Fiche - Thérapeutique
Auteur(s) : Philippe Ciantar*, Laurent Mangold**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire
de Launay
14130 Pont-l’Évêque
**Clinique équine
d’Argonay
15, route de Pringy
74370 Argonay
L’antibiothérapie en dermatologie ne se justifie que dans les cas d’infections bactériennes cutanées.
les dermites infectieuses sont relativement fréquentes dans l’espèce équine. Elles peuvent être primaires, ou secondaires soit à une autre affection cutanée, soit à une maladie systémique métabolique ou immunologique.
Les bactéries le plus souvent rencontrées sont :
- très fréquemment les staphylocoques (Staphylococcus aureus, S. pseudintermedius, plus rarement S. hyicus) ;
- assez souvent Dermatophilus congolensis (dermatophilose) ;
- rarement Corynebacterium pseudotuberculosis ;
- les streptocoques.
Cependant, il est possible de trouver des bactéries opportunistes.
Selon la profondeur de l’atteinte infectieuse, les pyodermites sont classées en :
- de surface (prolifération bactérienne de surface, pyodermite cutanéo-muqueuse) : les bactéries restent en surface, dans la couche cornée ;
- superficielles (folliculite, impétigo) : l’infection ne franchit pas la jonction dermo-épidermique ;
- profondes (furonculose, cellulite, abcès sous-cutané) : l’infection franchit la jonction dermo-épidermique.
Lorsque l’infection est superficielle et relativement localisée, les traitements locaux sont privilégiés. lorsqu’elle est profonde ou étendue, l’antibiothérapie par voie générale est envisagée [3].
→ L’application topique d’un antibiotique permet d’obtenir des concentrations locales importantes (tableau 1). Elle n’a d’intérêt que si l’antibiotique est capable de traverser la barrière cutanée et de pénétrer le derme. Dans le cas contraire, les antiseptiques sont plus efficaces. Lorsqu’un topique antibiotique est appliqué, la lésion doit être nettoyée au préalable, afin de la débarrasser de toutes les sécrétions et débris cutanés, car ceux-ci sont susceptibles de limiter la pénétration ou d’inactiver le principe actif.
→ Les seules présentations avec autorisation de mise sur le marché (AMM) équine sont des sprays à base d’oxytétracycline ou de thiamphénicol. Or, ces antibiotiques ne pénètrent pas la peau [2]. Ils ne sont donc pas indiqués dans le traitement des infections cutanées.
→ La sulfapyridine (Sulmidol®) a une AMM chez le chien et le chat dans le traitement des infections cutanées. C’est un bactériostatique qui ne pénètre pas la peau et les résistances sont nombreuses. Il a donc peu d’utilité en dermatologie équine.
→ Le seul antibiotique intéressant par voie locale est la fucidine, en raison de son excellente pénétration cutanée et sous-cutanée. Son spectre d’action est étroit (coques Gram+). Toutes ces caractéristiques la rendent particulièrement intéressante en cas d’infection localisée à staphylocoques ou streptocoques. Toutefois, il existe de nombreuses souches résistantes. Il convient donc de surveiller l’évolution de la lésion.
Depuis les mesures légales de lutte contre l’antibiorésistance limitant l’usage des antibiotiques d’importance critique aux seuls cas pour lesquels aucune alternative thérapeutique n’existe, l’isolement de la bactérie responsable de l’infection avec antibiogramme est fortement recommandé (photos 1 et 2).
Si le traitement est prescrit de façon probabiliste, sans isolement de la bactérie pathogène, l’efficacité clinique de l’antibiotique est difficile à prédire, compte tenu de la fréquence des staphylocoques dont la sensibilité aux antibiotiques est variable.
L’antibiothérapie en dermatologie nécessite souvent des traitements plus longs que dans la plupart des autres infections. Des durées de traitement de plusieurs semaines ont été recommandées.
Cependant, compte tenu des préoccupations liées à l’antibiorésistance, ces durées doivent être revues à la baisse.
Pour limiter au minimum les prescriptions et vérifier l’efficacité de l’antibiothérapie, il convient de réexaminer l’animal au cours du traitement, afin de contrôler l’évolution clinique et d’apprécier la nécessité de poursuivre celui-ci.
Le choix de l’antibiotique systémique dépend de son spectre, mais également de sa capacité à diffuser au niveau de la peau (tableau 2). Chez les équidés, en raison du faible nombre de spécialités disponibles, le choix est restreint.
Du point de vue pratique, le choix de l’antibiotique suit la démarche suivante :
- si la bactérie a été identifiée, le praticien prescrit un antibiotique non critique dont la diffusion cutanée est satisfaisante et qui est supposé efficace au vu de l’antibiogramme. Si l’agent pathogène n’est sensible à aucun antibiotique non critique utilisable en dermatologie, un antibiotique critique est choisi ;
- si aucune identification n’a été réalisée, l’antibiothérapie probabiliste se fait en première intention par l’emploi d’un antibiotique non critique actif contre les bactéries Gram+ et avec une bonne diffusion cutanée. En pratique, deux antibiotiques sont préconisés : l’association triméthoprime-sulfamides et la pénicilline G. En cas d’échec thérapeutique de l’antibiothérapie probabiliste, un prélèvement doit être réalisé afin d’identifier la bactérie responsable.
L’association synergique d’un sulfamide et du triméthoprime a un effet bactéricide à spectre large. Du point de vue pharmacodynamique, son effet est temps-dépendant. La diffusion tissulaire est très bonne. cependant, l’efficacité est moindre dans les pyodermites fortement exsudatives, car l’action sur les bactéries est diminuée en présence de pus et à ph acide (d’où l’intérêt majeur des topiques nettoyants et antiseptiques en complément de l’antibiothérapie). Son utilisation est possible par voies orale ou parentérale. La voie orale étant la voie d’administration qui expose le plus la flore commensale digestive à la sélection des bactéries résistantes, les voies parentérales sont à privilégier. Néanmoins, la voie orale permet une meilleure observance du traitement chez les chevaux récalcitrants aux injections, les durées de traitement nécessaires à la guérison des infections cutanées étant relativement longues.
Les sulfamides ne doivent pas être utilisés seuls, compte tenu de la fréquence des résistances [2].
La pénicilline g est un antibiotique bactéricide temps-dépendant, dont le spectre est étroit et limité aux bactéries gram+. Ces caractéristiques correspondent à ce qui est recherché en antibiothérapie cutanée. Cependant, la diffusion tissulaire est médiocre. elle l’est encore plus en milieu infecté ou nécrosé. De plus, il existe de nombreuses résistances liées à la présence de β-lactamases chez Staphylococcus en particulier.
La pénicilline G est indiquée en cas de dermatophilose.
Le pénéthamate est un ester de la pénicilline G, qui a une AMM équine. Compte tenu de sa liposolubilité, sa diffusion tissulaire est beaucoup plus importante que celle de la pénicilline G, ce qui est un atout lors d’infections cutanées. Il n’a pas d’indication en dermatologie, mais son utilisation est envisageable, bien que le coût journalier de traitement soit notoirement plus important.
Les tétracyclines sont des antibiotiques à spectre large, qui ont une bonne diffusion tissulaire (intra- et extracellulaire), mais dont la diffusion cutanée est faible. Ce sont des bactériostatiques, promoteurs d’antibiorésistance. De plus, les risques d’effets secondaires digestifs ne sont pas négligeables chez le cheval, surtout avec des traitements longs. Leur utilisation en dermatologie n’est pas recommandée en première intention, sauf lors de l’identification d’une bactérie pour laquelle les tétracyclines sont les antibiotiques de choix (par exemple, Borrelia).
→ Les aminosides ont une très mauvaise diffusion cutanée. Ils présentent peu d’intérêts en dermatologie.
→ Compte tenu de leur toxicité digestive, les macrolides sont contre-indiqués chez l’adulte.
→ Bien que les ansamycines soient des antibiotiques bactéricides à spectre restreint aux bactéries Gram+ et que la rifampicine fasse partie de la liste des substances essentielles aux équidés, celle-ci ne doit être utilisée que dans l’indication de rhodococcose. Elle ne doit donc pas être prescrite en dermatologie.
Si, d’après l’antibiogramme, il n’existe pas de solution alternative aux antibiotiques critiques, alors ceux-ci peuvent être prescrits.
Antibiotiques bactéricides, temps-dépendants, à spectre large, la résorption des céphalosporines de 3e et 4e générations est bonne par voie parentérale et leur distribution se fait principalement dans les tissus bien vascularisés, surtout au niveau extracellulaire.
À l’heure actuelle, une seule molécule a une AMM équine, le ceftiofur (excenel®).
Les résistances sont moins nombreuses qu’avec les pénicillines. Les traitements sont bien tolérés, même avec des doses élevées.
Les fluoroquinolones sont des antibiotiques bactéricides concentration-dépendants, avec un effet postantibiotique. Leur résorption par voie parentérale est rapide et complète. Leur diffusion tissulaire cutanée est très bonne, avec une distribution large (intra- et extracellulaire). Leur spectre est classiquement décrit comme élargi aux bactéries gram+ (en particulier contre Staphylococcus). Ces caractéristiques en font, en théorie, une famille très intéressante dans l’arsenal thérapeutique en dermatologie. La marbofloxacine, en particulier, a été préconisée sur les staphylococcies.
Cependant, une étude réalisée en 2015, sur 131 chevaux, a montré qu’à la dose habituellement recommandée chez le cheval (2 mg/kg) la marbofloxacine n’est efficace que contre les gram- [1]. Pour obtenir une action contre les gram+, 39 mg/kg environ sont nécessaires. Or à cette dose, les effets secondaires indésirables rendent l’utilisation risquée et le coût prohibitif. Ainsi, à la lumière des connaissances récentes, l’usage de la marbofloxacine en thérapeutique dermatologique n’est envisageable qu’en seconde intention et dans les cas d’infections cutanées à gram-.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN