CARDIOLOGIE
Cahier scientifique
Cas clinique
Auteur(s) : Emmanuelle van Erck-Westergren*, Fe Ter Woort**
Fonctions :
*equine sports Medicine Practice
83, avenue Beau-Séjour
1410 Waterloo, Belgique
Les communications interventriculaires de petite taille sont compatibles avec une carrière sportive de bon niveau. Le cheval de ce cas, soumis à deux visites d’achat à 9 ans d’intervalle, en donne la preuve.
Les communications interventriculaires (CIV) représentent l’anomalie cardiaque congénitale la plus fréquente chez le cheval. Une prédisposition est suspectée dans certaines races, telles que les poneys welsh, les pur-sang arabes et certaines lignées de trotteurs [1]. Une CIV de petite taille est compatible avec une carrière sportive et ce cas clinique en apporte un exemple.
Un cheval de selle âgé de 4 ans destiné à une carrière en saut d’obstacles est examiné dans le cadre d’une visite d’achat. Un souffle est entendu à l’auscultation et l’animal est référé pour un bilan cardiaque.
Le cheval est au travail régulier et le cavalier ne rapporte aucune intolérance à l’effort ni aucun essoufflement. L’animal a effectué un cycle classique de 4 ans satisfaisant, ce qui est attesté par les résultats officiels publiés.
Le cheval est en bonne condition physique. Il présente un comportement nerveux. L’examen général est satisfaisant. Le pouls périphérique est normal et régulier. La fréquence cardiaque est de 40 battements par minute et la fréquence respiratoire de 20 mouvements par minute. Les muqueuses buccales sont roses et le temps de remplissage capillaire est inférieur à 2 secondes. L’auscultation respiratoire ne révèle aucune anomalie. L’auscultation cardiaque met en évidence un souffle pansystolique “en plateau” de grade 4/6 en région tricuspide et un souffle holosystolique crescendo-decrescendo de grade 3/6 avec un point d’intensité maximale en région basale (aortique). Afin de déterminer l’origine du souffle et de préciser le pronostic sportif de l’animal, une échocardiographie Doppler et un électrocardiogramme (ECG) à l’effort sont proposés.
La morphologie globale du cœur, les mouvements du myocarde et les paramètres fonctionnels sont normaux. Cependant, une CIV est mise en évidence au niveau du septum périmembranaire, à la base du tronc aortique, ventralement au feuillet coronaire droit de la valvule aortique et au feuillet septal de la valvule tricuspide (photos 1 et 2).
Le diamètre maximal mesurable de la CIV est de 1,7 cm et le ratio CIV/aorte est de 0,19 (< 0,33(1)). À l’examen Doppler couleur, un shunt gauche-droite est mis en évidence lors de la systole (photo 3). Le Doppler continu permet de mesurer une vitesse maximale du flux de régurgitation de 5 m/s. L’échocardiographie Doppler révèle également une légère insuffisance aortique, dont le flux de régurgitation est limité dans l’espace et dans le temps.
Le cheval est examiné lors d’un test à l’effort standardisé, comportant deux paliers de trot et deux paliers de galop, avec un palier supplémentaire au galop soutenu. Les fréquences cardiaques et la lactatémie sont dans les valeurs usuelles à tous les paliers. L’ECG ne met aucune arythmie en évidence.
Le souffle audible à l’auscultation est produit par une CIV congénitale. Le pronostic sportif est bon à ce stade, mais des examens de contrôle à réaliser 3 mois plus tard sont recommandés.
Les facteurs pronostiques favorables sont :
- la localisation de la CIV (partie membranaire du septum) ;
- son faible diamètre (< 2,5 cm) ;
- un flux de régurgitation rapide au travers de la CIV (> 4,5 m/s) ;
- l’absence de signes de dilatation ou de congestion cardiaque ;
- l’absence de signes cliniques associés et de bonnes performances.
Un facteur de pronostic défavorable est l’association à une insuffisance aortique, bien que celle-ci soit légère.
Par un concours de circonstances, le cheval est revu dans le cadre d’une autre visite d’achat 9 ans plus tard, à l’âge de 13 ans. Il a bien évolué en saut d’obstacles et ses performances ont été satisfaisantes au cours de sa carrière.
L’examen général montre qu’il est en bonne condition physique et, à l’auscultation cardiaque, les souffles initialement décrits sont restés identiques. L’auscultation pulmonaire est rauque, principalement celle de l’aire pulmonaire gauche.
La CIV est toujours visible au même endroit, mais sa taille a évolué et un diamètre maximal de 2,8 cm est maintenant mesuré. Le prolapsus de la valvule coronaire aortique droite s’est aggravé. La vitesse maximale du shunt est de 5 m/s. Une légère dilatation du ventricule gauche est notée, avec un apex globuleux et une contraction myocardique hyperdynamique. Des insuffisances pulmonaires et mitrales légères sont apparues (tableau).
Un test à l’effort comparable au premier est effectué, mais le cheval est également examiné sur un parcours d’obstacles. Les fréquences cardiaques et la lactatémie restent dans les normes pour l’effort réalisé. Aucune arythmie n’est mise en évidence.
En raison de l’auscultation pulmonaire anomale, une endoscopie est pratiquée, associée à des prélèvements (lavages trachéal [LT] et broncho-alvéolaire [LBA]). La présence d’hémosidérophages à différents stades de différenciation est mise en évidence, indiquant que le cheval a présenté des épisodes répétés d’hémorragies pulmonaires. Une légère inflammation neutrophilique y est associée [3].
En raison des performances du cheval et des résultats du test à l’effort, la poursuite du sport est autorisée, avec une recommandation de contrôle annuel. Le traitement de l’affection respiratoire peut réduire la charge fonctionnelle cardiaque et aider à réduire l’hypertension pulmonaire.
Les CIV représentent l’anomalie cardiaque congénitale la plus fréquente chez le cheval(2) [2].
L’échocardiographie est le seul moyen fiable pour établir le diagnostic. De plus, cet examen permet de déterminer les éventuelles conséquences morphologiques et fonctionnelles, ainsi que l’existence éventuelle de maladies congénitales plus complexes. C’est un examen essentiel pour un suivi longitudinal efficace.
Comme dans le cas présenté, les CIV se retrouvent typiquement dans la partie membranaire du septum, ventralement à la valvule tricuspide et en dessous de la valvule aortique. Des localisations à d’autres endroits du septum (zone musculaire ou sous les valvules semi-lunaires, par exemple) sont plus rares, mais néanmoins possibles.
Le diamètre de la CIV est estimée à partir de plusieurs vues afin d’obtenir un plan de coupe où le diamètre maximal de l’anomalie du septum peut être mesuré (il peut s’agir de vues non conventionnelles éventuellement). Une communication d’un diamètre inférieur à 2,5 cm chez un cheval de taille normale (500 kg) est considéré comme moins susceptible de provoquer une dilatation cardiaque ou d’avoir des conséquences hémodynamiques significatives [5]. Dans le cas présent, l’examen initial indiquait une anomalie de faible diamètre, ce qui était de meilleur pronostic pour la poursuite du sport. Le réexamen du cheval 9 ans plus tard confirme que les CIV de petite taille sont de bon pronostic, l’animal ayant eu malgré cette affection une carrière sportive de bon niveau (Grand Prix 3 étoiles, classements réguliers).
Il est possible d’évaluer de manière indirecte le gradient de pression de part et d’autre de la CIV en mesurant la vitesse maximale du shunt (photo 4). Des vitesses maximales supérieures à 4,5 m/s tendent à indiquer que l’anomalie est restrictive et sont de meilleur pronostic [4]. Si le défaut du septum est proche de l’aorte, un prolapsus de la valvule aortique dans la CIV peut se produire et réduire la taille “fonctionnelle” de celle-ci. À moyen et long terme, ce phénomène est susceptible d’engendrer des lésions des valvules aortiques et tricuspides ou une fibrose des tissus. Dans le cas présent, l’insuffisance aortique initialement détectée semblait indépendante de la CIV, mais a évolué dans le temps en raison de celleci. Bien que la valvule ne présentait pas de lésions évidentes, l’insuffisance aortique s’est aggravée, et a pu induire l’apparition d’une insuffisance mitrale, d’une hypertension pulmonaire et d’une régurgitation pulmonaire secondaire. Les hémorragies pulmonaires en sont une conséquence. En effet, les mesures de pression artérielle pulmonaire (PAP) sont plus élevées chez les chevaux présentant des insuffisances valvulaires du cœur gauche [1]. Ces mesures de PAP sont invasives et ne peuvent s’effectuer en pratique. L’échocardiographie reste une technique de choix pour la recherche des conséquences de l’augmentation de la PAP.
Ce cas confirme qu’une CIV de petite taille est compatible avec une carrière sportive et des performances normales, même à long terme, à condition que la morphologie et la fonction cardiaques, telles qu’évaluées par l’examen échocardiographique, soient conservées.
L’absence d’insuffisances valvulaires mitrale ou aortique significatives améliore le pronostic en réduisant le risque de développer des affections secondaires susceptibles d’entraîner une hypertension pulmonaire, des hémorragies pulmonaires à l’exercice ou des arythmies, pouvant affecter les performances.
(1) Valeur seuil.
(2) Voir le dossier “Souffles et arythmies cardiaques chez le cheval” de J. Dauvillier et coll. Prat. Vét. Equine. 2017;196:6-30.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
→ Les communications interventriculaires (CIV) de petite taille sont compatibles avec la poursuite d’une carrière sportive normale à condition que plusieurs critères de normalité de la morphologie et de la fonction cardiaque soient respectés.
→ Un examen échocardiographique complet et un électrocardiogramme à l’effort sont indiqués pour à la fois établir le diagnostic et préciser le pronostic.
→ Les chevaux atteints de CIV doivent être réexaminés au moins annuellement pour déceler une éventuelle évolution de l’anomalie et adapter le travail de l’animal si besoin est.
→ Une anomalie cardiaque telle qu’une CIV peut être à l’origine d’une hypertension pulmonaire et favoriser l’incidence d’hémorragies pulmonaires à l’exercice.