Les objets connectés : généralités - Pratique Vétérinaire Equine n° 200 du 01/10/2018
Pratique Vétérinaire Equine n° 200 du 01/10/2018

Nouvelles technologies

Dossier

Le cheval connecté

Auteur(s) : Annick Valentin-Smith

Fonctions : 14, rue Louis-Hervé
78000 Versailles

Les outils connectés sont en plein développement, même pour la filière équine, et les informations apportées sont très intéressantes. Le vétérinaire doit s’assurer de leur ­fiabilité et sécurité pour intégrer ces objets dans sa pratique.

Les objets connectés, souvent appelés “Internet des objets” ou IoT (Internet of Things) sont des appareils électroniques connectés sans fil avec un ordinateur, une tablette ou un smartphone, capables en temps réel de capter de l’information, de la structurer, de l’analyser et de l’envoyer à distance sur un support informatique, ou à l’inverse de recevoir des instructions et d’agir (encadré 1).

Ces solutions permettent une interaction, en général sans intervention humaine, entre le monde physique et le monde numérique. Des mesures physiques sont ainsi transmises automatiquement à tout moment à des systèmes informatiques éloignés géographiquement.

Les objets connectés sont des outils de l’ère de la mobilité et de l’autonomie. Ils se sont développés récemment parallèlement à l’adoption du smartphone, l’assistant numérique personnel, mobile et portable qui permet de recevoir des données en toute autonomie et en tout lieu.

Le marché

L’Internet des objets, dans son usage professionnel ou privé/personnel, a de beaux jours devant lui. Les objets connectés font partie intégrante du quotidien dans de nombreux domaines comme la santé, la domotique ou la voiture, et leur utilité est incontestable d’un point de vue pratique et technologique.

Selon le dernier rapport du Centre international de santé du cheval (CISCO), depuis 2010 il existe déjà davantage d’objets connectés que d’êtres humains sur terre, en 2020 plus de 30 milliards auront été développés pour un usage professionnel ou privé.

Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette “explosion” :

- l’intérêt des consommateurs et des profes­sionnels ;

- les demandes des utilisateurs, les attentes et les besoins non satisfaits ;

- l’équipement en smartphones qui atteint et dépasse les 100 % dans les jeunes générations, certains en ayant plusieurs ;

- les progrès technologiques et l’augmentation et l’amélioration de la couverture du réseau ;

- la baisse des coûts de connexion internet et celle des prix des composants : capteurs, microcontrôleurs moins chers, plus petits et plus puissants ;

- la programmation des microcontrôleurs plus accessible ;

- le financement : intérêt croissant des grands opérateurs et des industriels ;

- l’interopérabilité et l’arrivée de la 5G.

Les Français étaient 52 % à posséder au moins un objet connecté en 2017, ils n’étaient que 35 % en 2016 [8]. Les téléviseurs connectés (29 %), les alarmes et les caméras connectées (12 %), les bracelets connectés (12 %) et les montres connectées (11 %) sont parmi les objets connectés les plus achetés. Chez les professionnels de la santé, 83 % des médecins français ont recours aux applications professionnelles (dictionnaires, notamment), mais la prescription ou la recommandation d’applications ou d’objets connectés de santé reste encore rare (35 %). Cela est essentiellement lié à une méconnaissance des outils disponibles et à l’absence de demande des patients [4]. Ces chiffres ne sont pas connus pour la profession vétérinaire, ils ne devraient pas être éloignés. Si les vétérinaires ruraux connaissent bien les solutions connectées de leurs clients éleveurs (machine à traire, distribution d’aliments concentrés [DAC], détection des chaleurs, etc.), les vétérinaires canins sont de plus en plus interrogés par leurs clients sur l’intérêt des objets connectés (géolocalisation, trackers d’activité, surveillance, etc.). Les vétérinaires équins sont déjà connectés par leur smartphone à leur clinique et à leurs clients, les logiciels métiers embarqués leur permettent d’avoir sous la main, où qu’ils soient, l’ensemble du dossier du cheval.

Les objets connectés destinés à la santé, au bien-être ou à l’entraînement du cheval sont jusqu’à présent surtout destinés au grand public ou aux éleveurs. Peu de solutions connectées à usage de la médecine vétérinaire sont déjà disponibles (stéthoscope, électrocardiogramme [ECG], échographe, aide au diagnostic de boiteries, notamment). Dans le domaine du « cheval connecté", le démarrage est lent, seuls les “geeks” ou les “early adopters” plutôt jeunes et à revenus élevés s’intéressent et investissent dans des solutions connectées.

S’il est habituel de distinguer les objets connectés grand public des objets connectés à usage vétérinaire, il existe un continuum entre l’utilisation des objets connectés par leurs propriétaires pour la détection des premiers signes de coliques et leur utilisation “vétérinaire” pour le suivi d’un cheval après un épisode de coliques.

Toutes ces solutions participent à l’émergence du concept de “cheval de précision”, qui se définit comme l’utilisation coordonnée d’outils innovants pour le suivi individuel de la santé, du bien-être et des performances.

Le terme “Vet Tech” est aussi utilisé pour qualifier les objets connectés et les nouvelles technologies destinés à la santé animale, comme la “Med Tech” pour la médecine humaine, la “Home Tech” pour la domotique ou la “Fin Tech” pour la finance.

Start-up françaises et Hippolia

Les objets connectés de la filière équine sont plus souvent développés par des start-up que par des sociétés plus anciennes spécialisées dans le matériel vétérinaire.

Le contexte français est favorable aux start-up, du moins dans leurs premières années, car de nombreux dispositifs d’accompagnement et d’aide existent. La filière équine dispose d’Hippolia, un pôle de compétitivité qui lui est entièrement dédié.

Depuis 2005, le pôle Hippolia fédère les acteurs innovants de la filière équine, les entreprises, les centres de recherche et/ou de formation, et les porteurs de projets, sur l’ensemble du territoire français. Le Centre d’imagerie et de recherche sur les affections locomotrices équines (Cirale), l’Institut de la recherche agronomique (Inra), l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) et l’Association vétérinaire équine française (Avef) en font partie, à côté de Décathlon et d’Hermès et de très nombreuses start-up. En 2016, face à l’émergence de projets liés au numérique et aux nouvelles technologies, le pôle Hippolia a été à l’initiative de la création de Horse’N Tech, écosystème des start-up de la filière équine, membre du réseau thématique #Sports de la French Tech.

Plus récemment, en juin 2018, la chambre de commerce et d’industrie de Lyon, s’appuyant sur la présence d’acteurs majeurs de la santé animale, a créé un cluster “santé et bien-être du cheval”, qui doit aider à faire émerger des projets d’envergure internationale.

Le marché français n’est pas suffisamment important pour assurer la rentabilité d’une solution connectée “cheval”, ce qui explique le positionnement international adopté dès leur création par la plupart des start-up de la filière équine. Pour exister, elles doivent être présentes au minimum sur les marchés anglais, allemands et surtout américains.

Usage ou valeur d’usage ?

Ces objets n’ont d’intérêt ou de valeur d’usage que s’ils améliorent la santé et le bien-être des chevaux en fournissant un service complémentaire ou supplémentaire, et en enrichissant les compétences et les connaissances des personnes qui en prennent soin (encadré 2).

L’utilisation des objets connectés dans le monde du cheval a plusieurs finalités (tableau 1 complémentaire sur http://www.lepointveterinaire.fr). Ces solutions permettent de recueillir diverses informations 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour surveiller ou suivre les chevaux (alerter en cas d’anomalies du comportement, par exemple), ou encore de suivre de façon plus objective l’entraînement du cheval et du cavalier (encadré 3).

Les objets connectés pour les chevaux peuvent ainsi être classés selon leur usage :

- surveiller l’animal à distance et en continu ;

- recueillir des données chiffrées (biométriques) en temps réel ;

- améliorer et objectiver l’entraînement ;

- géolocaliser (figure 2).

Surveillance

Cheval au box

• Contrairement à d’autres espèces, les chevaux continuent à être nourris au box de façon “artisanale”, alors qu’il existe des solutions connectées programmables à distance pour l’automatisation et l’individualisation de l’alimentation ; ces systèmes pourraient permettre une alimentation plus physiologique, plus fractionnée et bien plus adaptée à chaque cheval (Equidistrib® d’ABSI ou Hippomeal® d’Ineatech).

Cela existe depuis plus de 20 ans chez la vache laitière (DAC) et est actuellement développé chez le chat (Catspad®). Ce principe d’alimentation à la carte est à la base du concept d’écurie active dans laquelle les chevaux ont accès à leur ration personnalisée dans des stalles individuelles pilotées à distance.

Seules les quantités distribuées sont connues, aucune surveillance des quantités ingérées n’existe.

• Le système Blue Intelligence® de La Buvette, grâce à un débitmètre connecté sur chaque abreuvoir, permet de surveiller la consommation d’eau de chaque cheval et d’être alerté en temps réel en cas de comportement d’abreuvement anormal, pouvant être un signe avant-coureur d’un trouble de santé. Pour fonctionner, un wifi « privé" doit être installé dans l’écurie.

• Orscana® (Arioneo) est un capteur connecté qui se fixe sous les couvertures et transmet par Bluetooth, sur une application, les données de température, d’humidité et de mouvement (photo 1). Il permet de savoir quelle couverture est la plus appropriée au box, au pré et pendant le transport. Il analyse également le mouvement (temps passé allongé, degré d’activité : faible, intense, etc.) et prend en compte les prévisions météorologiques pour anticiper les besoins pendant la nuit. Pour recevoir les informations sur son smartphone, il convient d’être à portée du cheval (30 m).

• Le licol Nightwatch®, mis au point aux États-Unis, contient plusieurs capteurs pour surveiller les paramètres vitaux et le comportement du cheval, avertissant par SMS, appel téléphonique ou e-mail lorsqu’il détecte des signes de colique, de blessure ou si le cheval est coincé. Il enregistre les fréquences cardiaque et respiratoire (les deux principaux signes vitaux qui sont corrélés à la douleur et à la détresse aiguë), les niveaux d’activité, le mouvement et la posture, et se connecte à un smartphone à distance via les réseaux cellulaires et wifi. Nightwatch® utilise une nouvelle technologie radiofréquence (radar à impulsions ultralarges [UWB-IR]). Les services fournis par Nightwatch® sont disponibles uniquement aux États-Unis et au Canada, sont payants et le contrat annuel de surveillance est facturé 330 €. Le licol allemand Hippomed Horse Control® est une solution très proche, les capteurs disposés autour de la tête mesurent la température, l’humidité et la fréquence cardiaque ; ce dispositif d’alerte connecté fonctionne avec une carte SIM et un abonnement.

• La solution de surveillance CoHo® (Animalinks) repose sur un boîtier connecté installé dans le box, capable d’envoyer des photos, de la vidéo et des données d’ambiance et de température. Elle permet au propriétaire de s’assurer, à distance et à tout moment sur son smartphone, des conditions de confort et de sécurité de son cheval. La solution, actuellement en test, sera proposée sous la forme d’un abonnement.

Cheval au pré

La surveillance des chevaux au pré, lorsque celui-ci est éloigné, est facilitée par des solutions récentes : la start-up Pampaas propose trois options connectées et toute anomalie détectée est immédiatement signalée par SMS au propriétaire des animaux :

- VigiFence®, boîtier installé sur la clôture électrique qui surveille son intégrité et son bon fonctionnement ;

- Vigithermik®, boîtier muni d’une sonde de contrôle de la température/fermentation des balles de foin ;

- Vigiaqua®, boîtier avec un flotteur contrôlant le niveau d’eau dans la tonne à eau.

Ces trois systèmes transmettent les données par le réseau Sigfox (longue portée, bas débit) qui assure une bonne couverture du territoire, y compris dans les zones rurales, et fonctionne avec une consommation électrique très réduite (une pile assure une autonomie de 2 ans). Les données en temps réel et l’historique sont accessibles sur un site internet.

L’utilisation de ces outils demande un abonnement, qui peut être souscrit sur une base annuelle ou adapté à la durée du séjour des chevaux au pré.

Pour s’assurer que les chevaux restent bien dans leur pré, il est possible de les équiper d’un licol de géolocalisation GPS et en délimitant le périmètre autorisé, une alerte est envoyée dès que le cheval sort de cette zone.

Poulinage

Les systèmes de surveillance du poulinage sont sur le marché depuis de nombreuses années, répondant à un besoin d’alerte, la date de poulinage étant difficilement prévisible et le poulinage ayant souvent lieu la nuit.

• Trois semaines avant la date du terme, un électro-aimant émetteur (C6 Birth Control®) est fixé sous anesthésie locale sur une des lèvres de la vulve de la jument. L’aimant qu’il comporte est relié à un fil nylon, suturé sur l’autre lèvre. L’écartement des lèvres de la vulve lors du poulinage provoque le détachement de l’aimant, induisant le déclenchement de l’émetteur et l’envoi de messages téléphoniques vers des numéros préenregistrés.

Prévenu alors que le poulinage est en cours (poulain dans la filière pelvienne, membres sortis, etc.), l’éleveur doit être à proximité pour pouvoir intervenir en cas de nécessité.

• La ceinture de poulinage (Birth Alarm®) est un surfaix antiretournement placé derrière le garrot de la jument, équipé d’un inclinomètre (mesure d’angle). Ce dernier prend en compte la position de la jument lors des contractions (décubitus latéral ou position sternale), ainsi que leur durée (supérieure à 7 secondes). Ces informations sont transmises à un récepteur qui va déclencher l’alarme lorsque les premiers signes du poulinage (contractions) sont reconnus. Selon les différentes marques et modèles, le récepteur peut recevoir les alertes de plusieurs émetteurs (surveillance de plusieurs juments en même temps).

Cet outil existe depuis 1990 et il est maintenant disponible en version connectée avec alerte sur mobile grâce à la présence d’une carte SIM et au réseau GSM.

• Une étude récente a mis en évidence, grâce à un accéléromètre, une augmentation de l’activité des juments quelques jours avant le poulinage ; la mesure des distances parcourues par une poulinière permettrait de prédire la date de son poulinage [5].

• Utilisée en complément, la surveillance par vidéo permet :

- d’éviter de se déplacer en cas de fausse alerte (jument qui se couche pour dormir) ;

- de surveiller sans interférer au cours des premières heures de vie du poulain. Une option “infrarouge” permet même d’éviter de laisser les lumières allumées.

Les nouveaux systèmes sont commercialisés avec une application pour mobile permettant de mettre en liaison le relais-récepteur et le téléphone portable.

L’image est retransmise sur le téléphone mobile en direct avec un système d’abonnement.

Recueil de données, biométrie

Entraînement

Plusieurs outils connectés destinés au suivi de l’entraînement sont disponibles (tableau 2). Certains se présentent sous la forme de boîtiers à placer au niveau du thorax ou dans la sangle (Equisense Motion®, Equimètre® d’Arioneo, Seaver®). Ils permettent de recueillir et de transmettre des données en temps réel sur une application smartphone pendant l’entraînement sans avoir à l’interrompre (photo 2). Le système peut aussi être intégré dans une selle (iJump® de CWD) pour la surveillance du travail du cheval de sport sur le plat et à l’obstacle.

Le boîtier contient une centrale inertielle qui recueille des données de déplacement dans neuf dimensions et mesure des paramètres comme la vitesse, le tracé, le rebond, la symétrie de l’allure, la hauteur et la qualité des sauts. Les informations ainsi collectées permettent d’analyser une séance de travail avec précision, de comparer les données obtenues avec celles des séances antérieures ou avec la vidéo du parcours et ainsi d’objectiver la progression. Le système Seaver® s’est doté récemment d’un cardiofréquencemètre.

CWD va un peu plus loin dans l’exploitation de ses données : il s’est allié en 2017 au Cirale en créant le CWD-VetLab, avec l’objectif de faire avancer les connaissances scientifiques et de mieux gérer l’entraînement grâce à de futurs nouveaux produits connectés.

La solution connectée Waook® d’optimisation de l’entraînement (trotteurs, galopeurs) est fondée sur la combinaison de mesures de la fréquence cardiaque à l’effort (sangle connectée Polar® sur le cheval) et de la vitesse (appli smartphone fixé sur le sulky). La mesure des lactates (lactates scout) enrichit le système. Pendant l’entraînement, du bord de la piste, l’entraîneur dispose ainsi d’un tableau de bord sur lequel il visualise en temps réel toutes les données nécessaires pour optimiser la performance de chaque cheval(1).

Des outils d’entraînement de ce type sont utilisés aux États-Unis dans le domaine des courses par des sociétés comme Data Track International qui, en combinant les données recueillies à l’entraînement avec des mesures sur des images vidéo (longueur des foulées et autres facteurs des chevaux en mouvement), évaluent le potentiel d’un pur-sang dès l’âge de 2 ans [7].

Locomotion

Les systèmes de capteurs inertiels (ou inertial sensor systems) se révèlent utiles au diagnostic de boiterie. Ils apportent des informations supplémentaires pendant les différentes étapes de l’examen, bien qu’en aucun cas ils ne remplacent ni l’œil ni l’expertise du vétérinaire(2).

Ce sont des dispositifs électroniques qui associent des informations provenant de diverses sources, telles qu’un accéléromètre pour mesurer l’accélération, un gyroscope pour la rotation, un magnétomètre pour l’orientation et un GPS pour la vitesse et la direction. Lameness Locator® a été le premier outil (équipé de capteurs) d’aide à la détection des boiteries.

Depuis, les systèmes et la technologie ont évolué. EquiMoves® a été mis au point par une équipe d’Utrecht aux Pays-Bas, le système d’analyse de la locomotion repose sur huit centrales inertielles (inertial measurement units [IMU]) situées sur les quatre membres, la croupe, le garrot, la nuque et le sternum [1].

Un travail récent a aussi été réalisé au Royaume-Uni sous l’égide du Royal Veterinary College qui a permis d’évaluer les relations entre pathologie du dos et boiteries.

Ekico, une start-up française, développe des guêtres connectées qui se placent sur les membres antérieurs, permettant de recueillir des informations précises sur l’extension des fléchisseurs et la descente du boulet. Il est ainsi possible de quantifier la force que le cheval met sur chaque membre et d’objectiver une boiterie [6].

Les systèmes de capteurs inertiels peuvent capter une asymétrie très subtile, difficile à voir à l’œil, et permettent au vétérinaire d’objectiver les changements d’intensité de la boiterie au fil du temps, après une anesthésie ou un traitement. Comme les données sont stockées, il est facile de les comparer dans le temps et d’objectiver l’évolution.

Des études qui valident ces technologies connectées et les comparent à des solutions plus anciennes commencent à être publiées [2].

Autres données de santé du cheval

Des appareils plus classiques comme l’ECG, le microscope, le stéthoscope, l’appareil radiographique, l’échographe, les analyseurs existent en version connectée et envoient les résultats (interprétés ou non) à distance sur smartphone. Cela permet aussi de conserver et de partager des données. Les données numérisées peuvent être traitées par des algorithmes d’intelligence artificielle (machine learning) et permettre le développement de solutions d’aide au diagnostic.

La sangle connectée Polar® H7 est largement utilisée pour mesurer la fréquence cardiaque à l’effort ou au repos et envoyer par Bluetooth les données sur smartphone. C’est ce cardiofréquencemètre connecté qui est utilisé par l’application d’Ekily pour évaluer sur smartphone la variabilité de la fréquence cardiaque, marqueur de l’état de forme du cheval.(2)

Très récemment, Piavita a mis au point un capteur qui se place sur une sangle à mi-hauteur du thorax, enregistre un ECG en continu et le transmet à distance sur un ordinateur ou une tablette (très prochainement sur smartphone) (photo 3). Les tracés sont archivés et peuvent être partagés.

Une équipe de l’université de Rennes (Ille-et-Vilaine) travaille actuellement sur un appareil d’électroencéphalographie (EEG), une sorte de bonnet connecté qui permet d’obtenir des mesures en laissant le cheval dans son environnement naturel. Les premiers résultats montrent des enregistrements similaires à ceux obtenus par des méthodes traditionnelles [3].

Une société américaine (PonyUp Technologies) a développé Vet Cheq®, une guêtre connectée dotée d’un manchon gonflable qui permet de suivre la pression artérielle et la fréquence cardiaque pendant le transport, une situation de stress ou une intervention chirurgicale.

Des solutions connectées pour le monitoring permanent et à distance reposant sur l’exploitation de l’intelligence artificielle sont actuellement en développement, comme StableGuard, qui analyse les images vidéo du cheval au box et alerte dès que le comportement est “anormal”. La reconnaissance faciale est utilisée pour évaluer à distance la douleur des chevaux par l’exploitation automatique des stigmates de douleur au niveau de la face (projet Davis États-Unis, KTH Stockholm Suède).

Bien qu’il ne s’agisse pas, à proprement parler, d’un objet connecté autonome, les nouvelles puces d’identification (Biothermo® d’Allflex) permettent le suivi de la température corporelle, le stockage et l’échange des données, qui peuvent être utiles pour la surveillance de grands effectifs de chevaux [9]. Si les valeurs absolues des différents paramètres ne sont pas toujours considérées comme parfaites, il est plus intéressant de se focaliser sur les valeurs relatives et en particulier sur leur variation dans le temps.

Limites des solutions actuelles

Les points d’amélioration des objets connectés disponibles sont bien identifiés :

- technologie d es capteurs, qualité et fiabilité de l’information recueillie (spécificité, sensibilité) ;

- algorithmes;

- communications, wifi dans l’écurie ;

- autonomie énergétique ;

- solidité ;

- sécurité/protection contre une action malveillante, confidentialité ;

- standardisation et interopérabilité entre les différents systèmes.

Des progrès sont faits en permanence, mais les objets connectés de santé sont plus compliqués et plus longs à mettre au point que les objets connectés plus classiques comme la domotique, les aléas du vivant étant difficiles à maîtriser ou à prévoir, d’autant plus chez l’animal.

Pour s’assurer que ces objets présentent un niveau de fiabilité et de sécurité suffisant à l’utilisation en pratique vétérinaire, il pourrait être envisagé de créer une catégorie “dispositifs vétérinaires”, à l’instar de certains objets connectés utilisés pour la santé humaine, qui, de par leur nature et leurs objectifs médicaux, sont des “dispositifs médicaux” et suivent une réglementation européenne particulière et spécifique.

C’est sa finalité d’usage et la volonté du fabricant qui font d’un appareil un dispositif médical.

Les dispositifs médicaux sont répartis en quatre classes et doivent bénéficier, avant leur commercialisation, d’un “marquage CE” spécifique, dont l’obtention requiert de se conformer à des processus de qualité et de sécurité de plus en plus exigeants.

Les démarches pour obtenir le marquage CE pouvant être assez coûteuses, certains fabricants font le choix de rester sur des produits grand public dont les usages sont centrés sur le bien-être plutôt que sur la prise en charge médicale.

Un tracker d’activité mesurant la fréquence cardiaque dans un cadre de loisirs n’a pas le même statut qu’un objet connecté effectuant cette même mesure chez un animal atteint d’une maladie cardiovasculaire : seul le second scénario lié à une affection requiert une classification de dispositif médical.

Ces essais longs et coûteux, comme les démarches administratives avant la mise sur le marché, sont un frein majeur à l’innovation dans le domaine vétérinaire. La piste du dispositif vétérinaire ne doit alors pas être retenue.

L’obtention d’un label de qualité serait plus simple, plus rapide et moins coûteuse. Pour être labellisées, les solutions seraient soumises à une évaluation en quatre étapes : évaluation générale et juridique, technique et sécurité, médicale (service rendu), ergonomique et d’usage [10]. Ce label et cette certification pourraient aider la profession vétérinaire dans ses choix.

Conclusion

Les services apportés par les objets connectés sont très différents, complémentaires et adaptés à de nouvelles situations. Certaines de ces solutions sont intéressantes, car elles captent des données à distance et en continu, mesurent ce qui ne l’était pas auparavant ou objectivent des paramètres qui étaient dépendants de l’opérateur. Enfin, elles permettent de numériser, de stocker et de partager les données, répondant au souci de traçabilité.

Ces objets vont se perfectionner et devenir fiables, de nouvelles solutions sont déjà en développement. Ils vont permettre de mieux surveiller les chevaux à distance et ainsi de faire davantage de prévention primaire (réduire l’apparition de nouveaux cas) ou secondaire (réduire l’apparition de récidives). Ils s’inscrivent donc dans la médecine de demain, la “médecine des quatre P” (prédictive, préventive, personnalisée et participative), voire la “médecine des six P” (en rajoutant prouvée et de précision). Ils seront aussi utiles ou même indispensables dans la réalisation d’actes de télémédecine vétérinaire : téléconsultation, télé-expertise ou télésurveillance.

Pour mieux appréhender les avantages et connaître les limites des solutions connectées, la profession vétérinaire doit se former (formation initiale dans les écoles, formation continue), tout en sachant que rien n’est acquis puisque tout évolue très vite dans ces domaines technologiques.

L’appétence des professionnels du cheval, comme celle des amateurs, semble plus élevée que celle des vétérinaires. La recommandation et l’usage d’outils et de services numériques par les vétérinaires sont encore très faibles, mais l’adoption des nouvelles technologies pourrait être un des leviers de satisfaction des clients et d’image de la profession vétérinaire.

  • (1) Voir l’article “Le cheval connecté et l’entraînement de précision” de C. Leleu, dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article “Le vétérinaire connecté et le cheval de sport : le suivi médical” d’E. van Erck-Westergren, dans ce numéro.

1. Bosch S, Serra Bragança F, Marin-Perianu M et coll. EquiMoves: a wireless networked inertial measurement system for objective examination of horse gait. Sensors. 2018;18 (3):850. 2. Bragança FM, Bosch S, Voskamp JP et coll. Validation of distal limb mounted inertial measurement unitsensors for stride detection in Warmblood horses at walk and trot. Equine Vet. J. 2017;49 (4):545-551. 3. Cousillas H, Oger M, Rochais C et coll. An ambulatory electroencephalography system for freely moving horses: an innovating approach. Front. Vet. Sci. 2017;4:57. 4. Egora. La perception des applications mobiles de santé par les médecins. Septembre 2017. https://www.egora.fr/sites/egora.fr/files/resultat-barometre-sante-connectee_applications.pdf 5. Hartmann C, Lidauer L, Aurich J et coll. Detection of the time of foaling by accelerometer technique in horses (Equus caballus)-a pilot study. Reprod. Domest. Anim. 2018;53 (6):1279-1286. doi: 10.1111/rda.13250. Epub 2018 Jul 30. 6. Juban S, Gerout-Juban M, Aimar A et coll. A novel smart sensor system in boots to assess loads applied on the distal limb of horses: an ex-vivo pilot study. Poster. WEVA, Beijing, April 2018. 7. Kilgore J. Gait analysis. Horse tech conference, Londres, 18 octobre 2017. https://horsetechconference.com/rvclondon_2017 8. OpinionWay pour DistreeConnect 2017. Les Français et les objets connectés. Mars 2017. https://www.opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/marketing/opinionway-pour-distreeconnect-2017-les-francais-et-les-objets-econnectes-mars-2017.html 9. Scicluna C. La puce d’identification Biothermo® pour la surveillance connectée de la température du cheval. Actes de colloque – 44es Journée de la recherche équine, 15 mars 2018:126-130. 10. Vet-In-Tech. Livre blanc n° 2. E-santé animale, en savoir plus sur les objets connectés. Novembre 2018:117p. http://vet-in-tech.com

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN.

ENCADRÉ 1 : FONCTIONNEMENT DES OBJETS CONNECTÉS

L’objet connecté est constitué d’un ou de plusieurs capteurs qui convertissent une donnée recueillie (une accélération, une pression, une température, etc.) en un signal électrique ; ce signal électrique brut est traité et interprété par une carte qui comprend un microcontrôleur (ordinateur miniature programmé pour une tâche précise) et des périphériques ; les informations traitées sont envoyées régulièrement à l’extérieur de l’objet par des ondes électromagnétiques, par exemple par Bluetooth ou par wifi, vers un autre appareil qui doit se situer à portée et qui sert de relais.

Après passage ou non par une “passerelle”, les informations sont envoyées sur le cloud où elles sont conservées sur des serveurs distants accessibles par Internet.

Les données captées et mises en forme sont accessibles par l’utilisateur grâce à une application sur smartphone ou un logiciel sur ordinateur (figure 1).

Ce circuit de communication nécessite beaucoup d’énergie. Or la taille des objets-appareils ne permet pas toujours d’y insérer une batterie de capacité adéquate ou suffisante.

Éléments à retenir

• Des solutions connectées sont disponibles pour surveiller les chevaux et leur santé à distance et en continu.

• Dans la filière équine, tous les acteurs, vétérinaires praticiens, entraîneurs et éleveurs, sont concernés.

• Si des progrès sont encore attendus, les objets connectés contribuent à l’émergence du concept de cheval de précision, permettant d’objectiver, d’analyser, de partager et de stocker des données utiles à la santé et au bien-être équins.

ENCADRÉ 2 : LA COCONSTRUCTION S’IMPOSE

Les vétérinaires, seuls compétents pour juger de l’intérêt pour la santé des animaux, doivent être intégrés dans la conception et le développement de ces nouvelles solutions connectées. Pour que celles-ci aient un intérêt et soient réellement utiles à la santé des chevaux, les vétérinaires doivent donner leur avis/aval dès la conception, soit valider le “proof of concept”.

Des initiatives sont déjà prises pour partager les informations entre professionnels de la santé et de l’entraînement du cheval, en particulier au Royaume-Uni où une réunion biannuelle fait le point sur l’apport des nouvelles technologies dans le monde du cheval : il s’agit de la réunion “Horse Tech” dont la première édition a duré 1 journée en octobre 2017 au Royal Veterinary College de Londres. La prochaine réunion est prévue sur plusieurs jours fin 2018 à Dublin (Irlande).

ENCADRÉ 3 : ET S’IL ÉTAIT POSSIBLE D’ALLER PLUS LOIN GRÂCE À NOS DATA ?

Les objets connectés vont permettre de collecter de très nombreuses données “brutes” de toute nature sur un nombre considérable d’animaux, mais qu’en faire ? Est-ce que tout cela fera progresser la santé, le bien-être et les performances des animaux ?

Pour pouvoir en retirer un bénéfice, il convient d’abord de structurer ces données, puis de les analyser et de les croiser dans tous les sens. Vu la quantité de données à traiter, c’est à ce stade que les “machines” aidées des algorithmes et de l’intelligence artificielle vont être utiles. Le machine learning et le deep learning vont, par leurs capacités, permettre d’aller plus loin que le simple algorithme dans les conclusions. Grâce à l’aide apportée par ces outils, il sera ainsi possible de passer d’une médecine de la subjectivité et de l’opinion à une médecine de l’objectivité fondée sur les données factuelles. Mais la machine ne pourra pas tout faire, elle ne sait pas prendre de décisions, elle n’a aucune empathie et ne sait pas gérer les relations avec les clients.