Les topiques en dermatologie équine : aide à la prescription - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

Fiche - Thérapeutique

Auteur(s) : Laurent Mangold*, Philippe Ciantar**

Fonctions :
*Clinique équine d’Argonay
15, route de Pringy
74370 Argonay
**Clinique vétérinaire
de Launay
14130 Pont-l’Évêque

Le topique est un produit qui s’applique sur le revêtement cutané ou cutanéo-muqueux pour une action locale. Les topiques à visée thérapeutique en médecine vétérinaire équine sont pléthore (photos 1a et 1b). En revanche, les données objectives permettant de choisir une présentation plutôt qu’une autre sont peu nombreuses ou souvent présentées par un tiers ayant un intérêt commercial.

Les présentations s’appuyant sur une autorisation de mise sur le marché (AMM) cheval sont rares. Et bon nombre de produits sont soit utilisés sous la règle de la cascade lorsqu’ils ont une AMM dans une autre espèce, soit prescrits en s’appuyant sur leur appartenance à la classe des biocides ou à celle des produits d’hygiène. La majorité des topiques disponibles appartiennent à ces deux dernières catégories.

Seule une attention particulière à la composition de ces produits, à leur forme galénique et à leur présentation permet au prescripteur d’affiner son choix.

Une compilation des caractéristiques des principaux composants des topiques vétérinaires disponibles sur le marché est présentée, ainsi qu’un rappel des spécificités des galéniques utilisables, permettant de choisir la bonne galénique pour la bonne lésion.

Pommade, gel, crème, lotion… La galénique conditionne la thérapeutique

Le choix d’une galénique particulière est bien souvent guidé par la facilité d’utilisation du topique ou par la disponibilité de celui-ci dans la pharmacie de l’établissement vétérinaire. Il convient toutefois de ne pas occulter que le choix de la présentation, même s’il s’appuie en premier lieu, bien entendu, sur l’intérêt d’un principe actif dans la maladie à traiter, doit aussi tenir compte des éléments de galénique et de présentation (tableaux 1 et 2 complémentaire sur www. lepointveterinaire.fr). Il s’appuie également sur les caractéristiques lésionnelles que le praticien aura identifiées (tableau 3). Une lésion suintante doit orienter le choix vers une lotion, un gel, une crème ou une pommade plutôt hydrophile. En revanche, une lésion sèche s’accommode d’une pommade grasse plutôt hydrophobe. Une crème ou une pommade grasse hydrophile sur une lésion suintante risque d’entraîner un défaut d’adhésion. La qualité intrinsèque de la peau (sèche, grasse, humide, etc.) oriente également la préférence.

Principes actifs : sont-ils tous efficaces et sans risque ?

En l’absence d’un statut légal de dispositif médical vétérinaire, la commercialisation des topiques en dermatologie vétérinaire, dès lors qu’il ne s’agit pas de biocides, n’est pas soumise à AMM. La réalisation de tests d’innocuité et d’efficacité est laissée à la discrétion du fabricant.

Il est donc intéressant que le prescripteur prenne connaissance des quelques informations connues et publiées sur certains principes actifs pour orienter ses choix thérapeutiques (tableau 4 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).

Le pH 7 est-il une fin en soi ?

Le pH 7 résonne en dermatologie humaine comme une vérité. C’est un argument commercial. Il semble être le gage d’une bonne tolérance et d’une adaptation à la peau fragile des humains. Mais, à y regarder de plus près, ce pH 7 ne semble pas être celui de la peau humaine, du moins pas partout : au niveau du pli de l’aine, du dessous des bras et de l’entrejambe, oui ; en revanche, l’épiderme plus exposé (à part chez les bébés) semble plus acide qu’annoncé, selon quelques publications.

Chez le cheval, le pH est plutôt proche de 6, voire parfois 5 dans certaines conditions [4]. De plus, un pH acide est délétère pour la prolifération des principales bactéries infectant les plaies cutanées et favorise la cicatrisation dans sa phase de détersion et d’épithélialisation (au contraire, une alcalinisation du pH retarde l’épithélialisation). Le pH optimum est de 6,2 à 6,5 dans la phase de détersion d’une plaie, puis monte à 7,4 en fin de comblement conjonctif et redevient normal en fin de couvrement épithélial.

Il semble donc intéressant de favoriser un pH plutôt acide (de manière modérée, car il ne s’agit pas ici de brûler une lésion à l’acide) dans les premières phases de réparation lésionnelle.

Effet filmogène et propriété occlusive

Dans le cas d’une plaie, garder celle-ci occluse sous pansement ou grâce à un film protecteur participe à la création d’un environnement optimal en matière d’humidité, de température et de pH, lesquels vont favoriser la cicatrisation (photos 2a et 2b). Le choix d’un topique du point de vue de ce critère occlusif ou non est donc important.

Les pommades sont, par essence, plus occlusives que les gels, à condition que leur propriété hydrophile ou hydrophobe n’entre pas en contradiction avec la caractéristique sèche ou exsudative de la lésion.

La propriété filmogène de certains gels est mise en avant. En effet, celle-ci crée une protection de la plaie favorisant l’établissement d’un milieu propice à la cicatrisation.

Une lésion qui reste humide, avec un pH favorable, une prolifération bactérienne maîtrisée et une bonne température est plus propice à un processus de cicatrisation optimum.

« L’augmentation du niveau d’hydratation du stratum corneum permet d’améliorer la perméation transdermique de la plupart des médicaments. Cet effet peut être simplement réalisé par occlusion de la peau grâce à l’utilisation de patchs ou d’excipients occlusifs. Les substances compactes du stratum corneum s’écartent, et la perméabilité peut alors augmenter jusqu’à cinq fois. Le résultat obtenu dépend de l’importance de l’occlusivité. » [2]

Résistance au cisaillement, viscosité, tenue à la température

Avoir des difficultés à étaler un topique, voir toutes les poussières se coller sur lui, observer son ruissellement dès que la température extérieure augmente sont autant d’éléments qui doivent être pris en compte par le praticien pour choisir au mieux le topique à prescrire (photo 3).

De plus, ces critères vont jouer un rôle dans l’observance des traitements prescrits. Si, par exemple, le topique (en particulier s’il s’agit d’une pommade bien grasse) adhère, à chaque application, davantage aux vêtements du soigneur qu’à la lésion, l’observance du traitement est compromise. S’il est indispensable d’utiliser un topique plutôt huileux, il convient alors d’en avertir les personnes responsables des soins.

La présentation commerciale

Les topiques se présentent essentiellement en tube, en flacon (avec ou sans système applicateur) ou en pot. Le tube permet une application plus juste et un rangement plus hygiénique. Le pot permet la préhension plus aisée d’une grande quantité de matière pour de larges applications sur de grandes surfaces, mais la contamination est rapide et massive. Il sera donc judicieux de choisir un tube ou un flacon dès lors que la lésion devra conserver un statut bactérien contrôlé.

Le volume des présentations commerciales est aussi un facteur d’optimisation. Plus le produit reste entamé longtemps, plus les probabilités de contamination et de perte d’efficacité sont grandes.

Quelques excipients à prendre avec des gants…

Une liste d’excipients pointés du doigt par les organismes de défense des consommateurs existe (encadré complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr). Pour autant, très peu de communications de ce genre sont données dans le monde vétérinaire, et cela bien que les soigneurs des chevaux appliquent les topiques avec leurs mains. Nous pouvons peut-être apporter un regard à cette liste et conseiller d’appliquer les topiques avec des gants.

AMM : est-elle adaptée à tous les topiques dermatologiques vétérinaires ?

Les produits topiques utilisés en dermatologie équine sont nombreux. Certains sont présentés ou considérés comme des produits d’hygiène ou de soin, d’autres comme des produits antibactériens voire désinfectants, d’autres encore comme des biocides. Le statut de médicament leur est parfois attribué. La définition juridique de ce type de spécialité dépend de leur composition, de leur présentation ou encore de la preuve scientifique de leur efficacité. Certains composants sont listés par des textes réglementaires et, dès lors qu’ils apparaissent dans la composition d’une spécialité à un dosage défini, la spécialité est un médicament par composition. La publication de toute preuve scientifique de l’action thérapeutique d’un produit qualifie ce dernier de médicament. Toute sémantique ou iconographie laissant imaginer une action thérapeutique à l’utilisateur final définit la spécialité comme un médicament.

La portée de cette sémantique dépend pourtant du public auquel elle est destinée. Au risque de voir leurs produits d’hygiène et de soin requalifiés en produits médicamenteux pour avoir indiqué des expressions définies par le législateur comme des termes médicaux ou des allégations thérapeutiques, les fabricants adaptent la présentation de leurs produits. Les mentions informatives sur les étiquettes perdent de leur pertinence, et pour éviter que ces produits soient classés comme médicaments, les informations disponibles pour l’utilisateur final - le cavalier ou le soigneur du cheval - sont insuffisantes et vulgarisées à l’extrême. L’utilisation du produit dans les bonnes conditions et pour la bonne lésion ou situation devient de la divination ou s’appuie sur l’expérience du praticien. La règle est donc contre-productive. Les détenteurs d’équidés sont des amateurs avertis et éclairés qui, bien souvent, maîtrisent très correctement les soins de base de leurs équidés. Au lieu d’être protégés, ils sont finalement mésinformés et ce sont la santé et le bien-être du cheval qui peuvent en pâtir.

En médecine humaine, la notion de dispositif médical encadre cet aspect juridique et permet, entre autres, que les lunettes, les appareils auditifs, certains topiques (gels d’acide hyaluronique, par exemple) et les pansements de tous types soient commercialisés dans un cadre contrôlé autorisant la diffusion précise d’informations pour la bonne utilisation du produit dans la gestion de la santé humaine.

L’ensemble de ces produits d’hygiène et de soin vétérinaire n’est soumis à aucune obligation de preuve d’efficacité. Ils doivent respecter le principe général de sécurité pour l’utilisateur, mais aucun cadre réglementaire adapté ne définit clairement la position législative de ces spécialités. L’AMM que tout médicament doit obtenir pour sa commercialisation impose, elle, un ensemble de tests d’efficacité, de qualité de production et de sécurité qui sont incompatibles avec le volume économique de la commercialisation de ces produits de soin et d’hygiène vétérinaire. C’est le seul moyen permettant de garantir la qualité des produits et des résultats d’efficacité attendus pour le prescripteur. La santé animale risque de se priver de certaines de ces spécialités en raison d’une réglementation inadaptée et d’inadéquations financières. Le rôle de ces spécialités dans la gestion de la santé et du bien-être des chevaux est pourtant manifeste. Il s’agit donc d’un vide juridique dans lequel évolue l’ensemble de ces produits dits frontières.

  • 1. Cumenge I. Vade-mecum de thérapeutique en dermatologie chez les équidés. Thèse vétérinaire, Lyon. 2010:172p.
  • 2. Feurtet A. Des formes topiques classiques aux formes transdermiques : formulation et procédés. Sciences pharmaceutiques. 2006. 115p.
  • 3. Rosetto Y. Pharmacotechnie industrielle. I.M.T. eds. France. 1998:749p.
  • 4. Saumont M. Pathologie cutanée courantes chez le cheval et thérapeutiques officinales. Thèse pharmacie, Limoges. 2012:162p.
  • 5. Tarteaut MH, Jaggi K, Donnat N. Les produits hydratants-traitants de la peau. ISC Plaies et Cicatrisation. Forum du 16/10/2012. Hôpitaux universitaires de Genève. https://www.yumpu.com/fr/document/view/23038444/les-produits-hydratants-traitants-de-la-peau-hug
  • 6. Tomczak C. Utilisation du miel dans le traitement des plaies. Revue bibliographique. Thèse vétérinaire, Lyon. 2010:185p.
  • 7. Walters KA, Roberts MS. The structure and function of the skin. In: Dermatological and transdermal formulations. Marcel Dekker, New York. 2002:1-39.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN