Le comportement
Auteur(s) : V. BOUREAU*, E. GAULTIER**
Fonctions :
*Clinique La Châtaigneraie, 44240 SUCÉ-SUR-ERDRE
**Phérosynthèse, Le Rieu-Neuf, 84490 SAINT-SATURNIN-D'APT
La prévention des phobies chez le cheval est essentielle. La gestion thérapeutique des animaux phobiques repose essentiellement sur des programmes de thérapie comportementale.
Au cours de sa pratique courante, le vétérinaire praticien peut être amené à proposer une approche thérapeutique lors de troubles phobiques liés, par exemple, au transport. Que le problème soit abordé par l'amélioration des conditions de transport, par le biais de la prévention, par une chimiothérapie ou par la prescription de véritables programmes de désensibilisation, il est indispensable d'évaluer l'efficacité des mesures mises en œuvre. L'approche par l'éthologie clinique est le préalable nécessaire pour pouvoir répondre à la demande avec pertinence. Comment, dans la pratique, combiner ces éléments complémentaires pour diminuer l'incidence de ces troubles chez le cheval de sport notamment ?
Même si le transport des chevaux est une pratique usuelle, il correspond à un événement bien éloigné de l'éthogramme du cheval. De nombreux auteurs ont cherché à mettre en évidence les éléments physiques et psychologiques du stress des transports chez le cheval [19.]
Le transport est un facteur d'altération des défenses immunitaires de l'animal et favorise la survenue d'affections comme la pleuropneumonie [2, 10, 20]. Cette dernière, liée à l'augmentation du taux endogène de glucocorticoïdes due au stress, s'accompagne également de nombreuses perturbations physiologiques. L'élévation de la fréquence cardiaque, de la perméabilité pulmonaire aux macromolécules, la déshydratation et l'hyperthermie sont autant d'indices physiologiques du stress des transports.
Sur le plan comportemental, des postures anormales, des changements de position et des déplacements fréquents, des vocalises, une anorexie, un grattage du sol et des coups de pieds sont observés. Ces manifestations s'accompagnent de signes neurovégétatifs tels que la sudation, la miction, la défécation et des tremblements. Des symptômes de coliques digestives associées à des impactions coliques avec iléus paralytique sont également possibles [9, 20]. Les lésions traumatologiques sont en outre fréquentes, notamment au niveau de la tête, de l'extrémité distale des membres ou du dos [11].
Sur le plan biologique, outre l'hypercortisolisme, une hémoconcentration, une hypernatrémie, une urémie et une hyperprotéinémie sont constatées, mais ces paramètres sont peu spécifiques et rapidement réversibles, ce qui les rend peu exploitables pour un suivi biologique [6, 19, 20].
De nombreux travaux, parfois contradictoires dans leurs résultats, ont tenté d'établir des règles de transport pour un meilleur confort du cheval. La concentration du nombre d'animaux transportés aggrave le risque de blessures, d'agressions entre individus et de chutes [3]. Le positionnement de l'animal dans le sens inverse de la marche semble favoriser un meilleur équilibre et diminuer le stress. Pendant le mouvement, des chevaux libres d'attache se positionnent spontanément et préférentiellement dans le sens inverse de la marche [2, 9, 19, 22]. L'accès à l'abreuvement à intervalles réguliers, toutes les six heures au minimum, limite les effets délétères du transport [6]. La distribution d'aliments et les “petits soins” accordés au cheval participent à l'amélioration des conditions de transport. Il convient en fait de maintenir au mieux les habitudes de l'animal. Cela implique d'emporter, lors de transports longs, de l'eau de boisson et le fourrage habituel de l'écurie. L'ensemble de ces mesures n'a qu'un rôle palliatif de diminution du stress lors de changement.
Il convient de connaître l'importance du maintien des rituels de l'animal lors du transport. Ces derniers sont des stabilisateurs émotionnels. La présence du groom accoutumé du cheval est sans doute l'élément le plus apaisant [2] qui contribue à réduire le stress (photo ). Tous les éléments et objets habituels permettent de diminuer le stress du transport chez le cheval, mais ils restent insuffisants pour gérer les états pathologiques de phobies.
À titre préventif, il est possible d'habituer le poulain à la présence d'un van dans son environnement habituel, voire à entrer précocement dans celui-ci. Ce processus naturel d'habituation chez le jeune est toujours bénéfique à la tolérance future au transport chez l'adulte.
L'usage de la force, directement ou par le biais de stratagèmes plus ou moins élaborés, est à proscrire, car il augmente l'intensité de la peur. Il agit ainsi en renforçateur du comportement d'évitement produit par l'animal.
Ces techniques fonctionnent pourtant parfois, confortant ainsi leurs utilisateurs dans leur bien-fondé. Dans le cas contraire, le cheval est définitivement considéré comme inexploitable et rapidement réformé de tout usage sportif. Le nombre de réformes de chevaux pour cause comportementale est sans doute sous-estimé à l'heure actuelle [7].
La thérapie comportementale fait appel à différentes techniques utilisées successivement ou conjointement (figure ).
Comme tout apprentissage, la thérapie comportementale respecte les principes du conditionnement opérant. La probabilité d'apparition de la réponse au stimulus peut être augmentée grâce à un élément renforçateur. Le renforcement positif est un stimulus qui apparaît suite à la réponse et qui augmente la probabilité de réapparition de celle-ci. Cette technique fait appel aux récompenses alimentaires ou affectives, qui sont mises en œuvre lorsque la réponse adéquate a été obtenue (par exemple : rester calme).
Lors d'immersion, l'exposition au stimulus phobogène s'effectue de façon prolongée, sans aucune possibilité d'échappement. Les conditions de sécurité lors de la contention de l'animal, pour lui-même et pour l'opérateur, ne sont alors pas réunies et le résultat est le plus souvent négatif.
Le cheval est un animal social et la présence répétée d'un “congénère modèle” peut induire un comportement identique chez un autre individu. Tout au moins, la présence du congénère constitue un facteur d'apaisement.
Par la désensibilisation, la disparition de la réponse motrice est recherchée en exposant l'individu, de façon répétée et prolongée, au stimulus phobogène sans que ce dernier ne devienne aversif (photo ). Le but de cette technique est d'obtenir un processus d'habituation grâce à un gradient croissant d'intensité du stimulus. Cette méthode, efficace en cas de phobies d'objets, est difficile à mettre en œuvre lors de phobie des transports car le stimulus devient rapidement aversif.
Cette technique vise à associer temporellement au stimulus phobogène un stimulus qui produit habituellement une réponse comportementale physiologiquement ou émotionnellement incompatible avec la réaction d'évitement et de peur.
La désensibilisation associée au contre-conditionnement est la technique de choix dans le traitement des phobies chez le cheval.
Dans la pratique, il convient de procéder à une exposition progressive, par étapes, à la situation qui génère la réponse phobique, en utilisant un gradient de distance par rapport à la situation ou un gradient d'intensité du mouvement, des bruits, etc. Il est indispensable de rester juste en deçà du seuil de déclenchement de la réponse phobique (encadré 1).
Le contre-conditionnement implique l'apprentissage de la réponse incompatible, qui est fortement renforcé par une récompense alimentaire ou des caresses. Le passage à l'étape suivante du programme de thérapie, c'est-à-dire l'augmentation de l'intensité d'exposition, ne s'effectue que sous réserve de l'obtention répétée de réponses adéquates non phobiques dans les conditions d'exposition précédentes.
Selon le stade phobique et la nature précise du stimulus phobogène (embarquement, enfermement, transport proprement dit), la technique de thérapie est adaptée à chaque cas clinique. Un programme de thérapie personnalisé doit cependant être établi.
Toutes ces techniques de thérapie comportementale sont la base du traitement des phobies, chez l'homme comme chez les animaux, mais la méthode est lente et la mise en application reste délicate dans les conditions de terrain de la médecine équine.
L'usage des psychotropes est ancien chez le cheval, parfois même à dose empiriquement faible, à des fins illégales. Quatre catégories de molécules présentent un intérêt chez cet animal : les neuroleptiques, les bêta-bloquants, les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) et les antidépresseurs inhibiteurs de la mono-amine-oxydase (IMAO).
Parmi les psychotropes, les neuroleptiques ont été les plus utilisés. En raison de leur action sur les récepteurs dopaminergiques de la synapse, ils permettent un contrôle certain des réactions motrices de l'animal. Le problème des neuroleptiques reste leur effet dose-dépendant qui autorise, selon la posologie prescrite, le passage d'une action antidéficitaire (effet paradoxal) à une action antiproductive, puis sédative de la molécule. De plus, ces molécules portent atteinte au contrôle du tonus musculaire de l'animal, et peuvent entraîner des accidents et des chutes.
L'acépromazine est connue pour cet effet “paradoxal”, et favorise, en outre, des troubles de l'équilibre et un état confusionnel peu propice à l'apprentissage lorsqu'une thérapie comportementale est mise en œuvre. Cette molécule ne présente un intérêt à dose sédative que pour résoudre une situation ponctuelle.
L'azapérone est en revanche utilisable dans la pratique, bien qu'elle ne possède pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) chez cette espèce. Elle est néanmoins très délicate d'emploi en raison d'un indice thérapeutique bas : un surdosage survient rapidement.
Dans la gestion des troubles émotionnels caractérisés par une hyperesthésie, la prescription d'un bêta-bloquant tel que le propranolol(1) permet une diminution du seuil de perception sensorielle. L'abaissement du seuil de fatigue et les effets cardiaques d'une telle molécule rendent son utilisation dangereuse chez les chevaux qui ont une activité sportive. En outre, ces substances sont systématiquement recherchées lors de contrôle antidopage et ne peuvent être prescrites qu'en dehors de la saison de compétition.
Les inhibiteurs de recaptage de la sérotonine, dont le représentant le plus connu est la fluoxétine (1), ont souvent fait l'objet d'administrations frauduleuses malgré leur coût dissuasif. Dans le cadre du traitement d'une phobie, les ISRS présentent l'inconvénient d'induire chez l'animal un profond désintéressement pour son milieu environnant, peu propice à un apprentissage durable.
Les inhibiteurs de la mono-amine-oxydase sont des antidépresseurs thymorégulateurs. La sélégiline (2), qui en est le représentant le plus connu, présente notamment un intérêt dans le traitement des états anxieux chroniques avec stéréotypies, mais son coût d'utilisation chez le cheval reste prohibitif.
L'utilisation des psychotropes chez le cheval est limitée, car elle a des inconvénients majeurs :
- contrôle antidopage positif ;
- sécurité du cavalier mise en jeu du fait des troubles de l'équilibre induits ;
- coût souvent prohibitif ;
- mise en jeu de la responsabilité civile du vétérinaire en cas d'accident, surtout lors d'utilisation de médicaments hors AMM.
D'autres approches de thérapie des troubles comportementaux sont actuellement en cours de développement chez le cheval et chez de nombreuses autres espèces. Il s'agit de traitements biologiques particuliers, fondés sur l'utilisation de phéromones de synthèse.
Une phéromone est un mélange de substances chimiques sécrété à l'extérieur du corps, qui provoque, sur un organisme de la même espèce le recevant, un comportement ou une réaction physiologique spécifique [4, 13, 15]. Ce mode de communication est commun à tout le règne animal.
Les phéromones naturelles sont des messagers chimiques volatils émis par de nombreuses glandes et sécrétions organiques. Chez l'espèce équine, il existe une région cutanée située sur la face interne des cuisses, appelée “région des cires”, et fonctionnelle, chez la jument, à certaines périodes physiologiques : pendant l'allaitement, une sécrétion de texture sébacée apparaît, composée de précurseurs chimiques (essentiellement des acides gras de faible poids moléculaire), qui sont secondairement estérifiés par les bactéries commensales de la peau. Les phéromones de cette catégorie baptisées “apaisines” et, chez le cheval, “equine apaising pheromon” (EAP) sont issues de cette transformation.
Chez la jument allaitante, ces phéromones jouent un rôle dans l'attachement du poulain à sa mère et lui sont rendues accessibles grâce à la proximité des mamelles. Le récepteur de ces phéromones est l'organe voméronasal, qui s'ouvre dans les cavités nasales. La réception s'accompagne d'une mimique faciale particulière, appelée le “flehmen”. Les phéromones ainsi captées sont liées à des protéines porteuses contenues dans le mucus de l'organe voméronasal et atteignent ensuite des récepteurs spécifiques. Grâce au nerf voméronasal, l'information remonte jusqu'au bulbe olfactif accessoire [12, 15, 21].
L'utilisation des propriétés apaisantes de l'EAP, qui sont conservées chez l'adulte, permet d'appréhender le traitement des troubles du comportement chez le cheval, notamment dans le cadre de la phobie des transports (voir l'encadré 1 “Cas clinique” de l'article “La phobie des transports chez le cheval : approche par l'éthologie clinique. I - Sémiologie”). Obtenir biologiquement un apaisement chez le cheval facilite l'application des techniques de thérapie comportementale par désensibilisation et, notamment, par contre-conditionnement. L'état de conscience de l'animal étant conservé, ses facultés d'apprentissage sont maintenues.
Chez l'espèce équine, appréhender les troubles du comportement en général et la phobie des transports en particulier nécessite une prise en charge clinique médicale et le développement d'une approche éthologique du trouble. Pour cela, le praticien est sans aucun doute le mieux placé grâce à la sémiologie. Celle-ci reste cependant perfectible dans le traitement des troubles du comportement propres à cette espèce.
L'usage raisonné et conjoint des techniques de thérapie comportementale et des thérapeutiques biologiques est une réponse scientifique au problème de la phobie des transports chez le cheval.
Le résumé se situe à la fin de l'article “La phobie des transports chez le cheval : approche par l'éthologie clinique. I. Sémiologie”.
(1) Médicament à usage humain.
(2) Médicament vétérinaire possédant une AMM, mais non validée dans l'espèce équine.
• La technique de choix dans la gestion thérapeutique des phobies associe désensibilisation et contre-conditionnement.
• L'usage de psychotropes est une aide à l'application d'un programme de thérapie, mais pose des problèmes de dopage, de sécurité, de coût et de responsabilité pour le prescripteur.
• L'avènement de la phéromonothérapie donne des bons résultats sur le terrain et constitue, pour l'avenir, l'un des atouts majeurs dans la gestion de la phobie chez le cheval.
Le bon usage des techniques de thérapie comportementale nécessite de respecter certaines règles de base.
• Lors de l'exercice, il est indispensable de rester en situation infra-aversive. Dans le cas contraire, il est préférable de tout interrompre, afin de ne pas provoquer un processus de généralisation qui risque d'élargir la gamme des stimuli phobogènes.
• Les principes du conditionnement doivent être respectés : le renforcement ne peut intervenir qu'à la fin de la réponse comportementale adéquate, c'est-à-dire lorsque l'animal confronté à la situation de l'exercice n'émet pas de réaction émotionnelle de peur. Si, malgré tout, une réponse de peur se produit, il convient de rester neutre, de ne pas rassurer l'animal, ce qui renforcerait le comportement inadéquat.
• Une approche éthologique du trouble est un préalable à la prescription de ces techniques afin d'en apprécier à la fois le mode d'action et les limites. Il est indispensable de mettre l'animal face à une situation qui reste cohérente avec son éthogramme.
Encadré 1.
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