Fiche — Cancérologie
Auteur(s) : Antoine Lechartier
Fonctions : Clinique vétérinaire équine
de Méheudin
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La cryochirurgie consiste à détruire des cellules, tumorales ou non, par application du froid (encadré). La destruction de cellules tumorales par cryothérapie entraîne une réaction immunitaire qui a pour effet la résorption de tumeurs satellites par simple réaction immune [7]. Bien qu’il existe différents gaz cryogéniques, le plus fréquemment utilisé en pratique vétérinaire équine est l’azote liquide, dont la température d’évaporation est de - 195,8 °C. Il est facile de le stocker et de s’en procurer, particulièrement dans les centres de reproduction utilisant de la semence congelée.
La cryothérapie percutanée est une technique fréquemment employée dans le traitement des sarcoïdes chez le cheval. Son taux de succès varie cependant de 9 à 100 %, selon les études [2]. Elle semble être plus efficace lorsque trois cycles de congélation rapide-décongélation lente sont appliqués [4, 6]. Pour le traitement des carcinomes épidermoïdes en région périorbitale ou génitale, elle semble également présenter un intérêt [5]. Enfin, cette technique a été appliquée aux mélanomes, mais apparaît comme insuffisante en traitement unique. La cryothérapie est souvent associée à d’autres techniques pour améliorer le taux de succès, notamment lorsque l’exérèse complète des tumeurs n’est pas réalisable (autour des yeux, par exemple).
La cryothérapie est particulièrement intéressante car elle ne nécessite pas d’environnement hospitalier et est réalisable sur le terrain, le plus souvent debout sous sédanalgésie avec un minimum de contention et de matériel. La zone à traiter n’a pas besoin d’une préparation aseptique. En revanche, une anesthésie locale est à envisager si l’intervention est réalisée debout, et cette précaution doit être précédée d’une préparation sommaire (tonte et savonnage avec une solution antiseptique).
Un volume suffisant d’azote liquide doit être disponible. Il convient de prévoir un litre d’azote pour une surface de 25 cm2 à traiter. Pour cela, le volume est prélevé dans une cuve à azote et transporté dans un conteneur isolé thermiquement (photo 1). L’application du froid peut être réalisée de deux manières : soit à l’aide d’un pistolet spécifique ; soit à l’aide d’applicateurs « faits maison ». L’opérateur doit se protéger les mains et les yeux lors des manipulations (photo 2).
Différents systèmes d’application existent, du plus sommaire au plus sophistiqué. Il est possible de distinguer les systèmes de spray et les systèmes de sonde pleine ou creuse.
Les systèmes de spray, en général coûteux et complexes, émettent de la vapeur et des gouttelettes d’azote sous pression sur la zone à traiter et permettent un refroidissement très rapide de la zone.
Les systèmes de sonde peuvent être de simples applicateurs pleins refroidis par trempage dans l’azote liquide ou être couplés à un pistolet à cryochirurgie (photos 3 à 5) (du type de Cryogun®, Brymill Cryogenic Systems). Dans ce cas, la sonde pleine ou creuse est refroidie par la circulation de vapeur d’azote dans le circuit. Comparées aux sprays et aux sondes pleines, les sondes creuses refroidissent plus lentement la zone d’intérêt, mais offrent un bon contrôle de congélation. Les sondes pleines permettent de traiter de larges ou multiples zones rapidement. La précision de la zone visée est cependant moins bonne qu’avec une sonde creuse.
La technique consiste à appliquer une pression constante sur la zone à traiter jusqu’à atteindre la température létale pour les cellules (- 20 °C). L’évaluation du degré de congélation peut être objective ou subjective.
La mesure objective s’obtient par l’application d’un pyromètre à simple ou multiples canaux sous la forme d’aiguilles placées à la périphérie de la zone cible. Lorsque toute la zone atteint une température de -20 °C, la totalité des cellules présentes est détruite.
L’évaluation subjective du degré de congélation est avant tout visuelle et tactile (par palpation). La température à la périphérie de la zone gelée est d’environ 0 °C, ce qui est insuffisant pour détruire l’ensemble des cellules. En effet, seuls 75 % des cellules d’une zone visuellement gelée sont détruites. Une surveillance échographique de la tumeur peut aider à déterminer la partie traitée [1]. Dans ce cas, l’échographie est utilisée pour définir le volume et les limites de la tumeur et le placement des sondes cryogéniques percutanées. Cette technique permet de réduire les risques de nécroses des tissus et des organes sains environnants.
En l’absence d’un pyromètre, il est recommandé d’effectuer deux à trois cycles de congélation rapide-décongélation lente pour une même zone afin d’être sûr que toutes les cellules visées ont été détruites. Empiriquement, il convient d’agir sur une zone pendant 1 minute, puis de changer d’endroit, afin de couvrir la totalité de la partie tumorale, en considérant en plus une marge d’environ 2 cm. Un deuxième cycle plus court (de 20 à 30 secondes) est appliqué sur toute la zone. En cas de récidive, il est préférable de réaliser trois cycles. Afin de mieux repérer les parties déjà traitées, une astuce consiste à appliquer une pommade blanche sur la zone.
Plus qu’une complication, la conséquence logique d’une cryochirurgie est la nécrose des tissus visés 2 à 3 semaines après l’application. Il est indispensable d’en prévenir les propriétaires. Le processus de cicatrisation de la zone est le même que celui d’une escarre, par granulation et épithélialisation. La cryothérapie appliquée sur la peau induit la destruction des follicules pileux et des mélanocytes, ce qui engendre une dépigmentation et une absence de poils sur la zone concernée. Il convient de traiter les escarres par l’application d’une pommade grasse et antiseptique (par exemple, Dermaflon®, Sulmidol®, Picribaume®). Dans le traitement des sarcoïdes, la création d’un ulcère peut également être l’occasion d’instaurer un traitement immunomodulateur à base d’imiquimod (1) (Aldara®) pendant 1 mois, à raison de 1 jour sur 2.
Une complication fréquente liée à la vasodilatation induite par la décongélation de la zone est l’hémorragie. Lors de l’ablation chirurgicale d’une tumeur dont les marges sont mal définies (sarcoïdes verruqueuses ou mixtes), une cryothérapie préventive peut être réalisée aux marges de la zone extraite et en profondeur (photo 6). Il est normal d’observer alors des saignements prolongés si l’hémostase n’a pas été réalisée au mieux pendant l’exérèse.
La cryochirurgie est particulièrement indiquée sur les sarcoïdes de type verruqueux ou fibroblastiques après ablation chirurgicale. C’est une technique de première intention peu onéreuse, car elle ne nécessite pas de grandes précautions d’utilisation, contrairement à la chimiothérapie à base d’antimitotiques ou à la radiothérapie. L’utilisation de la cryochirurgie est décrite en cancérologie cutanée équine depuis les années 1970 et peu de publications récentes ont été réalisées sur le sujet depuis les années 2000. Toutefois, les découvertes récentes telles que l’utilisation peropératoire de l’échographie, l’amélioration des systèmes d’application assistés par le vide permettant d’atteindre des températures de -200 °C et l’intérêt immunomodulateur de la cryothérapie dans l’optimisation des techniques de chimiothérapie font que la cryochirurgie pourrait rencontrer un regain d’intérêt auprès des praticiens.
(1) Médicament à usage humain.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
Les cellules des mammifères meurent lorsqu’elles atteignent une température de -20 °C, par formation de cristaux de glace dans leur cytoplasme, ce qui engendre une rupture de la membrane cellulaire ainsi qu’une déshydratation [8]. Lorsque les organites sont détruits, la cellule perd toute capacité à réguler son osmolarité et meurt. Le deuxième mécanisme d’action du froid est à l’échelle « régionale » par infarcissement des vaisseaux de la région et défaut d’oxygénation des tissus, ce qui se traduit par une nécrose plus tardive. Une congélation rapide induit une cristallisation plus massive à l’échelle intracellulaire et une décongélation lente entraîne la formation de cristaux plus grands qui induisent une deuxième vague de mort cellulaire. Un premier cycle de congélation permet de refroidir les cellules, ce qui permet, lors du second cycle, d’atteindre la température létale pour la totalité des cellules atteintes par la « boule de glace » formée. Le volume de « congélation » dépend de la température et de la taille de l’instrument utilisé, ainsi que du type de tissu visé, et en particulier de sa vascularisation et de son taux de graisse et d’eau. Une structure fibreuse comme la cornée ou un tendon est peu sensible au froid. De même, une structure proche d’un vaisseau à gros débit est difficile à refroidir si le flux sanguin y est maintenu [3].