CARDIOLOGIE
Cahier pratique
Fiche pratique
Auteur(s) : Violette LAMBERT*, Jade GASCO**, Jean-Luc CADORÉ***
Fonctions :
*VetAgro Sup Campus vétérinaire de Lyon, pôle équin Université de Lyon 69280 Marcy-l’Étoile
Avant d’étudier le tracé obtenu, il est essentiel d’en établir la qualité. L’interprétation peut ensuite être considérée comme fiable.
L’électrocardiographie (ECG) consiste en l’enregistrement de l’activité électrique cardiaque et sa retranscription sur un graphique par le tracé de différentes ondes. Le processus de conduction électrique dépend de fibres conductrices spécialisées, qui permettent une contraction coordonnée des muscles auriculaire et ventriculaire. Les cellules contractiles cardiaques, appelées également cardiomyocytes, sont capables de répondre à ces stimuli électriques via un changement de leur polarisation. L’impulsion électrique est formée dans le nœud sinusal qui régit le rythme cardiaque normal (rythme sinusal). Cette impulsion entraîne la contraction du muscle auriculaire : l’oreillette droite puis l’oreillette gauche sont dépolarisées. L’impulsion atteint ensuite le nœud auriculoventriculaire, puis le faisceau de His en suivant d’abord les branches principales gauche et droite jusqu’à atteindre le réseau de Purkinje qui se ramifie dans tout le myocarde. La dépolarisation des fibres de Purkinje active les cardiomyocytes adjacents présents dans les ventricules, ce qui entraîne leur dépolarisation et leur contraction coordonnées. L’activité électrique, associée à la dépolarisation et à la repolarisation des cellules myocardiques, produit un champ électrique capable d’être détecté au niveau de la surface corporelle par l’électrocardiogramme [3].
Chez le cheval, la réalisation d’un électrocardiogramme est indiquée en présence d’une altération du rythme cardiaque (anomalies des voies de conduction intracardiaques, modifications cardiaques liées à des déséquilibres électrolytiques, etc.) ou lors de malformations cardiaques congénitales ou de modifications anatomiques péricardiques et extracardiaques (épanchement péricardique ou pleural, tumeurs). Cet examen permet également un suivi de la fréquence et du rythme pendant une anesthésie générale. En outre, l’examen Holter consiste en l’enregistrement de l’activité électrique du cœur en continu sur une durée prolongée, généralement entre 12 et 24 heures [2]. L’ECG présente cependant certaines limites car il ne donne aucune information sur le fonctionnement mécanique du cœur.
L’électrocardiogramme est un examen complémentaire non invasif et simple à réaliser (vidéo). Une contention basique, en tenant le cheval par le licol, est souvent suffisante. Afin d’interpréter correctement le tracé obtenu, il est important que le cheval ne soit pas tranquillisé.
L’électrocardiographe est un petit appareil qui peut être tenu à une seule main et ne nécessite pas d’être branché s’il est suffisamment chargé. Il suffit de connecter quatre électrodes à l’aide de pinces crocodiles en argent-nickel ou de patchs collants. Pour un meilleur contact avec la surface cutanée du cheval, il est conseillé d’imbiber la peau d’alcool dans le cas des pinces crocodiles, ou de réaliser une tonte des zones concernées lors de l’emploi de patchs collants. L’électrocardiographe s’apparente à un voltmètre qui enregistre la variation de potentiels entre deux électrodes placées en différents points à la surface du corps. Le placement des électrodes est alors primordial afin d’obtenir des complexes d’amplitude suffisante pour être interprétables, mais aussi de minimiser les mouvements musculaires à l’origine d’artefacts. À l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus pour la pose des électrodes. Différents systèmes de dérivation ont été mis au point pour enregistrer le champ électrique du cœur. Parmi eux, le plus couramment utilisé en médecine équine est la méthode de Dubois qui consiste à respecter l’hypothèse d’Einthoven. D’après cette dernière, les électrodes doivent être disposées de façon à former un triangle équilatéral imaginaire au centre duquel se situe le cœur. Ce système possède trois dérivations bipolaires : D1, D2 et D3. Le triangle d’Einthoven est le standard pour étudier l’activité électrique du cœur sous des angles différents et calculer son axe électrique dans le plan frontal. Afin de réaliser cet enregistrement, il convient de placer l’électrode jaune au niveau du sillon jugulaire gauche légèrement au-dessus de l’épaule, l’électrode rouge à droite, symétrique à la jaune, l’électrode verte à gauche, caudalement à la pointe de l’olécrane, et l’électrode noire neutre à distance (photos 1a à 1d) [5].
Avant d’étudier le tracé obtenu, il est important d’évaluer sa qualité afin de savoir s’il est interprétable. Le tracé est analysé sur deux axes : celui des abscisses représente la vitesse à laquelle se propage l’onde électrique et celui des ordonnées correspond à l’amplitude de cette onde. Il est important d’effectuer un étalonnage de la vitesse de déroulement du papier et du voltage car un mauvais réglage de ces paramètres peut conduire à une fausse interprétation de l’ECG. Il est recommandé de régler la vitesse de déroulement du papier à 25 mm/s (sauf en cas de tachycardie où il peut être utile de passer à 50 mm/s) et le voltage à 10 mm/mV. Si la vitesse est réglée à 50 mm/s, les tracés seront élargis, ce qui fausse toute l’analyse : la fréquence cardiaque, deux fois plus lente, sera interprétée comme une bradycardie, l’espace P-R, prolongé, fera suspecter un bloc atrioventriculaire, et l’espace QRS, plus large, conduira à envisager un trouble de la conduction ventriculaire. De la même manière, un voltage à 5 mm/mV divise l’amplitude des ondes par deux, ce qui peut mener à un diagnostic erroné d’épanchement péricardique. En effet, la quantité de liquide présente dans la cavité péricardique crée un hypovoltage qui réduit la taille de l’onde P et du complexe QRS.
Lors de la lecture de l’ECG, plusieurs tracés sont observés. Il s’agit des dérivations, qui sont obtenues par la variation de potentiel entre deux électrodes (négative vers positive). Chacune d’elles permet d’évaluer le cœur sous différents angles. Les principales sont D1, D2 et D3. Le tracé le plus utilisé pour l’interprétation de l’ECG est la dérivation D2. Il est donc important de vérifier que les électrodes ne sont pas inversées [7].
L’onde P, qui correspond à l’activité électrique des atriums, est la première observée (figure 1). Elle résulte de la dépolarisation des cardiomyocytes de l’atrium droit puis gauche. Chez les chevaux de grande taille, cette onde peut être biphasique, c’est-à-dire présenter deux pics. La repolarisation atriale n’est pas visible sur le tracé car elle intervient en même temps que la dépolarisation des ventricules, traduite par le complexe QRS. Il est uniquement possible de visualiser cette repolarisation lors de tachycardie ou d’absence de complexe QRS, sous la forme d’une onde “Ta”. Lorsque le nœud atrioventriculaire est dépolarisé, comme seul un petit nombre de cellules est affecté, aucun tracé n’est observé sur l’ECG. Le segment PR, qui commence au début de l’onde P et se termine au début de Q, correspond au moment où le sang pénètre dans les ventricules. Toutes les cellules sont alors dépolarisées et la ligne doit être isoélectrique. L’intervalle P-R, qui commence au début de P et se termine au début de Q, correspond en revanche au temps nécessaire à l’influx électrique pour traverser le nœud atrioventriculaire. Lorsqu’il existe une altération à cette conduction électrique, l’intervalle est allongé et il s’agit alors d’un bloc. Le complexe QRS correspond à la dépolarisation du ventricule et se divise en trois phases :
- l’onde Q est par convention la première onde négative après l’onde P. De faible amplitude, elle résulte de la dépolarisation septale ;
- l’onde R, de grande amplitude et positive, résulte de la dépolarisation apicale et du tiers moyen du septum ;
- l’onde S, de faible amplitude et souvent négative, résulte de la dépolarisation du tiers basal du septum.
La repolarisation du ventricule se divise en deux phases, une lente traduite par le segment S-T et une rapide qui correspond à l’onde T [8].
Un électrocardiogramme doit être évalué de manière méthodique et systématique. Les différents segments sont ainsi à comparer aux valeurs de référence puisque les chevaux de petite taille ont un rythme cardiaque plus rapide avec des intervalles plus courts [7].
Il existe plusieurs méthodes, parmi lesquelles il est possible d’obtenir la fréquence cardiaque en calculant le nombre de dépolarisations sur 15 cm multiplié par dix ou en divisant 300 par le nombre de grands carreaux entre deux complexes QRS. La fréquence cardiaque normale varie entre 28 et 44 battements par minute [7].
Pour savoir si le rythme cardiaque de base est sinusal, il est important de vérifier que les différentes ondes obtenues sur le tracé répondent aux critères suivants :
- une onde P de durée et de morphologie normales ;
- un intervalle P-R de durée normale et constante ;
- chaque onde P doit être suivie d’un complexe QRS et chaque complexe QRS doit être précédé d’une onde P ;
- le complexe QRS doit avoir une morphologie normale (tableau 2 et photo 2) [7].
Le rythme est régulier si l’intervalle R-R est constant sur au moins trois espaces R-R. Dans le cas contraire, le rythme est qualifié d’irrégulier, et peut alors être régulièrement irrégulier (le motif se répète) ou irrégulièrement irrégulier [11].
Il est important de reconnaître les artefacts afin de ne pas les interpréter faussement comme des anomalies du tracé. Les plus communs sont dus aux mouvements du cheval, des câbles ou des pinces. Les tremblements musculaires provoquent des ondulations fines de la ligne de base, il est alors important de vérifier que les segments P-R et S-T sont bien représentés par des lignes isoélectriques (plates) [3].
Chez le cheval, les troubles du rythme sinusal sont fréquents en raison d’un tonus parasympathique (vagal) important. Si le tonus vagal élevé est aboli par l’augmentation de la fréquence cardiaque induite par une excitation ou l’exercice, le rythme sinusal normal reviendra, ce qui permet de déterminer si une arythmie est physiologique ou pathologique [11].
Le bloc atrioventriculaire du premier degré est dû à un retard de conduction de l’impulsion sinusale à travers le nœud auriculoventriculaire qui entraîne un allongement de l’intervalle P-R (durée supérieure à 0,5 seconde) à l’ECG. Généralement, il est provoqué par un tonus vagal élevé, mais il peut être généré par des médicaments tels que la xylazine, la détomidine et la digoxine [11].
Arythmie la plus courante chez le cheval, le bloc atrioventriculaire du second degré peut concerner jusqu’à 30 % des animaux en bonne santé au repos. Il est souvent “régulièrement irrégulier”, c’est-à-dire que les battements bloqués se produisent à intervalles réguliers. L’ECG montre une onde P qui n’est pas suivie d’un complexe QRS (photo 3). Il existe deux types de bloc : le Mobitz de type 1 est caractérisé par une variation de l’intervalle P-R avec souvent un allongement progressif avant qu’une impulsion ne soit bloquée, alors que dans le Mobitz de type 2 l’intervalle P-R est fixe [11].
Une arythmie sinusale est une variation périodique de la fréquence cardiaque associée à des changements du tonus vagal, peu fréquente chez les chevaux au repos dont le tonus vagal est élevé et éventuellement liée à la respiration. Elle se produit généralement pendant la période de récupération qui suit l’exercice léger. L’ECG montre des changements cycliques de l’intervalle R-R avec des complexes QRS normaux, mais la configuration des ondes P varie souvent en raison de changements dans le site d’origine de l’impulsion au sein du nœud sinusal ou dans sa propagation à travers les oreillettes (un pacemaker “baladeur”) [11].
Le bloc sinusal est caractérisé par un rythme cardiaque lent avec des pauses inférieures, égales ou supérieures à deux intervalles R-R normaux, pendant lesquelles aucune onde P n’est visible à l’ECG [11].
Les troubles du rythme peuvent être classés selon différents critères :
- la fréquence cardiaque : les tachy-dysthymies, en général dues à des maladies cardiaques graves, sont associées ou non à des signes d’insuffisance cardiaque congestive (ICC), alors que les brady-dysrythmies peuvent être à l’origine de faiblesses ou de syncopes en raison d’une baisse du débit cardiaque mais ne provoquent que rarement des signes d’ICC ;
- l’origine : supraventriculaire (nœud sinusal, atrium ou nœud atrioventriculaire) ou ventriculaire ;
- le moment d’apparition : troubles prématurés (se produisent avant le moment normal de l’onde P ou du complexe QRS) ou complexe d’échappement ventriculaire (complexe QRS issu d’un pacemaker physiologique qui survient en cas de ralentissement ou de blocage transitoire des influx en amont de ce pacemaker).
Les dysrythmies n’entraînent pas forcément de signes cliniques selon leur gravité et n’impliquent pas systématiquement une restriction de l’activité du cheval [1, 11].
Les complexes prématurés supraventriculaires, relativement fréquents, sont dus à la formation anormale d’impulsions dans le myocarde auriculaire. L’ECG est caractérisé par une onde P prématurée, l’onde P’, qui possède une morphologie généralement distincte de celle de l’onde P sinusale, et un changement au niveau des intervalles P-R et R-R [10].
Quatre complexes prématurés supraventriculaires consécutifs ou plus constituent une tachycardie supraventriculaire. Le rythme est régulier et la fréquence comprise entre 120 et 220 battements par minute. L’ECG montre des complexes QRS normaux, avec des intervalles R-R réguliers, mais l’onde P peut avoir une configuration différente. Souvent, elle se perd dans l’onde T qui la précède et ne peut être identifiée (photo 4) [10].
Dysrythmie la plus fréquente, la fibrillation atriale provoque principalement une intolérance à l’effort et une baisse de performance. À l’ECG, les ondes P sont absentes dans toutes les dérivations, en raison de l’absence d’activité auriculaire, et elles sont remplacées par des ondes F (fibrillation, photo 5). L’intervalle R-R est irrégulier [9].
Les complexes prématurés ventriculaires sont causés par des impulsions anormales provenant du myocarde ventriculaire. L’ECG montre un complexe QRS morphologiquement différent mais de durée normale. L’onde T est élargie, plus grande et d’une polarité opposée au complexe QRS. Le complexe prématuré ventriculaire est presque toujours suivi d’une pause compensatoire complète. Le battement sinusal qui survient quelques instants après ce complexe n’est pas effectué parce que les ventricules sont réfractaires, mais le battement sinusal suivant est effectué de la manière habituelle. Cela signifie que le court intervalle diastolique qui indique un battement prématuré est suivi d’un intervalle diastolique plus long, avec un intervalle R’-R supérieur à l’intervalle R-R normal [10].
La tachycardie ventriculaire, caractérisée par un rythme régulier et une fréquence supérieure à 60 battements par minute, est définie comme une succession de quatre complexes prématurés ventriculaires ou plus (photo 6). Son existence indique presque toujours la présence d’une maladie sous-jacente grave [9].
La fibrillation ventriculaire est associée à un événement terminal au cours duquel aucune dépolarisation ni contraction ventriculaire n’est organisée. L’ECG montre alors des ondulations de base sans complexe QRS, ni onde P ou T [10].
Aucun