. La confiance et les enjeux de la reconnaissance dans l’interaction médecin-patient en médecine générale. Dans : Les négociations du soin. Presses universitaires de Rennes. 2014:51-66.
  • 4. Mounaix B, Boivin X, Brule A et coll. Cattle behaviour and the human-animal relationship: variation factors and consequences in breeding. Institut de l’Élevage. 2014:61p.
  • 5. Tallet C. L’état émotionnel des animaux, on en parle. Colloque Batice & One Welfare. 2024:28p.
  • 6. Veissier I, Sarignac C, Capdeville J. Les méthodes d’appréciation du bien-être des animaux d’élevage. Inrae Productions animales. 1999;12(2):113-121.
  • 7. Waiblinger S, Boivin X, Pedersen V et coll. Assessing the human-animal relationship in farmed species: a critical review. Appl. Anim. Behav. Sci. 2006;101(3-4):185-242.
  • 8. Waiblinger S, Menke C, Coleman G. The relationship between attitudes, personal characteristics and behaviour of stockpeople and subsequent behaviour and production of dairy cows. Appl. Anim. Behav. Sci. 2002;79(3):195-219.
  • 9. Waiblinger S, Menke C, Korff J et coll. Previous handling and gentle interactions affect behaviour and heart rate of dairy cows during a veterinary procedure. Appl. Anim. Behav. Sci. 2004;85(1-2):31-42.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1
DIFFÉRENTES DIMENSIONS DE LA CONFIANCE ENTRE UN ÉLEVEUR ET SON VÉTÉRINAIRE

La compétence : capacité reconnue en telle ou telle matière en raison de connaissances possédées et qui donne le droit d’en juger.

La fidélité : qualité de quelqu’un qui est constant dans ses sentiments, ses affections, ses habitudes ou qualité de quelqu’un qui ne manque pas à une promesse, qui ne trahit pas un serment.

La confidentialité : maintien du secret de l’information.

L’intégrité et l’honnêteté : droiture et franchise.

La bienveillance : disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui.

La disponibilité : fait pour quelqu’un d’être libre pour telle ou telle activité.

D’après [2] et les dictionnaires Larousse et Le Robert.

Encadré 2
FACTEURS INFLUENÇANT L’ÉVALUATION D’UNE SITUATION PAR UN ANIMAL

- La soudaineté de sa survenue.

- Son caractère familier, qui renvoie à la mémoire.

- Sa prévisibilité, en lien avec la familiarité et la soudaineté.

- La valence positive ou négative, influencée par le stress.

- Les attentes de l’animal.

- L’agentivité animale (capacité à agir sur l’environnement de manière consciente et intentionnelle).

D’après [5].

Points clés

• La relation qui s’instaure lors d’une visite d’élevage doit être tripartite, entre le vétérinaire, l’éleveur et l’animal.

• Une relation de confiance doit être établie avec l’éleveur, ainsi qu’une reconnaissance mutuelle des compétences et des efforts de chacun.

• Prendre en compte les émotions et la mémoire des animaux permet de multiplier les interactions positives pour limiter leur stress.

• De bonnes relations améliorent la coopération de l’animal, l’efficacité du travail et la sécurité de tous.

CONCLUSION

Ainsi, lors d’une visite, surtout si elle doit être longue, la première étape consiste à améliorer la communication avec l’éleveur pour une bonne organisation du chantier. Ceci induira, de part et d’autre, un sentiment de sécurité. De plus, provoquer des interactions positives pour améliorer la relation entre deux individus est la clé, qu’ils s’agissent d’humains ou d’animaux. L’établissement d’une confiance réciproque, avec des actions souvent à plus long terme, rendra l’accomplissement de cette mission beaucoup plus sereine. Pour aller plus loin sur l’amélioration des relations entre les vétérinaires et les éleveurs, des formations existent.