Traitement chirurgical d'un abcès sous-chondral chez un cheval adulteSurgical treatment of a subchondral abscess in a adult horse - Pratique Vétérinaire Equine n° 135 du 01/07/2002
Pratique Vétérinaire Equine n° 135 du 01/07/2002

Auteur(s) : T. LAUNOIS*, S. MOSSERI**, F. DESBROSSE***

Fonctions :
*Clinique Vétérinaire Équine, 18, rue des Champs, La Brosse.
78470 SAINT-LAMBERT-DES-BOIS
E-mail : thomas.launois@9online.fr

Les tissus qui constituent et supportent les surfaces articulaires sont appelés tissus ostéochondraux. La partie la plus superficielle est le cartilage articulaire, puis le cartilage calcifié réalise la transition entre le cartilage articulaire compliant et l'os sous-chondral rigide, partie la plus profonde des tissus ostéochondraux. L'os sous-chondral est constitué lui-même de deux parties : la plaque sous-chondrale et l'os trabéculaire. Les fonctions de l'os sous-chondral sont l'absorption des chocs et le maintien de la forme et de la congruence articulaire [18]. Ces fonctions le prédisposent aux traumatismes de toutes sortes.

L'os sous-chondral peut être le siège de sclérose [10, 18], de kystes [5] parfois septiques chez les jeunes chevaux et de fractures de fatigue [20]. L'os sous-chondral peut aussi être le siège d'abcès, chez le foal souvent d'origine hématogène et chez l'adulte secondaire à une fracture ouverte ou à une plaie pénétrante [26]. Chez le cheval adulte, les abcès sous-chondraux sont rares [9].

Nous présentons ici le cas d'un abcès sous-chondral (ou abcès de Brodie) [26] de la première phalange (P1) au niveau de l'articulation métacarpo-phalangienne d'une jument de sport.

Cas clinique

Examen et suivi clinique

La jument est vue par le vétérinaire traitant pour une boiterie du membre antérieur gauche apparue cinq jours auparavant. L'animal a du mal à se déplacer dans son box, et présente une boiterie du membre antérieur gauche de grade 4 sur 5 (boiterie évidente, foulée raccourcie, oscillement évident de l'encolure) [1]. Le boulet antérieur gauche montre une cellulite douloureuse à la palpation-pression.

L'examen cutané ne révèle aucune plaie. La flexion des articulations digitale et métacarpo-phalangienne est très douloureuse ; des radiographies latéro-médiales et dorsopalmaire [11] du boulet (articulation métacarpo-phalangienne) sont réalisées au box. L'examen des radiographies met en évidence une distension des tissus mous sans lésion osseuse observable (photo ). La jument est mise au repos absolu au box et sous bande de repos. Le propriétaire décide de son propre chef d'administrer à la jument des anti-inflammatoires. L'état clinique s'améliore rapidement. La jument développe deux jours plus tard une colique avec déplacement du gros côlon et elle est référée en clinique pour une éventuelle chirurgie. À son arrivée, la jument ne présente plus de signes de douleur, cependant sa fréquence cardiaque reste élevée (Fc =  80 battements/min). La palpation transrectale met en évidence des brides tendues. La jument est traitée médicalement et passe son premier crottin paraffiné après vingt-quatre heures de soin. Sa fréquence cardiaque reste élevée et de la flunixine méglumine (Finadyne®) est administrée à la posologie de 0,25 mg/kg toutes les six heures.

À son 2e jour d'hospitalisation, la fréquence cardiaque se normalise. La jument est progressivement réalimentée avec du foin en petite quantité. Lors de l'embarquement pour son retour à l'écurie cinq jours plus tard, elle devient subitement très boiteuse de l'antérieur gauche avec une suppression d'appui.

À l'examen, une importante mollette articulaire du boulet antérieur gauche est mise en évidence, ainsi qu'une forte douleur à la flexion de ce boulet comme à la mobilisation torsion. À la radiographie, la jument présente sur la vue dorsopalmaire une zone centrale d'ostéolyse sous-chondrale sagittale de P1 sans sclérose osseuse distale associée (photo ), semblant impliquer les corticales dorsales et palmaires. Il est conclu à une possible fêlure de P1. La jument est plâtrée et gardée au box strict.

Après quinze jours d'immobilisation sous plâtre, la boiterie s'aggrave, la jument est déplâtrée pour une éventuelle intolérance au plâtre. Un bandage Robert Jones® est effectué. Un contrôle radiographique du boulet antérieur gauche est réalisé et confirme sur la vue dorso-palmaire, la présence d'une zone ostéolytique en région sagittale sous-chondrale de P1. L'état de l'animal ne s'améliorant pas cliniquement, il est donc référé pour des investigations complémentaires et une éventuelle chirurgie d'ostéosynthèse de la première phalange.

La jument est hospitalisée le lendemain, elle présente alors une boiterie de grade 5 sur 5 (appui minimal sur son membre au déplacement comme à l'arrêt) [1]. Le boulet est douloureux à l'effleurement, chaud et des mollettes articulaires inflammatoires sont présentes. La flexion articulaire des articulations métacarpo-phalangienne et digitales est trop douloureuse pour être réalisée.

L'examen médical met en évidence une fréquence cardiaque de 36 bpm, une température corporelle de 38,5 °C et un bon appétit.

• Le contrôle radiographique confirme les observations de la veille (photo ), mais sur l'incidence latéromédiale la corticale dorsale de P1 présente un défaut de structure et de contour témoignant d'une activité périostée (photo ).

• Une synoviocentèse est tentée, mais seul du sang est recueilli. L'examen échographique met en évidence une synovite articulaire et la présence de fibrine (particules échogènes) (photo ), mais aucune anomalie capsulaire. Il est alors émis l'hypothèse d'une arthrite septique avec ostéolyse sous-chondrale de P1. Une indication chirurgicale est établie afin d'effectuer un lavage articulaire sous arthroscopie et une injection intra-osseuse d'antibiotiques. Le pronostic vital est considéré comme réservé et le pronostic fonctionnel comme réservé à défavorable. La jument est hospitalisée, plâtrée et reçoit de l'enrofloxacine(1) à la posologie de 2 mg/kg deux fois par jour par voie veineuse (Baytril® 5 %) et du ceftiofur (1 g matin et soir par voie intramusculaire stricte, Excenel®) en prévision de la chirurgie.

• Le bilan sanguin met en évidence une hyperfibrinogénémie de 3,03 g/l (valeurs normales comprises entre 1,05 et 1,15 g/l). Le dosage est effectué par la méthode du temps de fibrinogène (en présence d'un excès de thrombine, le temps de coagulation dépend uniquement de la teneur en fibrinogène dans le sérum à examiner). Le bilan sanguin révèle aussi une neutrophilie relative (8 200 globules blancs par mm3, 78 % de neutrophiles), les autres paramètres sont dans les normes.

Chirurgie

Anesthésie et préparation

Une demi-heure avant l'induction de l'anesthésie, la jument est prémédiquée avec 25 mg d'acépromazine administrés par voie intraveineuse. Pour le couchage, la jument reçoit 0,35 mg de romifidine par voie intraveineuse (Sedivet®), l'anesthésie est induite cinq minutes plus tard avec un bolus de 1 g de kétamine (Imalgène®), puis le relais est pris par du fluothane (Halothane®). L'animal est placé en décubitus dorsal. Le membre est préparé de façon aseptique.

À la faveur du rasage, une ancienne cicatrice en étoile est mise en évidence à la face dorsale de la première phalange, juste sous le boulet.

Un examen radiographique pratiqué sur table avec des repères radio-opaques placés sur la cicatrice met en évidence que cette cicatrice est en regard de la zone d'ostéolyse suspectée d'origine infectieuse sur les radiographies préopératoires.

Arthroscopie et drainage osseux

L'arthroscopie du boulet objective la présence de fibrine dans tous les compartiments.

La synoviale est congestive et épaissie. Le cartilage présente sur toute sa surface de la fibrillation au moindre contact instrumental, mais il n'y a pas d'ulcération observable. Une synoviectomie est réalisée avec une pince basket ad minima dans les zones qui compriment l'espace articulaire et gênent le drainage. L'articulation est lavée avec 15 litres de lactate de Ringer.

Un drainage osseux extra-articulaire est effectué par forage avec une mèche de 3,2 mm de diamètre à travers la corticale dorsale de P1 de distal à proximal en direction de la lésion ostéolytique sous-chondrale de P1. Un abcès est découvert sur lequel sont effectués des prélèvements pour bactériologie. L'abcès osseux est lavé au lactate de Ringer, en utilisant une canule laissée en place dans le trou de forage.

Une injection intra-osseuse de 500 mg d'amikacine est réalisée à l'aide d'une vis canulée de 4,5 mm de diamètre vissée dans le canal foré précédemment pour le drainage de l'abcès (photo ).

Suivi après l'intervention

• La jument est plâtrée pour le réveil et pour le suivi postopératoire. Le plâtre inclut le pied et s'arrête sous le carpe.

La mise en culture des prélèvements sur la synovie et sur l'abcès sous-chondral peropératoires s'est révélée stérile.

L'antibiothérapie est maintenue : administration de ceftiofur (1 g matin et soir par voie intramusculaire pendant dix jours), associée à l'enrofloxacine (2 mg/kg par voie veineuse deux fois par jour) pendant vingt-trois jours puis en relais avec sulfadiméthoxine-triméthoprime (Amphimix®) 1,4 g/j per os pendant trois semaines. Un traitement chondro-protecteur de glycosaminoglycan (Adequan®) est instauré par voie intramusculaire pendant sept semaines.

La jument présente un bon appui en postopératoire. Cinq jours plus tard, elle repart à l'écurie plâtrée pour quinze jours. Au retrait du plâtre, les points sont enlevés et la jument est mise sous un double bandage de repos changé quotidiennement. Une flanelle est appliquée autour du membre du genou jusqu'aux talons, une bande de repos de 6 m est ensuite appliquée de la base du genou aux talons. Puis une flanelle est posée en deuxième couche par-dessus la bande de repos précédemment mise et une nouvelle bande de repos est appliquée comme la première. Deux mois de box absolu sont prescrits. Des flexions passives du boulet sont commencées dès le retrait du plâtre au rythme de six par jour.

• Trois semaines après la chirurgie, les premières radiographies de contrôle montrent un espace articulaire conservé sans évolution de l'ostéolyse et avec une périostite modérée de la face dorsale de P1 (photo ).

• Au 2e mois après la chirurgie, il n'existe pas de signes radiographiques d'affection dégénérative articulaire, le canal de forage se minéralise ainsi que le quart distal du kyste sous-chondral restant à la suite de l'abcès. Une périostite modérée de la face dorsale de P1 est observable.

La jument est mise au pas en main pour six semaines.

• Au contrôle à trois mois, une absence de mollette articulaire et un angle de flexion diminué (angle de flexion du boulet antérieur gauche = 30°, du boulet antérieur droit = 60°) sont notés.

Au pas, le boulet antérieur gauche descend moins que le droit, et le test de flexion dynamique du boulet antérieur gauche au pas est positif. Le contrôle radiographique montre un espace articulaire conservé avec une plaque osseuse sous-chondrale conservée. Il n'existe pas de signe d'affection dégénérative articulaire, pas d'entésopathie capsulaire sur P1 ou sur le métacarpien 3 (Mc3) et pas de réaction périostée supplémentaire en face dorsale de P1.

Le canal de forage est comblé, ainsi que le kyste, partiellement. Une minéralisation périphérique marquée est observable (photos et ). Une ostéopénie des sésamoïdes proximaux et des tubercules palmaires de P1 est visualisée.

L'examen échographique met en évidence un épaississement de la synoviale et des villosités qui caractérisent une synovite chronique dorsale et proximale, ainsi qu'un épaississement de la capsule (capsulite).

L'évolution est donc satisfaisante. La jument est marchée en main encore un mois, puis elle est marchée au pas montée un mois suivi d'un mois au pas et au petit trot montée.

Elle est ferrée avec des fers en aluminium plats aux pieds antérieurs. Avant chaque sortie, des flexions passives du boulet antérieur gauche sont réalisées sans forcer. La jument est maintenue sous bandes de repos une couche.

• Elle est revue une dernière fois sept mois après la chirurgie. Elle est progressivement remise à l'obstacle. Une réserve porte sur une fibrose capsulaire. La jument n'a plus de soin, les flexions passives sont maintenues.

• À ce jour la jument a récupéré une activité sportive normale.

Discussion

Établissement du diagnostic

Une ostéolyse observée dans l'os sous-chondral de P1 peut évoquer une fracture incomplète sagittale courte de P1 (photo , figure ) [14,15] ou une réparation incomplète d'une ancienne fracture de P1 (figure ).

Dans le cas d'une fracture de P1, sagittale incomplète et courte, une fois immobilisée, il existe tout d'abord une ostéolyse (figure ), puis la réparation de la fracture est endostée (figure , photo ).

À cause du jeu du tendon du Mc3, la réparation est toujours plus rapide distalement que proximalement (d'où la présence d'une zone de sclérose osseuse distale) (figure ).

À la faveur de cette cicatrisation, une lésion d'aspect kystique peut apparaître. En effet, la synovie lors de l'appui est hydroliquement pompée dans le trait de fracture, entraînant de la résorption osseuse [5, 6] au niveau proximal de la fracture avec, au niveau distal, une cicatrisation en cours (zone de sclérose osseuse distale) (photo ), créant ainsi une lésion d'aspect kystique. Ce mécanisme s'arrête lorsqu'un équilibre s'établit entre la force de pression de la synovie et la réaction osseuse [5, 6].

Dans le cas d'un kyste d'origine traumatique, la synovie pompée pendant l'appui à travers la lésion cartilagineuse contre l'os sous-chondral crée une ostéolyse locale aboutissant à une lésion kystique [5, 6].

En ce qui concerne la réaction périostée, il n'est pas toujours possible de faire la distinction entre une périostite septique et le développement excessif d'un cal osseux à cause d'une instabilité [16] (figure ).

Cependant, suite à une plaie pénétrante affectant un os, une réaction périostée peut exister [16]. Cela a pu être le cas de cette jument compte tenu de la présence d'une ancienne plaie cicatrisée face dorsale de P1 au boulet, découverte en chirurgie à la faveur de la préparation chirurgicale.

Il s'agit donc de réaliser le diagnostic différentiel entre une fracture avec ostéolyse sous-chondrale en région proximale d'une fracture incomplète sagittale de P1, une lésion kystique d'origine traumatique et une arthrite septique avec atteinte de l'os sous-chondral.

Au stade de la cicatrisation fibrocartilagineuse avec une ostéolyse sous-chondrale en région proximale d'une fracture incomplète sagittale de P1 (photos , et ), l'amélioration clinique permet un appui sur le membre, ce qui n'était pas le cas avec cette jument. Après trois semaines d'immobilisation, la radiographie aurait montré une zone de sclérose osseuse distale, signe de la cicatrisation distale endostée.

Les kystes, concernant P1, sont plutôt observés en région distale (articulation 1-2 phalangienne) et, au plan métacarpo-phalangien, plutôt au niveau de l'os sous-chondral du métacarpien [5, 6].

L'hypothèse d'arthrite septique avec un abcès sous-chondral prévalait. La présence échographique d'une synovite avec de la fibrine, des signes inflammatoires locaux marqués avec une hypersensibilité à l'effleurement, une impossibilité de se mettre en appui sur le membre et une hyperfibrinogénémie étaient plutôt en faveur de cette dernière hypothèse. La présence de la cicatrice cutanée dorsale chez un cheval adulte et de la périostite dorsale de P1 seraient en faveur d'un abcès sous-chondral primaire responsable d'une arthrite septique.

Actes chirurgicaux

Le sang obtenu à la place de la synovie lors de la synoviocentèse s'expliquait par le type de synovite rencontrée ici. En effet, pendant l'arthroscopie, une synoviale congestive et turgescente était observée, les villosités se collaient à l'aiguille.

Cependant, la synoviocentèse est intéressante à réaliser, car un prélèvement infructueux effectué avec une bonne technique est significatif et témoigne d'une inflammation marquée de la synoviale. Concernant le boulet, nous faisons le choix de l'aborder par le récessus latéral.

Après une asepsie chirurgicale, sur le membre sec, la dépression du récessus synovial est palpée et une pression exercée sur le récessus médial permet de gonfler la molette. Le gonflement de la molette est provoqué en appuyant sur le récessus médial. Cette pression est maintenue avec une main et, avec l'autre main, l'aiguille est piquée en direction du sésamoïde opposé dans la molette latérale. La mobilisation de la peau permet de vérifier que l'aiguille est bien libre dans la molette et non sous la peau.

À l'inverse, un prélèvement fructueux permet de réaliser une étude cytologique avec numération cellulaire et dosage des protéines totales (tableau ), et de confirmer ainsi l'infection. Le dosage du glucose synovial est également important car il est consommé lors d'une infection par les bactéries et sa valeur devient nettement inférieure à 1 g/l.

Pour valider le résultat, il est nécessaire qu'il n'y ait pas de contamination par des hématies (car elles consomment le glucose) et il est préférable que le prélèvement soit rapidement analysé.

L'idéal pour l'étude bactériologique est de prélever 5 ml de synovie. L'utilisation de kits d'hémoculture permet l'obtention de meilleurs résultats. La bactériologie sur le liquide synovial est souvent plus productive que sur une membrane synoviale [24]. Une injection de sérum physiologique est parfois nécessaire dans des articulations à faible volume, comme l'articulation tarso-métatarsienne, avant d'obtenir un prélèvement pour culture.

La jument n'a présenté aucune augmentation de la température jusqu'à son arrivée à la clinique. L'absence de fièvre, ainsi que l'hypothèse diagnostique initiale de fracture sagittale incomplète de P1 expliquent probablement qu'aucune antibiothérapie n'ait été instaurée auparavant.

Cette courbe de température sans pic est rare dans le cas d'arthrite septique ; en général, les chevaux présentent de l'hyperthermie assez précocement, à moins d'avoir été mis sous anti-inflammatoires [24], ce qui a été le cas seulement au tout début, le propriétaire ayant administré un anti-inflammatoire à l'insu du vétérinaire traitant.

L'intérêt de l'arthroscopie est double : établissement du diagnostic d'arthrite septique et traitement. Cependant, compte tenu de la position de l'abcès sous-chondral sagittal de P1, un traitement arthroscopique n'était pas envisageable ici.

Traitement et antibiothérapie

Le forage osseux par la corticale dorsale de P1 est une technique empruntée au traitement des kystes sous-chondraux [27], mais avec une mèche de 3,2 mm au lieu de 2 mm. Cela a permis à la fois de l'aborder par voie extra-articulaire, ainsi que de le traiter par l'injection intra-osseuse d'amikacine. Cette technique est une adaptation de la méthode décrite précédemment par Baxter [5, 6] pour le traitement par voie intramédullaire d'arthrite septique. Dans notre cas, il s'agissait de traiter directement l'abcès sous-chondral.

D'autres techniques d'antibiothérapie locale existent comme l'injection sous garrot d'antibiotiques, l'utilisation de pompes osmotiques ou encore, lorsque cela est possible, la mise en place in situ de billes de polyméthylméthacrylate imprégnées d'antibiotiques [2]. Cependant, dans ce cas clinique, compte tenu de la présence d'un abcès sous-chondral, l'injection intra-osseuse était plus adaptée.

Les prélèvements bactériologiques réalisés sur table à partir de l'abcès sous-chondral sont négatifs, certainement en raison d'une meilleure diffusion des antibiotiques administrés en préopératoire dans une synoviale très turgescente. Le lavage articulaire a pu participer à la dilution du contenu de l'abcès sous-chondral. Cependant, c'est à la faveur du forage et de l'aspect de ce qui s'en est écoulé qu'un diagnostic définitif d'abcès sous-chondral a été établi. En revanche, concernant la synovie, un effet de dilution ne peut pas être exclu.

En général, dans les arthrites septiques chez l'adulte, 50 % des bactéries rencontrées sont du type Staphylococcus spp dans une infection suite à une chirurgie ou à une injection. Lors de surinfection suite à une plaie, des germes Gram- sont plutôt retrouvés. Cependant, Pseudomonas spp, Streptococcus spp et Actinobacillus spp sont souvent isolés lors de synovite septique. Les infections polymicrobiennes sont fréquentes [28]. Lors d'ostéomyélite, un Enterobacteriaceae, est isolé dans 25 % des cas, un Streptococcus spp dans 25 % des cas, un Staphylococcus spp dans 25 % des cas aussi [28].

Ces résultats ont dicté le choix de l'association enrofloxacine-ceftiofur. L'enrofloxacine, une quinolone de 3e génération, a une excellente diffusion tissulaire et une action à faible concentration [23]. Son utilisation dans les cas d'ostéomyélite est de plus en plus fréquente [7].

L'enrofloxacine a un spectre large, agissant sur la plupart des Gram-, et plus particulièrement sur Pseudomonas aeruginosa, E. coli, Enterobacter, et sur certains Gram+ comme Staphylococcus spp, mais de façon plus aléatoire sur Streptococcus spp.

Cependant, l'usage de l'enrofloxacine est controversé car à haute dose elle peut provoquer des lésions cartilagineuses chez les jeunes chevaux [7].

Le ceftiofur, une céphalosporine de 4e génération, possède un spectre d'activité complémentaire, agissant bien sur les Streptococcus spp, les Staphylococcus spp et sur certains Gram- comme E. coli [21].

Le choix de l'amikacine en injection intra-osseuse résulte de son spectre actif sur les Gram- (Pseudomonas, Actinobacillus, E. coli) ainsique surcertains Gram+ (comme Streptococcus zooepidemicus [22] mais un peu moins sur Staphylococcus spp), ainsi que de son mode d'action “concentration-dépendant”. Il avait été décidé de poursuivre l'antibiothérapie par l'association sulfamide-triméthoprime, compte tenu de son spectre large et de sa bonne diffusion tissulaire [22] et de la bonne évolution clinique de la jument.

Les critères pris en compte pour l'arrêt de l'antibiothérapie étaient :

• L'évolution clinique de la jument : son déplacement, la chaleur du boulet, la disparition de la douleur à la palpation, l'évolution de la synovite.

• L'évolution radiographique : la conservation de l'espace articulaire avec une plaque osseuse sous-chondrale conservée. L'absence de signe d'affection dégénérative articulaire, pas d'entésopathie capsulaire sur P1 ou sur le métacarpien 3 (Mc3) et pas de réaction périostée supplémentaire en face dorsale de P1.

• L'évolution échographique : l'absence de fibrine, une synovie uniformément anéchogène.

L'évolution de la fibrinogénémie peut être un paramètre intéressant de suivi.

Suivi postopératoire

La synoviocentèse, bien qu'aléatoire en raison de la turgescence des villosités, peut être un élément important du suivi postopératoire d'une arthrite septique. Elle est aussi l'occasion d'effectuer une nouvelle injection intra-articulaire d'amikacine et d'avoir ainsi localement de très fortes concentrations en antibiotique. Cependant, aucune étude ne détermine vraiment la fréquence des injections intra-articulaires [2] d'antibiotique ; il est recommandé de ne pas renouveler l'opération dans les vingt-quatre heures qui suivent [5, 6]. Dans la pratique, si l'évolution postopératoire du cheval est favorable, aucune injection n'est réalisée, si elle n'est pas totalement satisfaisante une injection toutes les quarante-huit heures est réalisée pendant les quatre à six premiers jours.

La réhabilitation est guidée par nos connaissances des réparations cartilagineuse, osseuse et capsulaire. Concernant la réparation cartilagineuse, l'expérience acquise grâce à l'arthroscopie nous enseigne qu'une fibrillation articulaire se traite en trois mois, alors qu'une ulcération de faible taille n'est comblée par un collagène cicatriciel mécaniquement fonctionnel qu'en cinq mois.

La réparation ostéochondrale peut être suivie sur les clichés radiographiques. Cet examen permet aussi de prendre en compte l'ostéopénie des sésamoïdes. L'ostéopénie peut apparaître rapidement, quelques semaines après une infection ou un accident.

Cette précocité d'apparition de l'ostéopénie nous amène à penser qu'elle ne peut être le résultat seulement d'une suppression d'appui mais aussi de l'accumulation en concentration marquée de médiateurs de l'inflammation. La reminéralisation est beaucoup plus longue à obtenir, approximativement cinq mois [8].

À l'avenir, il sera intéressant de tester l'action du tiludronate dans ce type de situation. En effet, le tiludronate inhibant l'activité des ostéoclastes [3, 4] et n'ayant pas d'effet négatif sur la formation osseuse [3, 4], des effets positifs sur la minéralisation et une augmentation de la densité osseuse au niveau de la lésion sous-chondrale peuvent être attendus.

La jument présentait une capsulite en postopératoire. C'est une complication des arthrites septiques qui se traduit par une inflammation de la couche fibreuse de la capsule articulaire [9]. La capsule perd de l'élasticité et la flexion métacarpo-phalangienne est diminuée. Chez le cheval de CSO, de complet et pour tout cheval de haut niveau, la mobilité articulaire est essentielle à l'absorption des chocs et une indication de kinésithérapie est posée dès que cela est possible, comme les flexions passives [9]. À notre avis, ces flexions passives peuvent être effectuées sans forcer l'articulation, sans déclencher de douleur, au rythme de six par jour. Une amélioration de l'angle de flexion de l'articulation est alors observée au cours du temps.

L'utilisation d'une immobilisation plâtrée était discutable dans ce cas. Le plâtre avait été posé initialement, avant hospitalisation, dans l'hypothèse d'une fracture, mais par le confinement qu'il occasionne, il est mal toléré dans le cas d'une arthrite septique où le seul effleurement est douloureux. Cependant, comme l'avait montré l'examen arthroscopique de l'articulation, le cartilage avait été ménagé par le plâtre et ne présentait pas de lésion d'ulcération, en revanche, il fibrillait au contact d'un instrument. C'est pourquoi, pour éviter le développement d'une affection dégénérative articulaire, il avait été décidé de réveiller la jument sous plâtre et de la maintenir sous plâtre pendant les quinze jours qui ont suivi la chirurgie (il était alors bien toléré), puis sous un double bandage de bandes de repos changé quotidiennement associé à des flexions passives et au box strict pour une période de deux mois.

Le repos au box absolu est recommandé le premier mois [17], puis à partir du 30e jour postopératoire le cheval est marché en main cinq à dix minutes au début. Ce temps est progressivement augmenté jusqu'à trente minutes au 60ejour postopératoire [17]. Dans le cas de cette jument, l'évolution radiographique de l'os sous-chondral à trois semaines n'était pas suffisante pour la remettre au pas sans risque de léser le cartilage (photo ).

La cryothérapie [17] peut être utilisée pour diminuer les réactions inflammatoires et la douleur postopératoire, la cryothérapie à CO2 hyperbar dans les cas de capsulite postopératoire est indiquée.

Le traitement avec des glycosaminoglycanes avait été instauré à titre préventif [25] et pour améliorer la cicatrisation du cartilage [25].

À ce jour, la jument a une activité normale de cheval de CSO.

Conclusion

Un kyste osseux en région proximale de P1 peut être confondu avec une fracture sagittale incomplète de P1 instable présentant une ostéolyse proximale. La conjonction de la radiographie, de l'échographie, et l'évolution clinique ont permis le diagnostic différentiel. L'arthroscopie, outre les possibilités thérapeutiques qu'elle offre, a confirmé le diagnostic. L'évolution radiographique et clinique de cette jument montre que le traitement chirurgical - d'un abcès sous-chondral de P1 de l'articulation métacarpo-phalangienne d'un cheval adulte - associant arthroscopie, forage osseux et injection intra-osseuse d'antibiotique permet une issue satisfaisante bien que le pronostic initial soit réservé à défavorable.

  • Remerciements : Mes sincères remerciements aux Drs Claire Scicluna, Philippe Lassalas, Xavier Gluntz et Gilles Battail.

  • (1) Autorisation de mise sur le marché non validée dans l'espèce équine.

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