BIOLOGIE
Biologie
Auteur(s) : Mario Cervone*, Sophie Larrieu**
Fonctions :
*(DipECVIM-CA internal medicine)
**Clinique Sevetys Saint-Antoine
61 rue Crozatier
75012 Paris
La concentration sérique de la protéine C réactive est mesurée chez le chien et celle de la protéine sérique amyloïde A chez le chat. Sensibles mais peu spécifiques, ces marqueurs de la réaction inflammatoire aiguë sont utilisés pour le diagnostic et le suivi des maladies inflammatoires, infectieuses et néoplasiques.
La phase aiguë de l’inflammation est une réaction inflammatoire non spécifique à l’origine de changements dans la concentration sanguine des protéines dites de l’inflammation aiguë. Ces protéines représentent des indicateurs mesurables (biomarqueurs) du statut physiologique ou pathologique de l’animal. Certaines, telles que l’albumine, diminuent en concentration (protéines de l’inflammation aiguë négatives), d’autres augmentent en concentration (protéines de l’inflammation aiguë positives) comme la protéine C réactive chez le chien ou la protéine sérique amyloïde A chez le chat.
Un biomarqueur est un indicateur mesurable du statut physiologique ou pathologique d’un organe, d’un système ou d’un animal [12]. En pratique, comme aucun biomarqueur ne peut satisfaire à l’ensemble des caractéristiques idéales, il est important de déterminer leur utilité dans chaque situation clinique et les informations qu’il est possible d’obtenir grâce à leur utilisation (encadré 1).
Lors du recours à un biomarqueur, l’interprétation du résultat obtenu doit prendre en considération les différentes étapes de sa mesure (préanalytique, analytique et postanalytique) [12]. En particulier, l’étape préanalytique de la mesure du biomarqueur prend en compte la méthode de prélèvement ainsi que la manipulation et la conservation de l’échantillon avant la mesure, tandis que l’étape analytique inclut la méthodologie d’analyse, l’automate utilisé et la technicité de l’opérateur. Enfin, l’étape postanalytique définit principalement l’interprétation du résultat de l’animal à la lumière du contexte clinique [12]. De plus, les caractéristiques intrinsèques du test établies pour un seuil diagnostique donné, telles que sa sensibilité et sa spécificité, sont également à prendre en considération (encadré 2). Enfin, la variabilité biologique d’un biomarqueur est à considérer avant l’interprétation de sa performance diagnostique [12]. Elle dépend de l’animal (variabilité intra-individuelle) et de la population (variabilité interindividuelle) [12]. Elle est en outre influencée par la sécrétion rythmique ou intermittente du biomarqueur, ainsi que par sa demi-vie [12].
La phase aiguë de l’inflammation est un mécanisme non spécifique de défense de l’organisme induit par différents stimuli, dont les infections, les traumatismes et les néoplasies (encadré 3). Après une “agression” exogène (par des bactéries) ou endogène (par des auto-anticorps), des cytokines pro-inflammatoires (l’interleukine 1, l’interleukine 6 et le facteur de nécrose tumorale alpha) sont produites (figure) [3]. En parallèle, sous la stimulation de ces mêmes cytokines (et en particulier de l’interleukine 6), le foie régule la production des protéines de l’inflammation aiguë, parmi lesquelles figurent l’albumine, la transferrine, l’haptoglobine, l’alpha-1 glycoprotéine, le fibrinogène, la protéine C réactive et la protéine sérique amyloïde A [2, 6, 26]. Ces deux dernières sont dites positives (leur concentration sérique augmente en réponse à l’inflammation) et majeures (leur concentration sérique peut augmenter de dix à mille fois la valeur basale et atteindre un pic 24 à 48 heures après l’agression).
Une fois libérées, les protéines de l’inflammation aiguë ont pour objectif de promouvoir des effets anti-inflammatoires, via la stimulation de la phagocytose, l’induction de la production d’autres cytokines, l’inhibition de la chimiotaxie et la modulation des granulocytes neutrophiles. De ce fait, ces protéines font partie de la réponse immunitaire innée [6]. Une production extrahépatique des protéines de l’inflammation aiguë (dont les protéines C réactive et sérum amyloïde A) est également suggérée chez l’humain : pour la protéine C réactive, elle inclut une sécrétion lymphocytaire (ce qui explique, par exemple, son augmentation en cas de lymphome), synoviale, intestinale, rénale, prostatique et cardiaque, et pour la protéine sérique amyloïde A une sécrétion intestinale, rénale, adipocytaire, mammaire et par la moelle osseuse [6, 19].
La protéine C réactive est une protéine de l’inflammation aiguë très sensible pour détecter la présence d’un foyer inflammatoire chez le chien, mais peu spécifique pour en identifier la cause [6, 19]. En revanche, elle n’est ni sensible ni spécifique chez le chat [6]. Son nom provient de sa capacité à se lier au polysaccharide C de la paroi de Pneumococcus pneumoniae chez l’humain [6]. Sa concentration sérique augmente fortement environ quatre à six heures après une “agression” et atteint son pic 24 à 48 heures après [6]. Toutefois, le pic sanguin et l’importance de l’augmentation dépendent de la cause sous-jacente et de l’individu. Par exemple, la concentration sanguine augmente environ 24 heures après une infection à Bordetella bronchiseptica, mais uniquement quatre à dix jours après une infection par des bactéries intracellulaires telles que Ehrlichia spp. [6]. De même, une augmentation d’environ cinq fois la valeur haute de l’intervalle de référence est rapportée en cas de leishmaniose, tandis qu’elle n’est que de trois fois lors de chirurgie [6]. La demi-vie de la protéine C réactive est courte (environ 19 heures), avec une diminution rapide de sa concentration sanguine après la résolution du stimulus infectieux ou inflammatoire [6, 19].
En présence d’une infection bactérienne, cette protéine de l’inflammation aiguë favorise la liaison du complément et facilite alors la phagocytose bactérienne. De ce fait, elle est considérée comme une forme primitive d’anticorps, interagissant spécifiquement avec les composants de la membrane cellulaire des micro-organismes [6]. Plus généralement, elle favorise la production de cytokines, l’inhibition de la chimiotaxie et module l’activité des neutrophiles [6]. Les valeurs usuelles chez le chien sain varient entre 0 mg/l et 5 à 10 mg/l, selon l’automate ou le laboratoire de référence [6, 19]. L’utilisation de dosages spécifiques à l’espèce canine est indispensable [6, 19].
La protéine C réactive reste stable à - 10 °C pendant au moins trois mois [6, 19]. Concernant les méthodes de prélèvement, les effets des anticoagulants sur les concentrations sanguines en protéine C réactive semblent faibles et sans influence sur l’interprétation clinique [6]. Toutefois, dans une étude comparant différents anticoagulants (héparine, EDTA et citrate) au sérum, les valeurs de protéine C réactive étaient significativement plus basses dans les échantillons contenant du citrate [6]. Enfin, certaines substances peuvent interférer avec la mesure de la concentration sanguine en protéine C réactive, telles que l’hémoglobine (en cas d’hémolyse), la bilirubine (en cas d’ictère), les triglycérides ou le cholestérol (en cas de lipémie). Cependant, cette interférence dépend de la méthode de mesure, avec une diminution artefactuelle de la concentration sanguine en protéine C réactive lors d’hémolyse et de mesure par immuno-turbidimétrie, et une augmentation en cas de mesure par la méthode Elisa [6]. En revanche, une surestimation est signalée lors de lipémie, tandis qu’une sous-estimation est décrite en cas d’ictère [6]. D’autres facteurs sont susceptibles de faire varier la protéine C réactive (tableau 1).
Plusieurs études ont évalué l’utilité de la protéine C réactive pour le diagnostic de diverses maladies chez le chien (tableau 2). De façon générale, cette protéine témoigne rapidement et sensiblement de la présence d’une inflammation ou d’une infection, mais sans être corrélée à une cause spécifique [6]. De plus, l’importance de son augmentation n’est pas forcément corrélée à la sévérité de la maladie.
Dans le cas des maladies infectieuses, la protéine C réactive est utile dans la démarche diagnostique et le suivi de l’ehrlichiose, de l’anaplasmose, de la leishmaniose, de la leptospirose et de la parvovirose [6, 19, 28]. Elle a également une valeur pronostique en cas de leptospirose ou de parvovirose chez le chien [20, 28]. De même, plusieurs études décrivent son utilité pour le diagnostic et le suivi des bronchopneumonies bactériennes ou par fausse déglutition, rapportant qu’une diminution progressive, puis une normalisation de la concentration sanguine en protéine C réactive sont corrélées à une disparition des anomalies radiographiques thoraciques et à une guérison [4, 7, 33]. Toutefois, elle ne serait pas un biomarqueur fiable en cas de bordetellose [4]. Concernant le pyomètre, une augmentation de la protéine C réactive est aussi rapportée, mais sans permettre la différenciation entre un pyomètre et une hyperplasie cystique selon une étude [9, 19].
Dans le cadre des maladies inflammatoires, la mesure de la concentration sanguine en protéine C réactive est utile pour le diagnostic et le suivi de la pancréatite aiguë, mais également des gastro-entéropathies chroniques [6, 12]. Dans le cas de la pancréatite aiguë, la protéine C réactive est utile pour suivre la progression de la maladie, mais aussi pour le pronostic [16, 21, 24]. Ainsi, une étude récente rapporte qu’un taux de protéine C réactive supérieur à 10 mg/l chez des chiens ayant une suspicion de pancréatite est associé à un risque plus élevé d’hospitalisation (5,7 fois plus de risque) et de mortalité (5,3 fois plus de risque) [24]. Dans le cas des gastro-entéropathies chroniques, le taux de protéine C réactive peut être utilisé pour différencier une gastro-entéropathie répondant à un traitement immunosuppresseur (concentration supérieure à 9,1 mg/l) de celle répondant à un changement alimentaire (avec une sensibilité de 72 % et une spécificité de 100 %) [12].
Concernant les maladies à médiation immune, la protéine C réactive est utile pour le diagnostic et le suivi des anémies hémolytiques à médiation immune, des polyarthrites à médiation immune et des méningo-artérites répondant à la prednisolone (photos 1 et 2) [8, 10, 11, 18]. Elle pourrait également aider à différencier ces deux dernières entités, avec une concentration médiane de 150 mg/l (de 95 à 176 mg/l) chez le chien atteint d’une méningo-artérite répondant à la prednisolone versus une concentration médiane de 99 mg/l (54 à 160 mg/l) chez le chien présentant une polyarthrite à médiation immune [14]. Toutefois, la protéine C réactive ne semble pas avoir d’intérêt pour le diagnostic, le suivi et le pronostic lors de méningo-encéphalite canine d’origine indéterminée [5].
Pour les néoplasies, une augmentation de la protéine C réactive est également rapportée, surtout en cas de tumeurs à cellules rondes [6, 19]. Toutefois, cette augmentation ne dépend pas directement de la tumeur, mais plutôt de la réaction inflammatoire ou à médiation immune engendrée par celle-ci [19]. Chez les chiens atteints de lymphome multicentrique, une concentration sanguine en protéine C réactive normale s’est révélée liée à l’obtention d’une rémission complète [23]. De plus, une corrélation entre un taux élevé de protéine C réactive et un comportement plus agressif des tumeurs a été suggérée. Par exemple, lors de tumeurs mammaires chez la chienne, une augmentation significative de la protéine C réactive (environ dix fois) n’a été observée qu’au stade IV de la classification TNM (présence de métastases à distance) [30].
L’utilité de la protéine C réactive pour le suivi des maladies inflammatoires, infectieuses ou néoplasiques dépend aussi de sa sensibilité, de la présence de comorbidités et des traitements en cours [6]. En raison de sa faible spécificité, différentes maladies peuvent faire augmenter la concentration sanguine de protéine C réactive et la maintenir élevée, empêchant ainsi sa diminution [6]. De plus, elle n’est pas utile pour évaluer la réponse à court terme à un traitement avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens, car ces derniers ne bloquent pas directement la production d’interleukine 6, le principal inducteur de la production de protéine C réactive [2]. Enfin, le degré de sévérité de l’augmentation du taux de protéine C réactive n’est pas corrélé à une maladie en particulier, ni à un mécanisme physiopathologique spécifique. Ainsi, même des concentrations extrêmement élevées ne permettent pas de conclure à une cause sous-jacente ou même de différencier un sepsis d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique ou une inflammation bactérienne d’une inflammation non septique. De ce fait, l’augmentation même très importante de la protéine C réactive sanguine ne justifie pas, à elle seule, l’administration d’un antibiotique [13, 19].
La protéine sérique amyloïde A est un précurseur de la protéine amyloïde A, possiblement impliquée dans la pathogénie de l’amyloïdose et d’autres maladies inflammatoires chroniques [6]. Sa fonction biologique n’est pas clairement définie. Elle protégerait les tissus des dommages induits par l’oxydation en cas d’inflammation et pourrait également jouer un rôle dans la régulation des processus inflammatoires en inhibant la phagocytose [26]. Concernant sa cinétique, la protéine sérique amyloïde A augmente rapidement à la suite d’une agression (environ trois à six heures après), atteignant un pic de concentration sanguine environ 24 heures après, puis retrouvant des concentrations physiologiques deux à cinq jours plus tard [26]. Les concentrations sanguines en protéine sérique amyloïde A chez le chat sain ne diffèrent pas de manière significative selon l’âge, la race, le sexe ou le statut physiologique (animal entier versus stérilisé) [34]. Toutefois, les femelles gestantes peuvent présenter des concentrations sanguines en protéine sérique amyloïde A variables [22].
Plusieurs études ont évalué l’utilité de la protéine sérique amyloïde A pour le diagnostic et le suivi de diverses maladies félines. De façon générale, la protéine sérique amyloïde A est un marqueur utile pour détecter la présence ou l’absence d’inflammation chez le chat. Toutefois, comme pour la protéine C réactive chez le chien, elle n’est pas capable de faire la distinction entre une inflammation septique et une inflammation non septique [26, 31]. De plus, sa sensibilité et sa spécificité dépendent de la méthode de mesure utilisée, de la maladie sous-jacente et des traitements en cours [26].
À la différence de la protéine C réactive chez le chien, la protéine sérique amyloïde A n’a pas d’utilité pronostique majeure reconnue à ce jour chez le chat [1, 26, 27, 34]. Néanmoins, selon une étude rétrospective plus ancienne, la concentration sanguine en protéine sérique amyloïde A au moment de l’admission est un facteur pronostique majeur chez les chats atteints de néoplasies, de maladies inflammatoires ou d’autres affections (notamment une endocrinopathie, une maladie rénale chronique et une myoacardiopathie) [29]. Dans cette même étude, la concentration en protéine sérique amyloïde A semble influer sur la survie, en particulier à court terme. Toutefois, aucune corrélation n’a été retrouvée entre le degré d’augmentation de la concentration sanguine en protéine sérique amyloïde A et le taux de survie.
Dans le cas spécifique de la coronavirose systémique, une diminution notable de la concentration sérique en protéine sérique amyloïde A est rapidement notée après le début du traitement antiviral chez un grand nombre de chats, ce qui témoigne d’une bonne réponse au traitement. Cependant, la concentration sérique en protéine sérique amyloïde A ne semble pas avoir de valeur pronostique [15, 36].
Très récemment, une étude française a révélé que la protéine sérique amyloïde A pourrait être un biomarqueur utile dans la démarche diagnostique lors de pyélonéphrite chez le chat. En particulier, une valeur seuil de 51,3 mg/l (avec une spécificité de 94 % et une sensibilité de 88 %) contribuerait à corroborer l’hypothèse de pyélonéphrite en cas de forte suspicion, ou à écarter cette possibilité en cas de faible suspicion [17].
Conflit d’intérêts : Aucun
Le biomarqueur idéal devrait servir à répondre aux critères suivants [12] :
- évaluer la fonction d’un organe ;
- évaluer le risque de développement d’une maladie ;
- diagnostiquer une maladie ;
- évaluer le degré de sévérité d’une maladie ;
- prédire la réponse à un traitement (voire le pronostic) ;
- suivre l’évolution d’une maladie.
• Sensibilité : capacité d’un test à détecter un échantillon positif chez un animal malade, sachant que meilleure est sa sensibilité, plus faible sera le taux de faux négatifs.
• Spécificité : capacité d’un test à détecter un échantillon négatif chez un animal sain, sachant que meilleure est sa spécificité, plus faible sera le taux de faux positifs.
La phase aiguë de l’inflammation est caractérisée par deux éléments principaux [6] :
- c’est une réponse inflammatoire non spécifique ;
- c’est une réponse inflammatoire rapide, précédant les signes cliniques.
Il est intéressant de suivre les protéines de l’inflammation aiguë dans le cadre de certaines maladies, car leur augmentation isolée, avant la réapparition des signes cliniques, peut indiquer une récidive. La production des protéines de l’inflammation aiguë est spécifique à chaque espèce animale.
• La protéine C réactive et la protéine sérique amyloïde A sont des protéines positives majeures de la réponse inflammatoire aiguë, respectivement chez le chien et le chat.
• La protéine C réactive chez le chien et la protéine sérique amyloïde A chez le chat sont des biomarqueurs sensibles, mais peu spécifiques de la réaction inflammatoire.
• Les deux protéines sont utiles pour le diagnostic et le suivi des maladies inflammatoires (notamment celles à médiation immune), infectieuses et néoplasiques chez le chien et le chat.
• À la différence de la protéine sérique amyloïde A chez le chat, la protéine C réactive chez le chien peut également avoir une valeur pronostique pour certaines maladies.
La protéine C réactive chez le chien et la protéine sérique amyloïde A chez le chat sont des protéines positives et majeures de l’inflammation aiguë, très sensibles pour le diagnostic d’un processus inflammatoire, infectieux, dysimmunitaire ou néoplasique, mais peu spécifiques et ne permettant pas de différencier une infection d’une inflammation non septique. Elles sont aussi utiles pour le suivi des maladies inflammatoires puisqu’elles peuvent augmenter avant la réapparition de signes cliniques évocateurs d’une récidive. Enfin, la protéine C réactive peut également avoir une valeur pronostique pour certaines maladies.