Petite revue de jurisprudences récentes - Pratique Vétérinaire Equine n° 223 du 01/10/2024
Pratique Vétérinaire Equine n° 223 du 01/10/2024

Cahier pratique

Fiche juridique

Auteur(s) : Philippe LASSALAS

Fonctions : Vétérinaire expert agréé par la Cour de cassation 49 avenue du Général Leclerc 78120 Rambouillet

Une bonne compréhension des enjeux juridiques permet de renforcer sa pratique en tant que vétérinaire équin.

La jurisprudence est une source d’enseignements intarissable au sujet de la manière dont les tribunaux appréhendent les obligations professionnelles des vétérinaires. Le caractère intarissable de cette source est cependant indissociable d’un faible nombre de décisions concernant les praticiens équins, dans la mesure où la majorité des litiges se résolvent dans un cadre amiable. Cet article évoque les dernières décisions rendues à la suite de la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle des vétérinaires équins et propose des pistes de réflexion pour éviter de s’exposer inutilement (encadré).

REFUS DE PAIEMENT DES SOINS

Un éleveur, considérant que le praticien sollicité avait commis des fautes (non-détection d’une gestation gémellaire, erreurs de diagnostic de gestation, soins inappropriés) refusait de régler les honoraires du vétérinaire concerné, malgré une ordonnance d’injonction de payer rendue par le tribunal de Lisieux dont il avait formé opposition. Son opposition ayant été rejetée en première instance, l’éleveur a formé appel de ce jugement qui lui était défavorable. Dans sa décision, la cour d’appel de Caen a tout d’abord rappelé les fondements de la responsabilité contractuelle des vétérinaires qui ne sont tenus qu’à une simple obligation de moyens quant aux actes de soins et de diagnostic [2]. Or, pour tenter de justifier son refus de paiement, l’éleveur se contentait d’affirmer que l’une de ses juments avait avorté de deux jumeaux, que l’autre n’était finalement pas gestante et qu’une troisième avait nécessité des soins par un autre vétérinaire, ce qui était censé prouver que les premiers soins avaient été insuffisants. La cour d’appel de Caen a rejeté toutes les demandes de l’éleveur au motif qu’il ne rapportait ni les preuves suffisantes de quelconques fautes, ni le lien de causalité entre ces prétendues fautes et les dommages qu’il avait subis. En effet, l’existence d’un dommage (avortement, non-gestation, complication à la suite d’un soin, etc.) ne suffit pas, à elle seule, pour obtenir la condamnation d’un vétérinaire mis en cause.

ÉVISCÉRATION FATALE À LA SUITE D’UNE CASTRATION

Un éleveur avait sollicité l’intervention d’un vétérinaire pour la castration de son poulain. Aucun consentement éclairé n’avait été recueilli par écrit préalablement à cet acte chirurgical de convenance (photo). Une complication d’éviscération fatale est intervenue quelques heures après la castration pratiquée à l’écurie. Bien qu’ils aient été sollicités à nouveau pour prendre en charge cette complication, les praticiens concernés, occupés par d’autres urgences, n’ont pas pu intervenir rapidement et le poulain est mort. En première instance, l’éleveur a obtenu gain de cause. L’arrêt de la cour d’appel de Riom confirme la condamnation des vétérinaires concernés au sein de la même structure, aussi bien pour l’absence de recueil du consentement éclairé que pour l’absence de prise en charge de la complication. Il est notamment reproché aux praticiens sollicités après l’apparition des premiers signes d’éviscération de ne pas avoir conseillé à l’éleveur de faire intervenir un autre cabinet vétérinaire puisqu’ils n’étaient pas immédiatement disponibles. Après l’expertise judiciaire, la perte de chance correspondante a été évaluée à 75 %. Les vétérinaires et leur assureur ont donc été condamnés à indemniser l’éleveur de la somme de 7 500 € pour couvrir les deux chefs de préjudices évoqués : la perte du poulain et la perte de chance de gains futurs. Les parties perdantes ont également été condamnées à régler 3 000 € à l’éleveur pour couvrir les frais auxquels il avait été exposé dans le cadre de cette procédure [4].

MORT D’UN POULAIN HOSPITALISÉ

Un éleveur avait confié sa jument gestante à un autre éleveur en vue du poulinage. Le jour de sa naissance, le poulain a été conduit dans une clinique vétérinaire où il est mort quelques heures plus tard. L’autopsie a révélé que la cause de la mort pouvait être attribuée à une hémorragie interne consécutive à des fractures des côtes ayant entraîné une perforation du péricarde. La réunion d’expertise amiable contradictoire n’ayant abouti à aucun accord entre les parties, l’éleveur a mis en cause le dépositaire de la jument et les vétérinaires concernés. En première instance, toutes ses demandes ont été rejetées et l’éleveur a formé appel de ce jugement qui lui était défavorable. Concernant la responsabilité de la clinique, l’éleveur évoquait d’une part le fait que le poulain était mort au cours d’une phase d’hospitalisation dans le cadre d’un dépôt salarié mettant à la charge du dépositaire une obligation de moyens renforcée, ce qui signifie que la clinique était potentiellement responsable de la mort du poulain sauf à apporter la preuve de son absence de faute. En l’occurrence, la cour d’appel de Caen a considéré que « la clinique rapportait suffisamment la preuve qu’elle avait apporté tous les soins et mis en œuvre les moyens propres à assurer la surveillance et la sécurité du foal », la cause de la mort étant assimilée à un événement imprévisible et irrésistible, caractéristique d’un cas de force majeure. Les demandes de l’éleveur au titre de l’obligation de dépositaire salarié de la clinique ont donc été rejetées. Concernant la responsabilité de la clinique, l’éleveur reprochait également à celle-ci un défaut de soins. Or, les opérations d’expertise amiable et le dossier médical établissaient qu’aucun élément ne permettait de suspecter les fractures des côtes à l’arrivée du poulain. L’éleveur a donc été entièrement débouté de toutes ses demandes à l’encontre de la clinique [3].

LACÉRATION RECTALE FATALE CHEZ UNE JUMENT

Un éleveur avait confié sa jument à un haras en vue de son insémination avec un suivi gynécologique effectué par un vétérinaire. Deux jours après la saillie, la jument a été retrouvée morte et l’autopsie a mis en évidence la présence d’une lacération rectale. En l’absence d’un accord amiable, un expert judiciaire a été désigné puis une procédure judiciaire au fond a été engagée, à l’issue de laquelle l’éleveur a été débouté de l’ensemble de ses demandes. Il a formé appel de ce jugement qui lui était défavorable. La cour d’appel de Bordeaux a d’abord statué sur l’absence de recueil du consentement éclairé de l’éleveur. Le vétérinaire avait remis un document d’information à l’étalonnier, mais pas à l’éleveur lui-même. Sur ce document, il était mentionné que l’examen du rectum pouvait provoquer, dans de très rares cas, des complications allant de la lacération de la muqueuse rectale à la perforation du rectum. Ce document n’ayant pas été remis directement à l’éleveur, la responsabilité du vétérinaire a été engagée pour ne pas avoir rempli son obligation d’information. Concernant les soins, au contraire, aucune faute n’a été retenue à l’encontre du praticien, ni à l’origine de la lacération, ni au moment de la prise en charge de cette complication. Tout à fait logiquement dans le cadre d’un défaut d’information, le préjudice a été analysé comme une perte de chance pour l’éleveur de renoncer à l’examen échographique. Or, en la matière, la cour d’appel de Bordeaux a retenu de manière très pertinente que l’examen échographique est irremplaçable pour le suivi gynécologique des juments, de sorte que la perte de chance de prendre une autre décision ayant évité le risque mortel apparaît très faible et a été évaluée à 5 % des préjudices subis. La jument ayant été évaluée à la somme de 32 500 €, l’éleveur a été indemnisé à titre principal de la somme de 1 625 € [1].

ERREUR DE DIAGNOSTIC LORS D’UNE VISITE D’ACHAT

Le praticien sollicité pour réaliser la visite d’achat d’une jument de sport de haut niveau en concours de saut d’obstacles n’a pas identifié la présence d’une fracture ancienne du garrot, antérieure à la vente litigieuse. Cependant, cette fracture n’a été diagnostiquée qu’après plusieurs années d’exploitation satisfaisante en épreuves. Débouté en première instance, l’acheteur a formé appel de cette décision qui lui était défavorable. La cour d’appel de Rouen, en se fondant sur le rapport d’expertise judiciaire qui précisait que le type de fracture présentée par la jument était rare et n’était pas de manière certaine en lien avec ses contre-performances récentes, a considéré que le praticien mis en cause avait réalisé une visite d’achat conforme aux bonnes pratiques en la matière, en considération du niveau d’investigation sollicité par l’acheteur. Les manquements contractuels reprochés au praticien n’étant pas caractérisés, le jugement rendu en première instance a été confirmé [5].

Références

  • 1. Cour d’appel de Bordeaux, RG 20/02307, 23 février 2023.
  • 2. Cour d’appel de Caen, RG 21/01333, 31 janvier 2023.
  • 3. Cour d’appel de Caen, RG 21/00070, 6 février 2024.
  • 4. Cour d’appel de Riom, RG 21/00286, 15 février 2023.
  • 5. Cour d’appel de Rouen, RG 22/00560, 28 juin 2023.

Conflit d’intérêts

Aucun

Cette rubrique est réalisée en partenariat avec la commission Juridique et RCP de l’Association vétérinaire équine française.

COMMENT ÉVITER LES CONDAMNATIONS

• Délivrer un document d’information et recueillir directement le consentement éclairé de son client dès le début de la saison gynécologique. L’information délivrée au haras où s’effectue ce suivi gynécologique est susceptible de ne pas être suffisante pour prouver que le praticien a rempli son obligation d’information.

• Délivrer un document d’information et recueillir le consentement éclairé de son client dès la prise de rendez-vous pour une castration.

• En cas de survenance d’une complication potentiellement fatale, ne pas hésiter à référer immédiatement à un confrère si l’on n’est pas personnellement disponible immédiatement.

• Rédiger un compte rendu de visite d’achat circonstancié, en rappelant les circonstances dans lesquelles s’est déroulée la visite d’achat et la nature des examens sollicités. Archiver les preuves des échanges intervenus avec le demandeur de la visite d’achat en matière d’investigations requises.