Un cas d’intussusception cæco-colique chez une ponette de 29 ans - Pratique Vétérinaire Equine n° 219 du 01/10/2023
Pratique Vétérinaire Equine n° 219 du 01/10/2023

CAS CLINIQUE - GASTRO-ENTÉROLOGIE

Cahier scientifique

Intussusception cæco-colique

Auteur(s) : Emeline JORDAN*, Claire DE FOURMESTRAUX**

Fonctions :
*Centre international de santé du cheval d’Oniris (Cisco) Oniris, site de La Chantrerie 101 route de Gachet 44300 Nantes

Le diagnostic est établi à l’aide de la palpation transrectale et surtout de l’échographie abdominale. Comme dans ce cas, le traitement recommandé est chirurgical.

Les intussusceptions cæcales sont des affections rares chez le cheval qui ne représentent que 2 % des affections abdominales. Elles apparaissent le plus souvent chez les jeunes chevaux. Leur étiologie n’est pas connue, seuls des facteurs de risque sont identifiés. Ce cas concerne une ponette âgée présentant une intussusception cæco-colique traitée chirurgicalement par une typhlectomie.

PRÉSENTATION DU CAS

Commémoratifs

Une ponette welsh, âgée de 29 ans, est présentée à la clinique pour un épisode de coliques qui évolue depuis 4 heures et est caractérisé par une apathie, une perte d’équilibre et un décubitus prolongé. Son programme de vermifugation est connu : elle a reçu de la moxidectine à l’automne et est vermifugée quatre fois par an, avec une alternance de molécules simples et d’associations afin de traiter également les infestations par les ténias.

Examen à l’admission

La ponette est très abattue et présente de nombreuses escarres. Ses muqueuses sont roses et sèches. L’examen général met en évidence une tachycardie à 92 battements par minute (bpm), des bruits digestifs fortement diminués dans les quadrants abdominaux inférieurs et absents dans les quadrants abdominaux supérieurs. La palpation transrectale ainsi que le sondage nasogastrique ne révèlent pas d’anomalie. Un électrocardiogramme confirme l’existence d’une tachycardie auriculaire sinusale. Les analyses hématologiques et biochimiques relèvent une neutrophilie discrète, une hypoalbuminémie, une augmentation de la créatinine kinase, une hyperlactatémie modérée ainsi qu’une hypertriglycéridémie (tableau). L’échographie abdominale, réalisée au niveau du flanc droit, montre un œdème sévère de la paroi du côlon ventral et dorsal gauche épaissie à 2,62 cm, ainsi que l’image “en cible” d’une invagination de paroi au niveau de la jonction cæcocolique (photo 1). La paracentèse réalisée ensuite permet de récolter un liquide à l’aspect séro-hémorragique, trouble et visqueux, dont l’analyse met en évidence une hyperlactatémie (4,8 mmol/l, valeurs usuelles inférieures à 1 mmol/l) et une augmentation marquée de la cellularité (130 160 cellules nucléées par millilitre, valeurs usuelles inférieures à 2 500 cellules/ml).

Hypothèses diagnostiques

À la suite des examens réalisés, les hypothèses diagnostiques incluent une intussusception cæco-colique et une intussusception cæco-caecale. Une intervention chirurgicale abdominale est conseillée et acceptée par les propriétaires.

Prise en charge chirurgicale

Avant l’intervention, la ponette reçoit une antibiothérapie à large spectre à base de benzylpénicilline (à la dose de 22 000 UI/kg par voie intramusculaire) et de gentamicine (à raison de 6,6 mg/kg par voie intraveineuse). Elle reçoit également 1,1 mg/kg de flunixine méglumine par voie intraveineuse. La ponette est sédatée à l’aide de romifidine (à la posologie de 0,08 mg/kg), puis une induction de la narcose est obtenue avec 2,2 mg/kg de kétamine et 0,05 mg/kg de diazépam par voie intraveineuse. Une fois sous anesthésie générale gazeuse d’isoflurane, la ponette est placée en décubitus dorsal, et l’abdomen est tondu largement et préparé chirurgicalement.

Une incision médiane d’environ 25 cm est effectuée sur la ligne blanche. L’exploration de la cavité abdominale ne permet pas d’identifier le cæcum. Une intussusception cæco-colique, intéressant la totalité du cæcum, est mise en évidence (photo 2a). Une réduction manuelle de l’intussusception par un taxis externe est réalisée, permettant l’extériorisation de la totalité du cæcum (photo 2b). Ce dernier apparaît sévèrement œdématié et hyperhémié (photo 2c). Une absence de vascularisation des trois quarts du cæcum est constatée, motivant la résection de celui-ci. Une ligature des artères et des veines cæcales médiales et latérales est pratiquée. Par la suite, des pinces de Doyen sont mises en place sur le cæcum, un champ stérile est appliqué afin de l’isoler de la cavité abdominale et une résection des trois quarts de l’organe est pratiquée. La muqueuse et la sous-muqueuse cæcales sont suturées à l’aide d’un fil en polyglactine 910 (Vicryl décimale 2-0), puis un surjet de Cushing invaginant au niveau de la séro-musculeuse est réalisé au polydioxanone (PDS décimale 0). Une fois la suture du cæcum terminée, celui-ci est replacé en position physiologique.

L’exploration du reste de la cavité abdominale ne met en évidence aucune autre anomalie. Les viscères abdominaux sont ensuite replacés en position physiologique, et la cavité abdominale est refermée par un surjet de la ligne blanche à l’aide d’un fil d’acide polyglycolique (Safil décimale 5), un surjet du plan sous-cutané au polyglécaprone 25 (Monocryl décimale 2-0) et une suture cutanée avec des agrafes. Un bandage abdominal stérile est mis en place avant le retour de la ponette dans son box.

Suivi postopératoire

À la suite de l’intervention, la ponette est placée sous perfusion continue de Ringer lactate (au débit de 1 litre par heure) et de lidocaïne (à raison de 0,05 mg/kg par minute), ainsi que sous perfusion de glucose (à la dose de 2 mg/kg par minute) en raison de l’hypertriglycéridémie détectée à l’admission. Elle reçoit également 6 litres de plasma, prélevé chez une jument donneuse, compte tenu de l’hypoalbuminémie constatée. Le lendemain, la ponette présente un épisode de coliques caractérisé par la présence d’un reflux et d’une impaction d’estomac. Une échographie abdominale de contrôle met en évidence une diminution de l’œdème de la paroi du côlon. Deux jours après l’intervention, aucun reflux n’est observé, la ponette est soulagée et peut être réalimentée.

Les perfusions de glucose sont arrêtées au cinquième jour postopératoire et les perfusions de Ringer lactate au sixième jour. Cependant, un appétit capricieux motive un nouveau dosage des triglycérides, qui sont augmentés à 4,7 g/l. Un buffet alimentaire est mis en place afin de stimuler la prise alimentaire chez la ponette, et un examen dentaire est également pratiqué. La buccoscopie montre l’absence des dents 103, 306, 408 et 409, ainsi que la présence de nombreuses caries et diastèmes. Un nivellement de la table dentaire est effectué. Dix jours après l’intervention, l’appétit de la ponette s’est normalisé, et les triglycérides sont revenus à un taux physiologique de 0,8 g/l, ce qui autorise sa sortie d’hospitalisation le lendemain.

DISCUSSION

Épidémiologie, étiologie et pathogénie

Les intussusceptions cæco-cæcales ou cæco-coliques se produisent lorsqu’un segment d’intestin (dans ce cas l’apex du cæcum) s’invagine dans le corps ou la base du cæcum (intussusception cæco-cæcale) ou dans le côlon ventral droit (intussusception cæcocolique). Ces intussusceptions représentent entre 1 et 2 % des affections abdominales selon les publications. En 1992, une étude sur 1 000 chevaux admis pour des coliques a montré une prévalence de 26,7 % pour les intussusceptions cæco-cæcales et de 14,3 % pour les cæco-coliques parmi les cas présentant une obstruction cæcale (56, soit 5,6 % du total). Les jeunes âgés de moins de 3 ans sont le plus souvent atteints. Cependant, les chevaux de tout âge peuvent être affectés. Le pronostic vital à long terme est de 65 à 75 % lors d’intussusception cæco-cæcale versus 44 à 49 % en cas d’intussusception cæco-colique [2, 3, 6, 7].

L’étiologie des intussusceptions du cæcum n’est pas connue, mais plusieurs facteurs de risque sont associés à leur apparition, notamment les changements d’alimentation, la salmonellose, les infestations parasitaires à Anoplocephala perfoliata, les cyathostomoses larvaires ou l’administration de médicaments parasympathicomimétiques [2-4, 6, 7].

Diagnostic

Les signes cliniques peuvent être aigus, subaigus ou chroniques, ce qui rend le diagnostic d’intussusception complexe. Il peut être établi à l’aide de la palpation transrectale et de l’échographie abdominale.

Palpation transrectale

La palpation d’une structure semblable à une masse et d’une paroi intestinale œdématiée dans le cadran dorsal droit de l’abdomen est évocatrice. Cependant, dans le cas d’une intussusception cæco-colique, cet examen peut présenter comme seule anomalie l’absence de palpation du cæcum, en raison du déplacement cranial de l’intussusception, comme dans le cas présenté [7].

Échographie abdominale

L’échographie abdominale est la technique diagnostique la plus fiable en cas d’intussusception. Une étude de 2018 montre que la différenciation entre les intussusceptions cæco-cæcales et cæco-coliques est réalisable via l’examen échographique avec un pourcentage de certitude de 92 % [6].

Une intussusception cæco-cæcale est visualisable dans les deux tiers dorsaux de l’abdomen à droite (figure 1). Une paroi de cæcum invaginée et congestive entourée par une paroi épaissie de la partie externe du cæcum est alors observée. Une différenciation claire entre l’intussusceptum et l’intussuscipiens n’est pas toujours possible [6].

Une intussusception cæco-colique peut être visualisée dans le tiers cranio-ventral de l’abdomen à droite (figure 2). Une image “en cible” est caractéristique. La paroi extérieure de la cible, qui correspond à celle du côlon, peut être difficile à distinguer. La partie invaginée (cæcum) présente une paroi épaissie, œdématiée, et est séparée de la paroi du côlon par un liquide intestinal hypoéchogène ou anéchogène [6].

Traitement

Une fois le diagnostic d’intussusception cæcale établi, le seul traitement recommandé est chirurgical. La technique doit être adaptée selon le volume de cæcum invaginé, la possibilité de réduction de l’intussusception et la viabilité intestinale.

Réduction manuelle de l’intussusception, avec ou sans typhlectomie

Une laparotomie par la ligne médiane est pratiquée. L’apex du cæcum est repéré soit dans l’organe (intussusception cæco-cæcale), soit dans le côlon ventral droit (intussusception cæco-colique). Une main saisit la partie invaginée et effectue une traction modérée sur celle-ci, pendant que l’autre main réalise un taxis externe sur l’intussuscipiens [1, 7]. En cas d’impossibilité de réduction de l’intussusception, une typhlectomie ou une colotomie du côlon ventral droit peut être pratiquée selon le type d’intussusception [7].

Si la réduction manuelle est efficace (seulement 33 % des cas), il convient d’observer la couleur, la présence de péristaltisme, d’un pouls artériel et d’un éventuel œdème de la paroi, car ces éléments informent sur la viabilité du cæcum. En cas d’altération du flux sanguin, une typhlectomie totale ou partielle est réalisée, associée ou non à une intervention de by-pass [1].

Colotomie du côlon ventral droit

Face à l’impossibilité de réduire une intussusception cæco-colique, une colotomie du côlon ventral droit est indiquée. Une entérotomie de la courbure pelvienne est réalisée afin d’évacuer le contenu alimentaire et de diminuer ainsi les possibilités d’une contamination. Le côlon ventral droit est isolé de la cavité abdominale : un sac en plastique stérile peut être suturé autour du site de colotomie afin d’éviter une contamination de la cavité abdominale [1, 7]. La colotomie est pratiquée via une incision entre les ténias latérale et médiale du côlon ou sur la ténia latérale, distalement ou directement sur l’intussusceptum. Ensuite, une réduction de l’intussusception via l’orifice cæco-colique peut être tentée, mais est rarement efficace en raison de l’œdème marqué du cæcum invaginé.

Une typhlectomie peut être effectuée via la colotomie : deux ligatures transfixiantes sont mises en place latéralement et médialement au cæcum afin de ligaturer à l’aveugle les vaisseaux cæcaux. Une occlusion de la lumière du cæcum est réalisée à l’aide d’agrafes, d’une suture ou d’un ruban ombilical, suivie d’une résection partielle du cæcum [5, 7]. Le reste de l’organe est réduit via l’orifice cæco-colique et sa viabilité est ensuite évaluée. Si nécessaire, une typhlectomie totale est entreprise [5, 7].

Après une colotomie du côlon ventral droit et une typhlectomie, le pronostic vital à long terme est bon. Dans une étude de 2004, 7 des 8 chevaux opérés ont survécu à l’intervention et ont pu retourner à leur activité [5].

By-pass cæcal (jéjuno-colostomie ou iléo-colostomie)

Dans certains cas, la réduction de l’intussusception est impossible, et un by-pass complet du cæcum s’impose [7]. Cette procédure a pour objectif la création d’une anastomose entre l’intestin grêle et le côlon ventral droit, et plus précisément entre le jéjunum et le côlon ventral droit (jéjuno-colostomie) ou entre l’iléon et le côlon ventral droit (iléo-colostomie). La plus grande partie de cæcum nécrosé est retirée par une colotomie. Les vaisseaux iléaux ou jéjunaux sont ligaturés de chaque côté et près du site prévu de transsection de l’iléon ou du jéjunum. La transsection de l’iléon ou du jéjunum est pratiquée : le segment intestinal est extériorisé de la cavité abdominale et des clamps de Doyen sont placés oralement et aboralement au lieu de transsection. Le segment est ensuite coupé.

Un by-pass peut être réalisé sans transsection de l’iléon à l’aide d’agrafes chirurgicales TA-90 qui empêchent le flux alimentaire de l’iléon vers le cæcum [7]. Les parties orale et aborale de l’iléon sont suturées avec un surjet continu simple de pleine épaisseur suivi d’une suture de Cushing enfouissante. La partie orale de l’iléon est ensuite dirigée à la base du cæcum et suturée à celui-ci. Les segments intestinaux sont apposés et le bord antimésentérique de l’iléon ou du jéjunum est suturé au côlon dorsal droit [5, 7]. Ensuite, une anastomose latéro-latérale ou termino-latérale d’au moins 10 cm de long est créée entre le côlon ventral droit et l’iléon. Enfin, les incisions sont suturées à l’aide d’un surjet simple continu et d’un surjet de Cushing enfouissant pour rendre hermétique le lieu de l’anastomose.

Le pronostic vital à la suite de cette procédure est bon. Dans une étude en 2014, 70 % des chevaux (17 sur 24) ayant subi un by-pass du cæcum ont survécu pendant au moins un an après l’intervention chirurgicale [6].

CONCLUSION

Les intussusceptions du cæcum sont une cause rare de coliques et affectent le plus souvent les jeunes chevaux. Le diagnostic se révèle parfois complexe et repose en particulier sur l’échographie abdominale, celle-ci étant diagnostique dans 92 % des cas qui offrent la possibilité d’une différenciation entre l’intussusception cæco-colique et cæco-cæcale. Le seul traitement efficace est chirurgical. Le choix de la technique doit être adapté selon les éléments observés lors de l’intervention (impossibilité de réduction de l’intussusception, viabilité des structures, etc.).

Références

  • 1. Cirier P, Gluntz X. À propos d’un cas d’intussusception cæco-colique traité chirurgicalement. Prat. Vét. Équine. 2003;35(138):45-48.
  • 2. Edwards GB. The clinical presentation and diagnosis of caecal obstruction in the horse. Equine Vet. Educ. 1992;4(5):237-240.
  • 3. Gough SL, Labens R, Quinn C et coll. Caeco-caecal and caeco-colic intussusception in two half-sibling Standardbred horses. Equine Vet. Educ. 2021;33(4):e108-112.
  • 4. Holcombe SJ, Shearer TR. Caecocolic intussusceptions in horses. Equine Vet. Educ. 2018;30(5):259-261.
  • 5. Hubert JD, Hardy J, Holcombe SJ et coll. Cecal amputation within the right ventral colon for surgical treatment of nonreducible cecocolic intussusception in 8 horses. Vet. Surg. 2004;29(4):317-325.
  • 6. Paulussen E, Broux B, van Bergen T et coll. Caecal intussusception in the horse: ultrasonographic findings and survival to hospital discharge of 60 cases (2009-2013). Equine Vet. Educ. 2018;30(5):241-246.
  • 7. Sherlock C. Cecum. In: Equine Surgery. Eds. Auer JA, Stick JA, 5th ed. Elsevier Saunders. 2018;(Chap 36):575-591.

Conflit d’intérêts

Aucun

ÉLÉMENTS À RETENIR

• L’étiologie des intussusceptions cæcales n’est pas connue, mais de nombreux facteurs de risque sont identifiés, comme les changements d’alimentation, la salmonellose, les infestations parasitaires ou l’administration de médicaments parasympathicomimétiques.

• Le diagnostic des intussusceptions cæcales est difficile à établir. Cependant, l’échographie est un examen diagnostique dans 92 % des cas et permet de différencier les intussusceptions cæco-coliques et cæco-cæcales.

• Le traitement est le plus souvent chirurgical. Trois techniques sont décrites : la réduction manuelle avec ou sans typhlectomie, la colotomie du côlon ventral droit ou ou le by-pass cæcal. Elles sont à envisager selon les lésions mises en évidence lors de l’intervention.