MÉDECINE INTERNE
Médecine interne
Auteur(s) : Cécile Roumilhac*, Alexandre Fournet**
Fonctions :
*(DipECVS)
121 avenue de Saint-Julien
13012 Marseille
Face à une tumeur nasale, il est crucial d’adapter le diagnostic et le traitement pour assurer une prise en charge efficace.
Les tumeurs des cavités nasales sont majoritairement malignes et agressives chez le chat. Ce cas illustre l’importance de l’imagerie avancée et des biopsies pour affiner le diagnostic lors d’obstruction nasale unilatérale, notamment lorsqu’une masse intranasale est suspectée, qu’elle soit bénigne ou maligne.
Un chat européen mâle castré, âgé de 9 ans, est présenté pour un second avis médical au sujet d’éternuements qui évoluent depuis quatre mois, associés à l’apparition plus récente d’un jetage unilatéral à droite et de ronflements. Une antibiothérapie (clindamycine à la dose de 5 mg/kg une fois par jour pendant trois semaines), administrée à deux reprises (intervalle non connu), n’a permis qu’une amélioration partielle et transitoire des signes cliniques.
Lors de l’examen clinique, l’animal est vif et alerte. Une dyspnée inspiratoire sévère, avec un stertor marqué, est notée. L’examen ne met en évidence aucun écoulement nasal ni déformation du chanfrein. Le test de perméabilité des voies nasales montre un défaut de passage de l’air dans la cavité nasale droite. Le reste de l’examen général est normal.
Une obstruction des cavités nasales localisée à droite est identifiée à l’examen clinique. Le diagnostic différentiel inclut une origine tumorale maligne ou bénigne de type polype. Un corps étranger peut aussi entraîner une obstruction unilatérale des cavités nasales. Une rhinite fongique, telle qu’une cryptococcose ou une aspergillose, est également à suspecter dans un contexte d’obstruction des cavités nasales latéralisée. Une rhinite infectieuse virale (syndrome coryza) ou bactérienne et une rhinite inflammatoire chronique (lymphocytaire) sont des hypothèses moins probables étant donné que l’obstruction est unilatérale.
La biochimie et la numération formule sanguine sont dans les normes. Ces examens sont réalisés pour évaluer le profil protéique et la lignée blanche dans un contexte d’exploration d’une potentielle maladie infectieuse, inflammatoire ou tumorale, mais aussi en vue du bilan préanesthésique. Un examen tomodensitométrique de la tête est pratiqué pour explorer les causes possibles d’obstruction unilatérale des cavités nasales. Une masse intranasale, localisée à droite, est visualisée. Entièrement calcifiée, elle s’étend dans les choanes et est compatible avec un processus tumoral (photos 1a et 1b). Une adénomégalie rétropharyngée est également observée. À la rhinoscopie, une masse tissulaire volumineuse, obstruant totalement les choanes, est mise en évidence (photo 2). Des biopsies à l’aveugle sont effectuées par voie rostrale.
Étant donné la nature minérale de la masse et la sévérité de la dyspnée, une rhinotomie ventrale est programmée dès le lendemain en vue d’une exérèse complète (masse et nœuds lymphatiques cervicaux), afin de lever l’obstruction des voies respiratoires et d’établir un diagnostic histologique plus fiable. L’animal est placé en décubitus dorsal avec la mâchoire maintenue ouverte. Une incision du palais mou est réalisée en regard de la masse. Le palais mou est alors désolidarisé de l’os palatin à l’aide d’un élévateur à périoste. L’os palatin en regard de la masse est ensuite fraisé, de manière à découvrir la masse et faciliter son extraction (photo 3). Une exérèse de la chaîne lymphatique cervicale est pratiquée en parallèle.
Par curiosité scientifique, les biopsies réalisées à l’aveugle sont envoyées au laboratoire d’analyses histologiques en plus de la pièce d’exérèse. Les résultats de l’analyse des biopsies sont en faveur d’une rhinite érosive lymphoplasmocytaire et neutrophilique diffuse modérée. Ceux de l’analyse de la pièce d’exérèse sont en faveur d’une lésion proliférative osseuse d’aspect bénin dont la morphologie s’apparente aux lésions prolifératives fibro-osseuses. L’hypothèse privilégiée par le laboratoire est celle d’un ostéome ou d’un fibrome ossifiant, ou moins probablement d’une dysplasie fibreuse. L’analyse histologique des nœuds lymphatiques rétropharyngiens et mandibulaires ne révèle pas d’infiltration métastasique.
Une antibiothérapie (amoxiciline-acide clavulanique à la dose de 12,5 mg/kg deux fois par jour pendant dix jours) et un traitement anti-inflammatoire (prednisolone à raison de 0,5 mg/kg une fois par jour pendant sept jours) sont mis en place après l’intervention chirurgicale. En phase postopératoire immédiate, l’animal ne présente plus de dyspnée inspiratoire et les sifflements sont réduits. Un écoulement séreux et discrètement hémorragique est observé pendant quelques jours. Au contrôle deux semaines après l’opération, l’examen clinique est normal. Un an plus tard, aucune récidive d’éternuements ou de stertor n’est rapportée.
Les tumeurs nasales les plus fréquentes chez le chat sont les lymphomes, suivis des tumeurs épithéliales (carcinomes, adénocarcinomes, carcinomes épidermoïdes). Ainsi, dans l’espèce féline, 90 % des tumeurs nasales sont malignes [10]. À l’examen tomodensitométrique, les tumeurs nasales se manifestent généralement par une lésion tissulaire, initialement unilatérale mais qui peut s’étendre bilatéralement lors de destruction du septum nasal. Elles sont souvent associées à des signes d’agressivité tels qu’une lyse des cornets nasaux, de l’os vomer et de certains os de la face. Il est notamment essentiel de vérifier l’intégrité de la lame criblée et l’absence d’envahissement cérébral. À des stades précoces, notamment lors de lymphome félin, ces tumeurs peuvent apparaître sous la forme d’une masse tissulaire sans lyse associée [2, 7, 9, 12]. Dans le cas présenté, la masse observée était d’atténuation minérale homogène avec des contours lisses et irréguliers. Ces images ont rapidement orienté vers une origine néoplasique de type chondrosarcome, ostéochondrosarcome, ostéosarcome ou ostéome, fibrome osseux ou dysplasie proliférative fibro-osseuse. Les ostéosarcomes, les ostéochondrosarcomes et les chondrosarcomes sont des tumeurs agressives. Les ostéosarcomes sont des tumeurs de la matrice ostéoïde souvent décrites avec un aspect “nuageux” et “amorphe”. Les chondrosarcomes sont des tumeurs de la matrice chondroïde, décrites avec des calcifications en “pop-corn” ou en “arc et anneau”. Ces types tumoraux sont généralement associés à une lyse importante [5, 12]. Or, dans notre cas, la masse minérale est apparue plutôt homogène, lisse et associée à une faible lyse osseuse. Ces critères peuvent orienter préférentiellement vers un processus bénin. L’examen tomodensitométrique a permis, dans notre cas, de suspecter une prolifération tissulaire anormale et d’orienter vers une lésion a priori plutôt bénigne. Il offre aussi un bilan d’extension complet en évaluant les nœuds lymphatiques locorégionaux et le thorax, mais le diagnostic définitif reste fondé sur l’histologie.
Plusieurs techniques de prélèvement sont décrites lors de tumeurs des cavités nasales : biopsies à l’aveugle, biopsies guidées par rhinoscopie, hydropulsion nasale à haute pression ou exérèse par rhinotomie [1]. Chez le chat, si les biopsies guidées par rhinoscopie sont réalisables, elles sont souvent de petite taille. Les biopsies à l’aveugle permettent un prélèvement plus important. L’examen tomodensitométrique préalable permet d’évaluer la distance à laquelle réaliser les prélèvements. Il est important de retenir que le canthus interne de l’œil ne doit jamais être dépassé au risque de perforer la lame criblée et d’entraîner des lésions de l’encéphale. Les prélèvements effectués à l’aveugle permettent d’établir un diagnostic de la tumeur dans 80 % des cas [4]. La présence de tissu inflammatoire réactionnel en périphérie d’une lésion tumorale étant fréquente, il convient de toujours interpréter avec précaution un résultat d’histologie en faveur d’une inflammation sans critère de malignité et de confronter ce résultat au tableau clinique et aux résultats de l’imagerie (tomodensitométrie et endoscopie). Dans notre cas, vu la nature calcifiée de la lésion, il était peu probable que la pince utilisée pour les biopsies à l’aveugle puisse prélever le tissu osseux anormal. Une exérèse de la masse a donc été proposée dans un objectif thérapeutique et diagnostique. Les résultats ont confirmé que les biopsies à l’aveugle n’avaient prélevé que le tissu inflammatoire réactionnel superficiel de la lésion, et que seule l’exérèse complète a permis d’établir un diagnostic histologique de certitude. Il convient toujours d’adapter la méthode de prélèvement aux résultats de l’examen d’imagerie.
Les ostéomes sont des proliférations anormales de tissu osseux mature. Il s’agit de tumeurs bénignes peu fréquentes et à la croissance lente [11]. À la radiographie et à l’examen tomodensitométrique, les ostéomes se présentent sous la forme de proliférations osseuses lisses, bien circonscrites. Chez le chat, les cas d’ostéome de la région maxillo-faciale sont rares. Dans la littérature vétérinaire, la dernière série publiée, qui date de 2011, présente sept cas : cinq ostéomes de la mandibule, un affectant les cavités nasales et un l’os maxillaire [3]. Un autre cas localisé au niveau de l’arche zygomatique est également rapporté [6]. En médecine humaine, les traumatismes, les infections ou les anomalies de la croissance peuvent constituer des facteurs de risque [8]. Chez l’animal, aucun facteur de risque n’est identifié à ce jour. L’exérèse du tissu anormal est le traitement de choix tant en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine [3, 11]. Des récidives sont possibles, mais aucune évolution vers une tumeur maligne n’est décrite dans la littérature [3, 6, 11]. Le pronostic après une prise en charge chirurgicale est bon. Dans la série de sept cas, trois ont été euthanasiés, dont deux pour des raisons financières ou parce que la mandibulectomie a été jugée trop délétère pour le confort de vie de l’animal par les propriétaires [3]. Le troisième cas a été euthanasié en raison d’un adénocarcinome nasal concomitant. Les autres chats ont été traités par une mandibulectomie, une maxillectomie et une exérèse large [3]. Comme dans notre cas, un an après l’intervention, les quatre chats opérés ne présentaient pas de signe de récidive et les propriétaires ont rapporté un bon confort de vie [3].
Conflit d’intérêts : Aucun
• L’examen tomodensitométrique et l’endoscopie peuvent orienter vers une tumeur plutôt maligne ou bénigne.
• Lors de masse nasale, l’histologie est l’examen de choix pour établir le diagnostic définitif.
• Le choix de la méthode de prélèvement pour l’analyse histologique est à adapter aux résultats du scanner et de l’endoscopie.
• L’ostéome est une tumeur bénigne dont le traitement est chirurgical et de bon pronostic.
Ce cas illustre l’importance d’adapter la démarche diagnostique et thérapeutique en fonction de la présentation clinique et des premiers résultats d’examen. La méthode de prélèvement choisie pour l’établissement d’un diagnostic histologique a dû être adaptée à la découverte d’une lésion peu fréquente lors de l’examen tomodensitométrique. L’analyse histologique a permis de confirmer le diagnostic d’ostéome, une tumeur osseuse bénigne peu fréquente chez le chat et qui bénéficie d’un bon pronostic après un retrait chirurgical. Dans notre cas, l’exérèse complète de la masse a permis de lever l’obstruction respiratoire, avec une récupération clinique rapide et sans récidive à un an postopératoire.