COMPORTEMENT DES BOVINS
Article de synthèse
Auteur(s) : Caroline Oulhen
Fonctions : Atout élevage
Élan créateur
7 rue Armand Herpin Lacroix
35000 Rennes
En présentant les particularités sensorielles des bovins, cet article invite le praticien à mieux comprendre comment une vache perçoit son environnement, afin de mieux appréhender ses réactions et de s’y adapter pour travailler en sécurité.
Une vache qui ne veut pas avancer dans un couloir, qui tape lors de toute manipulation de la queue, qui charge quand elle s’énerve, telles sont les situations courantes auxquelles est confronté le vétérinaire rural au quotidien. Cependant, le praticien ne comprend pas toujours pourquoi l’animal réagit ainsi. Cet article propose de se glisser dans la peau d’une vache. Sens par sens, il détaille les particularités anatomiques et les modifications comportementales associées, afin d’anticiper au mieux les réactions des bovins.
La vue est le sens le plus utilisé par la vache : elle représente entre 50 et 70 % des informations sensorielles traitées [1, 4, 5]. Les yeux des bovins sont très espacés et positionnés latéralement, avec une pupille horizontale qui élargit le champ de vision. Cela leur procure une vision périphérique beaucoup plus étendue que la nôtre : 330° à 340° pour les bovins versus 170° à 190° pour les humains [8]. Cependant, la vision binoculaire, qui est nette et permet une bonne perception des reliefs à courte distance, ne concerne que 25 à 50°, devant la tête, au lieu de 110 à 130° pour un humain (figure 1) [4, 8]. Elle reste toutefois assez nette jusqu’au niveau de l’épaule, puis devient de plus en plus floue vers l’arrière [9]. De plus, la grande majorité du champ de vision est monoculaire : la perception des reliefs et des distances est difficile. Il existe deux zones “aveugles” : juste devant le mufle et derrière les postérieurs [2]. La zone située devant le mufle, dénommée “cône d’ombre”, est due à la position latérale des yeux, qui ne permet pas aux rayons visuels de se concentrer en deçà d’un point situé en avant de l’os frontal (figure 2). Quand les animaux sont stressés ou effrayés, les muscles du bulbe de l’œil se contractent et les yeux se rétractent à l’intérieur des orbites [2]. Le petit cône d’ombre s’étend et transforme le couloir visuel devant la tête de l’animal une zone aveugle [2].
La structure de leur rétine, constituée d’un tapis et d’une majorité de bâtonnets, confère aux bovins une forte sensibilité à la lumière [2]. Si le passage à l’obscurité ne pose a priori pas de problème car les pigments visuels sont consommés, l’inverse est beaucoup plus lent car la synthèse de ces pigments par les bâtonnets est moins rapide. Cela induit une vitesse d’adaptation beaucoup plus longue que la nôtre lors du passage d’une étable sombre au plein soleil : environ 3 minutes pour les bovins versus 30 secondes chez l’humain [2]. Cependant, d’après certains auteurs, ce phénomène s’observe aussi à la rentrée à l’étable quand les animaux passent d’une zone très lumineuse à une zone sombre [5]. À cause de cette sensibilité à la lumière, ils peuvent être facilement éblouis et sont particulièrement sensibles aux contrastes [2, 5]. Le cristallin globuleux, avec des muscles ciliaires peu développés, et la structure de la rétine rendent leur vision nette de près mais floue de loin [2, 5]. Leur vision profonde et leur acuité dynamique leur permettent de déceler un mouvement à environ 900 m de distance, mais leur mauvaise acuité visuelle rend l’identification de son origine lente et/ou difficile [5]. De plus, la perception du mouvement est accrue chez les bovins. Ainsi, les gestes rapides ont tendance à les effrayer [1, 9]. En tant que proie, il est essentiel pour le bovin de repérer de légers mouvements à grande distance afin de pouvoir fuir un prédateur. La faible quantité de cônes de leur rétine les rend assez peu sensibles aux couleurs. Ils distinguent les couleurs chaudes, mais peu les couleurs froides [1, 2, 9]. De plus, les bovins perçoivent et différencient mieux les couleurs de longueur d’onde moyenne ou longue (entre 550 et 700 mm), c’est-à-dire le jaune, l’orange et le rouge, ainsi que le blanc ou les couleurs fluorescentes qui réfléchissent la lumière. Ils voient et différencient moins les couleurs qui l’absorbent, comme le noir, le gris ou le bleu (faibles longueurs d’onde, de 400 à 500 mm) [2, 3]. Les bovins sont donc plus sensibles aux variations d’intensité lumineuse ainsi qu’aux contrastes, or les couleurs interviennent dans la perception des contrastes, et celles qui ont une plus forte luminosité peuvent les éblouir. Enfin, ils sont capables de distinguer différentes figures géométriques comme les triangles, les cercles et les lignes droites [1].
En raison de ces particularités, pour approcher une vache, le praticien doit progresser dans l’enclos lentement, sans mouvements larges ou saccadés, afin que l’animal ait le temps d’accommoder et de bien identifier que la personne qui vient vers lui ne représente pas un danger. Il convient également de s’approcher plutôt sur le côté et de ne pas porter de vêtements ou du matériel d’une couleur fluorescente ou réfléchissante, mais de privilégier les couleurs sombres qui absorbent la lumière. De même, il est nécessaire de laisser un temps d’adaptation à l’animal qui entre dans une étable sombre ou sort en plein soleil, afin qu’il s’habitue au changement de luminosité et ne soit ni effrayé, ni ébloui, ce qui pourrait provoquer un mouvement de recul.
L’audition est également très utilisée par la vache. Elle diffère de celle de l’humain par la largeur de sa plage de fréquence : entre 23 à 30 Hz et 35 à 37 kHz chez les bovins selon les publications, et entre 20 Hz et 17 à 20 kHz chez les humains [1, 4, 5, 8, 9]. Les fréquences que les bovins entendent le mieux se situent autour de 8 000 Hz versus 4 000 Hz pour les humains [5]. Les bovins sont donc très sensibles aux sons aigus et même aux ultrasons [1, 9]. De plus, ils sont capables de détecter des sons d’une faible intensité, dès 11 décibels, ce qui correspond au bruit d’une feuille qui tombe au sol [5]. Au sein même de l’espèce bovine, en comparant Bos taurus et Bos indicus, il semble y avoir des différences de sensibilité aux sons liées à la morphologie : plus les pavillons auriculaires sont larges et les oreilles rapprochées, plus les réactions de l’animal seront importantes face à une stimulation sonore [6]. À cela s’ajoute la mobilité de leurs pavillons auditifs qui leur permet de “balayer” les sons tout autour d’eux. Cependant, la localisation exacte des sons est moins bonne que la nôtre : ils sont capables de localiser un bruit dans une zone de 30°, alors que l’humain le localise dans une zone de 1° [1, 5]. De plus, la précision de la localisation des sons est maximale dans une zone de 25° face à eux. Ils tournent donc la tête pour mieux entendre et voir l’origine de la source du bruit [9]. Les sons, s’ils sont aigus, forts et/ou inconnus, risquent de provoquer des réactions de crainte chez les bovins, tandis que s’ils sont de faible fréquence, de faible intensité et/ou associés à des événements passés positifs, ils entraînent plutôt des réactions de détente [4, 5, 9]. D’après une étude, à partir de 70 décibels, les bruits sont considérés comme stressants pour ces animaux [7]. Or l’intensité sonore dans une salle de traite a été mesurée jusqu’à 96,4 décibels [7]. Par ailleurs, la musique tend généralement à réduire la fréquence cardiaque et/ou les manifestations de stress [10]. Elle semble même encourager les vaches à se diriger vers le lieu de traite [1, 7, 10]. La diffusion de musique ou de livres audio a permis de réduire les comportements anormaux de moitié, tout en augmentant la fréquence des interactions positives entre les vaches laitières [7]. Enfin, les sons leur permettent de détecter les éventuels dangers, mais également de se reconnaître et de communiquer entre individus, ainsi qu’avec les humains [9].
Il convient par conséquent de s’annoncer lors de l’entrée dans une stabulation, sans crier ni produire des bruits forts, soudains, et notamment des sons métalliques. Ces bruits sont pourtant nombreux dans une étable et il serait nécessaire de les limiter, en refermant doucement des barrières métalliques par exemple. En revanche, diffuser une musique d’ambiance douce, notamment dans la salle de traite, semble être une bonne initiative à suivre.
L’olfaction des bovins serait quinze fois plus sensible que la nôtre [4]. Ils disposent de chémorécepteurs dans l’épithélium nasal, comme l’humain, mais possèdent en plus l’organe de Jacobson, ou organe voméronasal, qui va du plancher de la cavité nasale jusqu’au palais supérieur [10]. Cet organe est utilisé lorsque les bovins adoptent le comportement caractéristique du flehmen : l’encolure est tendue, la lèvre supérieure retroussée et la bouche semi-ouverte. Ils font alors passer de l’air à travers l’organe voméronasal [9]. Grâce à ce dernier, ils perçoivent les phéromones en lien avec la reproduction, mais aussi celles qui témoignent d’un état de peur ou de stress [9, 10]. L’odorat leur est utile pour sélectionner leur alimentation, se reconnaître entre eux et communiquer avec les membres du groupe [10]. Cependant, d’après certains auteurs, ce sens ne semble pas jouer un rôle majeur dans la sélection des aliments [1].
Il convient ainsi d’éviter au maximum de stresser une vache en la soignant car, en libérant des phéromones, elle va informer les bovins qui l’entourent de son état et les stresser à leur tour, ce qui peut compliquer les manipulations de ses congénères. L’idéal est d’utiliser une blouse ou une combinaison appartenant à l’exploitation, non imprégnée de “l’odeur du vétérinaire”, composée d’un mélange d’effluves de lessive différente, de stress des autres animaux vus avant et de produits transportés dans le véhicule.
Le toucher comprend plusieurs sensations liées à la présence de différents types de récepteurs sensitifs à la surface de la peau ou des muqueuses de la vache (encadré et figure 3). D’après une étude, des récepteurs tactiles spécifiques, à l’origine d’une sensation de plaisir, se trouvent à la base des follicules pileux [7]. La stimulation de ces fibres “hédonoceptives” induit une baisse de la fréquence cardiaque ainsi qu’une diminution de la perception de la douleur et semble avoir un effet apaisant pour l’animal, comme les zones avec des épis (notamment celui du garrot) et l’attache de queue [4, 9]. Le grattage de ces zones provoque des postures de plaisir chez la vache [4]. De même, le toilettage mutuel induit une baisse de la fréquence cardiaque chez les deux animaux [9]. Le grattage, même en autonomie, fait partie des besoins fondamentaux des bovins : lorsqu’ils en sont privés, des comportements d’ennui, voire des stéréotypies, peuvent apparaître. À l’inverse, des postures de bien-être sont observées lorsque la vache se gratte. Les caresses prodiguées par un humain peuvent aussi engendrer des réactions d’apaisement si le bovin a l’habitude de ce type d’interaction homme-animal [9].
Concernant la douleur, les bovins la ressentent via les mêmes mécanismes que les humains mais, en raison de leur statut de proie, ils l’expriment peu à travers leur comportement ou leur posture [1]. Cette perception est toutefois avérée et la douleur doit être prise en charge, notamment lors des interventions douloureuses.
Les bovins sont aussi plus sensibles que les humains aux courants électriques qui les traversent [5]. En effet, d’après une étude, comme l’indique la loi d’Ohm, la tension U mesurée en volts est la résultante de la multiplication de la résistance R (en ohms) par l’intensité I (en ampères) [11]. Donc plus la résistance est faible, mieux le courant passe. Or les bovins ont une résistance beaucoup plus faible que celle des humains, de 1 000 ohms en conditions sèches à moins de 500 ohms en conditions humides, alors qu’elle va jusqu’à 5 000 ohms pour les humains en conditions sèches, et cela sans prendre en compte le port de bottes en caoutchouc. De plus, toujours d’après cette étude, pour un même animal dans des conditions identiques, la résistance varie selon les points d’entrée et de sortie du courant (figure 4) [11]. Plus la résistance est faible, plus les réactions comportementales et physiologiques peuvent être importantes pour un courant de même tension [11]. Ainsi, des modifications comportementales commencent à être observées dès lors que les vaches sont soumises à un courant d’une intensité de plus de 2 mA [11].
Il peut être conseillé à l’éleveur de gratter régulièrement les zones où se trouvent les épis, notamment celui du garrot et l’attache de queue, afin de provoquer des interactions positives avec ses animaux. Cela peut également être mis en place par le vétérinaire, avant et après chaque intervention, car les animaux habitués à être grattés ou caressés reconnaîtront ces interactions qui passent par le toucher comme agréables ou apaisantes. Lorsque cela est possible, l’éleveur peut aussi gratter et caresser l’animal pendant l’acte vétérinaire pour qu’il soit plus détendu. De plus, les éleveurs doivent être conscients que les vaches ressentent de façon avérée la douleur, même si elles l’expriment peu en raison de leur statut de proie, et qu’il est absolument nécessaire de prendre toutes les mesures pour la soulager lors des interventions médicales ou chirurgicales. Le vétérinaire doit communiquer avec l’éleveur sur ce point et le sensibiliser à la prise en compte de la douleur chez ses animaux dans de nombreuses situations (vêlage difficile, boiterie, mammite, etc.).
Le goût est un sens très développé chez les bovins [1]. ils sont équipés de chémorécepteurs leur permettant de discriminer les goûts primaires : le sucré, le salé, l’amer et l’acide [4, 5, 9]. Ces récepteurs sont situés majoritairement sur la langue et le palais [5, 9]. Sur la langue, ceux permettant la détection du sucré et de l’acide sont situés à sa base, ceux liés au salé sur le bout et les bords, ceux liés à l’amer sur les bords [9]. Généralement, les bovins apprécient le sucré, le salé, ainsi que le goût du lait, de la vanille et des amandes grillées [9]. Cependant, d’après certains auteurs, individuellement, les bovins expriment des préférences pour certains aliments [4]. De plus, leurs préférences varient selon leurs besoins physiologiques [1]. Les aliments amers sont généralement peu ingérés, ce goût-là étant potentiellement associé à la présence d’éléments à risque pour la santé des ruminants [1]. Les bovins ne possèdent pas de récepteurs capables d’évaluer l’humidité de ce qu’ils ingèrent, mais des mécanorécepteurs présents à la base de la langue leur permettent de détecter le passage de l’eau dans la bouche [9]. Enfin, des thermorécepteurs servent à l’animal de détecteurs lors de changements de température importants dans sa bouche [9].
Distribuer, avant et après un acte contraignant, un aliment sucré, salé ou un concentré peut atténuer la perception négative par l’animal de ce moment et rendre les interventions du vétérinaire plus faciles à l’avenir.
Conflit d’intérêts : Aucun
• L’acuité visuelle des bovins, bonne à l’avant, devient imprécise vers l’arrière. Ils sont très sensibles aux changements de lumière et aux mouvements rapides.
• Leur audition plus fine que celle des humains, tant en fréquence qu’en intensité, rend les bovins très sensibles aux bruits métalliques.
• Leur odorat est aiguisé et leur permet la reconnaissance des phéromones sexuelles, de stress ou de peur.
• Leur sens du toucher est très développé et leur sensibilité aux courants électromagnétiques fait l’objet de nombreux travaux.
• Leur goût semble similaire au nôtre, mais les préférences alimentaires sont différentes, avec une grande variabilité selon l’animal et dans le temps, et une préférence globale pour le sucré et le salé.
- Les mécanorécepteurs sont sensibles à la pression et au toucher via la déformation de la peau [5, 9]. Les zones les plus sensibles au toucher sont celles où la peau est la plus fine (mufle, joue, encolure, attache de la queue, intérieur des cuisses, mamelle et vulve) [5].
- Les thermorécepteurs sont sensibles à la température, à l’humidité, à la vitesse de l’air et/ou à la conductivité thermique de l’objet en contact avec la peau [5, 9].
- Les nocicepteurs sont huit fois plus nombreux au niveau de la peau que les mécanorécepteurs. L’intensité de la douleur est liée au nombre de récepteurs nociceptifs activés. Ainsi, les zones les plus sensibles à la douleur sont aussi les plus sensibles au toucher. L’intérieur des naseaux et la base des cornes en font partie [5, 9].
Bien qu’il soit impossible de se mettre totalement à la place des animaux, il convient autant que possible d’éviter tout anthropomorphisme pour comprendre la perception que peut avoir une vache d’une situation donnée [1]. Les apports de la science permettent d’expliquer un grand nombre de comportements des bovins. Dans cet article, seules les réactions de base sont exposées. L’intensité des réponses comportementales comporte une part de variabilité individuelle et, pour un animal donné, les réactions pourront différer selon son stade physiologique [4, 7, 9]. De plus, pour la plupart des stimulations, l’information véhiculée par les neurones sensitifs va être traitée par l’animal à la lumière de ses expériences passées [7, 9]. Ainsi, le grattage par un humain pourra générer une posture de bien-être chez un animal habitué, ou la fuite si le bovin n’en a pas l’habitude. Si certains aspects de la relation humain-animal prennent naissance dans la relation éleveur-bovin, en tant que vétérinaire il est possible d’agir positivement à plusieurs niveaux, en prenant en compte les différences de perception des bovins afin de se comporter de façon à minimiser leurs réactions négatives, en interrogeant l’éleveur sur ses habitudes d’interaction avec ses animaux et en l’incitant à améliorer sa relation avec eux.