Habronémose équine cutanéo-muqueuse : actualités - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

Fiche – Parasitologie

Auteur(s) : Gilles Bourdoiseau*, Didier Pin**

Fonctions :
*VetAgro Sup, campus
vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
gilles.bourdoiseau@vetagro-sup.fr
didier.pin@vetagro-sup.fr

L’habronémose est une helminthose propre aux équidés due à trois espèces des genres Draschia et Habronema (nématodes spirurida), transmises par des muscidés (encadré) [1, 2, 6, 11].

Le spirure adulte est responsable d’une habronémose digestive, le plus souvent asymptomatique, le cheval parasité étant alors source de parasites, tandis que les larves sont à l’origine d’habronémoses oculaire, génitale et cutanée, appelées “plaies d’été”.

Épidémiologie

Les habronèmes sont des parasites d’équidés non zoonotiques. Plusieurs chevaux peuvent présenter les lésions au sein d’un effectif. Les facteurs éventuels de prédisposition (âge, sexe, couleur de la robe, etc.) ne sont pas confirmés, le cheval arabe semble toutefois prédisposé [7]. L’âne, moins fréquemment parasité, exprimerait un tableau clinique plus grave.

Initialement inféodée aux régions chaudes, l’habronémose cutanéo-muqueuse est désormais confirmée par des praticiens exerçant dans le sud de la France : cette extension géographique pourrait être imputée aux modifications climatiques, favorables à une augmentation de la pullulation de mouches infestées, mais est vraisemblablement due à l’importation et à la circulation de chevaux infestés asymptomatiques, non vermifugés, sources de parasites.

Les mouches infestées étant nombreuses et actives au cours de l’été, l’habronémose larvaire présente un caractère estival marqué - les lésions rétrocédant spontanément à l’entrée de l’hiver - et fréquemment récidivant, c’est-à-dire avec réapparition des lésions dans les mêmes localisations l’été suivant.

Aussi, l’hypothèse de phénomènes d’hypersensibilité peut être avancée :

- soit imputables à des larves déposées par les mouches attirées par une plaie imparfaitement cicatrisée chez des chevaux déjà sensibilisés ;

- soit par des antigènes libérés par les adultes présents dans l’estomac. Cette modalité n’expliquerait pas, toutefois, le caractère estival.

Formes cliniques cutanées ou muqueuses

La localisation des lésions est évocatrice et repose sur l’attirance des mouches pour tout liquide physiologique ou pathologique : larme, salive, humidité de la conjonctive et de la muqueuse génitale ; exsudat, sang, lymphe et pus à la suite d’une piqûre d’insecte ou d’une morsure de tique, en surface d’une plaie banale ou chirurgicale non protégée, etc. [5, 9].

L’habronémose cutanée

L’habronémose cutanée concerne les membres, en particulier les extrémités, l’encolure et toute zone exposée aux traumatismes et aux frottements (photo 1). Elle se traduit par une lésion, ou plusieurs lésions, en relief, plus ou moins planes, ulcérées, ne cicatrisant pas. Souvent, elles sont bourgeonnantes, extensives, saignant facilement, associées à une prolifération granulomateuse abritant des petits grains jaunes (1 à 2 mm), caséeux puis calcifiés renfermant des larves. Les démangeaisons, très fréquentes, poussent l’animal à se frotter, empêchent la cicatrisation et favorisent les complications bactériennes. Aucune atteinte de l’état général n’est observée, mais des répercussions néfastes sur la locomotion (plaies parfois douloureuses des extrémités) et sur la vision (ulcères cornéens, blépharospasme) sont possibles [5, 9].

Les habronémoses muqueuse et cutanéo-muqueuse

Les habronémoses muqueuse et cutanéo-muqueuse intéressent :

• l’œil : le canthus médial, la conjonctive et le sac conjonctival, la paupière (photo 2) [4]. Les démangeaisons induites peuvent entraîner des lésions secondaires au frottement. Les granulomes conjonctivaux et palpébraux peuvent, du fait du frottement contre la cornée, induire la formation d’ulcères cornéens douloureux, une néovascularisation et un blépharospasme. Ces lésions sont, le plus souvent, unilatérales ;

• l’orifice génital : sont concernées l’extrémité du pénis et la jonction cutanéo-muqueuse, très souvent siège de granulomes avec infection secondaire associés à une balanoposthite ou à des urines teintées de sang. L’atteinte muqueuse génitale semble moins fréquente chez la jument [5, 9].

Diagnostic

Le diagnostic repose sur les caractères épidémiologiques (saison, récidive), l’aspect et la localisation des lésions (plaques ulcérées, végétantes ou atones, grains jaunâtres très évocateurs, situés à proximité de zones exposées aux traumatismes ou de muqueuses) et les démangeaisons.

Le diagnostic différentiel inclut les néoformations tumorales (par exemple, carcinome épidermoïde et sarcoïdes) ou inflammatoires, ces dernières pouvant être de nature infectieuse (granulome d’origine bactérienne ou fongique) ou stériles (granulome éosinophilique, plaie exubérante, granulome ou pyogranulome stérile). Les lésions oculaires peuvent évoquer la présence d’un corps étranger ou d’un traumatisme cornéen [3].

Les examens complémentaires sont la cytoponction à l’aiguille fine montrant la grande richesse en polynucléaires éosinophiles de l’infiltrat et la biopsie cutanée.

L’examen histopathologique des biopsies cutanées des lésions montre un infiltrat nodulaire, extrêmement dense, composé essentiellement de polynucléaires éosinophiles. Les nodules, parfois coalescents, sont centrés sur des larves ou leurs débris. L’observation de larves nécessite parfois de nombreuses recoupes. Une étude a montré que des larves étaient observées dans 44 % des biopsies [7].

Une coproscopie évocatrice peut constituer un argument diagnostique favorable en sachant que le cheval souffrant de “plaies d’été” n’a pas nécessairement des spirures adultes dans l’estomac. En outre, les œufs sont de petite taille et légers et peuvent donc passer inaperçus à la coproscopie classique.

Traitement

• En premier lieu, le cheval doit être mis à l’abri afin de le soustraire le plus possible à l’action d’hypersensibilité des mouches et à la contamination bactérienne des plaies. Des pansements - quand ils sont possibles - protégeant les plaies sont également favorables. L’emploi d’un masque est efficace pour les interventions faciales et oculaires.

• L’exérèse large des granulomes et de leurs enveloppes fibreuses est utile, mais n’est pas toujours facilement réalisable, comme dans le cas de lésions multiples ou proches du globe oculaire [8]. À l’inverse, l’intervention chirurgicale semble indispensable lors d’atteinte du fourreau et de l’extrémité du pénis, ainsi que pour éliminer les granulomes palpébraux ou conjonctivaux inducteurs de lésions cornéennes [10].

• L’administration d’ivermectine ou de moxidectine - exclusivement par la voie orale (per os, PO) chez le cheval - permet l’élimination des spirures adultes en localisation gastrique. L’absorption digestive de ces molécules et leur diffusion profonde au sein des granulomes cutanés ou muqueux sont insuffisantes pour assurer une élimination complète des larves d’habronèmes. En revanche, l’application locale, une ou deux fois par jour, d’une préparation magistrale d’ivermectine en solution à 5 % dans un mélange de diméthylsulfoxide et d’eau semble efficace.

Outre les soins antiseptiques locaux, l’application d’un dermocorticoïde permet de diminuer l’inflammation et la taille des lésions. En cas d’inflammation violente, de site difficilement accessible ou de démangeaisons sévères, l’administration de corticoïdes par injection intralésionnelle (triamcinolone à la dose de 10 à 20 mg par lésion, pas de présentation avec autorisation de mise sur le marché [AMM] chez le cheval), voire par voie générale (dexaméthasone : 0,02 à 0,04 mg/kg par jour PO ou par voie intramusculaire [IM] pendant 3 jours ou 0,06 mg/kg IM ou par voie sous-cutanée [SC], une fois ; ou prednisolone : 1 mg/kg par jour PO, pendant 3 à 5 jours) est possible [7].

Prophylaxie

La surveillance quotidienne des chevaux exposés, en particulier ceux ayant déjà présenté une habronémose cutanée, est utile pour identifier les plaies exposées et procéder rapidement aux premiers soins : mise à l’abri et recours à des pansements. En zone d’endémie, les opérations de convenance (castration, notamment) doivent être réalisées pendant la période hivernale.

Les coproscopies permettent de dépister les animaux atteints d’habronémose imaginale qui doivent être traités (ivermectine ou moxidectine aux doses nématodicides classiques) avec un contrôle coproscopique post-traitement.

La lutte contre les mouches vectrices est très difficile :

- identification des gîtes de pontes (fumier, végétaux en décomposition, zones avec rétention d’eau, etc.) et assainissement ;

- utilisation de pyréthrinoïdes dans les locaux ;

- intervention par des présentations adaptées sur les bovins proches (pour-on) ;

- emploi sur le cheval de Sebacil® 50 % solution (AMM chez le cheval ; 1 ml de la solution dans un litre d’eau et application à l’éponge) ; les pyréthrinoïdes sont aussi efficaces (pas de présentation avec AMM chez le cheval, rémanence faible).

Conclusion

L’habronémose est une helminthose chronique et récidivante, dont la prévalence est liée à la densité de la population d’insectes des genres Musca sp. et Stomoxys sp. et, par là même, susceptible de recrudescences, les années chaudes s’accompagnant de la pullulation de ces insectes.

  • 1. American association of equine practitioners. External parasite and vector control guidelines-Flies. https://aaep.org/sites/default/files/Guidelines/Flies.pdf.
  • 2. Esccap : http://www.esccap.fr pour la recherche simple/avancée et la diagnose des principales espèces parasites-fiches descriptives par espèce parasite.
  • 3. Gasthuys FMR, van Heerden M, Vercruysse J. Conjunctival habronemiasis in a horse in Belgium. Vet. Rec. 2004;154:757-758.
  • 4. Moore CP, Sarazan RD, Whitley RD, Jackson WF. Equine ocular parasites: a review. Equine Vet. J. 1983;15(S2):76-85.
  • 5. Paterson S. Cutaneous habronemiasis. Equine Vet. Educ. 2009;21(1):9-10.
  • 6. Pugh DG, Hu XP, Blagburn B. Habronemiasis: biology, signs, and diagnosis, and treatment and prevention of the nematodes and vector flies. J. Equine Vet. Sci. 2014;34:241-248.
  • 7. Pusterla N, Watson JL, Wilson WD et coll. Cutaneous and ocular habronemiasis in horses: 63 cases (1988-2002). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222(7):978-982.
  • 8. Read RA, King MCA, Du Preez PM. Ulcerative keratitis associated with suspected habronemiasis conjonctival granuloma. Equine Vet. Educ. 1996;8(4):184-186.
  • 9. Rebhun WC. Observations on habronemiasis in horses. Equine Vet. Educ. 1996;8(4):188-191.
  • 10. Tyrnenopoulou P, Diakakis N, Psalla D, Traversa D et coll. Successful surgical management of eosinophilic granuloma on the urethral process of a gelding associated with Habronema spp. infection. Equine Vet. Educ. 2018, doi:10.1111/eve.12890.
  • 11. VetAgro Sup. Dermatologie parasitaire du cheval. http://www2.vetagro-sup.fr/etu/DPC.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ : LES HABRONÈMES

Les spirures sont des nématodes parasites du tube digestif antérieur, de 1 à 3 cm de longueur. Trois espèces concernent le cheval, leur cycle évolutif étant dixène. Les spirures pondent des œufs embryonnés (45 µm × 15 µm) éliminés dans les crottins ; les larves issues de ces œufs parasitent les asticots de mouches ; les larves 3 (L3) infestantes d’habronèmes sont présentes dans la cavité générale de la mouche ou dans le labium.

L’ingestion de la mouche assure le développement du spirure dans l’estomac, responsable d’une habronémose digestive ou imaginale (période prépatente : 2 mois) ; attirée par toute sécrétion, physiologique ou pathologique (sérosité, larme, salive, sang, pus, etc.), la L3 déposée sur une muqueuse ou une solution de continuité cutanée peut être responsable d’une habronémose larvaire cutanée, oculaire ou génitale (tableau).

Alors que le stomoxe est une mouche piqueuse hématophage, la contamination du cheval par la piqûre n’est pas démontrée et repose sur l’ingestion de la mouche.