NEUROLOGIE
Diagnostic
Auteur(s) : Estelle MANGUIN*, Ludovic TANQUEREL**
Fonctions :
*Centre hospitalier universitaire vétérinaire des équidés, École nationale vétérinaire d’Alfort 7 avenue du Général de Gaulle 94700 Maisons-Alfort
Lors d’encensement chez un cheval, une démarche diagnostique rigoureuse permet de distinguer une affection à médiation trigéminale d’une autre consécutive à une origine structurelle.
L’encensement, également appelé headshaking, peut être consécutif à de nombreuses affections. Il est la conséquence d’une cause structurelle bien définie ou, le plus souvent, est associé à un déficit fonctionnel du nerf trijumeau. La démarche diagnostique face à un encensement chez le cheval nécessite donc la mise en œuvre de plusieurs examens complémentaires, afin d’aboutir soit à un diagnostic définitif dans le cadre d’un encensement structurel, soit à un diagnostic d’exclusion face à un encensement à médiation trigéminale.
Cet article, qui vise à aiguiller le praticien pour la prise en charge de chevaux atteints d’encensement, propose une démarche rigoureuse et met en lumière les points clés de plusieurs examens complémentaires, notamment du scanner de la tête et des anesthésies locales des branches du nerf trijumeau.
Il existe deux principaux types d’encensement à distinguer (1) : l’encensement à médiation trigéminale (anciennement appelé idiopathique), associé à l’atteinte fonctionnelle du nerf trijumeau et qui inclut une forme particulière d’encensement photosensible déclenché par la luminosité, et l’encensement structurel, consécutif à une affection primaire, qui induit des modifications visibles au niveau des tissus. L’encensement à médiation trigéminale est le plus souvent rencontré, mais son diagnostic nécessite une démarche d’exclusion pour écarter une cause structurelle ou demande la mise en œuvre d’examens poussés de neurophysiologie qui restent, à l’heure actuelle, quasi exclusivement utilisés en recherche. L’encensement structurel est moins fréquent. Dans une publication ancienne, seuls 11 % des cas (11 sur 100) étaient de nature structurelle, tandis que des études plus récentes ayant eu recours à un scanner de la tête rapportent 6 à 21 % de cas d’encensement structurel [6, 8, 10, 17]. Ce type d’encensement peut être secondaire à de nombreuses affections touchant essentiellement la tête et les vertèbres cervicales, comme des anomalies dentaires, oculaires, des voies respiratoires supérieures ou du système myo-arthro-squelettique (tableau) [14, 16, 17]. Des signes d’encensement qui ne sont observés qu’à l’exercice peuvent aussi survenir avec un harnachement ou une selle mal adaptés, être générés par l’inaptitude du cavalier ou être associés à des troubles comportementaux du cheval [4].
Même si l’encensement à médiation trigéminale est la forme prédominante, la prise en charge d’un cheval présentant des signes caractéristiques de la maladie nécessite de mettre en œuvre des examens complémentaires afin de diagnostiquer ou d’exclure une cause structurelle. En effet, le traitement spécifique d’une cause primaire à l’origine d’un encensement structurel peut aboutir à une complète résolution des signes cliniques, tandis que la réponse au traitement d’un encensement à médiation trigéminale reste plus aléatoire (2).
Face à une suspicion d’encensement, le vétérinaire doit commencer par recueillir une anamnèse complète et détaillée, visant notamment à spécifier la nature des signes cliniques et les potentiels facteurs déclenchants (encadré 1). Par exemple, des symptômes qui se déclenchent au moment de la prise alimentaire sont vraisemblablement reliés à une affection dentaire, tandis qu’un encensement photosensible est plutôt suspecté lorsque le temps est très ensoleillé (encadré 2) [6]. Avant d’effectuer un examen clinique complet, il est aussi primordial de bien observer le cheval à distance (par exemple en liberté au paddock ou au box) et de manière rapprochée pour constater les manifestations d’encensement (1). Si les signes cliniques surviennent à l’exercice, il est judicieux de demander que le cheval soit harnaché et monté dans les conditions produisant généralement l’encensement, à condition que le cavalier ne soit pas mis en danger. Dans le cas où l’encensement ne se manifeste qu’occasionnellement dans certaines conditions, il peut être utile de prendre le temps de visionner les vidéos prises en amont de la consultation [19].
L’examen clinique doit comporter un examen physique complet, un examen locomoteur statique et dynamique, un examen neurologique et un examen ophtalmologique. Ces observations de base peuvent ainsi potentiellement orienter vers une cause structurelle de nature myo-arthro-squelettique ou oculaire notamment, par exemple par la mise en évidence d’un kyste irien (photo 1) [19]. Il est également important de porter attention aux plaies cutanées superficielles au niveau de la tête, qui constituent le plus souvent des séquelles des manifestations de l’encensement. Selon la localisation, des lésions traumatiques peuvent aussi être la cause primaire d’un encensement structurel, comme dans un rapport de cas récent décrivant un traumatisme en regard du nerf infra-orbitaire chez un cheval et en regard du nerf mental chez un autre [16].
La suite de la prise en charge vise soit à mettre en évidence une cause structurelle, soit à établir un diagnostic d’exclusion d’encensement à médiation trigéminale. Les examens complémentaires recommandés comprennent a minima des analyses sanguines (hématologie et biochimie) pour rechercher notamment la présence d’un foyer inflammatoire, un examen dentaire rigoureux avec au besoin le recours à une boroscopie pour mieux évaluer les anomalies buccales, une otoscopie pour investiguer l’existence d’une otite ou de corps étrangers, une endoscopie des voies respiratoires supérieures incluant les poches gutturales, ainsi que des radiographies de la tête, des cervicales, voire de la colonne thoraco-lombaire (photos 2 à 4) [19]. Le scanner de la tête constitue un examen de choix très sensible et est désormais préconisé pour l’investigation de l’encensement afin de diagnostiquer ou d’exclure une cause structurelle (photos 5a et 5b) [8]. Le recours à d’autres examens d’imagerie est également rapporté dans certaines études, comme l’échographie des cervicales, la scintigraphie ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM) de la tête [8]. Ces deux derniers examens requièrent en revanche une disponibilité du matériel, une sédation lourde ou une anesthésie générale, et se révèlent plus onéreux et chronophages. Pour établir un diagnostic d’encensement à médiation trigéminale, des anesthésies locales de branches du nerf trijumeau peuvent être réalisées, de même que, essentiellement dans le cadre de la recherche, des analyses de conduction nerveuse [2, 14].
Le scanner de la tête, bien que seulement disponible dans certains centres et plus onéreux, offre de meilleures sensibilité et spécificité que la radiographie pour la détection d’anomalies dentaires, sinusales, ostéo-articulaires ou des tissus mous [13]. Certaines structures ont également la possibilité d’effectuer cet examen debout sous sédation, s’affranchissant ainsi du risque lié à l’anesthésie générale. Dans le cadre plus spécifique de l’investigation de l’encensement structurel, le scanner a aussi prouvé son utilité en permettant la détection d’anomalies significatives dans 90 % des cas (9 sur 10) chez 152 chevaux atteints d’encensement structurel [8]. Dans cette même étude, 56 % des anomalies détectées au scanner n’étaient pas visibles sur les clichés radiographiques. Deux autres études récentes mettent aussi en valeur l’emploi du scanner, cet examen ayant permis de révéler des causes structurelles significatives non visibles via la radiographie et répondant au traitement spécifique de la cause sous-jacente chez 4 des 101 cas (3 affections dentaires et 1 traumatisme de l’occiput, 1 cas sans suivi de la réponse au traitement) dans l’étude de Fairburn, et chez au minimum 22 chevaux sur 103 (dont 14 cas avec des anomalies du canal infra-orbitaire) dans celle de Perrier [6, 17]. Ces deux publications montrent encore une fois que les causes structurelles d’encensement sont beaucoup plus rares que celles à l’origine de l’encensement à médiation trigéminale. D’autres travaux ont analysé les anomalies du canal infra-orbitaire détectables au scanner de la tête. Dans une première étude incluant 218 chevaux, dont 9 % atteints d’encensement, les changements du canal infra-orbitaire étaient le plus souvent liés à des affections adjacentes. Plus particulièrement, une augmentation de la minéralisation ou une perte de continuité du canal étaient associées à l’encensement, alors que l’étude récente de Labbe montre que les modifications du canal infra-orbitaire sont communes lors de sinusite (65 sur 66 cas) mais ne prédisent pas l’apparition d’un encensement [5, 9].
La technique d’otoscopie chez le cheval debout et sédaté est bien décrite, avec un otoscope d’un diamètre de 7 mm ou un endoscope flexible de 7 à 9 mm [3, 21]. L’usage de l’endoscope flexible, plus long, permet une meilleure visualisation des différentes structures de l’oreille, du canal externe jusqu’à la membrane tympanique. Une autre étude rapporte également le recours à une anesthésie locale des nerfs auriculaires (grand et interne) pour améliorer la tolérance de l’examen [22]. La présence d’un corps étranger (copeau de bois) a été mise en évidence dans le canal externe d’un cheval présenté pour un encensement [3]. Une vue radiographique tangentielle de la tête est aussi un examen réalisé pour mieux dévoiler l’articulation temporo-mandibulaire et objectiver ainsi les signes d’une potentielle arthrose (photo 6) [24]. Cette technique permet d’obtenir une vue caudo-dorsale à rostro-ventrale, en utilisant un angle de 15° par rapport au plan transverse et de 70° par rapport au plan dorsal.
Deux sites d’anesthésie des branches du nerf trijumeau sont principalement utilisés : celui du nerf infra-orbitaire au niveau du foramen infra-orbitaire et celui du nerf maxillaire sous l’arc zygomatique, anciennement appelé nerf ethmoïdal postérieur [2, 8, 12, 14, 20]. En pratique, l’anesthésie du nerf maxillaire est à préférer à celle du nerf infra-orbitaire, jugée peu efficace et plus à risque de complications telles qu’un hématome, une névrite, une infection locale ou une détérioration des signes d’encensement. En effet, dans l’étude de Mair, seuls 3 chevaux sur les 19 suspectés d’encensement à médiation trigéminale ont répondu positivement à l’anesthésie du nerf infra-orbitaire, tandis que l’étude de Newton rapporte seulement une réponse partielle à l’anesthésie dans 1 cas sur 8 [12, 14]. À l’inverse, la majorité des chevaux suspectés d’encensement à médiation trigéminale ont répondu positivement à l’anesthésie du nerf maxillaire : 13 sur 17 dans l’étude de Newton et 23 sur 27 dans celle de Roberts [14, 20].
Le recours à l’anesthésie locale comporte toutefois certains biais. L’observation des signes cliniques peut en effet être subjective. Il est ainsi recommandé de prendre des vidéos avant et après l’anesthésie locale et de recourir à des scores de manifestations cliniques (1) afin de mieux juger de la réponse positive ou non à l’anesthésie. Néanmoins, cet acte se révèle peu utile chez des chevaux dont l’encensement n’est pas observé le jour de la prise en charge ou dans les cas où les signes sont déclenchés par des conditions particulières. Enfin, des faux négatifs sont possibles, puisqu’un mauvais placement de l’aiguille, notamment par des manipulateurs moins expérimentés, limite l’efficacité du produit anesthésique injecté [26]. Une réponse négative à l’anesthésie locale du nerf maxillaire ne permet donc pas d’écarter un encensement à médiation trigéminale, comme rapporté dans une étude de l’équipe d’Aleman dans laquelle 1 cas était resté sans réponse à l’anesthésie locale alors qu’un diagnostic de certitude avait été établi par des tests de neurophysiologie [1]. Afin de limiter les erreurs de placement de l’aiguille lors de l’anesthésie du nerf maxillaire et les complications, des techniques échoguidées d’injection sont décrites (encadré 3 et photos 7a à 7c) [15]. Le Doppler couleur peut notamment aider à éviter les structures vasculaires telles que la veine faciale profonde et les artères infra-orbitaire et palatine descendante.
Relevant majoritairement du domaine de la recherche, les tests de neurophysiologie offrent l’avantage de vérifier directement la fonction du nerf trijumeau. Néanmoins, ils nécessitent un matériel et des connaissances spécifiques [2, 18]. L’équipe d’Aleman, en 2013, a d’ailleurs permis de mieux comprendre la physiopathologie de l’encensement à médiation trigéminale, en mettant en œuvre des analyses de conduction nerveuse par les potentiels évoqués somatosensoriels du nerf infra-orbitaire chez des chevaux sous anesthésie générale (1). L’étude révèle ainsi que les chevaux atteints d’encensement, chez lesquels les causes structurelles sont au préalable écartées, détiennent un seuil d’activation du nerf trijumeau plus bas que les animaux sains ou que ceux atteints de la maladie en phase de rémission [2]. L’étude de Pickles, qui a utilisé une méthode semblable, suggère également qu’il existe une hyperexcitabilité du nerf trijumeau chez les chevaux atteints d’encensement [18].
D’autres techniques employées en médecine humaine mettent en jeu des tests sensoriels quantitatifs, visant à quantifier de manière non invasive l’intensité de stimuli physiques nécessaires pour générer une perception sensorielle au niveau de la face. Une étude récente, menée exclusivement chez des chevaux sains, a obtenu des résultats prometteurs en mettant en œuvre des stimuli sensitifs tactiles au niveau des naseaux, des stimuli nociceptifs mécaniques dans la région de l’articulation temporo-mandibulaire et des stimuli nociceptifs thermiques en regard du foramen supra-orbitaire. Même si l’observation des réactions des chevaux aux différents stimuli reste subjective, cette technique a produit des résultats fiables chez des animaux non sédatés et non tondus, et a permis d’établir des seuils de référence. Il est ainsi apparu que les chevaux plus âgés nécessitent de plus fortes stimulations [25].
Si les signes cliniques de l’encensement sont caractéristiques et aisés à reconnaître, il reste nécessaire de mener une démarche diagnostique complète, afin de bien différencier un encensement à médiation trigéminale d’un encensement consécutif à une cause structurelle.
(1) Voir l’article « L’encensement chez le cheval : signes cliniques, prévalence, physiopathologie » dans ce dossier.
(2) Voir l’article « L’encensement du cheval à médiation trigéminale : prise en charge et pronostic » dans ce dossier.
Aucun
• Signalement.
• Âge au début de l’apparition des signes cliniques.
• Type de mouvements de tête (vertical, horizontal, rotatoire).
• Fréquence des signes cliniques (par minute, heure, jour, semaine).
• Saisonnalité : oui ou non, si oui mois de début et mois de fin.
• Association à l’exercice : oui ou non, si oui sous la selle, en longe, en liberté.
• Autres circonstances d’apparition des signes cliniques : pendant l’alimentation, à la suite d’un bruit, par temps ensoleillé ou venteux, de jour ou de nuit, etc.
• Affections concomitantes ou signes cliniques suggérant une autre maladie.
• Traitements antérieurs et réponse clinique associée.
D’après [19].
Les éléments clés qui peuvent faire suspecter un encensement photosensible sont :
• le déclenchement des signes cliniques par temps ensoleillé et durant la saison estivale ;
• la diminution des signes cliniques lorsque la lumière est réduite (yeux bandés, observation la nuit) ;
• la réponse thérapeutique avec l’emploi d’un masque anti-UV ou muni de lentilles teintées.
D’après [11].
1. Sédation de l’animal.
2. Préparation aseptique d’une zone d’environ 4 x 4 cm sous l’arc zygomatique.
3. Anesthésie locale du site d’injection par l’administration sous-cutanée d’environ 5 ml de lidocaïne, au niveau du bord ventral du processus zygomatique de l’os temporal au point le plus proche de l’arc zygomatique.
4. Insertion d’une aiguille spinale (19 gauges, 7 à 9 cm) : orientation rostro-médiale en direction de la sixième dent maxillaire controlatérale jusqu’à l’insertion complète de l’aiguille, ou jusqu’à buter contre une surface osseuse. Possibilité d’insérer l’aiguille spinale sous guidage échographique.
5. Retrait du stylet et injection de 4 à 5 ml de mépivacaïne après aspiration.
6. Réinsertion du stylet et retrait de l’aiguille spinale.
7. Répétition de l’opération de l’autre côté.
8. Observation des signes cliniques d’encensement 30 à 60 minutes après.