Cancérologie
Auteur(s) : Youssef Tamzali*, Laura Borde**
Fonctions :
*Médecine interne équine
Université de ToulouseINP-ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse
Efficacité établie scientifiquement et précocité sont les points majeurs à considérer. Le choix thérapeutique est ensuite fondé sur l’évaluation de plusieurs facteurs qui rendent chaque cas unique.
Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de traitement universel des tumeurs cutanées équines. Le vétérinaire équin se voit donc confronté dans son choix à une grande variété de traitements (tableau 1 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr). Seuls ceux répondant aux exigences de la médecine factuelle sont décrits dans cet article, sachant que le praticien doit juger de l’efficacité d’un traitement selon des données scientifiques rigoureusement établies. En oncologie, l’efficacité se mesure généralement en pourcentage de succès escompté avec absence de récidive constatée sur 2 ans.
L’objectif de tout traitement est la destruction des cellules anormales. Si celle-ci est incomplète, la récidive est inévitable et souvent sous une forme plus agressive.
La prise en charge s’entend donc en termes de gestion thérapeutique pouvant faire appel à la combinaison de plusieurs traitements pour venir à bout d’une tumeur, qui plus est si l’animal est porteur de tumeurs multiples devant parfois faire chacune l’objet d’un choix thérapeutique individuel.
De manière générale, tous les traitements chirurgicaux utilisés seuls s’accompagnent d’un taux de récidive élevé, bien que dans des conditions spécifiques le taux de succès puisse être considérablement amélioré par des mesures chirurgicales préventives rigoureuses [1, 16]. Il est ainsi couramment admis que le traitement chirurgical doit s’accompagner d’un traitement médical adjuvant qui vise à prévenir la récidive après une résection totale de la tumeur. A contrario, il est fréquent que les traitements médicaux, pour être efficaces, soient, dans le cas de tumeurs volumineuses, précédés d’une exérèse chirurgicale totale ou réductrice afin de diminuer au minimum le volume tumoral à traiter. Il serait donc simpliste de vouloir opposer les approches chirurgicale et médicale, car la pratique raisonnée de l’oncologie équine fait souvent appel à leur complémentarité.
Il convient de disposer d’une panoplie minimale de traitements bien maîtrisés, afin de faire face à la majorité des situations, car il n’en existe aucun qui puisse être utilisé dans toutes les situations (tableaux 2 et 3). Souvent, deux ou trois traitements différents sont utilisés de manière simultanée ou décalée sur un même animal. Le choix thérapeutique dépend ainsi de plusieurs facteurs :
- la nature de la tumeur (bénigne ou maligne, développement lent ou rapide, propension à la récidive, pouvoir d’invasion locale) ;
- les données du bilan d’extension (atteinte des nœuds lymphatiques locorégionaux, métastases) ;
- la localisation anatomique (aspect fonctionnel ou esthétique) ;
- l’étendue des lésions ;
- la nature des lésions (uniques, multiples, isolées, coalescentes, pédonculées, adhérentes) ;
- l’âge et l’utilisation de l’animal ;
- les différents types de traitement dont le praticien dispose ;
- la pratique ambulatoire ou hospitalière ;
- l’aspect réglementaire (chimiothérapie et radiothérapie) ;
- la motivation des propriétaires et leurs capacités à financer le traitement.
Cela suppose, au préalable, une démarche diagnostique complète permettant d’établir un pronostic adéquat. Par ailleurs, la transparence la plus totale doit être adoptée avec les propriétaires, afin qu’ils puissent prendre leurs décisions en connaissance de cause et pour éviter les mauvaises surprises, les rechutes et les complications étant toujours possibles malgré des traitements parfois longs et fastidieux.
La brachythérapie (radiations γ) à l’aide d’implants d’iridium-192 ou d’or radiomarqué or-198 ou encore les radiations β au strontium-90 sont utilisés avec une très grande efficacité [13, 33, 38, 39] (photos 1a et 1b). La radiothérapie requiert des expertises, des équipements et des locaux spécialisés. Son coût, associé au cadre réglementaire très contraignant fait qu’elle n’est disponible qu’en de rares endroits à travers le monde et ne connaîtra vraisemblablement pas de développement supplémentaire.
Cette technique a fait l’objet de peu de publications à ce jour [4, 17]. Son principe séduisant associe l’application locale ou par voie systémique d’un agent photodynamique (ou photosensibilisant) comme l’hypericine et l’exposition de la zone à traiter à une lumière de longueur d’onde définie capable d’exciter l’agent utilisé.
La manipulation de ces substances est strictement réglementée (encadré 1 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).
Les molécules cytotoxiques interfèrent avec la réplication de l’ADN des cellules cancéreuses, qui présentent une plus grande sensibilité à ces molécules que les cellules normales. Par liaison à l’ADN cellulaire, elles provoquent une réticulation qui déclenche l’apoptose ou la mort cellulaire programmée.
L’un des traitements les plus efficaces est la chimiothérapie intratumorale au cisplatine(1) (diaminedichloroplatine ou CDDP), premier membre d’une classe d’antimitotiques incluant également le carboplatine(1) et l’oxaliplatine(1) (encadré 2 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).
Comme le cisplatine en solution aqueuse est rapidement métabolisé, le temps d’exposition des cellules cancéreuses est augmenté grâce à l’utilisation de transporteurs qui retiennent la substance cytoxique au site d’injection afin que la cytotoxicité soit optimale.
L’emploi d’une émulsion de cisplatine est la méthode de référence développée en premier chez le cheval. L’adjonction d’huile de sésame augmente le temps de rémanence du cisplatine au site d’injection, permettant ainsi une meilleure pénétration de la substance cytotoxique dans les cellules tumorales. Le taux de succès rapporté est de 95 % sur les tumeurs de moins de 5 cm ou en association avec l’intervention chirurgicale. Le traitement standard nécessite quatre séances à 2 semaines d’intervalle (figure) [34, 35].
Plus récemment développés, les implants biodégradables de cisplatine permettent une libération lente de la substance permettant de simplifier le traitement [11]. Le taux de succès rapporté est supérieur à 80 % avec une seule implantation. Le relargage progressif va à l’encontre des mesures de protection de la santé publique qui ont été prises en France, car il nécessiterait en théorie l’isolement des animaux traités pendant toute la période, qui est de 1 mois par implantation et qui augmente d’autant à chaque réimplantation.
L’électrochimiothérapie (ECT) connaît un développement croissant en médecine vétérinaire depuis les années 2000, son utilisation chez les équidés ayant été développée en France [2, 30]. Elle associe l’injection intratumorale de cisplatine en solution aqueuse à une électroperméabilisation locale, ce qui a pour effet de permettre au cisplatine de pénétrer dans les cellules tumorales à des concentrations jusqu’à 100 fois supérieures, augmentant ainsi la cytotoxicité de manière très significative (× 20) [30]. L’ECT doit être pratiquée sous anesthésie générale. Le taux de succès rapporté est de 98 % avec ou sans chirurgie associée (photos 2a à 2d). Selon la taille des tumeurs et la réponse au traitement, l’ECT comporte une série de trois à quatre séances espacées de 2 à 4 semaines [30, 37]. Les tumeurs inférieures à 2 cm de diamètre ne nécessitent généralement que deux séances. L’ECT se combine très favorablement à la chirurgie, qui permet de réduire le nombre de séances pour les tumeurs dont le diamètre est supérieur à 5 cm. En cas de traitement adjuvant à la suite d’une excision totale avec cicatrisation par première intention, le traitement est standardisé à deux séances pendant lesquelles les marges cicatricielles sont également infiltrées sur 2 cm de chaque côté de la ligne cicatricielle. Sur les nodules palpébraux dont le traitement chirurgical présente des complications notoires (comme une kératite d’exposition induite par la rétraction cicatricielle), l’ECT permet d’obtenir des résultats fonctionnels et esthétiques remarquables avec une moyenne de quatre séances [13].
La technique d’injection est similaire à celle décrite pour l’émulsion de cisplatine. Dans les 5 minutes suivant l’infiltration, deux séries orthogonales d’impulsions électriques de courte durée (100 µs) et de fort voltage (E = 1 300 V/cm) sont appliquées au contact de la surface tumorale infiltrée à une fréquence de 500 Hz à l’aide d’une électrode de contact (photo 3) [19]. Chaque application électrique couvre environ 1 cm 2 et doit être répétée jusqu’à exposer la totalité des tissus infiltrés, y compris les marges apparemment saines.
L’électrochimiothérapie, ainsi que l’utilisation d’émulsion d’huile de sésame répondent bien aux procédures de biosécurité françaises applicables dans les structures déclarées et acceptées par le régulateur : 24 heures d’isolement total et collection des fèces pendant les 6 jours suivant la séance thérapeutique.
Le 5-fluorouracile(1) (5-FU) semble efficace sur les lésions très superficielles. La pommade à 5 % est utilisée à l’étranger en adjuvant pour le traitement des carcinomes cornéaux-conjonctivaux et les lésions débutantes de carcinome pénien. La solution injectable à 50 mg/ml peut être utilisée en injection intratumorale hebdomadaire pendant 5 à 7 semaines, avec une efficacité rapportée autour de 61,5 % [28].
La mitomycine C(1) n’est actuellement pas accessible aux vétérinaires. Cependant, elle est couramment utilisée en ophtalmologie à l’étranger dans le traitement adjuvant des carcinomes oculaires, soit en pommade, soit sous forme de collyre préparé à 0,02 % à partir de la solution injectable. L’injection intratumorale de solution aqueuse ou d’émulsion huileuse semble efficace sur les sarcoïdes et les carcinomes, ainsi que sur les mélanomes. Cela demande cependant à être confirmé par des études contrôlées sur un nombre suffisant d’animaux.
Les extraits de Viscum album utilisés par voie systémique sous-cutanée montrent une efficacité de 37 % par régression lente sur environ 1 an et sans effets secondaires [3].
Le bacille de Calmette et Guérin (BCG) (lignée de Mycobactérium bovis atténuée par passage en série sur cultures cellulaires) et ses dérivés (fractions de membranes cellulaires purifiées) ont été utilisés dans le traitement des sarcoïdes [13, 16, 23]. La membrane des mycobactéries est très immunogène et leur injection locale au site tumoral entraîne des effets à la fois spécifiques (par la liaison des protéines aux cellules tumorales à l’origine d’une réaction d’hypersensibilité retardée du type IV) et non spécifiques (via l’induction d’une inflammation sévère au site d’injection avec activation des lymphocytes-T, des neutrophiles, des macrophages et des cellules natural killer [NK] qui vont détruire de façon non sélective les cellules tumorales) [12]. Ainsi, aucun effet antitumoral n’est généralement espéré à distance de la lésion traitée même si Haspelagh et coll. suggèrent, en 2016, un possible effet systémique des traitements locaux immunostimulants (cryochirurgie, BCG ou imiquimod) qui s’accompagnent de meilleurs résultats sur des sarcoïdes distantes traitées par une autre modalité [10].
Des vaccins vivants atténués (BCG vivant en poudre à diluer pour reconstituer une solution aqueuse) ou des extraits de membrane cellulaire purifiés sont disponibles dans le commerce. Le volume et la concentration doivent être adaptés au volume tumoral à traiter (pour des tumeurs de diamètre inférieur à 0,5 cm, diluer une ampoule [2-8 × 106 UFC/ml] dans 0,5 ml d’eau et utiliser 1 à 1,5 ml pour des tumeurs plus volumineuses). Les injections sont réalisées sur cheval debout sous sédation par voie intratumorale avec des aiguilles de 21 ou 22 G et des seringues Luer-lock pour éviter toute fuite de produit. Les injections sont ensuite répétées à des intervalles de temps correspondant au numéro de la séance précédente (soit 1 semaine après la première injection, 2 semaines après la seconde, etc., jusqu’à un maximum de 4 semaines d’intervalle) jusqu’à obtenir une réponse antitumorale satisfaisante (soit 4 à 10 séances avec une moyenne de 5 séances) (photos 4a à 4c).
Bien que rares, des réactions anaphylactiques sévères (voire fatales) peuvent survenir immédiatement ou jusqu’à 20 à 40 minutes après la seconde ou la troisième injection. Une prémédication à base de corticostéroïdes (dexaméthasone à la dose de 0,05 à 0,1 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) et de flunixine méglumine (à 1,1 mg/kg IV) est recommandée 30 minutes avant l’administration de BCG ou de ses dérivés dès la seconde séance, ou la première si le cheval a déjà reçu ce traitement par le passé. Les réactions locales sont fréquentes et plus marquées au fur et à mesure du traitement en présence d’un œdème, puis d’une nécrose tumorale qui peut conduire à une abcédation (un débridement chirurgical peut s’avérer nécessaire) [12].
Cette technique est limitée au traitement intralésionnel de sarcoïdes nodulaires (et certaines formes fibroblastiques) en région périoculaire sur lesquelles elle a montré une bonne efficacité (60 à 100 % de réponses selon les études), contrairement à d’autres types tumoraux, y compris les mélanomes et les carcinomes épidermoïdes équins (moins de 20 % de réponses) [13]. La technique d’injection intralésionnelle (non sous-cutanée ou péritumorale) est déterminante quant aux résultats obtenus et les formes occultes ou verruqueuses ne sont pas de bonnes candidates à ce traitement (difficultés techniques, peu de réponses et chances de complications majorées). De même, les résultats sont décevants sur d’autres parties du corps, notamment sur les membres où ce traitement pourrait même aggraver les lésions existantes [12].
L’imiquimod(1) (Aldara®) est utilisé sous forme de crème à 5 %. Cette imidazoquinolinamine possède des propriétés immunomodulatrices, antivirales et antitumorales par l’activation du toll-like receptor 7, qui conduit à la production de cytokines, dont l’interféron (INF)-α, l’interleukine (IL)-12 puis l’INF-γ et d’autres médiateurs de la réponse immunitaire innée ou acquise, en particulier la réponse à médiation cellulaire, nécessaire à la destruction des cellules tumorales [20, 36]. L’imiquimod est utilisé chez l’homme pour le traitement topique des verrues génitales (papillomavirus humain), des kératoses actiniques et des carcinomes basocellulaires superficiels [20, 36].
Chez le cheval, une étude préliminaire a testé l’efficacité de l’imiquimod à 5 % sur diverses formes de sarcoïdes à des localisations anatomiques variées avec 80 % de réponses partielles (au moins 75 % de réduction en taille), dont 60 % de réponses complètes parmi les 15 tumeurs traitées et suivies pendant une moyenne de 21 semaines. Le protocole comprend l’application topique de la crème par le propriétaire après nettoyage de la surface tumorale avec un savon doux (pour éliminer les croûtes et favoriser la pénétration de la crème), trois fois par semaine (jours non consécutifs), pendant 16 à 32 semaines selon la réponse observée. Les réactions inflammatoires locales sont fréquentes sur le site traité, ainsi que sur le tissu adjacent (alopécie, érythème, exsudation, ulcération) dès la deuxième semaine de traitement et se résolvent en 8 semaines avec un effet esthétique satisfaisant. Quelques chevaux montrent de l’inconfort nécessitant une sédation avant le traitement (pour le nettoyage de la zone) et même l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens pendant quelques jours. La fréquence des traitements peut également être réduite lors de fortes réactions inflammatoires (deux traitements par semaine ou pause pendant 1 semaine) sans affecter la réponse tumorale [22]. Une autre étude comportant 20 chevaux pour un total de 83 sarcoïdes a montré l’intérêt de l’association de tazarotène(1) et d’imiquimod, avec un taux de succès de 63 % à 12 semaines, de 87 % à 16 semaines et de 100 % si le traitement est prolongé jusqu’à 21 semaines pour les cas les plus difficiles (photos 5a à 5f) [29].
L’imiquimod a également montré d’excellents résultats (87,5 % de résolution complète après 1,5 à 8 mois de traitement et 1 an de suivi) dans le traitement des plaques auriculaires (papillomes du pavillon de l’oreille) chez 16 chevaux avec un protocole légèrement différent (trois administrations par semaine, une semaine sur deux). Seuls deux chevaux ont montré des récidives (soit 12,5 %) entre 13,5 et 18 mois après la fin du traitement [36].
Malgré le peu d’études contrôlées chez le cheval, ce traitement est largement utilisé dans la pratique courante en raison de sa simplicité de mise en œuvre chez le propriétaire, sa relative innocuité pour le manipulateur comparée aux agents chimiothérapeutiques (irritation cutanée en cas de contact) et son coût abordable. Son efficacité est limitée par la voie d’administration topique (faible pénétration), mais cette technique peut être combinée à une intervention chirurgicale réductrice sur des sarcoïdes plus volumineuses [9, 32].
Une étude préliminaire séduisante a montré une efficacité notable sans effets secondaires de l’acyclovir(1) sur les sarcoïdes [27]. Cependant, ces résultats n’ont pu être reproduits en pratique clinique, y compris par l’auteur qui l’a utilisé à de nombreuses reprises, mais s’est vu dans l’obligation de se tourner vers d’autres traitements d’efficacité notoire. Une étude récente en double aveugle versus un placebo a confirmé le peu d’intérêt de ce traitement [8].
La cimétidine(2) est un antagoniste des récepteurs H2 à l’histamine qui pourrait exercer des effets immunomodulateurs et antitumoraux via le blocage de l’activation des cellules T immunosuppressives par ce récepteur [25]. Malgré les résultats encourageants publiés dans une étude préliminaire sur trois chevaux atteints de mélanomatose multifocale, d’autres études contrôlées sur un plus grand nombre de chevaux n’ont montré aucun effet de la cimétidine par voie orale (1,6 mg/kg, une fois par jour, à 7,5 mg/kg, deux ou trois fois par jour, pendant 30 à 60 jours) sur les mélanomes [6, 12, 14, 25]. Ce traitement ne peut donc pas être recommandé actuellement.
Le tazarotène (Zorac®) est utilisé sous forme de gel à 0,1 %. Ses propriétés kératolytiques sont très puissantes. Appliqué quotidiennement pendant 2 semaines, ce produit a pour avantage de détruire la couche de kératine des sarcoïdes verruqueuses [12]. Son utilisation préalable à un traitement topique antitumoral proprement dit comme l’imiquimod permet d’en faciliter la pénétration et par là même d’en augmenter l’efficacité [29]. Dans l’expérience de l’auteur, il permet également de mieux apprécier visuellement les tissus à infiltrer avec une solution de cisplatine lors d’électrochimiothérapie, tout en améliorant la pénétration tissulaire des impulsions électriques. Par extension, il devrait être aussi bénéfique pour l’infiltration d’une émulsion de cisplatine, qui a été rapportée moins efficace sur les sarcoïdes verruqueuses [35].
L’immunothérapie regroupe diverses techniques qui visent à altérer les relations entre la tumeur et le système immunitaire de l’hôte. Cette modalité thérapeutique est envisageable si les cellules tumorales expriment des antigènes spécifiques différents de leurs homologues normales, et si ces antigènes peuvent être reconnus de façon sélective par le système immunitaire pour épargner les cellules normales.
La plupart des types cellulaires tumoraux expriment des antigènes anormaux pour ce type cellulaire ou cet environnement, ou des antigènes réservés au stade fœtal qui sont reconnaissables par le système immunitaire de l’hôte. L’immunosurveillance peut conduire à l’élimination des cellules tumorales (reconnues comme « non-soi »), à une stabilisation (tolérance de tumeurs peu immunogènes) ou à une croissance tumorale incontrôlée par échappement au système immunitaire [5].
En effet, les cellules tumorales sont capables d’exercer un effet immunosuppresseur local (par le biais d’une altération de la fonction des lymphocytes-T, des cellules présentatrices d’antigènes et l’induction de cellules-T régulatrices) ou parfois même systémique grâce à des médiateurs solubles (cytokines et enzymes). L’objectif de l’immunothérapie est donc de potentialiser ou de restaurer la capacité de l’hôte à reconnaître le tissu tumoral comme étranger [12].
L’immunothérapie passive consiste à administrer des cellules immunologiquement actives préalablement sensibilisées, des anticorps ou des médiateurs spécifiques (cytokines) à l’animal en espérant stimuler une réponse immunitaire antitumorale [24]. Ces deux premiers types de traitement comportent de nombreuses limitations (coût de production, répétition des traitements) et n’ont pas été testés chez le cheval. En revanche, quelques études se sont intéressées à l’administration intratumorale de cytokines recombinantes humaines (IL-2) ou de plasmides ADN codant pour des cytokines (IL-12 ou IL-18) dans le traitement des tumeurs cutanées équines, avec des résultats encourageants en particulier pour les sarcoïdes (potentialisation de l’effet du cisplatine intratumoral par l’IL-2), et les mélanomes métastatiques (IL-12 ou IL-18) [21, 26]. Plus récemment, l’administration locale (péritumorale) et systémique (intramusculaire) de plasmides codant pour l’IL-12 et l’IL-18 associés ou non à des antigènes spécifiques (glycoprotéine 100 ou tyrosinase humaine) a montré une certaine efficacité chez 27 chevaux atteints de mélanomes, puisqu’une régression tumorale et même des effets systémiques sont obtenus dans tous les groupes traités comparés au groupe placebo même en l’absence d’antigènes spécifiques [15]. De même, une autre étude préliminaire a utilisé la technique d’électropration pour le transfert d’un plasmide codant pour l’IL-12 (électro-géno-thérapie) dans le traitement des tumeurs cutanées du cheval avec des résultats prometteurs [31].
L’immunothérapie active spécifique consiste à immuniser l’animal contre des antigènes tumoraux spécifiques ou des cellules tumorales entières portant ces antigènes.
La plupart des tumeurs équines sont faiblement immunogènes et la vaccination à base de vaccins bruts autologues s’est montrée décevante. Concernant les sarcoïdes, des greffes autologues (1 cm3) sont réalisées à partir de tissu tumoral prélevé chirurgicalement et congelé dans l’azote liquide à trois reprises pour assurer une mort cellulaire complète avant d’être insérées dans le tissu sous-cutané de l’encolure. Malgré les bons résultats affichés par une première étude préliminaire, ceux-ci n’ont pu être confirmés ultérieurement et ce procédé comporte un risque non négligeable d’induire de nouvelles lésions au site de greffe [12].
Chez les équidés, des antigènes tumoraux purifiés spécifiques d’un tissu (tyrosinase pour les mélanomes) ou des antigènes viraux (protéines L1 et E7 du papillomavirus bovin [BPV] pour les sarcoïdes) sont utilisés expérimentalement comme vaccin dans l’espoir d’induire une réponse antitumorale spécifique et systémique [18, 25]. Dans l’étude de Mattil-Fritz et coll. en 2017, une réponse anti-BVP (notamment anti-L1) est détectée chez 11 chevaux portant un minimum de 22 sarcoïdes chacun sur les 12 inclus dans le protocole de vaccination. Cependant, une nette amélioration clinique n’est notée que chez 2 chevaux (réduction du nombre de lésions) [18].
L’administration par voie intramusculaire d’un vaccin contenant une séquence ADN codant pour la tyrosinase (enzyme critique pour la synthèse de mélanine) humaine (Oncept®) a montré des résultats expérimentaux encourageants sur les mélanomes équins, mais d’autres études sont nécessaires avant d’utiliser ce traitement dans un contexte clinique [25].
D’autres recherches sont orientées vers l’utilisation de vaccins contre les BPV 1 et 2 à visée « prophylactique », c’est-à-dire capables de prévenir la transformation tumorale en réponse à l’exposition au virus [7].
La gestion des tumeurs cutanées équines est souvent un défi thérapeutique. La banalisation ou le fatalisme, encore de mise il y a 2 ou 3 décennies, car l’oncologie équine était marginalisée pour ne pas dire inexistante en tant que discipline scientifique explorée et enseignée, tend à disparaître avec les nouvelles générations de vétérinaires. Il est à regretter cependant que de nombreux cas de tumeurs cutanées, et notamment de sarcoïdes, soient encore traités en première intention avec des préparations variées de type homéopathique, huiles essentielles et autres produits dits « miracles » n’ayant pas fait l’objet d’essais cliniques contrôlés. Seuls les dégâts dus à l’inefficacité de ces « traitements » peuvent être constatés, car les animaux sont généralement présentés en seconde ou troisième intention si ce n’est plus, à un stade d’évolution avancé, ce qui en assombrit le pronostic. Il n’est pas possible de dire si ces produits ont eu pour effet d’exacerber les lésions ou s’il s’agit de l’évolution normale des tumeurs dans le temps. Quoi qu’il en soit, le rôle du vétérinaire est d’informer correctement les propriétaires, de leur proposer des traitements dont l’efficacité est établie scientifiquement, et de traiter le plus précocement possible. :
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
• Le choix thérapeutique est primordial dans la prise en charge des tumeurs cutanées et doit tenir compte des principes de la médecine factuelle.
• Le praticien doit disposer d’une panoplie minimale de traitements bien maîtrisés lui permettant de faire face à tous genres de situations.
• La communication avec les propriétaires fait partie intégrante de la prise en charge, car les récidives sont fréquentes malgré des traitements longs, fastidieux et parfois coûteux.
Les auteurs remercient le Pr Derek Knottenbelt d’avoir autorisé l’utilisation des photographies illustrant la radiothérapie et le BCG.