Exérèse chirurgicale des tumeurs cutanées chez le cheval : guide pratique - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

Chirurgie

Auteur(s) : Maarten Haspeslagh*, Ann Martens**

Fonctions :
*Département de chirurgie
et d’anesthésiologie
des animaux domestiques
École vétérinaire
de l’université de Gand
Salisburylaan 133
9820 Merelbeke
Belgique
maarten.haspeslagh@ugent.be

Les candidats à la chirurgie doivent être choisis scrupuleusement et des précautions strictes mises en place, notamment lors de l’exérèse des sarcoïdes.

Les sarcoïdes, les carcinomes épidermoïdes et les mélanomes sont les trois types de tumeurs cutanées les plus fréquents chez le cheval (par ordre décroissant d’importance) [12]. En général, elles pourraient être toutes retirées chirurgicalement, cependant, il existe aussi d’autres traitements qui doivent être envisagés si nécessaire. En effet, l’exérèse chirurgicale n’est pas toujours la meilleure approche, ni même, dans certains cas particuliers, réalisable. Quel que soit le type de tumeur, la réussite de l’intervention repose sur la sélection adaptée des candidats à la chirurgie : il n’existe aucun traitement universel applicable à toutes les situations. D’une manière générale, l’intervention ne doit être envisagée que chez les animaux présentant une tumeur bien circonscrite qui peut être retirée en totalité avec de larges marges de sécurité, et dont l’incision chirurgicale peut être refermée pour permettre une cicatrisation de première intention. L’exérèse est également envisageable si la plaie d’incision cicatrise partiellement ou totalement par seconde intention, mais bien souvent les propriétaires refusent cette option. Les sarcoïdes, les carcinomes épidermoïdes et les mélanomes du cheval n’ont pas la même incidence, ni le même pronostic ; les techniques chirurgicales utilisées pour leur traitement sont également différentes, c’est pourquoi chacune de ces tumeurs et leurs modes d’exérèse seront présentés séparément.

Sarcoïdes

Les sarcoïdes sont les tumeurs cutanées les plus fréquentes chez le cheval et peuvent se trouver n’importe où sur la peau [12]. Elles ne sont observées que très rarement sur les muqueuses, mais lorsque c’est le cas, elles sont d’abord apparues au niveau de la peau velue et se sont développées en direction des muqueuses. Les sarcoïdes sont le plus souvent localisées autour des yeux, sur les oreilles, le poitrail, la région ventrale du thorax et l’abdomen, ainsi que dans les régions inguinales ou axillaires. Même s’il est relativement fréquent de les rencontrer sur les zones distales des membres, cette localisation est souvent associée à d’anciennes lacérations cutanées. Les sarcoïdes ont différentes formes cliniques, allant de petites zones cutanées alopéciques (sarcoïdes occultes) à de grandes masses hypertrophiques ulcérées (sarcoïdes fibroblastiques). Les chevaux présentent fréquemment de multiples tumeurs réparties à différents endroits du corps ; toutefois, ces tumeurs ne sont pas connues pour métastaser et leur croissance n’est pas de type invasif dans d’autres tissus que le derme.

De nombreux traitements utilisables lors de sarcoïdes ont été décrits, mais aucun d’entre eux ne peut s’appliquer universellement à toutes les formes, ni dans toutes les localisations. À chaque fois qu’elle est techniquement réalisable, c’est l’exérèse chirurgicale large utilisant la technique « non touch » qui présente le meilleur taux de réussite [4]. Néanmoins, ce pronostic favorable dépend essentiellement de la réalisation correcte de la technique chirurgicale et de la sélection soignée des chevaux candidats à la chirurgie.

Sélection des chevaux candidats à la chirurgie

Il est essentiel de bien palper la masse avant de décider si l’exérèse chirurgicale est envisageable. La tumeur doit être correctement délimitée et entourée de peau suffisamment mobile pour permettre la fermeture primaire de la plaie. Il est nécessaire d’effectuer un examen attentif avant d’intervenir chirurgicalement, car il est facile de passer à côté des lésions cutanées discrètes siégeant autour des sarcoïdes. L’observation d’une légère décoloration et d’une diminution de la densité des poils peut être en faveur d’une infiltration tumorale des tissus périphériques qu’il est alors recommandé d’inclure dans les marges de l’exérèse. Si la tumeur est mal délimitée, il est possible d’infiltrer les marges chirurgicales en peropératoire avec un agent chimiothérapique local (cisplatine(1) ou carboplatine(1)), afin de réduire les risques de récidive ; toutefois, la nécrose tissulaire résultant de ces injections peut gêner la cicatrisation de la plaie chirurgicale. Pour estimer s’il sera possible de suturer la plaie chirurgicale une fois la tumeur retirée, il convient de pincer celle-ci et les tissus qui l’entourent pour former un pli opposant virtuellement les berges de la plaie résultant de l’exérèse (photo 1). La taille maximale de la tumeur permettant la suture de la plaie chirurgicale dépend pour beaucoup de la localisation de la tumeur. La peau située au niveau de la tête, de la partie distale des membres et du dos, est tendue et peu mobile. En revanche, au niveau du poitrail et de la région caudo-ventrale de l’abdomen, la peau est fine et le tissu sous-cutané lâche donne une grande mobilité à la peau, ce qui permet de retirer de plus grandes tumeurs dans ces localisations. Au niveau des oreilles et autour des yeux, il est pratiquement impossible de suturer les berges de la plaie après l’ablation chirurgicale. Lorsqu’une fermeture complète n’est pas envisageable, les plaies chirurgicales peuvent cicatriser par seconde intention (partiellement), mais cela prend plus de temps.

Technique d’exérèse

Les sarcoïdes sont connues pour récidiver après leur ablation chirurgicale. Cependant, certains procédés spécifiques aident à éviter ces récidives tumorales postopératoires. Toutes ces techniques ont pour objectif d’assurer l’exérèse tumorale complète et de prévenir la dissémination des cellules tumorales dans la plaie chirurgicale. Si la tumeur se trouve à un endroit du corps facile d’accès, l’intervention sur l’animal debout peut être réalisée. En revanche, si la sarcoïde est localisée sur la partie ventrale du poitrail ou sur l’abdomen, il est souvent préférable de mettre le cheval sous anesthésie générale. Comme celle-ci permet un meilleur positionnement de l’animal, elle améliore la visualisation du site opératoire et permet de réaliser les techniques chirurgicales avec plus de précision. De ce fait, l’anesthésie générale minimise les risques de récidive comparée à la chirurgie sur animal debout.

Préparation du site opératoire

La préparation du site opératoire comprend la tonte de la peau en partant de la périphérie vers la tumeur. Il est essentiel d’éviter au départ de s’approcher trop près de la tumeur et ne la tondre qu’en dernier. Ces mêmes principes s’appliquent pour le lavage par friction et l’antisepsie du site opératoire : il convient de commencer par la périphérie et de terminer la préparation du site opératoire par l’environnement immédiat de la tumeur. Cela permet d’éviter la dissémination de la tumeur au niveau de la peau saine. Après avoir tondu puis effectué le nettoyage antiseptique de la peau, il est possible d’isoler le site opératoire par la pose d’un champ. Cependant, cela n’est pas réalisable dans toutes les circonstances (par exemple, sur un cheval debout), ni dans toutes les localisations. En l’absence de champ, une attention particulière pour ne pas contaminer le site opératoire, les instruments, les gants ou la plaie est nécessaire. Lors d’intervention sur l’animal debout, l’anesthésie locale est obtenue au moyen d’injections sous-cutanées tout autour de la tumeur.

Technique chirurgicale

L’intervention en elle-même est divisée en deux temps : une phase « sale », qui consiste à retirer la tumeur, et une phase « propre », qui consiste à suturer l’incision chirurgicale. Entre ces deux phases, il est nécessaire de changer les gants et les instruments et de rincer consciencieusement le site chirurgical. Si plusieurs tumeurs doivent être extraites, il convient de retirer l’ensemble des tumeurs au cours de la première phase, avant de suturer toutes les incisions dans un second temps. Les instruments chirurgicaux peuvent être disposés sur la table d’instruments de manière à séparer clairement ceux nécessaires à l’exérèse de ceux utilisés pour les sutures (photo 2). Pendant la première phase de l’intervention, tout contact entre la sarcoïde et les gants, les instruments ou la plaie chirurgicale doit être évité. Pour cela, il est possible de recouvrir la tumeur de compresses ou, si elle est volumineuse, de l’enfiler dans un gant stérile.

Les marges chirurgicales doivent être larges (au moins 12 mm) : elles sont formées de peau normale située à la périphérie des sarcoïdes [7]. Il est fortement recommandé de tracer l’incision cutanée au marqueur stérile en s’aidant d’un ruban de mesure (photo 3). Cette incision doit être fusiforme pour permettre l’apposition optimale ultérieure des berges de la plaie. Son grand axe est orienté dans la même direction que la tension cutanée maximale. Si deux sarcoïdes sont proches l’un de l’autre, il convient de placer les grands axes des incisions perpendiculairement l’un par rapport à l’autre, afin d’éviter toute complication ultérieure de tension cutanée. La peau est ensuite incisée sur toute son épaisseur le long des lignes marquées (photo 4). La partie de la peau qui doit être retirée est ensuite soulevée à une des extrémités avec une pince ou un clamp de Kocher, puis les tissus sous-cutanés sont disséqués aux ciseaux de Metzenbaum ou à la lame de scalpel. Il est très intéressant d’utiliser le bistouri électrique, s’il est disponible, pour coaguler les vaisseaux et maintenir une bonne visualisation du site opératoire pendant la dissection (photo 5). Celle-ci est poursuivie sous la tumeur jusqu’à atteindre l’incision cutanée faite tout autour. La tumeur, accompagnée de ses marges de sécurité, est ensuite retirée et mise de côté. Tout contact entre la tumeur et la plaie chirurgicale doit absolument être évité. Il convient de ne pas léser les vaisseaux de gros calibre, mais s’il est indispensable de les sectionner, ils devront être clampés ou ligaturés auparavant, afin de conserver une bonne visualisation du site opératoire. Le chirurgien doit changer ses gants après l’ablation de la tumeur et avant de suturer la plaie ; le site opératoire est également nettoyé avec une solution de chlorhexidine à 0,05 % (photo 6). Toute nouvelle manipulation de la plaie (par exemple, pour décoller la peau entourant la plaie des tissus sous-cutanés afin de pouvoir amener les berges de la plaie au contact l’une de l’autre) ne doit se faire qu’après avoir changé de gants et d’instruments et rincé la plaie. L’incision est ensuite suturée sur deux plans. Du polyglactine (Vicryl®) peut être employé pour refermer les tissus sous-cutanés par un surjet simple (photo 7). Lorsque la tension de la plaie est faible, un fil d’épaisseur USP 2-0 (déc. 3) est très maniable. Si la tension sur les berges de la plaie est plus importante, il est possible d’utiliser des épaisseurs USP allant jusqu’à 1 (déc. 4). La peau est ensuite suturée avec un monofilament : le polyglyconate (Maxon®) est préférable au polyglécaprone (Monocryl®) parce qu’il conserve plus longtemps sa résistance à la tension. En l’absence de monofilament, un multifilament comme le polyglactine (Vicryl®) donne également de bons résultats. Si la tension de la plaie crée des difficultés, il est préférable de placer des points séparés plutôt qu’un surjet. Là encore, la taille du fil de suture dépend de la tension qui s’exerce sur la plaie et peut aller de USP 2-0 (déc. 3) à USP 1 (déc. 4). En cas de besoin, il est possible d’obtenir un soutien supplémentaire par la pose de points de matelassiers horizontaux en polyglactine (Vicryl®, USP 2 au maximum). Ces points peuvent être appuyés sur des compresses stériles enroulées pour éviter une nécrose cutanée par compression (photo 8).

Phase postopératoire

Après l’intervention, la plaie est, si possible, recouverte d’un pansement normal ou adhésif. Il n’est généralement pas nécessaire d’instituer une antibiothérapie, mais le cheval est mis sous anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pendant 3 jours (flunixine ou phénylbutazone) et maintenu au repos au box pendant 3 semaines pour réduire les risques de déhiscence de la plaie. Les mouvements et l’activité sont ensuite repris progressivement jusqu’à la récupération du niveau préalable à l’intervention. Si des points de soutien ont été placés, ils peuvent être retirés au bout de 14 jours afin d’éviter les escarres de compression. Les sutures cutanées sont retirées 21 jours après la chirurgie ou peuvent être laissées se résorber spontanément.

Complications

La déhiscence de la plaie est une complication fréquente liée à la tension cutanée inévitable qui fait suite à l’ablation d’une masse tumorale de grande taille. La région axillaire est particulièrement sujette aux déhiscences en raison des changements de tension cutanée qui se produisent pendant les mouvements. Il est donc presque toujours nécessaire de poser des points de soutien dans cette région et de les laisser suffisamment de temps en place, parfois jusqu’à 30 jours si nécessaire. En cas de déhiscence, il est généralement impossible d’envisager une nouvelle cicatrisation par première intention et il conviendra de laisser la plaie cicatriser par seconde intention. La plaie doit être nettoyée quotidiennement avec une solution iodée à 0,1 % ou de la chlorhexidine à 0,05 %.

Il est conseillé d’effectuer un examen histopathologique sur les tissus excisés, en particulier pour évaluer les marges chirurgicales (présence des cellules tumorales). Le site opéré doit être surveillé avec soin en postopératoire, en s’intéressant en particulier à la réapparition de sarcoïdes. Il est recommandé de prendre rapidement en charge les récidives locales, car ces tumeurs sont plus faciles à traiter lorsqu’elles sont de petite taille. En cas de récidive, il est possible de réintervenir chirurgicalement, mais le choix du traitement dépend essentiellement de l’aspect de la nouvelle tumeur et ne correspond pas nécessairement au traitement choisi pour l’ancienne sarcoïde. Lorsque ces tumeurs sont découvertes précocement, une nouvelle intervention peut être évitée grâce à la mise en place d’une chimiothérapie locale ou à l’application topique de l’imiquimod(1) [14]. Les publications font souvent état d’un taux de récidive élevé après l’exérèse chirurgicale (allant de 36 à 72 %). Toutefois, la technique chirurgicale méticuleuse que nous venons de décrire permet d’abaisser substantiellement ce taux, en particulier si elle est effectuée sous anesthésie générale (taux de 13 à 18 %) [1, 4, 8, 13].

Carcinome épidermoïde

Le carcinome épidermoïde peut apparaître n’importe où sur la peau sous la forme d’une masse ulcérée ou d’un tissu nécrosé ; toutefois, le plus souvent, il est observé au niveau des muqueuses et des jonctions cutanéo-muqueuses. Le carcinome épidermoïde s’observe souvent au niveau oculaire (conjonctive, membrane nictitante, sclère et/ou cornée) ainsi que sur les organes génitaux externes (pénis, vulve et clitoris) et, à un moindre degré, dans la cavité buccale. Les chevaux à la peau claire semblent plus vulnérables au développement des carcinomes épidermoïdes et les haflinger semblent être génétiquement prédisposés. Cependant, cette tumeur s’observe chez toutes les races équines, quelle que soit la couleur de robe [6]. Les carcinomes épidermoïdes sont souvent invasifs et peuvent métastaser aux nœuds lymphatiques satellites [15]. Il est donc conseillé d’effectuer un examen attentif et de palper ces nœuds lymphatiques pour évaluer le développement possible de métastases. Ces dernières entraînent classiquement de la léthargie, une perte de poids sévère et la mort de l’animal, mais ce processus peut prendre plusieurs mois et les animaux apparaissent souvent en assez bonne santé dans les stades initiaux. Le traitement chirurgical, bien que souvent très invasif, est possible dans de nombreux cas. Comme l’abord clinique diffère énormément selon la localisation de la tumeur, cet article présentera, l’une après l’autre, les localisations les plus fréquentes (oculaire et génitale) du carcinome épidermoïde.

Formes oculaires du carcinome épidermoïde

Le carcinome épidermoïde oculaire(2) apparaît sous la forme d’une masse proliférative, ulcérée, se développant sur la cornée, la sclère, la conjonctive ou la membrane nictitante (photos 9 et 10). Bien que, dans certains cas, l’énucléation représente la seule issue, la plupart du temps, il est possible de retirer la masse en conservant l’œil. L’exérèse d’une masse conjonctivale, cornéenne ou sclérale est une intervention très délicate qui doit être réalisée sous anesthésie générale par un spécialiste, c’est pourquoi elle ne sera pas développée dans cet article. Si la masse se trouve sur la membrane nictitante, l’exérèse de cette membrane(3) représente une solution définitive réalisable sur l’animal debout (photos 11 à 17 dans diaporama complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr). Les risques de récidive locale sont faibles (entre 0 et 7 % selon les publications récentes), mais comme la prédisposition génétique peut entrer en jeu dans le développement de ces tumeurs, il est nécessaire d’examiner régulièrement les deux yeux pour rechercher l’apparition de nouvelles tumeurs [5, 10].

Carcinome épidermoïde pénien

Le carcinome épidermoïde pénien commence souvent par le développement de lésions discrètes de la muqueuse pénienne, mais sa croissance peut être rapide sous la forme d’une ou de plusieurs masses prolifératives ou nécrosantes (photo 18). Le choix du traitement chirurgical dépend de la localisation et du mode d’extension de la tumeur. Toutefois, l’intervention chirurgicale ne peut être pratiquée sur l’animal debout en raison de la sensibilité extrême de cette localisation. En présence d’une tumeur pénienne, l’ensemble du pénis doit être examiné avec soin pour rechercher toutes les lésions, même celles très discrètes. L’administration intraveineuse d’acépromazine (4 mg/100 kg de poids vif) permet l’extérioration du pénis du prépuce. En présence d’une masse unique pédonculée, ou de seulement quelques-unes, l’exérèse simple de la (ou des) tumeur (s) peut être réalisée avec suture de la muqueuse sans toucher au pénis (photo 19). Si la base tumorale est plus importante, mais n’envahit pas la tunique albuginée, il est possible de pratiquer une posthioplastie partielle (posthectomie ou « circoncision » partielle). Ces deux techniques sont bien supportées par le cheval, mais comportent le risque d’une exérèse tumorale incomplète [17]. Si la tumeur est plus étendue ou infiltre les tissus sous-muqueux, l’amputation de la partie distale du pénis, au-dessous de l’anneau préputial, peut être réalisée avec de bons résultats sur les plans tant esthétique que fonctionnel (photo 20). La technique de Williams est la plus souvent réalisée : elle consiste à former un orifice urétral en V qui est moins sujet au développement d’une sténose. Les chevaux apparaissent confortables à la suite de cette intervention. Cependant, selon les publications, le taux de récidive est relativement élevé (23 à 46 %) [17]. Si la tumeur est observée en arrière de l’anneau préputial et/ou lors de suspicion d’une atteinte métastatique des nœuds lymphatiques inguinaux, l’amputation en bloc du pénis et du prépuce peut être effectuée, avec ou sans exérèse des nœuds lymphatiques inguinaux (photo 21 et encadré 1). Malgré la difficulté technique de cette intervention, son taux de complication relativement élevé (développement d’un œdème étendu, infection, déhiscence de la plaie et récidive tumorale) et l’inconfort pendant les premières semaines qui suivent l’opération, cette technique peut rallonger de plusieurs années l’espérance de vie du cheval. Le taux de récidive (0 à 25 %) après l’exérèse en bloc est significativement plus faible comparé à celui de la phallectomie partielle [2, 16].

Carcinome épidermoïde de la vulve ou du clitoris

Comme le carcinome épidermoïde pénien, ce carcinome commence souvent par des lésions discrètes de la muqueuse. La masse tumorale peut ensuite se développer rapidement au niveau des lèvres vulvaires comme au niveau du clitoris. L’exérèse des petites masses pédonculées situées sur les lèvres vulvaires est parfois possible sur la jument debout après une sédation et une anesthésie locale. Toutefois, le plus souvent, les masses sont sessiles et de trop grande taille pour être retirées. Dans ce cas, d’autres traitements sont envisageables, tels que la cryochirurgie ou la chimiothérapie locale. Les carcinomes épidermoïdes du clitoris ne sont pas rares et peuvent être traités par amputation du clitoris (encadré 2).

Mélanomes

Bien que les mélanomes puissent apparaître chez toutes les races équines quelle que soit la robe, leur développement est associé au gène responsable du grisonnement du cheval [11]. De ce fait, ils sont plus souvent observés chez les chevaux gris, âgés d’au moins 6 ans [9]. Les mélanomes se développent pratiquement n’importe où sur la peau, avec une préférence pour la région périnéale, la partie ventrale de la queue et la région parotidienne [3, 13]. Ils commencent sous la forme d’un nodule unique, de petite taille, qui peut rapidement croître et constituer de multiples masses de grande taille pouvant s’ulcérer et gêner énormément l’animal (photo 26). Les mélanomes, vus comme des tumeurs « bénignes », sont souvent négligés. Néanmoins, ils doivent être considérés comme des tumeurs malignes, car ils peuvent devenir envahissants et il n’est pas exceptionnel que des métastases se forment et mettent en jeu la vie du cheval. Comme l’exérèse chirurgicale des mélanomes uniques, bien délimités et de petite taille, est une intervention facile qui s’accompagne d’un bon pronostic, il est conseillé de détecter précocement cette tumeur et de la retirer rapidement pour éviter son comportement envahissant ou le développement de métastases. Toutefois, un bilan d’extension est indiqué avant toute procédure chirurgicale, car des métastases peuvent déjà être présentes. De plus, l’exérèse chirurgicale d’un mélanome ne protège pas le cheval de l’apparition ultérieure de nouveaux mélanomes dans d’autres localisations en raison de la prédisposition génétique des animaux atteints. Une fois que de multiples mélanomes confluents se sont développés, que les tumeurs sont devenues invasives ou que des métastases sont présentes, l’exérèse chirurgicale ne constitue plus une bonne option thérapeutique. D’autres traitements non chirurgicaux ont été décrits, mais ils ne rentrent pas dans le cadre de cet article.

La technique d’exérèse chirurgicale d’un petit mélanome cutané bien délimité et non invasif est ici décrite. Elle peut aussi s’appliquer à d’autres tumeurs cutanées nodulaires moins fréquentes comme les fibromes ou les mastocytomes.

Sélection des chevaux candidats à la chirurgie

Comme dans le cas des sarcoïdes, il est nécessaire de palper la masse avant de décider si l’exérèse chirurgicale est réalisable et si l’incision peut être suturée pour cicatriser par première intention. Les tumeurs doivent être bien délimitées et non invasives. Lorsque la palpation des tissus les plus profonds n’est pas possible, l’échographie peut être un moyen supplémentaire d’estimer les limites tumorales. Si la tumeur se trouve dans la région périnéale, une attention particulière est portée à la suture de l’incision chirurgicale, qui ne doit pas provoquer de déformations risquant d’interférer avec les fonctionnalités de l’anus ou de la vulve. Les mélanomes de la région parotidienne présentent souvent une croissance envahissante et leur exérèse chirurgicale est rarement possible en raison de la proximité des nœuds lymphatiques, des glandes salivaires, des nerfs et de vaisseaux sanguins de gros calibre (photo 27). Il est conseillé de réaliser un examen échographique détaillé pour évaluer la proximité de ces structures avant de tenter toute exérèse chirurgicale. Dans certains cas particuliers, des mélanomes ulcérés de grande taille peuvent être observés dans la région distale de la queue, alors que la partie proximale n’est pas atteinte. Si le suintement d’un exsudat noir et/ou purulent gêne l’animal, une caudectomie peut être effectuée sur l’animal debout, mis sous sédation, après une anesthésie épidurale. Toutefois la présence d’un assistant pour tenir et diriger la queue est très utile.

Technique d’exérèse

Dans beaucoup de cas, les petits mélanomes isolés peuvent être retirés sur le cheval debout après sédation et anesthésie locale ou épidurale. Les techniques utilisées pour l’exérèse et la suture sont en grande partie les mêmes que celles présentées pour les sarcoïdes. Comme les mélanomes sont moins sujets aux récidives et sont souvent très bien délimités, il est moins important de prendre toutes les précautions spécifiques décrites pour préparer le site chirurgical. Les bords des mélanomes sont souvent clairement visibles et bien délimités, et lorsque la localisation de la tumeur ou la tension cutanée ne permet pas de prendre de grandes marges de sécurité, l’exérèse complète de la tumeur visible peut suffire. Néanmoins, il est recommandé de ne pas inciser le tissu tumoral, car des cellules tumorales pourraient alors contaminer la plaie chirurgicale et engendrer des récidives. Les petits mélanomes découverts précocement et situés, par exemple, à la base de la queue peuvent être retirés par une incision circulaire au biopsy punch. La cicatrisation des plaies formées se fait par seconde intention. Lorsque l’incision chirurgicale est suturée, il est encore recommandé de changer de gants et d’instruments juste avant la suture, mais cela a moins d’importance si tout contact avec la tumeur a été évité pendant l’exérèse.

Comme pour les sarcoïdes, les chevaux recevront des anti-inflammatoires en phase postopératoire pendant quelques jours. Dans la plupart des cas, l’antibiothérapie n’est pas nécessaire. Si des points de soutien ont été mis en place, ils seront retirés au bout de 2 semaines, et les autres points de suture 1 semaine plus tard (soit 3 semaines postopératoires). L’exercice sera alors repris peu à peu et graduellement augmenté. Les récidives sont rares au niveau du site opératoire, car les mélanomes cutanés sont souvent bien délimités. Néanmoins, comme ils sont associés à la présence d’un gène, il n’est pas rare que des mélanomes se développent dans d’autres localisations après la chirurgie.

Conclusion

L’exérèse chirurgicale de la plupart des tumeurs cutanées du cheval est un traitement souvent réalisable qui s’accompagne de bons résultats tant que la technique chirurgicale est effectuée correctement. En particulier, il est nécessaire de prendre des précautions plus strictes lors de sarcoïdes pour éviter les récidives tumorales. Néanmoins, l’exérèse chirurgicale n’est pas le seul traitement possible et il convient d’explorer les autres options lorsque la taille ou la localisation de la tumeur ne se prête pas à l’intervention chirurgicale.

(1) Médicament à usage humain.

(2) Voir l’article « Formes oculaires du carcinome épidermoïde chez le cheval » d’A. Régnier et coll. Prat. Vét. Équine. 2017;195:38-45.

(3) Voir la fiche technique « Comment pratiquer l’exérèse de la troisième paupière sur cheval debout ? » de M. Cousty et coll. Prat. Vét. Équine. 2012;176:63-64.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

Éléments à retenir

• Pour un bon pronostic, il est primordial de bien sélectionner les candidats à l’exérèse chirurgicale.

• Le taux de réussite de l’exérèse chirurgicale des tumeurs cutanées, lorsqu’elle est réalisable, est élevé si elle est bien exécutée.

• L’exérèse des sarcoïdes doit s’accompagner de mesures complémentaires pour éviter leur récidive.

ENCADRÉ 1 : TECHNIQUES DE L’EXÉRÈSE EN BLOC DU PÉNIS/PRÉPUCE

Trois techniques d’exérèse en bloc ont été décrites. La première implique la rétroversion du pénis vers le périnée, et permet l’ablation d’une large proportion du corps du pénis. Toutefois, cette technique est très invasive, car elle nécessite une tunnellisation partant du site opératoire ventro-caudal jusqu’à la région périnéale. La seconde technique, moins invasive, permet d’éviter la rétroversion et crée un orifice urétral dans une position plus « naturelle », au niveau de l’abdomen ventro-caudal, ce qui réduit les risques de brûlure par l’urine de la partie interne des cuisses. Néanmoins, la partie amputable du pénis est plus limitée par cette technique. La troisième consiste à fermer le moignon pénien et à le laisser en place, puis à effectuer une urétrostomie périnéale. Cette technique, moins invasive que la rétroversion, permet l’ablation d’une plus grande partie du corps du pénis [18].

ENCADRÉ 2 : TECHNIQUE D’AMPUTATION CLITORIDIENNE

Cette technique peut être réalisée sur la jument debout après sédation et anesthésie épidurale entre la première et la seconde vertèbre caudale, effectuée dans les conditions d’asepsie (lidocaïne 2 %, 1,5 ml/100 kg de poids vif ; des doses plus fortes augmentent le risque de faiblesse des membres et de chute de la jument). La queue est bandée et maintenue par un assistant en dehors du site opératoire. Les lèvres vulvaires et la fosse clitoridienne sont lavées avec une solution de povidone iodée à 0,2 %. Bien que cette procédure ne soit pas complètement stérile, il est recommandé d’utiliser des gants et des instruments stériles pour réduire au minimum les risques d’infection. Le clitoris est ensuite exposé et clampé à sa base avec une grande pince mosquito pour éviter les saignements (le tissu érectile du clitoris saigne abondamment) (photos 22 et 23). Le clitoris peut être amputé juste distalement au clamp avec une lame de scalpel (photo 24). Une fois le clamp retiré, le tissu spongieux situé à la base du clitoris est suturé par un surjet simple en utilisant un monofilament d’épaisseur USP 2-0 monté sur une aiguille ronde (non coupante) (photo 25). Il est recommandé d’administrer en phase postopératoire un traitement anti-inflammatoire et une antibiothérapie, cette technique n’étant pas parfaitement stérile.