CAS CLINIQUE - DERMATOLOGIE
Cahier scientifique
Photosensibilisation hépatogène
Auteur(s) : Mathilde TOURREL*, Ludovic TANQUEREL**, Didier PIN***, Gilbert GAULT****, Amaury BRIAND*****
Fonctions :
*OleaVet, 11 impasse de l’Olivier, 07170 Villeneuve-de-Berg
**Médecine interne des équidés, ENVA, 94700 Maisons-Alfort
***Dermatologie, VetAgro Sup, 69280 Marcy-l’Étoile
****CNITV, VetAgro Sup, 69280 Marcy-l’Étoile
*****Dermatologie, ENVA, 94700 Maisons-Alfort
Des plantes toxiques peuvent se trouver dans l’environnement des chevaux et induire des lésions délétères lors de leur ingestion. Le pronostic dépend de la rapidité de la prise en charge et du traitement mis en place.
Bien que le diagnostic de certitude d’une photosensibilisation hépatogène soit difficile à établir, il n’est pas rare d’être confronté à cette affection lors des périodes ensoleillées. Le vétérinaire est tenu de connaître la prise en charge adéquate, ainsi que les plantes hépatotoxiques afin de sensibiliser les propriétaires, donc de prévenir l’apparition de lésions.
Une jument à la robe crème, âgée de 4 ans, est référée à la clinique équine de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) pour une tuméfaction des naseaux, des lèvres et des paupières qui évolue depuis 5 jours. La jument vit au pré avec trois congénères, dont une jument appaloosa à la robe parsemée de zones blanches, qui ne présentent aucune anomalie. Elle reçoit du foin à volonté en plus de l’herbe dont elle dispose. Elle est correctement vaccinée contre la grippe et le tétanos. La seconde injection de primovaccination contre la rhinopneumonie a été réalisée 18 jours plus tôt. Régulièrement vermifugée, elle a reçu pour la première fois, 13 jours auparavant, un traitement à base d’extraits de plantes à visée antiparasitaire (Parasitex, composé d’huiles essentielles d’armoise et de sauge, graisse de coco et propolis, concentré naturel de topinambour).
Au début du printemps, 5 jours avant la consultation, la jument présente un prurit de la face et une tuméfaction des paupières, des lèvres et des naseaux. Elle reçoit par voie injectable de la dexaméthasone à la dose de 0,06 mg/kg et du métamizole à raison de 23 mg/kg durant 2 jours, sans amélioration. Une analyse sanguine montre une neutrophilie ainsi qu’une augmentation (valeurs non communiquées) des paramètres hépatiques tels que l’aspartate aminotransférase (Asat) et la gamma-glutamyl transférase (GGT). De la dexaméthasone est alors administrée (à la dose de 0,04 mg/kg) et une antibiothérapie, à base de pénéthamate (à raison d’une injection de 7,72 g par voie intramusculaire) puis de l’association triméthoprime-sulfaméthoxypyridazine (à la posologie de 5 mg/kg de triméthoprime per os deux fois par jour), est mise en place durant 3 jours. En l’absence d’amélioration, la jument est référée à l’ENVA.
À son admission, la jument est abattue. Elle présente une tachycardie à 56 battements par minute, une discrète hyperthermie (38,6 °C), un temps de remplissage jugulaire lent (supérieur à 2 secondes) et un temps de recoloration capillaire ralenti à 2 secondes. Ses muqueuses buccales sont cyanosées et la muqueuse vulvaire est érythémateuse. Un épiphora mucopurulent bilatéral associé à une hyperhémie des muqueuses oculaires, ainsi qu’une décoloration de l’iris en jaune, sans signe d’uvéite, sont observés (photo 1). La jument présente un épaississement cutané important des paupières et du nez, la peau paraissant sèche et croûteuse, ainsi qu’un ptyalisme marqué (photo 2). Enfin, les membres sont modérément engorgés.
Une analyse sanguine montre une neutrophilie modérée et une forte augmentation des paramètres hépatiques : GGT à 144 U/l (valeurs usuelles inférieures à 87 U/l), lactate déshydrogénases (LDH) à 4 052 U/l (valeurs usuelles inférieures à 2 070 U/l), Asat à 1 381 U/l (valeurs usuelles inférieures à 600 U/l), ainsi qu’une hypertriglycéridémie à 3,58 g/l (valeurs usuelles inférieures à 1,5 g/l). Les protéines totales, l’urée et la créatinine sont dans les normes. La bilirubine n’est pas dosée.
Compte tenu de l’anamnèse et de l’examen clinique, deux hypothèses sont initialement formulées : une affection hépatique à l’origine de troubles cutanés qui expliquerait la coloration de l’iris en jaune et l’altération des enzymes hépatiques, ou une envenimation par un serpent, bien qu’aucune morsure ne soit visible et que les paramètres rénaux restent dans les normes. Parmi les affections hépatiques, des troubles aigus (hépatite bactérienne, virale, parasitaire ou toxique, stase biliaire) ou chroniques (hépatite chronique active ou toxique, tumeur hépatique, cholélithiase, amyloïdose, anomalie congénitale, maladie de Theiler) sont inclus dans le diagnostic différentiel. Les lésions cutanées peuvent également être dues à une infection cutanée, à une brûlure, à une vascularite ou à des affections plus systémiques (sarcoïdose, pemphigus foliacé, etc.). L’hypothèse d’une photosensibilisation (hépatite toxique) ne peut être exclue, mais l’évolution sur plusieurs jours d’une tuméfaction sans signe d’ulcération du museau et des paupières ne semble pas la conforter. Le ptyalisme et la tuméfaction peuvent avoir comme origine la présence d’un corps étranger au niveau de la tête, mais cette hypothèse n’explique pas les anomalies hépatiques.
L’origine du ptyalisme est investiguée par un examen buccal, une endoscopie des voies respiratoires supérieures et...