Fiche – Bien-être
Dossier
Le cheval connecté
Auteur(s) : Richard Corde*, Bertrand Neveux**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire
de Grosbois
94470 Boissy-Saint-Léger
**86, rue de Rivoli
78950 Gambais
La médecine équine est probablement la dernière à se pencher sérieusement sur les opportunités offertes par l’e-santé (aussi appelée santé numérique), visant une santé connectée efficace. Et elle le fera de manière pragmatique, car elle n’a pas à essuyer les plâtres ni à composer avec un passé de tâtonnements dans ce domaine.
En effet, en productions animales, les premiers colliers connectés pour la distribution d’une alimentation individualisée sont apparus dans les années 1990 sur les grandes exploitations bovines américaines. En ce qui concerne les données, la filière laitière est probablement la plus aboutie, avec la forte collecte d’informations lors de la traite.
Dans le secteur des animaux de compagnie, l’e-santé a surtout eu une approche marketing, avec une première tentative de carnet de santé électronique développé par les fondateurs de SantéVet, des solutions simples poussées par l’essor des objets connectés (Internet of Things [IoT], tels que les colliers GPS) et des caméras portatives. L’avènement de l’identification par transpondeur a poussé nombre de projets à vouloir traquer l’animal. En équine, une première démarche a été initiée à la fin des années 1990, avec la tentative de déployer des portiques à l’entrée des pistes ou des ceintures de détection de mise bas.
Des initiatives probablement trop anticipées par rapport à un environnement technologique immature et sociétal non préparé.
Pourquoi, dans ce contexte, placer le vétérinaire au cœur de la stratégie numérique ? D’abord parce qu’il est le principal expert de la santé animale, ensuite parce qu’il a un rôle important à jouer en matière de prévention, de sensibilisation au bien-être animal et de diagnostic de la maltraitance. « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » (encadré 1) [4].
Que s’est-il passé en médecine rurale et canine ? Deux approches aux antipodes l’une de l’autre.
Chez les animaux de rente, la santé connectée n’est pas nouvelle. Elle en est même le précurseur. La filière laitière apparaît comme le porte-étendard dans la récupération des données sur l’animal, tout comme l’a longtemps été la machine agricole dans la gestion des semences. Les innovations rencontrées en e-santé ont donc permis de rebattre les cartes non pas dans les solutions, mais dans la gestion des données et dans leur intégration dans les systèmes d’exploitation déjà en place. L’agriculteur, l’éleveur, est logiquement au centre des transferts de données. La précision est la principale avancée. Les nouvelles technologies adjacentes, notamment le déploiement d’applications de traitement des données, permettent aujourd’hui de considérer le bien-être des porcs ou des volailles comme partie intégrante d’un management global de l’élevage.
A contrario, la médecine canine s’est enlisée dans une approche “gadget” de la santé connectée, comme si celle-ci devait se limiter à des objets dits connectés. Mais à quoi ? Rares sont les solutions qui sont reliées à des systèmes d’exploitation de données existantes, tels que le logiciel de gestion de la clinique vétérinaire. À quoi servent alors ces colliers, ces gamelles, ces chatières connectés, s’ils n’ont pas d’intérêt direct pour la santé de l’animal ?
Pour être efficaces, les outils ou les solutions de santé connectée doivent donc répondre avant tout à un besoin. En outre, ces IoT doivent être reliés à des systèmes d’exploitation. C’est là que l’e-santé prend toute sa mesure en médecine équine. Les détenteurs de chevaux de course ou de sport ont une approche similaire à celle des professionnels, éleveurs et vétérinaires. Les solutions répondront donc aux attentes de chacune de ces populations. Et comme le bien-être des équidés est l’affaire de tous, les améliorations apportées s’imposeront d’elles-mêmes et seront collectives.
La définition du bien-être d’un animal est aujourd’hui parfaitement définie sur un plan scientifique. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en a résumé les principes, qui sont facilement adaptables aux équidés. Il convient cependant de bien comprendre la différence avec la notion de bientraitance (encadré 2). Depuis la réforme du Code de déontologie en 2015, l’Ordre des vétérinaires insiste auprès de ses confrères sur leurs obligations en matière de prévention et de sensibilisation, comme de diagnostic de la maltraitance.
Le vétérinaire équin se trouve donc au croisement des données, car il est tenu de promouvoir les solutions les plus intéressantes en matière de prévention des risques de maltraitance par négligence. Son rôle de conseil au sein de l’écurie est alors valorisé (figure 1).
De même, ces nouveaux outils sont considérés comme de véritables auxiliaires dans le suivi pathologique de l’animal, le suivi de l’athlète. Une sangle connectée permet de mieux suivre l’évolution de la préparation du cheval avant une course d’endurance, tout comme de suivre plusieurs données physiologiques durant la compétition, voire directement sur l’interface du cavalier (combien de solutions intègrent la m-santé(1) aujourd’hui ?). Cette approche technologique est loin du gadget. Le cheval en est le principal bénéficiaire, car elle lui permet d’arriver au contrôle du vetgate dans un état acceptable, et de prévenir d’éventuelles lésions de l’appareil locomoteur dues à la fatigue.
Le rôle zootechnique du vétérinaire devrait également sortir renforcé, confortant sa présence dans les écuries (figures 2 et 3). Ainsi, l’absence de soif chez le cheval peut déjà être attestée grâce à des détecteurs du niveau d’eau dans les abreuvoirs. L’état corporel d’un équidé pourrait également être calculé via la reconnaissance morphologique, une solution développée actuellement chez les bovins.
L’évolution de solutions informatiques, fondées soit sur l’analyse de multiples données (big data), soit sur une amélioration automatisée de leur interprétation (intelligence artificielle), apporte aujourd’hui une aide certaine aux professionnels de santé. En témoignent notamment les progrès extraordinaires réalisés en médecine humaine dans la détection de cellules cancéreuses, ou encore de maladies rétiniennes au stade précoce. Cela permet aussi un accès plus aisé et moins élitiste aux données pour nombre de praticiens généralistes.
La médecine vétérinaire a tout à inventer. En premier lieu, la création de données de référence est indispensable. Ces systèmes numériques ne peuvent être performants que s’ils offrent la possibilité d’une comparaison avec des données existantes. D’où la nécessité de savoir déjà traiter de manière globale les données et les analyses rattachées aux cinq indicateurs du bien-être du cheval. En équine, l’une des sources principales de douleur est la boiterie, même sub-clinique. Quant à l’endurance, collecter les données par type de terrain, de conditions de course, d’entraînement, de race, devient indispensable pour exploiter et affiner les observations menées via les animaux connectés.
Une nouvelle génération de solutions devrait profiter à la médecine vétérinaire, proposant du télédiagnostic. Une révolution dans la gestion de la relation client, qui permettra aux vétérinaires de mieux impliquer les professionnels dans l’observation de leurs animaux et d’optimiser les relations avec eux. La réactivité face à la souffrance animale, à la maladie, ne peut que favoriser le bien-être des équidés. Pour cela, les solutions numériques doivent répondre à cette évolution, ce qui remet indéniablement en cause la performance même des principaux logiciels de gestion, trop limitatifs. Il sera également intéressant de suivre la position des organisations professionnelles vétérinaires qui, jusqu’à présent, ont freiné toute ambition dans ce domaine. Le travail est en cours au sein du Conseil national de l’Ordre et pourrait aboutir à des avancées notables. Mais il est clair que, à court terme, la façon de travailler du vétérinaire n’aura plus rien à voir avec les pratiques actuelles. Il suffit de lire les huit points valorisés dans la charte du bien-être équin émanant des professionnels de la filière pour comprendre que le rôle du vétérinaire sort renforcé en matière de bien-être animal (encadré 3).
La médecine équine n’a pas à se soucier de faire le tri entre les solutions innovantes et les moins bonnes, contrairement à ce qui se pratique en canine. Le marché régulera les choses, si nécessaire. Les attentes sont considérables dans une filière encore très professionnelle, plus proche de la pratique rurale que de la canine, où chaque solution doit apporter un bénéfice à l’animal et à l’acteur concerné, pour des raisons communes au respect de l’animal et au rapport économique.
Le vétérinaire équin est amené à changer la gestion de sa pratique en profondeur, dans un environnement déjà en pleine mutation, qu’il s’agisse de l’industrie pharmaceutique, acteur du secteur de la santé animale, ou des nouveaux entrants apportant, via l’approche “métier”, une rupture technologique. Une approche globale, internationalisée et transversale, devrait booster considérablement les données et doper la gestion de l’équidé de compagnie, de sport ou de course.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN.
Il est interdit à toute personne qui, à quelque fin que ce soit, élève, garde ou détient des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité :
– de priver ces animaux de la nourriture ou de l’abreuvement nécessaires à la satisfaction des besoins physiologiques propres à leur espèce et à leur degré de développement, d’adaptation ou de domestication ;
– de les laisser sans soins en cas de maladie ou de blessure ;
– de les placer et de les maintenir dans un habitat ou un environnement susceptible d’être, en raison de son exiguïté, de sa situation inappropriée aux conditions climatiques supportables par l’espèce considérée ou de l’inadaptation des matériels, installations ou agencements utilisés, une cause de souffrances, de blessures ou d’accidents ;
– d’utiliser, sauf en cas de nécessité absolue, des dispositifs d’attache ou de contention ainsi que de clôtures, des cages ou plus généralement tout mode de détention inadaptés à l’espèce considérée ou de nature à provoquer des blessures ou des souffrances. Si, du fait de mauvais traitements ou d’absence de soins, des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité sont trouvés gravement malades ou blessés ou en état de misère physiologique, le préfet prend les mesures nécessaires pour que la souffrance des animaux soit réduite au minimum ; il peut ordonner l’abattage ou la mise à mort éventuellement sur place. Les frais entraînés par la mise en œuvre de ces mesures sont à la charge du propriétaire.
D’après [4].
Lors d’une intervention à la Maison du barreau de Paris le 15 juin dernier, Jean-Claude Nouët, président d’honneur de la Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA), a distingué les notions de bien-être et de bientraitance animale de cette manière :
– la bientraitance, c’est-à-dire bien traiter l’animal, concerne la conduite de l’homme à son égard ;
– le bien-être de l’animal concerne l’animal et son ressenti d’un état émotionnel positif.
La bientraitance fait donc appel à l’homme, celui qui prodigue les soins biologiques quotidiens de l’animal. Le rôle du vétérinaire est donc important, à la convergence des chemins entre professionnels et détenteurs amateurs d’équidés. Mais cette notion est clairement limitée. Elle induit des moyens, pas des résultats. C’est pourquoi les acteurs de la condition animale, professionnels ou organisations non gouvernementales, préfèrent travailler sur le bien-être et non sur la bientraitance animale.
Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), « le bien-être d’un animal est l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal » [1].
L’évaluation du bien-être au niveau de l’individu prend en compte l’état physiologique et l’état de santé de l’animal, son comportement, sa réactivité vis-à-vis de l’homme et les caractéristiques de l’environnement.
Cette définition de l’Anses est très proche de celle employée dans le cadre de l’évaluation par la méthode du Welfare Quality®, qui a le mérite d’être tirée d’un consensus et dont l’adaptation à l’espèce équine a fait l’objet d’un document [3].
Concrètement, chez le cheval, 12 critères répartis en cinq thématiques sont retenus :
– l’absence de faim et de soif ;
– l’absence d’inconfort (confort autour du repos, thermique, facilité de déplacement) ;
– une bonne santé (absence de douleur, de blessures et de maladies) ;
– la liberté d’exprimer un comportement normal (expression des comportements sociaux et autres, bonnes relations homme-animal) ;
– la possibilité de vivre sans peur et sans angoisse (état émotionnel positif).
Le bien-être des équidés est de plus en plus pris en compte en France. Organisations professionnelles, scientifiques et non gouvernementales du secteur, comme la Ligue française pour la protection du cheval, siègent au sein du comité d’experts en bien-être animal du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV) ou encore au sein du Centre national de référence sur le bien-être animal (CNR BEA).
1. Veiller à établir une relation de confiance lors de la manipulation des chevaux et de leurs contacts avec l’homme.
2. Garantir un approvisionnement en eau et en aliments suffisant et adapté aux besoins physiologiques et comportementaux des chevaux, ainsi qu’à l’intensité du travail demandé.
3. Offrir aux chevaux un lieu de vie aménagé de manière à prévenir les risques de blessures et de maladies et leur permettant de s’adapter aux variations climatiques.
4. Veiller à structurer et à aménager l’environnement de vie des chevaux de façon à leur permettre d’exprimer leurs comportements naturels et à leur offrir un confort de repos et de travail.
5. Respecter le caractère grégaire des chevaux en favorisant les contacts sociaux positifs entre eux afin de limiter les troubles comportementaux.
6. Définir collectivement les bonnes pratiques d’élevage, de détention et d’utilisation des chevaux dans l’objectif de limiter les risques pour leur santé.
7. Prévenir ou soulager la douleur.
8. Assurer, tout au long de la vie des chevaux, les soins nécessaires. Leur mort doit advenir dans des conditions décentes lorsqu’il n’existe pas de traitements efficaces et économiquement supportables.
D’après [2].