Télémédecine vétérinaire - Pratique Vétérinaire Equine n° 200 du 01/10/2018
Pratique Vétérinaire Equine n° 200 du 01/10/2018

Fiche - Santé numérique

Dossier

Le cheval connecté

Auteur(s) : Francis Desbrosse

Fonctions : 18bis, rue des Champs
78470 Saint-Lambert-des-Bois

La révolution numérique bouleverse profondément nos sociétés. Depuis 1990, Internet met en réseau planétaire des individus, par de nouvelles formes de communication (courriels, réseaux sociaux), ce qui permet une circulation des informations décentralisées et, par conséquence, sans frontière, dans le “nuage” (cloud), condensées en différents domaines (e-commerce, e-marketing, e-santé, etc.). L’avènement des smartphones depuis 2007, puis des objets connectés, et le développement de la couverture et du débit des réseaux permettent une connexion en tout temps, en tout lieu, les sphères privées et professionnelles estompant leurs contours. Aucun aspect des activités humaines, dont la santé, n’y échappe. L’intelligence artificielle renforce les capacités de collecte, de stockage et d’automatisation de l’interprétation des données. C’est le cas du programme “IBM Watson Health”.

Télémédecine humaine

La santé numérique comprend trois secteurs : les outils, les services commerciaux et les pratiques des professions réglementées en santé. La télésanté et la télémédecine sont deux branches de la santé numérique. Le domaine de la télésanté est vaste et mal défini, incluant notamment la télésanté informative et les services technico-commerciaux, alors que la télémédecine humaine est bien définie (figure 1) [11]. Cette dernière est une pratique médicale qui implique, à distance, toujours un médecin. Elle est par principe individualisée et réglementairement définie dans les textes. Une définition précise de la télémédecine est donnée et son cadre réglementaire est fixé [6, 10]. La télémédecine, qualifiée aussi de télémédecine clinique, comprend cinq sortes d’actes : la téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale et la réponse médicale qui est apportée dans le cadre de la régulation médicale [5, 6]. La télémédecine humaine est donc en lien avec la politique de santé des gouvernements. Il existe une agence française de la santé numérique, l’Agence des systèmes d’informations partagées de santé (ASIP Santé), et une société française de télémédecine (SFT-Antel). Si la France a été pionnière dans le domaine avec l’expérience en Midi-Pyrénées dès 1980, la télémédecine est peu sortie du domaine hospitalier. En 2018, une orientation vers les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est programmée.

Télémédecine vétérinaire, état des lieux

Dans le domaine vétérinaire, les choses sont un peu différentes, la santé numérique concerne la santé publique, les animaux (médecine et bien-être) et l’environnement. Les cinq types d’actes de la télémédecine humaine ont été transposés à la médecine vétérinaire dans l’Avis et rapport que l’Académie vétérinaire de France (AVF) a remis en novembre 2017 au ministre chargé de l’agriculture (encadré) [1]. La télémédecine vétérinaire reste trop peu documentée scientifiquement dans de nombreux pays et insuffisamment organisée ou encadrée en Europe, alors qu’elle est parfois utilisée de façon libre et sans consensus. C’est ce qui se dégage de l’enquête qui a été réalisée par l’AVF avec le concours de la Fédération vétérinaire européenne (FVE) [1]. Il existe cependant des plateformes structurées vétérinaires, pour l’essentiel de télé-expertise : WizzVet(1) en France, VEDIM(2) au Luxembourg, VetCT(3) au Royaume-Uni, ainsi que des rubriques “expert” sur différents sites de laboratoires pharmaceutiques. Aux États-Unis et au Canada, les choses sont codifiées et encadrées.

L’American Veterinary Medical Association (AVMA) a édité, le 17 juin 2017, un rapport très détaillé de 41 pages sur la télémédecine vétérinaire [3]. Ainsi, un vétérinaire ne peut pratiquer la télémédecine que dans le cadre du contrat de soins “veterinarian-client-patient relationship” (VCPR). Le Conseil du Collège des vétérinaires de l’Ontario (CVO), au Canada, a approuvé en mars 2017 l’utilisation de la télémédecine en Ontario. Il fonde sa décision sur le développement de la technologie, sur la faible densité de population du Canada et sur le bon sens du jugement des praticiens dans le respect du règlement du collège. Une norme de pratique professionnelle en dix points a été publiée en mai 2016, puis revue en mars 2017. Dès lors, la téléconsultation est autorisée dans la province de l’Ontario, seul le vétérinaire traitant est habilité à pratiquer cet acte, dans le cadre du contrat de soins VCPR, il peut le facturer, mais ne peut pas prescrire de médicaments.

Télémédecine vétérinaire, opportunités et risques

Dans son rapport du 9 novembre 2017, l’AVF mentionne des points, à son avis, positifs : accès aux spécialistes, permanence des soins et suivi, renforcement du maillage rural, diminution des déplacements, traçabilité et gestion des données et des actes, interventions pluridisciplinaires, téléassistance, innovation technologique des objets vétérinaires connectés, possibilité de consulter les dossiers médicaux, grâce, par exemple, aux smartphones, en tout lieu, et de transmettre de façon dématérialisée les documents d’information adaptés aux différentes situations (cela permettant d’obtenir en complément des informations utiles au diagnostic, un consentement éclairé, et de satisfaire ainsi aux exigences du contrat de soins), etc. (photo 1) [1]. Dans ce même rapport, des limites et des risques sont également identifiés : confusion entre faisabilité de la télémédecine et résultat souhaité qui est l’amélioration de la qualité des soins, défaut de confidentialité, déshumanisation, sollicitations de clients à toute heure, manque de fiabilité des objets connectés, dérives commerciales, confusion par les propriétaires entre les différents actes de télémédecine (téléconseil personnalisé versus téléconsultation versus télé-expertise), manque de rentabilité, incertitude juridique sur les responsabilités encourues, etc. (photo 2) [1, 7]. La maîtrise de la télémédecine a des conditions : savoir dans quels domaines elle est applicable, en connaître les procédures en confiant aux organisations professionnelles vétérinaires la rédaction de recommandations techniques pour le bon usage de la télémédecine vétérinaire, avoir accès aux algorithmes, contrôler les sites de l’e-médecine vétérinaire selon les recommandations de la Health On the Net (HON), bien utiliser les objets connectés, bien gérer les prescriptions dématérialisées, avoir une concertation avec des entreprises innovantes dans le domaine de la télémédecine vétérinaire (Vet-In-Tech), répartir les actes et les honoraires entre les différents intervenants, former les personnels auxiliaires de santé vétérinaire (ASV) à la télémédecine, etc. [8, 11, 12].

Cas de la pratique vétérinaire équine

Le praticien équin pratique quotidiennement la télémédecine, souvent sans le savoir. L’éloignement dû à la grande mobilité de stationnement du cheval et de l’exercice du vétérinaire, le développement de l’imagerie médicale et la continuité de soins sont des raisons pour lesquelles le praticien passe du temps sur son smartphone. Les limites entre les divers domaines de la télémédecine sont souvent floues aux yeux des propriétaires, voire du praticien lui-même, ce qui l’expose à des difficultés de responsabilité professionnelle, de confraternité et de présentation de notes d’honoraires. Il convient de distinguer deux domaines de la télémédecine vétérinaire :

- téléconsultation, régulation et téléconseil individualisé, disciplines qui sont à l’initiative du propriétaire de l’animal et ne permettent pas d’établir un diagnostic ni de rédiger une ordonnance (hormis le cas particulier du suivi sanitaire permanent d’élevage) ;

- télé-expertise, télésurveillance et téléassistance, disciplines qui sont à l’initiative du vétérinaire requérant ou dans le prolongement de sa consultation, donc par principe déjà encadrées par le contrat de soins (figure 2 et photo 3).

La télémédecine offrant de grandes opportunités, mais aussi une part d’inconnu, il convient d’apprendre à la maîtriser. Tout reste à faire et il est important que la profession s’organise, avant que d’autres s’en occupent [1, 9]. Les organisations professionnelles vétérinaires, telles l’Association vétérinaire équine française (Avef) et l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), et leur fournisseur Vet-In-Tech l’ont compris [2, 4, 12]. :

(1) www.wizzvet.com/fr

(2) www.vedim.net

(3) www.vet-ct.com

CONFLIT D’INTÉRÊTS : Membre de l’Académie vétérinaire de France.

ENCADRÉ : GLOSSAIRE

• La télémédecine vétérinaire est une forme de pratique médicale vétérinaire à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec l’animal ou le troupeau, un ou plusieurs acteurs, parmi lesquels figure nécessairement un vétérinaire.

• La téléconsultation vétérinaire a pour objet de permettre à un vétérinaire de donner une consultation à distance à un animal ou à des animaux.

• La télé-expertise vétérinaire a pour objet de permettre à un vétérinaire de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs vétérinaires en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge de l’animal ou des animaux.

• La télésurveillance médicale vétérinaire a pour objet de permettre à un vétérinaire d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un animal ou au suivi sanitaire d’une population, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ces derniers. L’enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le propriétaire ou l’éleveur lui-même ou tout organisme qu’il a autorisé à cette fin.

• La téléassistance médicale vétérinaire a pour objet de permettre à un vétérinaire d’assister à distance un autre vétérinaire au cours de la réalisation d’un acte.

• La régulation médicale vétérinaire consiste en des actes vétérinaires qui ont pour objet de fournir au demandeur, en situation présumée d’urgence, la réponse la mieux adaptée à l’animal ; elle doit être différenciée de la téléconsultation ; elle se décline en plusieurs prestations vétérinaires, dont la gestion des urgences et certains aspects du téléconseil vétérinaire personnalisé.

• Le téléconseil vétérinaire personnalisé, qu’il soit une forme de téléconsultation ou de télésurveillance ou qu’il fasse partie intégrante de la régulation médicale, n’a pas vocation à donner lieu à un diagnostic.

• Notion de contrat de soins (établie par la jurisprudence : Cour de cassation, 1936, arrêt Mercier ; transposition aux vétérinaires : arrêt du 24 janvier 1941 ; confirmation constante depuis cette date de la similitude des règles) :

Entre le propriétaire ou le détenteur de l’animal (demandeur de soins vétérinaires qui s’oblige à respecter les prescriptions et à régler des honoraires) et le vétérinaire s’établit, dans tous les cas, de façon tacite ou formalisée, un contrat civil par lequel le vétérinaire s’engage, dans le cadre du consentement libre et dûment éclairé sur tous les risques, à donner des soins, non pas quelconques mais consciencieux et attentifs et, réserves faites des circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science.

• L’acte vétérinaire est défini par l’article L 243-1, dans son paragraphe I, du Code rural et de la pêche maritime.

D’après [1].