Un cas de colite du côlon dorsal droit dû à l’utilisation prolongée d’AINS - Pratique Vétérinaire Equine n° 176 du 01/10/2012
Pratique Vétérinaire Equine n° 176 du 01/10/2012

Cas clinique

Auteur(s) : Benoît Staumont*, Céline Mespoulhès-Rivière**, Édouard Reyes-Gomez***, Jérôme Seignot****

Fonctions :
*Cabinet vétérinaire BSM Équine Vet,
43, route de Paris, 27620 Gasny
**Clinique équine ENVA
***Unité d’anatomie pathologique
ENV d’Alfort, 7, av. du Général-de-Gaulle,
94700 Maisons-Alfort
****Clinique vétérinaire des docteurs
Sophie Train et Jérôme Seignot, Le Parc,
1, av. Malesherbes, 78600 Maisons-Laffitte

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens comportent des effets indésirables, qui se manifestent plus souvent lors de traitements à long terme ou répétés. Le diagnostic de certitude de colite du côlon dorsal droit est établi par analyse histologique.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont couramment utilisés et jouent un rôle de premier ordre dans l’arsenal thérapeutique du vétérinaire équin. Ils sont particulièrement indiqués dans des états inflammatoires, douloureux, fiévreux, endotoxémiques et thrombotiques. Ces molécules n’en demeurent pas moins responsables dans certains cas d’une toxicité à ne pas négliger, tels des ulcères gastro-intestinaux ou des insuffisances rénales. L’emploi de nouvelles classes thérapeutiques spécifiques Cox-2 tend à réduire l’incidence de leurs effets secondaires.

Cas clinique

Un pur-sang anglais hongre âgé de 23 ans est présenté en consultation pour l’exploration chirurgicale d’un inconfort abdominal évoluant depuis une dizaine de jours.

Anamnèse

Le cheval est atteint depuis 2 ans d’une affection locomotrice chronique décompensée, engendrant une boiterie chronique, due à un syndrome podo­trochléaire bilatéral sur les membres antérieurs et à une arthropathie interphalangienne distale marquée. De plus, l’animal présente un kyste sur le condyle fémoral médial gauche.

Depuis plus de 4 ans, la locomotion du cheval s’est dégradée, requérant l’administration régulière d’AINS en cures ponctuelles : de la phénylbutazone (Équipalazone®) à la dose de 1 à 2 g/j pendant 1 à 2 semaines jusqu’en 2007, puis du méloxicam (Metacam®), à celle de 0,6 mg/kg par cure de 7 jours. Un traitement continu d’aspirine (dose de 5 g à jours alternés) est instauré en 2007. Il est remplacé en juillet 2009 par du méloxicam à faible dose (0,15 mg/kg) quotidiennement, puis 1 jour sur 2 pendant 6 mois avant l’apparition d’une hyperthermie motivant la consultation. Des protecteurs de la muqueuse gastrique (Phosphalugel®, Pronutrin®) sont associés aux cures ponctuelles d’AINS. Aucun symptôme d’intolérance au traitement instauré n’est rapporté par les propriétaires.

Suivi initial

Première consultation

Le cheval est hospitalisé fin janvier 2010 afin d’explorer une hyperthermie, une dysorexie et un abattement évoluant depuis 72 heures et ne rétrocédant pas à un traitement médical à base d’anti-inflammatoire et d’antibiotique (pénicilline G procaïnée). La palpation transrectale ne révèle aucune anomalie significative. Le bilan sanguin révèle une discrète élévation du fibrinogène à 3,7 g/l (normes de 2 à 3 g/l) et une bilirubinémie totale fortement augmentée à 93 mg/l (normes de 0 à 35 mg/l). L’endoscopie des voies respiratoires supérieures et l’échographie abdominale ne montrent aucune anomalie. La gastroscopie met en évidence deux petits ulcères peu profonds, non significatifs à ce jour.

Des prélèvements urinaires et sanguins sont réalisés pour des recherches de leptospires, de piroplasmes et de rickettsies. Le cheval reçoit un traitement à base de cefquinome à la dose de 1 mg/kg (Cobactan®), matin et soir pendant 5 jours.

Seconde hospitalisation

Deux jours plus tard, le cheval est hospitalisé de nouveau afin de traiter une diarrhée profuse avec hyperthermie, un iléus et une suspicion d’endotoxémie. À son arrivée, il présente une hyperthermie à 39,5 °C, une fréquence cardiaque de 56 battements par minute (bpm), avec un pouls filant et une fréquence respiratoire de 40 mouvements par minute (mpm). Le sondage nasogastrique ne révèle pas de reflux.

Une prise en charge médicale intensive est instaurée avec une fluidothérapie massive, et un traitement anti-endotoxémique par voies intraveineuse et orale, anti-inflammatoire (flunixine méglumine, 0,25 mg/kg, quatre fois par jour, et méthylprednisolone, 20 mg), prokinétique et anti-ulcéreux. Le cheval présente une évolution initiale favorable, mais son état se dégrade au cours du troisième jour d’hospitalisation. Il est alors transfusé et reçoit des injections intrapéritonéales d’antibiotiques (Allégrocine®, contenant de l’acétate de dexaméthasone), avec une nette amélioration clinique.

À 6 jours post-hospitalisation, la paracentèse abdominale révèle un liquide hémorragique, non purulent et normoglycémique. L’échographie abdominale met en évidence une masse volumineuse, au tiers moyen du thorax à droite, mobile et se contractant très modérément, compatible avec une image échographique de côlon dorsal droit, mais d’aspect compact anormal. Le cheval manifeste toujours des signes de douleur modérée, avec une diarrhée réapparaissant ce jour. La décision est prise de référer l’animal pour réaliser un examen direct de la cavité abdominale, afin de préciser l’origine de l’hyperbilirubinémie et des désordres digestifs.

La réception des résultats d’électrophorèse des protéines révèle une hypoalbuminémie à 19,01 g/l (normes de 29 à 35 g/l).

Consultation en référé

Le cheval est référé à la clinique équine de l’École nationale vétérinaire d’Alfort. L’état corporel du cheval est bon, mais un abattement modéré est noté. L’animal présente une température rectale de 38 °C, une fréquence cardiaque de 44 bpm, une fréquence respiratoire de 40 mpm, des muqueuses congestives avec un liseré gingival, des bruits digestifs d’intensité et de fréquence augmentées dans les quatre quadrants et un œdème sternal sévère.

La numération et la formule sanguines révèlent :

– une leucocytose sévère (24 700 cellules/µl [normes de 6 000 à 12 500 cellules/µl]) ;

– une neutrophilie (13 585 cellules/µl [normes de 2 000 à 5 500 cellules/µl]) ;

– une monocytose (6 916 cellules/µl [normes de 1 600 à 4 600 cellules/µl]) ;

– et une lymphocytose (3 705 cellules/µl [normes de 0 à 600 cellules/µl]) marquées.

Les analyses biochimiques indiquent une hyperlactatémie marquée (2,7 mmol/l [normes de 0,46 à 1,22 mmol/l]) et une hyperbilirubinémie totale modérée (43,3 mg/l [normes de 0 à 35 mg/l]).

La palpation transrectale ne révèle aucune anomalie. L’échographie abdominale montre :

– des anses d’intestin grêle de taille normale et de motilité diminuée ;

– un duodénum submotile ;

– un foie de taille normale, avec une échogénicité hétérogène et une zone focale hyperéchogène ;

– la présence d’un liquide péritonéal en quantité modérée.

Le cheval est hospitalisé afin d’explorer la ou les causes éventuelles d’inconfort abdominal, les propriétaires désirant obtenir un diagnostic de certitude.

Hospitalisation

Durant son hospitalisation, le cheval reçoit un traitement de soutien avec une fluidothérapie à dose décroissante, et un traitement anti-inflammatoire à base de flunixine méglumine (Flunixine Norbrook®), à la dose de 0,25 mg/kg quatre fois par jour, et anti-ulcéreux à base d’oméprazole (Gastrogard®) à la dose de 4 mg/kg.

Examen échographique

Une nouvelle échographie abdominale est pratiquée, qui montre :

– de nombreuses anses d’intestin grêle en position craniale, avec un contenu liquidien, de taille et de motilité normales ;

– un déplacement du côlon à gauche, entre la paroi et la rate, qui présente des bords mousses (splénomégalie) ;

– un foie de taille normale, avec une échogénicité hétérogène et une zone focale hyperéchogène, compatibles avec une fibrose hépatique et des foyers de calcification liés à l’âge ;

– un estomac vide, avec une paroi épaissie ;

– la présence de liquide péritonéal en quantité modérée.

Cœlioscopie

Une cœlioscopie exploratrice sur cheval debout met en évidence :

– de nombreuses anses d’intestin grêle en position craniale à gauche, avec une paroi discrètement épaissie ;

– un déplacement du côlon à gauche, sans accrochement néphrosplénique ;

– une quantité augmentée de liquide péritonéal, de couleur foncée, aspiré pour des analyses cytologiques et biochimiques.

À ce stade des investigations, le cheval présente un déplacement du côlon à gauche, mais aucune anomalie majeure dans la partie dorsale de l’abdomen à l’origine de l’inconfort abdominal, ni aucun signe de péritonite généralisée.

Analyse du liquide péritonéal

Les analyses du liquide péritonéal révèlent une leucocytose (12 798 cellules/µl [norme inférieure à 5 000 cellules/µl]) neutrophilique (99 % [normes de 20 à 90 %]) sévère et une absence d’anomalie biochimique, confortant l’hypothèse d’une péritonite. Les examens sanguins de suivi mettent en évidence une leucocytose neutrophilique modérée, en voie de résolution.

La gastroscopie montre de nombreux ulcères gastriques de grade 3/4 sur les muqueuses aglandulaire et glandulaire, en particulier autour du cardia (photos 1 et 2). Une biopsie de la muqueuse gastrique est réalisée, qui ne se révèle pas concluante.

Exploration chirurgicale sous anesthésie générale

À ce stade des investigations, une masse abdominale, de nature tumorale, ou une colite du côlon dorsal droit sont fortement suspectées. L’échographie abdominale ne montrant aucune évolution malgré 5 jours de traitement médical intensif, la décision est prise par les propriétaires de réaliser une cœlioscopie couchée et, éventuellement, une laparotomie exploratrice afin de préciser le diagnostic.

Le cheval est alors anesthésié et placé en décubitus dorsal, avec une surélévation de l’avant-main afin de favoriser la visualisation du côlon. L’exploration cœlioscopique de la cavité abdominale révèle la présence d’une zone de la paroi du côlon droit enflammée, œdématiée, semblant épaissie et de couleur anormale. Une laparotomie est alors pratiquée en regard de la ligne blanche. L’exploration de la cavité abdominale met en évidence une colite du côlon dorsal droit, probablement chronique, avec une paroi très épaissie, enflammée et œdématiée (photo 3). Une biopsie de cette paroi est réalisée.

Le réveil du cheval est violent. L’animal parvient cependant à se lever, mais, encore instable, il retombe sur son côté droit et se fracture l’extrémité distale du tibia. Face au pronostic sombre, la décision est prise de l’euthanasier. Le pronostic à long terme était toutefois réservé (colite du côlon dorsal droit) en raison de l’impossibilité d’administrer à nouveau à ce cheval des anti-inflammatoires, un traitement jusqu’ici nécessaire à la gestion des différentes affections orthopédiques.

Analyses histologiques

Les biopsies coliques réalisées lors de la chirurgie révèlent une colite ulcéreuse et fibrineuse multifocale aiguë modérée, d’aspect compatible avec une colite médicamenteuse. En effet, la cytologie met en évidence de nombreux foyers d’ulcération superficielle dans la muqueuse, recouverts de fibrine, ainsi qu’une infiltration granulocytaire du chorion et un œdème sévère de la sous-muqueuse (photos 4, 5 et 6).

Discussion

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens agissent en inhibant une partie de la cascade inflammatoire, c’est-à-dire la conversion de l’acide arachidonique en prostaglandines et en thromboxane A2. Leur action est à la fois anti-inflammatoire, analgésique et antipyrétique, et ils possèdent également des propriétés antithrombotique et anti-endotoxinique.

AINS

Cascade inflammatoire

L’inflammation est une série d’événements cellulaires en réponse à un stimulus endogène ou exogène, et fait partie intégrante du processus de guérison. Elle doit donc être considérée comme bénéfique dans une certaine mesure. L’inflammation est caractérisée par quatre signes : la chaleur, la rougeur, la distension et la douleur [7, 8].

Les prostaglandines sont les principales responsables des manifestations cliniques de l’inflammation, notamment les PGE2 et, dans une moindre mesure, les PGI2.

Elles agissent précocement de façon directe en générant une vasodilatation à l’origine d’un érythème et de chaleur.

Les prostaglandines agissent également par une action agoniste et stimulatrice d’autres molécules effectrices de l’inflammation, et notamment l’histamine et les bradykinines, responsables d’une augmentation de la perméabilité capillaire générant une distension tissulaire et un œdème. Elles entraînent également une hypersensibilisation des récepteurs nociceptifs à ces différents médiateurs.

Les prostaglandines entretiennent aussi la réponse inflammatoire par un chimiotaxisme positif sur les leucocytes, responsables de la production de nombreux cytokines et médiateurs pro-inflammatoires (IL1β, TNFα, etc.).

Enfin, les prostaglandines stimulent la production de pyrogènes endogènes responsables de la fièvre, par une médiation centrale de l’hypothalamus [7, 8].

La phopholipase A2, activée par diverses molécules, dont les endotoxines, est responsable de la conversion enzymatique des phospholipides membranaires en acide arachidonique. Celui-ci est ensuite transformé en prostaglandines et en leucotriènes, par une cyclo-oxygénase (Cox) et une lipoxygénase respectivement (figure). Ce métabolisme est médié par différentes molécules, dont l’IL1β et le TNFα qui jouent un rôle primordial [7, 8].

Cyclo-oxygénases

Les cyclo-oxygénases (Cox) sont présentes dans l’organisme sous deux isoformes, dénommées Cox-1 et Cox-2. Malgré de nombreuses similitudes d’architecture chimique, elles sont encodées par des gènes distincts, et présentent une distribution et une expression différentes en fonction des tissus [7].

Cox-1 est une isoforme constitutive de l’organisme, responsable par la production de prostaglandines et de thromboxane A2 de l’intégrité des muqueuses gastro-intestinales, de l’agrégation plaquettaire et du flux sanguin rénal. Cox-1 n’est pas induite par l’inflammation, mais elle est exprimée et joue un rôle dans le processus inflammatoire [7].

Cox-2 est une isoforme inductible impliquée dans divers phénomènes : l’inflammation, la mitogenèse et la transduction de signaux spécialisés. Elle est exprimée en réponse au lipopolysaccharide (LPS) et aux cytokines, qui jouent un rôle majeur dans l’inflammation. La formation de Cox-2 est induite par certaines cytokines (IL1β, TNFα, etc.), mais inhibée par des molécules, comme le TGFβ1 [7]. La distribution des isoformes Cox est variable au sein d’une espèce et peut être hétérogène au sein d’un même tissu. Cox-1 constitue une voie précoce en utilisant la phospholipase A2 soluble, tandis que Cox-2 représente une voie tardive employant la phospholipase A2 cytosolique, produite par une stimulation des cytokines [7].

Récemment, une nouvelle iso-enzyme Cox-3 a été découverte, codée par le même gène que celui de Cox-1, avec quelques différences de séquences génétiques, à l’origine d’un potentiel enzymatique plus faible dans la production des prostaglandines [2]. Toutefois, Cox-3 pourrait représenter un mécanisme primaire central par lequel certaines molécules, et notamment le paracétamol chez l’homme, agiraient pour réduire la douleur et, éventuellement, la fièvre. Deux protéines partielles dérivées de Cox-1, Cox-1-1 et PCox, ont été découvertes, et leur rôle reste à déterminer [2].

Mécanisme d’action des ains

L’acide arachidonique est métabolisé en PGG2 puis en PGH2 par une prostaglandine G/H synthétase qui possède une activité à la fois cyclo-oxygénase et peroxydase, catalysant respectivement la production de PGG2 et de PGH2 [7].

Les AINS exercent leur action en inhibant spécifiquement la fonction cyclo-oxygénase de cette enzyme, sans affecter la fonction peroxydase. Ainsi, ils n’ont aucune activité sur les prostaglandines déjà présentes dans l’organisme au moment de leur administration, mais agissent en inhibant leur production [7].

La plupart des AINS inhibent les Cox-1 de manière beaucoup plus efficace que les Cox-2, affectant les fonctions physiologiques cellulaires de façon plus importante que les fonctions inflammatoires. Ainsi, l’AINS thérapeutique idéal doit inhiber l’induction des Cox-2, sans affecter l’homéostasie des Cox-1 [7].

En revanche, les AINS, et à l’heure actuelle aucune molécule connue, n’ont pas d’action sur la lipoxygénase et la production de leucotriènes, parmi lesquels les LTB4 ont un rôle inflammatoire démontré. Une hypothèse est évoquée selon laquelle l’inhibition de la cyclo-oxygénase par les AINS redirigerait le métabolisme vers la production de leucotriènes par la voie de la lipoxy­génase, résultant en une production accrue de leucotriènes. Cependant, cette théorie n’a pas été documentée [7].

Toxicité des ains

La toxicité des AINS est liée à une inhibition de type Cox-1 [7].

Sur le plan gastro-intestinal, les prostaglandines jouent un rôle dans la régulation de la motilité, des sécrétions, du flux sanguin et dans la production de mucus cytoprotecteur. Les AINS génèrent des ulcères gastro-intestinaux en inhibant cette fonction régulatrice et protectrice des prostaglandines. Cox-2 est l’isoforme primaire retrouvée dans les tissus ulcératifs et son expression n’est pas liée à une réponse inflammatoire spécifique, tandis que Cox-1 est responsable de la production basale de prostaglandine. L’usage d’AINS spécifiques Cox-2 ­réduirait l’occurrence de ces effets secondaires, mais les données bibliographiques quant à leur utilisation chez le cheval manquent. Seule une étude tend à prouver que la phénylbutazone possède un potentiel de toxicité plus important que la flunixine ou le kétoprofène.

Les complications rénales dues à l’utilisation des AINS sont également liées à l’inhibition de la production basale de prostaglandines. Celles-ci sont responsables d’une vasodilatation à l’origine d’une restauration du flux sanguin rénal dans le cadre de l’activation du système rénine-angiotensine générant une vasoconstriction. Les prostaglandines jouent également un rôle important dans le maintien de la fonction rénale par une action régulatrice sur l’absorption et la sécrétion tubulaires. Un risque de cellulite, de thrombophlébite et de nécrose tissulaire existe également lors d’injections intramusculaires ou périveineuses.

AINS spécifiques Cox-2 : exemple du méloxicam

Spécificité du méloxicam

Le méloxicam est un AINS de la classe des acides énoliques, et plus particulièrement des oxicams [7]. Il agit par une inhibition de classe I, c’est-à-dire une inhibition enzymatique simple, compétitive et réversible. Il possède une sélectivité d’inhibition pour les Cox-2, mais tous les inhibiteurs Cox-2 ont également une inhibition Cox-1, à un degré plus ou moins important. Son utilisation limite donc le risque d’effets secondaires liés aux AINS, mais ce dernier n’est pas nul [7].

Le méloxicam est administré chez le cheval à la dose de 0,6 mg/kg une fois par jour, par voie intraveineuse ou orale. Sa biodisponibilité est excellente par voie orale et son absorption rapide, sans accumulation dans l’organisme. Son emploi ne demande aucune dose de charge. L’excrétion du méloxicam est principalement fécale et, dans une faible proportion, urinaire. Il est éliminé à 99 % sous la forme de métabolites inactifs et son excrétion urinaire rapide requiert un délai d’attente minimal de 3 jours dans le cadre d’un contrôle de dopage [9].

Dans diverses études, le méloxicam diminue la production de PGE2 au sein des tissus enflammés, et son action tend à être plus puissante que celle des autres AINS dans la prévention de l’œdème et de l’inflammation. De plus, le méloxicam est plus efficace pour supprimer l’induction de la production de PGE2 par le LPS in vitro. L’utilisation de cette molécule est particulièrement appropriée pour des boiteries d’origines diverses, des troubles musculo-squelettiques ou, encore, lors de douleur associée aux coliques [7].

Toxicité du méloxicam

Le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Metacam® démontre une bonne tolérance, même lors d’utilisation prolongée, du méloxicam. En effet, aucun effet indésirable n’est constaté chez les animaux traités à la dose recommandée pendant 6 semaines, ni chez ceux qui ont reçu trois fois la dose recommandée pendant 3 semaines.

Néanmoins, comme tout AINS, son administration n’est pas dépourvue d’effets secondaires, lesquels sont toutefois minimisés par une action sélective sur les Cox-2. Ce cas clinique en est une parfaite illustration. Bien qu’ici l’utilisation du méloxicam ait été raisonnée (faibles doses, administration à jours alternés, dans le cadre d’une indication adaptée de boiterie chronique), l’apparition d’effets secondaires n’a pu être évitée.

Il est impossible de déterminer l’influence des divers AINS utilisés auparavant dans l’apparition de la colite du côlon dorsal droit chez ce cheval. Toutefois, l’administration prolongée du méloxicam, même à des doses minimes, semble être à l’origine de la toxicité rencontrée dans ce cas. Il convient donc de rester prudent et de recueillir le consentement éclairé du propriétaire lors d’emploi prolongé d’un AINS, même sélectif Cox-2 et à de faibles doses.

Dans ce cas, les signes de péritonite généralisée observés doivent être nuancés par l’administration de corticoïdes par voies générale et intrapéritonéale. Néanmoins, la mise en évidence d’un épaississement spécifique de la paroi du côlon dorsal droit par échographie abdominale tend à incriminer l’utilisation chronique des AINS, et notamment ici du méloxicam.

Vers de nouvelles générations d’AINS ?

Tout comme le méloxicam (Metacam®) précédemment décrit, de nouveaux AINS sélectifs Cox-2 sont désormais disponibles sur le marché, notamment le firocoxib (Equioxx®). Ces molécules offrent l’avantage de bloquer la production des prostaglandines responsables de la douleur et de l’inflammation, tout en épargnant, théoriquement, l’action bénéfique de ces dernières sur le flux sanguin et leur rôle protecteur sur les systèmes rénal et gastro-intestinal. Des études de tolérance à plus ou moins long terme ont été réalisées, et il en ressort que ces médicaments conservent malgré tout une action Cox-1 en partie responsable du risque d’effets secondaires. Les progrès de la recherche, notamment la découverte des Cox-3 et des peptides dérivés de Cox-1, laissent entrevoir l’utilisation future d’un “AINS idéal”.

Colites du côlon dorsal droit

Les colites du côlon dorsal droit se caractérisent par une ulcération de la muqueuse, un œdème, une infiltration neutrophilique et un épaississement de la paroi [3]. Des perturbations de la microcirculation sanguine locale sont également constatées, associées à des signes d’inflammation locale et à une réponse inflammatoire systémique [6]. De nombreux agents étiologiques sont suspectés tels que des bactéries, des virus, des protozoaires, des rickettsies, des nématodes ou des toxines [4].

L’utilisation d’AINS est également impliquée, par leur action inhibitrice de la production de prostaglandines, notamment sur les PGE2 et PGF, responsables de l’intégrité des muqueuses digestives. Ces dommages peuvent aller jusqu’à la colonisation bactérienne ou au passage d’endotoxines au travers de la barrière digestive. L’inflammation ainsi générée est responsable d’une douleur, d’une diarrhée, d’une hyperthermie et d’un abattement résultant de l’absorption d’endotoxines. Ces colites entraînent également une hypoprotéinémie par pertes intestinales directes, qui sont majorées par un état d’hypovolémie ou de déshydratation en rapport avec les manifestations cliniques, notamment la diarrhée [4].

Manifestations cliniques

Différentes formes de colite du côlon dorsal droit sont décrites :

– une forme aiguë se manifestant par des signes de coliques, une diarrhée, une hyperthermie, un abattement, une anorexie, une hypovolémie et/ou un choc endotoxémique ;

– une forme chronique se traduisant par des épisodes intermittents de coliques, des crottins mous, en “bouses de vaches”, une perte de poids et des œdèmes ventraux.

De nombreux chevaux développent cette affection en l’absence de troubles digestifs primaires, mais en raison de l’utilisation prolongée d’AINS, notamment pour un trouble locomoteur justifiant la prise de telles molécules.

Diagnostic

Le diagnostic définitif est établi par une cœlioscopie exploratrice, des biopsies digestives via une laparotomie ou à l’autopsie. L’échographie abdominale, non pathognomonique, peut se révéler utile. Le côlon dorsal droit est observé entre les 11e, 12e et 13e espaces intercostaux. Les chevaux atteints présentent ainsi un épaississement majeur de la paroi du côlon dorsal droit, avec une échogénicité hétérogène, moins échogène que celle du foie adjacent (photo 7). De plus, la répétition des examens échographiques permet de surveiller la réponse clinique de l’animal à la mise en place du traitement. Enfin, une scintigraphie avec un marquage leucocytaire a été décrite comme un test diagnostique pour les colites du côlon dorsal droit [3].

Le diagnostic différentiel inclut une entéropathie liée au sable, une cyathostomose larvaire, une inflammation chronique du côlon, un lymphosarcome, des ulcères gastriques ou encore une salmonellose chronique [3].

L’examen sanguin révèle une hypoprotéinémie et une hypoalbuminémie. L’albuminémie est un indicateur fiable et sensible car c’est la première variable à diminuer lors de l’administration de phénylbutazone. Il convient donc de la contrôler régulièrement chez les chevaux recevant des AINS [6]. Une leucocytose neutropénique inconstante est également notée chez certains animaux. La paracentèse abdominale ne montre aucune anomalie ni aucun signe de péritonite plus ou moins marquée [1].

L’examen histologique révèle la présence d’ulcères multifocaux et coalescents, ponctués par de petits îlots cicatriciels en relation avec la régénération de la muqueuse digestive. Dans les cas chroniques, une sténose est parfois observée, avec une impaction alimentaire en regard, pouvant aller jusqu’à la rupture du côlon. La présence de tissu fibreux conjonctif au sein de la lamina propria et le dépôt de tissu fibrineux et nécrotique en regard des zones ulcérées sont caractéristiques de ce type d’affection.

La localisation des ulcères sur le côlon dorsal droit est liée à la particularité de ce segment digestif, à savoir la présence d’un flux d’eau sécrétoire beaucoup plus marqué que dans les autres portions du tube digestif. Ce phénomène souligne des propriétés intrinsèques de la muqueuse, ainsi que des différences d’osmolarité propres au côlon dorsal droit, le prédisposant à cette maladie.

De nombreux autres facteurs sont susceptibles d’entraîner une toxicité des AINS, notamment la forme et la voie d’administration, le régime alimentaire, la durée du traitement, l’âge du cheval, une éventuelle prédisposition de race ou génétique, le stress, l’administration concomitante d’autres molécules ou encore l’état d’hydratation.

Traitement

Le traitement médical d’une colite du côlon dorsal droit comporte trois points essentiels [1] :

– la suppression des AINS ou leur administration intermittente en cas de nécessité ;

– un régime alimentaire adapté ;

– la réduction du stress au minimum.

La gestion alimentaire de ce type d’affection est sujet à controverse. En effet, des auteurs recommandent une alimentation fractionnée au maximum à l’aide de concentrés riches en fibres (30 % au minimum), proposés seuls, ou bien des concentrés moins riches en fibres, mais additionnés d’un apport restreint et fractionné en fourrages, l’herbe étant dans ce cas le meilleur complément [1]. Ce régime alimentaire est mis en place pendant 3 mois au minimum. Il consiste à diminuer le plus possible la surcharge du côlon et la digestion des fibres à son niveau, de manière à accélérer la cicatrisation. Cependant, un apport riche en concentrés augmente l’acidité gastrique, ce qui exacerbe parfois les signes cliniques. Enfin, l’apport de psyllium peut être envisagé, celui-ci favorisant la production d’acides gras volatils à courtes chaînes, bénéfiques dans la cicatrisation des muqueuses [1].

Dans les cas ne rétrocédant pas médicalement et lorsque le praticien ne parvient pas à gérer l’analgésie, l’option chirurgicale est envisageable face à une éventuelle euthanasie. Une nouvelle technique décrite par Lane et coll. semble plus avantageuse que les méthodes de by-pass du côlon dorsal droit lésé déjà décrites [5]. Elle consiste en la réalisation d’une résection de l’intégralité du côlon dorsal droit et en une anastomose entre la courbure diaphragmatique et le petit côlon. Elle permet ainsi de s’affranchir des effets secondaires liés aux procécures précédentes (persistance d’une hypoprotéinémie et de signes de coliques modérés).

Pronostic

Le pronostic d’une colite du côlon dorsal droit est aléatoire. Il est souvent réservé car le diagnostic ante-mortem est un véritable défi, et il est souvent retardé jusqu’à un stade avancé de la maladie [3]. De plus, la majorité des chevaux ne répondent pas à un traitement médical intensif (thérapie de soutien, régime alimentaire adapté, probiotiques), ni à une prise en charge chirurgicale (résection du côlon atteint, by-pass) [6]. Toutefois, nous n’avons aucune donnée sur les chevaux cicatrisant naturellement à l’issue d’un épisode de colite aiguë ou subaiguë. Cependant, un diagnostic précoce de la maladie, associé à un bon suivi des recommandations est capital pour une gestion médicale optimale.

Conclusion

L’utilisation des AINS doit être raisonnée et prendre en compte une éventuelle toxicité, notamment sur l’appareil digestif, en raison d’un pouvoir ulcérogène important de ces molécules. Il est très important de surveiller le statut d’hydratation des chevaux soumis à un tel traitement, afin de prévenir a minima le risque de colite du côlon dorsal droit. Un suivi hémato-biochimique, notamment un contrôle de l’albuminémie, 3 à 5 jours après la mise en place d’un traitement, peut se révéler bénéfique. Lorsque cela est possible, le choix des AINS doit se porter sur des inhibiteurs spécifiques Cox-2, limitant ainsi leurs effets secondaires. Les progrès de la recherche et la découverte des Cox-3 et des peptides dérivés de Cox-1 permettront peut-être au praticien équin de disposer, à l’avenir, d’un AINS idéal dans son arsenal thérapeutique.

Remerciements :

Nous remercions tout particulièrement le Dr Reyes-Gomez pour son analyse histologique des biopsies, le Dr Mespoulhès et l’équipe de la Clinique équine de l’ENV d’Alfort qui ont suivi le cas, et, enfin, le Dr Seignot qui nous a référé ce cheval.

Éléments à retenir

> Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont couramment utilisés en médecine vétérinaire, mais ne sont pas dépourvus d’effets secondaires, même les molécules spécifiques Cox-2.

> Les colites du côlon dorsal droit représentent un défi diagnostique.

> L’échographie abdominale peut se révéler utile dans ce type d’affection. Cependant, le diagnostic de certitude repose sur la réalisation de biopsies digestives par laparotomie exploratrice.

> Le pronostic est aléatoire et souvent réservé, en raison de la difficulté d’établir un diagnostic ante-mortem.

> Le traitement le plus adapté consiste en l’arrêt des AINS, en une gestion alimentaire adaptée et en une limitation du stress chez ce type de cheval.

  • 1 – Cohen ND, Carter GK, Mealey RH, Taylor TS. Medical management of right dorsal colitis in 5 Horses: A retrospective study (1987-1993). J. Vet. Intern Med. 1995;9(4):272-276.
  • 2 – Davies NM, Good RL, Roope KA, Yanes JA. Cyclooxygenase-3: axiom, dogma, anomaly, enigma or splice error ? Not as easy as 1, 2, 3. J. Pharm. Sci. 2004;7(2):217-226.
  • 3 – Jones SL, Davis J, Rowlingson K. Ultrasonographic findings in horses with right dorsal colitis: five cases (2000-2001). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222(9):1248-1251.
  • 4 – Karcher LF, Dill SG, Anderson WI, King JM. Right dorsal colitis. J. Vet. Intern. Med. 1990;4(5):247-253.
  • 5 – Lane JK, Cohen JM, Zedler ST, Hollis AR, Southwood LL. Right dorsal colon resection and bypass for treatment of right dorsal colitis in a Horse. Vet. Surg. 2010;39;879-883.
  • 6 – McConnico RS, Morgan TW, Williams CC, Hubert JD, Moore RM. Pathophysiologic effects of phenylbutazone on the right dorsal colon in horses. Am. J. Vet. Res. 2008;69(11):1496-1505.
  • 7 – Moses VS, Bertone AL. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2002;18(x):21-37.
  • 8 – Reed SM, Bayly WM, Sellon DC. Equine Internal Medicine. 2nd ed. WB Saunders, Philadelphia. 2004:1659p.
  • 9 – Toutain PL, Reymond N, Laroute V et coll. Pharmacokinetics of meloxicam in plasma and urine of horse. Am. J. Vet. Res. 2004;65(11):1542-1547.
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