La télémédecine vétérinaire équine doit faire ses preuves - Pratique Vétérinaire Equine n° 200 du 01/10/2018
Pratique Vétérinaire Equine n° 200 du 01/10/2018

NOUVELLES PRATIQUES

Cahier scientifique

Médecine factuelle

Auteur(s) : Jean-Michel Vandeweerd

Fonctions : Université de Namur
(UNamur)
Urvi-Narilis
(unité de recherche
vétérinaire intégrée-Namur
Research Institute
for Life Sciences)
Rue de Bruxelles, 61,
5000 Namur, Belgique
jean-michel.vandeweerd@fundp.ac.be

Dans le domaine de la télémédecine vétérinaire, tout reste à démontrer. L’enthousiasme envers cette pratique ne doit pas dispenser de la rigueur scientifique.

La télémédecine, ou télémédecine clinique, comprend la téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale et la régulation médicale (1). L’Académie vétérinaire de France a identifié des intérêts potentiels du développement de la télémédecine, tels que l’accès facilité aux spécialistes, la réduction des déplacements, l’amélioration du suivi et du contrôle des soins, la meilleure traçabilité des données relatives aux examens et aux actes thérapeutiques, ou encore l’utilisation des objets vétérinaires connectés (photo) [1]. Néanmoins, des limites et des risques ont aussi été identifiés, et l’absence d’information scientifique sur l’application de la télémédecine dans le domaine vétérinaire a été relevée. Il est symptomatique de constater que l’introduction des mots clés “telemedicine horses evidence” ou “telemedicine horses review” ou même “telemedicine horses” ne permet d’identifier aucun article. Ce résultat nul est à opposer à la recherche portant sur les termes “telemedicine systematic review”, qui aboutit à 865 items chez l’homme. Cela ne signifie toutefois pas que tout est solidement prouvé en médecine humaine.

Au contraire, certains auteurs estiment que les preuves restent insuffisantes pour recommander une utilisation plus large de la télémédecine, et que davantage d’études sont nécessaires [2, 4-6].

A fortiori, la télémédecine vétérinaire, notamment en pratique équine, ne peut rester non documentée scientifiquement et être utilisée de façon libre et sans consensus. L’objectif de cet article est d’illustrer les éléments que les futures études portant sur la télémédecine vétérinaire devraient prendre en considération. Il s’inspire des forces et des faiblesses méthodologiques observées dans les études et les synthèses réalisées chez l’homme [3]. La difficulté réside notamment dans l’existence de divers facteurs (de confusion) qui peuvent influencer les résultats et modifier l’interprétation de l’efficacité de la télémédecine.

Facteurs à considérer

Les études doivent parfaitement définir l’endroit géographique de l’intervention. L’accessibilité et la performance du réseau peuvent influencer les résultats. Une description précise des performances techniques de l’outil est nécessaire.

La population cible doit être précisée. Il s’agit d’une démarche propre à toute étude scientifique que de définir les cas avec précision, tant sur leurs données démographiques (âge, sexe et taille) que sur leur anamnèse, leurs signes cliniques, leur évolution et le stade de la maladie. Dans le cadre de la télémédecine vétérinaire, le propriétaire est parfois un intermédiaire indispensable. Âge, sexe, niveau d’éducation du maître, mais aussi niveau socio-économique et compétences en informatique sont des facteurs à considérer. Son engagement ou sa participation à la gestion des données collectées, son autonomie et sa prise de part à la décision doivent être quantifiés. Il en est de même de sa perception du dispositif. Perçoit-il la télémédecine avec appréhension ? Croit-il en la télémédecine, en la technologie ? A-t-il l’habitude d’intégrer la technologie dans sa vie quotidienne ?

L’intensité de l’intervention doit être prise en considération. La notion de télésurveillance n’a aucun sens si la fréquence des interventions n’est pas spécifiée. La durée du processus peut aussi influencer le résultat, l’enthousiasme initial pour une nouvelle technique faisant place à la lassitude. La présence de co-interventions reste un facteur de confusion fréquent. Par exemple, des contacts téléphoniques ou des interventions parallèles réalisées sur place interfèrent avec la mesure de l’impact réel de la télémédecine.

L’impact et la nécessité d’une formation préalable à l’utilisation de la technique par les propriétaires - et par les praticiens eux-mêmes - doivent être considérés.

Paramètres à mesurer

L’amélioration de paramètres cliniques ne doit pas être le seul critère considéré. Le bien-être des animaux est de plus en plus évalué dans les études cliniques. La satisfaction du propriétaire, sa facilité à mettre en œuvre l’outil et l’amélioration des prestations par le vétérinaire sont aussi à mesurer. L’influence de la télémédecine sur le coût des prestations doit être évaluée.

Méthodologie à utiliser

L’évaluation d’une intervention de télémédecine doit respecter les principes de recherche liés à la question posée. La méthode vise à contrôler les facteurs de confusion. Ainsi, l’utilisation de groupes contrôles permet de limiter les biais. Il est important de comparer la nouvelle technique à une méthode conventionnelle. S’il s’agit d’évaluer une méthode de télédiagnostic, il convient d’en établir la sensibilité et la spécificité en comparant les résultats à ceux d’une méthode de référence.

Conclusion

Le vétérinaire équin pourrait être enclin à transposer avec enthousiasme des techniques de télémédecine humaine sans chercher à les valider. Cette tendance à conclure rapidement à l’efficacité d’une technique sans questionnement scientifique est néfaste au progrès et à l’image d’une profession. La télémédecine vétérinaire est ouverte sur une page blanche, vide de preuves scientifiques. Il est important désormais que le vétérinaire équin en remplisse les lignes.

  • (1) Voir l’article “Télémédecine vétérinaire” de F. Desbrosse, dans ce numéro.

  • 1. Académie vétérinaire de France (AVF). Avis et rapport de l’AVF sur la télémédecine vétérinaire. Bulletin 2017;5. www.bit.ly/2QVydDi, www.bit.ly/2LftdV0.
  • 2. Aoki N, Dunn K, Johnson-Throop KA et coll. Outcomes and methods in telemedicine evaluation. Telemed. J. E. Health. 2003;9(4):393-401.
  • 3. Bertoncello C, Colucci M, Baldovin T et coll. How does it work Factors involved in telemedicine home-interventions effectiveness: a review of reviews. PLoS One. 2018;13(11):e0207332. Published online 2018 Nov 15.
  • 4. Clarke M, Thiyagarajan CA. A systematic review of technical evaluation in telemedicine systems. Telemed. J. E. Health. 2008;14(2):170-183.
  • 5. Ekeland AG, Bowes A, Flottorp S. Effectiveness of telemedicine: a systematic review of reviews. Int. J. Med. Inform. 2010;79(11):736-771.
  • 6. Roine R, Ohinmaa A, Hailey D. Assessing telemedicine: a systematic review of the literature. Can. Med. Assoc. J. 2001;165(6):765-771.

CONFLIT D’INTÉRÊTS :

AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

→ La télémédecine tend à se développer en médecine vétérinaire.

→ La télémédecine équine ne doit pas échapper au devoir d’établir scientifiquement les preuves de son efficacité.

→ Il est utile de prendre connaissance des publications sur la télémédecine humaine et d’identifier les recommandations sur la recherche dans le domaine.