PHYSIOPATHOLOGIE DES THROMBOSES ET THROMBOEMBOLIES AORTIQUES FÉLINES ET CANINES - Le Point Vétérinaire n° 464 du 01/04/2025
Le Point Vétérinaire n° 464 du 01/04/2025

CARDIOLOGIE

Dossier

Auteur(s) : François Serres

Fonctions : (DESV de médecine interne, option cardiologie)
Oncovet
Avenue Paul Langevin
59650 Villeneuve d’Ascq

Les thromboembolies aortiques, fréquentes chez le chat, sont principalement liées à une cardiomyopathie, tandis qu’une hypercoagulabilité pathologique est le principal facteur favorisant de la thrombose aortique chez le chien.

Une thromboembolie aortique correspond à la formation d’un thrombus et à sa migration dans l’aorte distale ou dans ses premières divisions. Elle se distingue de la thrombose aortique dans laquelle le thrombus se forme directement et primitivement au sein de l’aorte ou d’une artère principale. Si les mécanismes physiopathologiques sont en grande partie communs, le mode de formation d’un thrombus aortique explique probablement les différences de présentation clinique entre ces deux affections. Lors de thromboembolie aortique, la présentation est le plus souvent suraiguë à la suite de l’embolisation, tandis que lors de thrombose aortique, la formation du thrombus est plus progressive et l’évolution clinique chronique. L’imagerie médicale ne permet pas de différencier une thromboembolie d’une thrombose, mais le contexte clinique permet généralement d’effectuer cette distinction. Des différences interespèces majeures sont identifiées entre thromboembolie et thrombose aortiques, avec des affections sous-jacentes différentes chez le chien et le chat et l’existence d’une part minoritaire, mais non nulle, d’animaux qui ne présentent pas de facteurs favorisants identifiables. La connaissance de ces affections et des anomalies associées, visualisées lors des examens complémentaires, est nécessaire car elle influe sur la démarche diagnostique et sur la prise en charge thérapeutique.

PRINCIPES DE LA THROMBOGENÈSE

Principes généraux des phénomènes thrombotiques

La formation d’un thrombus est liée à l’association de trois facteurs déclencheurs, selon la triade de Rudolf Virchow : une stase sanguine, des lésions endothéliales et un état d’hypercoagulabilité. Ces facteurs, dont la part contributive est variable, sont notamment responsables de la formation excessive d’un amas plaquettaire, d’une dysfonction de la fibrinolyse, ou des deux. La formation d’une thrombose aortique au sein de l’aorte peut sembler étonnante puisque la stase sanguine est très limitée, mais une lésion aortique primitive ou une hypercoagulabilité peuvent la favoriser.

Équilibre physiologique entre thrombogenèse et thrombolyse

Le maintien de l’intégrité vasculaire est fondé sur un équilibre subtil entre la thrombogenèse (formation d’un caillot sanguin) et la thrombolyse (limitation du phénomène d’extension des thrombi par élimination du clou plaquettaire vasculaire). Ces phénomènes complexes reposent sur de multiples interactions entre la paroi vasculaire, les plaquettes et les facteurs de coagulation (figure) [15]. Les cellules endothéliales saines limitent la formation du clou plaquettaire par la synthèse active de substances vasodilatatrices et inhibitrices de l’activation et de l’agrégation plaquettaire, comme la prostacycline (PGI2) ou le monoxyde d’azote (NO). Elles libèrent également des inhibiteurs de l’hémostase secondaire, notamment l’antithrombine III, majoritairement synthétisée par le foie, ainsi que par les cellules endothéliales qui sécrètent également des glycoprotéines analogues de l’héparine à leur surface, augmentant alors l’activité de l’antithrombine III. Les cellules endothéliales expriment des récepteurs membranaires à action anticoagulante comme la thrombomoduline, un cofacteur de la thrombine qui active la protéine C et inhibe ainsi les facteurs Va et VIIIa de la cascade de coagulation [15]. L’endothélium sain fonctionne donc comme un revêtement antiadhérent qui empêche les éléments figurés du flux sanguin (plaquettes mais aussi autres cellules sanguines ou bactéries) de se “fixer” sur la paroi vasculaire. Cette action d’inhibition de l’activation de la coagulation est en grande partie liée à la barrière “physique” que représente l’endothélium entre le flux sanguin et la matrice extracellulaire. Le collagène exposé précipite l’adhésion puis l’activation plaquettaire via le facteur de von Willebrand, alors que le facteur tissulaire, entre autres, sera l’un des principaux activateurs de la coagulation. Les cellules endothéliales synthétisent également l’activateur tissulaire du plasminogène (tPA) qui permet d’initier la fibrinolyse via l’activation du plasminogène en plasmine. Un flux sanguin rapide limite d’autant plus le risque d’adhérence de ces cellules sur l’endothélium, à la fois mécaniquement et via la stimulation de la synthèse de monoxyde d’azote [30].

Impact des lésions endothéliales sur l’initiation de l’hémostase

Lors de lésions endothéliales, une altération de ces mécanismes inhibiteurs est observée et une réaction en chaîne hémostatique est initiée. Les lésions endothéliales, associées à l’exposition du collagène sous-endothélial, ont plusieurs répercussions : la stimulation de l’activation plaquettaire par l’association collagène/plaquette activée/facteur de von Willebrand et l’extension du clou plaquettaire favorisée par la synthèse d’adénosine diphosphate et de thromboxane A2, des molécules proagrégantes, par les plaquettes activées, mais aussi l’activation de l’hémostase secondaire via l’exposition du facteur tissulaire [15]. Ce processus aboutit à la formation de fibrine soluble, puis insoluble, à partir du fibrinogène circulant. Fibrine et fibrinogène participent au renforcement du clou plaquettaire [15].

Différents types de thrombus

Le thrombus est constitué, en proportions variables, de plaquettes érythrocytes et de fibrine. Il peut atteindre une taille relativement importante jusqu’à son embolisation lors de thromboembolie aortique. La contrainte de cisaillement dans les vaisseaux sanguins est une force frictionnelle exercée par le flux sanguin sur la paroi des vaisseaux qui est particulièrement influencée par la structure du vaisseau et la vitesse du flux sanguin. Elle joue un rôle crucial dans la régulation de la fonction endothéliale et la formation de thrombus. En raison du flux rapide et pulsatile provoqué par les battements cardiaques, les artères sont exposées à des forces de cisaillement importantes qui favorisent les lésions endothéliales et l’activation des plaquettes. Les thrombus artériels, qui sont donc riches en fibrine et en plaquettes, sont appelés thrombus blancs par opposition aux thrombus veineux rouges pour lesquels la stase sanguine et la faible contrainte de cisaillement favorisent plutôt l’activation de la coagulation, soit une agrégation de fibrine et de globules rouges [30]. Ce mécanisme de formation différent explique le choix d’un traitement de prévention des thrombus “artériels” par des antiagrégants plaquettaires et des thrombus “veineux” par des anticoagulants.

EMBOLISATION ET CONSÉQUENCES

Constitution de l’embole vasculaire

Une fois le thrombus constitué, il s’embolise dans la plupart des cas et atteint l’aorte distale. Selon sa taille, il provoque une occlusion partielle ou complète des artères de la quadrifurcation iliaque. D’autres artères sont plus rarement touchées (artère sous-clavière droite ou gauche, artère rénale ou mésentérique) et sont alors associées à des signes spécifiques [15]. Il a récemment été montré que si la partie la plus “distale” du thrombus reste constituée de plaquettes, d’érythrocytes et de fibrine, la partie la plus proximale comprend une plus grande proportion de leucocytes, notamment de neutrophiles associés à des phénomènes de nétose. Il s’agit de l’accumulation d’une substance acellulaire, formée de neutrophil extracellular traps et constituée d’ADN neutrophilique, d’histones et de protéines cellulaires, sécrétée par les neutrophiles activés dans l’espace extracellulaire lors d’infection, d’inflammation ou de lésion endothéliale. Ces pièges extracellulaires de neutrophiles, qui agissent comme une matrice structurelle renforçant les thrombus et rendant leur dissolution plus difficile, représentent une cible prometteuse pour de nouveaux axes thérapeutiques [13].

Douleur et paralysie postembolisation

L’arrêt de la circulation artérielle en aval du thrombus entraîne une ischémie des tissus. Les tissus nerveux étant particulièrement sensibles à l’hypoxie, les premiers signes observés sont liés à leur atteinte. Une douleur majeure est donc engendrée, correspondant à une névralgie hypoxique, durant quelques heures à plusieurs jours, associée à une paralysie. Cette paralysie, typiquement de type motoneurone périphérique avec la disparition de la proprioception consciente et l’abolition des réflexes périphériques, est pratiquement pathognomonique de la thromboembolie aortique. Une récupération progressive de la fonction motrice est souvent notée au cours des jours à semaines qui suivent chez les animaux qui survivent à l’épisode de thromboembolie aortique. Cependant, jusqu’à 10 % d’entre eux présentent des lésions de nécrose cutanée et/ou musculaire qui nécessitent parfois une amputation [26].

AFFECTIONS PRÉDISPOSANTES CHEZ LE CHAT

Prédisposition naturelle à la formation de thrombus intracardiaques

L’espèce féline présente une prédisposition à la formation de thrombus intracardiaques, par rapport à l’humain et encore plus au chien. Cette prédisposition semble en partie liée à une hyperactivité plaquettaire, particulièrement marquée chez les chats atteints de cardiomyopathie [12]. Des thromboembolies artérielles d’origine cardiaque sont souvent observées chez l’humain lors d’insuffisance cardiaque, notamment de fibrillation atriale, mais elles restent moins fréquentes que chez le chat. La prévalence rapportée de la thromboembolie aortique chez le chat est de 0,26 % dans une population examinée en consultation généraliste et de 0,57 % dans une population suivie au sein d’une structure spécialisée [2, 25]. Une étude rétrospective a mis en évidence une affection cardiaque sous-jacente (le plus souvent une cardiomyopathie) dans près de 80 % des cas pour lesquels une cause était identifiée [25]. Une hyperthyroïdie et une lésion tumorale sous-jacente ont été retrouvées dans 9 et 5 % des cas respectivement, tandis qu’aucune cause n’a pu être identifiée dans 2 % des cas seulement, malgré une exploration complète [25].

Effets des cardiomyopathies

Incidence des cardiopathies hypertrophiques

La plupart des cas de thromboembolie aortique (plus de 80 % dans l’étude de Smith et ses collaborateurs) surviennent dans le cadre d’une cardiopathie, et seulement de 11,6 à 21 % lors d’une cardiomyopathie [6, 19, 20, 25]. Ce chiffre est à relativiser car une part très importante des cardiomyopathies de phénotype hypertrophique sont asymptomatiques, peu évolutives, sans dilatation atriale gauche, et n’entraînent pas de thromboembolie aortique : certaines études suggèrent que près de 15 % des chats adultes peuvent présenter une cardiomyopathie hypertrophique [18, 21]. La prévalence des thromboembolies aortiques lors du diagnostic d’une cardiomyopathie hypertrophique est donc probablement faible, alors qu’un épisode de thromboembolie aortique est à l’origine du diagnostic dans 10 % des cas de cardiomyopathie de phénotype restrictif.

Dilatation atriale et stase sanguine

Une stase sanguine est un élément déterminant dans la survenue d’une thromboembolie aortique, et la présence d’une dilatation atriale participe fortement à cette stase sanguine. Plusieurs études ont identifié la dilatation atriale comme un facteur favorisant pour le développement d’une thromboembolie aortique [10, 19, 20, 25]. L’auricule gauche formant un “cul-de-sac”, il constitue un site préférentiel pour la formation de thrombus (photos 1a et 1b). La dilatation atriale est souvent couplée à une diminution du flux auriculaire gauche, qui peut être mesuré par un examen Doppler. Cette diminution du flux est associée à l’observation de volutes préthrombotiques, qui correspondent à des éléments échogènes constitués de microagrégats, de petite taille, mobiles, mais qui restent au sein de l’auricule gauche [24]. Ces derniers entraînent un risque de développement d’une thromboembolie aortique [10].

Hyperréactivité plaquettaire

La dilatation atriale n’est pas le seul facteur expliquant la prévalence élevée d’épisodes de thromboembolie aortique dans l’espèce féline. Les plaquettes chez le chat présentent une hyperréactivité par rapport à celles des autres espèces, ce qui facilite leur activation et rendent notamment plus délicate la réalisation d’un comptage plaquettaire sans agrégation [22]. Cette tendance naturelle à l’activation et à l’agrégation plaquettaire est majorée lors de cardiomyopathie [27]. Une étude a montré que cette hyperréactivité plaquettaire, “majorée” par rapport au chat sain, n’est pas uniquement liée aux modifications de la morphologie cardiaque, mais qu’elle est présente chez le maine coon porteur d’une mutation génétique sans cardiomyopathie hypertrophique échographiquement visible [12].

Hypercoagulabilité

L’existence d’un état d’hypercoagulabilité pathologique est plus discutable lors de cardiomyopathie féline. Une hyperagrégabilité plaquettaire est décrite chez certains chats atteints de cardiomyopathie hypertrophique [8]. Une étude montre que chez environ la moitié des chats présentant des volutes préthrombotiques, un thrombus intracardiaque ou un épisode de thromboembolie aortique, un état hypercoagulable est observé, défini par une élévation d’au moins deux paramètres sur les cinq mesurés (fibrinogène, antithrombine, complexe thrombine-antithrombine, D-dimère, complexe facteur VIII et protéine C). Le fibrinogène est le seul paramètre significativement plus élevé chez les chats malades par rapport aux animaux sains. Malgré ces modifications significatives, aucun de ces marqueurs ne permet d’identifier de façon précise les chats à risque ou atteints de thromboembolie aortique [26]. Une étude plus récente, réalisée chez des chats asymptomatiques souffrant de cardiomyopathie hypertrophique, met en évidence un état hypercoagulable, défini par une élévation d’au moins un paramètre parmi les trois mesurés (complexe thrombine-antithrombine, D-dimère, produit de dégradation de la fibrine), chez 45 % d’entre eux [1]. L’état d’hypercoagulabilité n’est donc pas systématique, et pas toujours associé à la présence d’une dilatation atriale [1, 26]. Enfin, cet état d’hypercoagulabilité pathologique serait inhibé par une fibrinolyse activée lors d’épanchement pleural. Cela expliquerait la faible prévalence des épisodes de thromboembolie aortique chez les chats qui présentent un épanchement pleural (par rapport aux animaux asymptomatiques ou à ceux souffrant d’œdème pulmonaire) [3].

Fibrillation atriale

La détection d’une arythmie chez le chat, notamment d’une fibrillation atriale, ne semble pas être un facteur favorisant “majeur” pour la survenue d’un thromboembolie aortique, contrairement à ce qui est observé chez l’humain. Une étude rétrospective menée sur 50 cas de fibrillation atriale féline indique que seuls 12 % des animaux présentaient une thromboembolies aortique [5]. Une étude plus récente, qui compare des chats atteints de fibrillation atriale et de tachycardie supraventriculaire régulière, conclut à une prévalence similaire de thromboembolies aortiques (respectivement 6,8 et 4,5 %) dans ces deux populations. La fibrillation atriale reste un facteur de risque pour le développement d’une thromboembolie aortique, essentiellement parce qu’une large majorité de chats souffrant de fibrillation atriale présentent également une dilatation atriale gauche modérée à marquée. Les fibrillations atriales “isolées” (sans dilatation atriale sous-jacente) sont en effet très rares dans cette espèce [5, 7].

Lésions endothéliales et facteur de von Willebrand

Lors de cardiomyopathie hypertrophique sous-jacente, outre la stase sanguine liée à la dilatation de l’atrium gauche, la présence de lésions endothéliales et une accumulation de facteurs de von Willebrand (sur l’endothélium atrial et au sein du thrombus) ont été identifiées via un examen immuno-histochimique chez des chats présentant une insuffisance cardiaque congestive [4, 14]. Ces éléments peuvent favoriser la formation d’un thrombus.

Affections associées à des lésions tumorales

Quelques cas de thromboembolie aortique sont liés à l’évolution d’une maladie tumorale, notamment d’un carcinome bronchique. Le thrombus observé dans ces cas pourrait être un embole tumoral de grande taille (photos 2a et 2b). Comme les carcinomes pulmonaires félins sont parfois associés à des métastases digitées, les auteurs suggèrent l’existence, chez certains chats, d’emboles tumoraux “massifs” susceptibles de boucher une artère brachiale ou iliaque [29]. Le pronostic est dans ce cas extrêmement défavorable, car il traduit la présence d’une maladie tumorale sous-jacente agressive en cours de dissémination. Dans la dernière série publiée, les trois animaux étudiés ont vécu moins de trois semaines, malgré une prise en charge thérapeutique intense comprenant une lobectomie pulmonaire [29]. Lors de thromboembolie aortique “non cardiogénique”, un examen radiographique thoracique doit donc être réalisé même en l’absence de signe respiratoire évident.

Autres affections associées

Plusieurs études constatent, dans 9 % des cas de thromboembolie aortique, l’existence d’une hyperthyroïdie, connue ou diagnostiquée à l’occasion de l’épisode [2, 25]. L’âge moyen de survenue d’une thromboembolie aortique est relativement avancé (entre 9 et 12 ans) [2, 25]. L’hyperthyroïdie étant une maladie assez fréquente dans l’espèce féline, puisqu’elle affecte 3 % des chats âgés de plus de 6 ans, il est parfois difficile de déterminer s’il s’agit d’une coïncidence ou si un lien de causalité existe [17]. Lors d’hyperthyroïdie, la présence de modifications secondaires de la morphologie cardiaque est fréquente (75 % des cas), tandis qu’une dilatation atriale gauche est rarement présente (8 % des cas) [9]. Une étude a récemment révélé que des anomalies de la coagulation sont souvent observées chez les chats hyperthyroïdiens, avec notamment une élévation du taux de fibrinogène (liée à la présence de modifications de la morphologie cardiaque) et du facteur de von Willebrand, mais sans qu’un état hypercoagulable soit confirmé [9]. La plupart des anomalies de la coagulation régressent après le retour à l’euthyroïdie [9].

Aucune autre affection associée

Dans certaines études rétrospectives, aucune anomalie associée à l’épisode de thromboembolie aortique n’a pu être identifiée, malgré la recherche d’une affection sous-jacente. Dans ce cas, si le traitement du thrombus n’est pas efficace, le recours à une amputation est possible, alors que cet acte chirurgical n’est généralement pas indiqué lors de cardiopathie ou de tumeur.

AFFECTIONS PRÉDISPOSANTES CHEZ LE CHIEN

Prévalence des thromboses aortiques canines

La prévalence des épisodes de thrombose ou de thromboembolie aortique est beaucoup plus faible chez le chien que chez le chat. Ainsi, ces épisodes seraient au moins dix fois moins fréquents, avec une prévalence rapportée à 0,05 % dans une étude [11]. En regroupant l’ensemble des séries rétrospectives publiées sur le sujet, environ 230 cas sont identifiés, et la plupart d’entre eux correspondent à une thrombose aortique, plus souvent observée que la thromboembolie aortique chez le chien [23, 31]. Les thromboembolies aortiques et encore plus les thromboses aortiques canines sont rarement associées à des cardiopathies, mais surviennent généralement à la faveur d’un état d’hypercoagulabilité. Le pourcentage d’animaux chez lesquels une affection cardiaque sous-jacente est suspectée varie selon les études de 0 à 38 %, mais dans la plus large menée sur le sujet, seuls quatre chiens sur 100 présentaient une affection cardiaque jugée responsable d’un épisode de thrombose aortique, et il s’agissait dans tous les cas d’animaux atteints d’endocardite bactérienne [23].

Hypercoagulabilité

Dans une majorité de cas, un état d’hypercoagulabilité est suspecté. Cet état est le plus souvent secondaire à des glomérulopathies (jusqu’à 33 % des cas), à des tumeurs (jusqu’à 35 % des cas), à des entéropathies exsudatives (jusqu’à 15 % des cas) et plus rarement à une endocrinopathie (hypothyroïdie, hypercorticisme, hypocorticisme, diabète sucré), à une affection hépatique, à une thrombopénie à médiation immune ou à la prise de corticoïdes [31]. Dans l’étude la plus récente, 77 % des chiens atteints de thrombose aortique présentaient au moins une affection responsable d’un état d’hypercoagulabilité, et 24 % deux affections prédisposantes ou plus [23]. Une diminution de l’activité de l’antithrombine III est souvent observée, plus marquée chez les animaux présentant une glomérulopathie. Elle est associée à un pronostic plus défavorable [23]. Dans près d’un quart des cas, aucun facteur favorisant n’est malgré tout identifié, ce qui rend cette affection particulièrement imprévisible dans l’espèce canine.

Fibrillation atriale

L’existence d’une arythmie, et notamment d’une fibrillation atriale, ne semble pas être un facteur favorisant majeur dans la survenue d’une thromboembolie aortique chez le chien, contrairement à ce qui est observé chez l’humain. Une étude rétrospective portant sur plus de 100 cas de fibrillation atriale ne mentionne pas de thrombus intracardiaque ou de signe évoquant une thromboembolie aortique [16]. Une étude plus récente rapporte cependant le cas de trois chiens chez lesquels une fibrillation atriale, associée à des modifications cardiaques variables, a été diagnostiquée concomitamment à la survenue d’une thromboembolie aortique ou à la présence de thrombus intracardiaques [28]. Il n’est toutefois pas établi que la fibrillation atriale constitue le seul facteur favorisant chez ces animaux.

Hypertension artérielle

Une atteinte aortique susceptible de favoriser une thrombose n’est que rarement retrouvée, dans des cas isolés de spirocercose ou de lésion induite par la radiothérapie [31]. Une hypertension artérielle systémique (définie par une pression artérielle systolique supérieure à 160 mmHg) a été identifiée dans 62 cas sur 100 [23]. Elle est souvent associée à une protéinurie (39 à 50 % des animaux), le lien de causalité entre cette hypertension et la thrombose aortique restant indéterminé [11, 23]. L’hypertension et la thrombose aortique peuvent être deux conséquences d’une même cause, notamment d’une glomérulopathie.

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Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

Les thromboembolies aortiques, fréquentes chez le chat, sont principalement liées à la présence d’une affection cardiaque sous-jacente, en particulier une cardiomyopathie. La dilatation atriale gauche et la stase sanguine qui en découle sont les principaux facteurs déclenchants. En dehors de ces thromboembolies aortiques cardiogéniques ultraprépondérantes, des cas d’origine néoplasique ou idiopathique sont plus rarement observés. Des phénomènes d’hypercoagulabilité et de lésions vasculaires semblent également jouer un rôle. Une hypercoagulabilité pathologique apparaît comme l’élément favorisant “prépondérant” de la survenue d’une thrombose aortique chez le chien. Dans cette espèce, des affections extracardiaques variables (notamment des glomérulopathies), qui perturbent la coagulation, sont à l’origine de thromboses aortiques “in situ”. Comme pour les thromboembolies aortiques chez le chat, certains cas chez le chien restent d’origine indéterminée.