CAS CLINIQUE - IMAGERIE
Cahier scientifique
Imagerie fonctionnelle
Auteur(s) : Charlène PIGÉ*, Mathieu SPRIET**
Fonctions :
*Surgical and Radiological
Sciences
University of California,
Davis (États-Unis)
**(DipACVR-EDI)
***(DipACVR, DipECVDI, DipACVR-EDI)
Si le scanner et l’imagerie par résonance magnétique détectent les changements osseux structurels, la TEP fournit des informations de nature fonctionnelle. Elle est donc utile pour évaluer la guérison des lésions et surveiller d’éventuelles récidives.
Les affections locomotrices du cheval de sport sont diverses et parfois difficiles à diagnostiquer, particulièrement lorsque les signes cliniques sont non spécifiques, modérés et/ou intermittents. En combinaison avec un examen clinique complet, les examens d’imagerie sont essentiels pour établir un diagnostic précis. Le cas présenté en est la preuve et démontre non seulement l’utilité d’une approche d’imagerie multimodale, mais aussi l’intérêt d’une nouvelle modalité d’imagerie fonctionnelle : la tomographie par émission de positrons (TEP).
Une jument holsteiner de grand prix de saut d’obstacles (niveau 1,45 m), âgée de 13 ans, est référée pour un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) du pied et du boulet antérieurs gauches afin d’investiguer une boiterie intermittente de ce membre observée depuis quelques mois et associée à une baisse de performance. Cette boiterie décrite comme fluctuante, de grade 1 à 2 sur 5 (selon l’échelle de l’American Association of Equine Practitioners, AAEP), a été résolue à la suite d’une anesthésie digitale palmaire distale. L’examen radiographique du pied antérieur gauche, effectué par le vétérinaire traitant, a révélé une arthrose légère de l’articulation interphalangienne distale ainsi qu’une dégradation focale de la paroi du sabot en pince. Les radiographies du boulet antérieur gauche n’ont mis en évidence aucune anomalie significative.
À l’admission par le service de médecine sportive de l’université de Davis, l’examen statique révèle une effusion légère de la gaine digitale du boulet postérieur gauche. Une sensibilité modérée à la palpation des muscles cervicaux et thoraco-lombaires, plus marquée à gauche, est aussi notée. L’examen dynamique confirme la présence d’une boiterie du membre antérieur gauche, visible de manière intermittente au trot, en cercle à main gauche sur sol dur. La boiterie étant discrète (grade 1 sur 5 sur l’échelle de l’AAEP) lors de l’examen, aucune anesthésie locale n’est réalisée. La jument est par ailleurs figée dans son dos en cercle au galop aux deux mains.
À ce stade, le diagnostic différentiel pour la boiterie antérieure gauche reste large et inclut une potentielle affection osseuse, tendineuse ou ligamentaire du pied antérieur gauche. Bien que la boiterie ait été résolue à la suite d’une anesthésie digitale palmaire distale par le vétérinaire traitant, une affection du paturon ou du boulet antérieur gauche n’est pas exclue, dans le cas d’une diffusion proximale de l’analgésie locale. La jument montre également des signes de cervicalgie et de dorsalgie.
Un examen d’IRM bas champ du pied et du boulet antérieurs gauches est réalisé sur le cheval debout, sous sédation (photos 1a à 1c et 2a à 2d). L’IRM du pied confirme une arthrose légère de l’articulation interphalangienne distale, associée à une synovite légère à modérée. Une petite lésion tendineuse du lobe médial du tendon fléchisseur profond du doigt est observée au niveau de l’os naviculaire dans les séquences T1w, sans altération associée de la forme ou du signal dans les séquences T2w et Stir. Cette lésion, qui pourrait s’expliquer par une petite déchirure chronique ou par un ancien trajet d’aiguille à la suite d’une injection passée de la bourse naviculaire, n’est pas jugée cliniquement pertinente. L’IRM du boulet antérieur gauche révèle une sclérose modérée de l’os trabéculaire sous-chondral de l’aspect dorsal du condyle métacarpien médial, ainsi qu’un épaississement de la plaque sous-chondrale proximale de la phalange proximale. Les images ne montrent aucun œdème osseux ni déminéralisation de l’os compact sous-chondral.
Les deux pieds et les deux boulets antérieurs sont explorés via la TEP afin d’obtenir des informations complémentaires sur les modifications fonctionnelles des structures osseuses. Le radiotraceur utilisé est le fluorure de sodium (18F-NaF), un excellent marqueur du remaniement osseux qui reflète à la fois les activités ostéoblastiques et ostéoclastiques de l’os. La TEP au 18F-NaF des boulets antérieurs met en évidence un remaniement osseux actif focal de l’aspect dorso-distal de l’os compact sous-chondral du condyle métacarpien médial des deux antérieurs, marqué à gauche et léger à droite (photos 3a à 3i). Un léger remaniement osseux de l’os sous-chondral de la gorge sagittale de la phalange proximale est aussi visualisé bilatéralement. La TEP au 18F-NaF des pieds et des paturons antérieurs ne révèle aucun remaniement osseux significatif.
Une lésion de l’os sous-chondral du condyle métacarpien médial du boulet antérieur gauche est diagnostiquée. L’hypothèse principale avancée est celle d’une lésion consécutive à une fatigue osseuse due à une sollicitation répétée et excessive. L’arthrose légère et la synovite légère à modérée de l’articulation interphalangienne distale sont considérées comme des anomalies non significatives. La jument présente également une cervicalgie et une dorsalgie d’origine indéterminée.
Un plan thérapeutique est élaboré avec le vétérinaire traitant, incluant une thérapie intra-articulaire de l’articulation interphalangienne distale et de l’articulation métacarpophalangienne gauche ainsi qu’une séance de chiropraxie. Un programme de réhabilitation est également mis en place, fondé sur une réduction de l’intensité de l’exercice, avec des sessions fractionnées de marche au pas et de trot, à une fréquence croissante pendant les 2 mois suivants. La possibilité de réintroduire le galop sera évaluée après 2 mois, selon le confort de la jument. Un examen de contrôle via la TEP au 18F-NaF est recommandé 3 à 4 mois après l’examen d’imagerie initial afin de déterminer la progression du protocole de réhabilitation et de favoriser une reprise de la compétition dès que possible.
Les lésions de l’os sous-chondral sont une cause fréquente de boiterie chez les chevaux de sport, de plus en plus identifiées grâce aux modalités d’imagerie en coupe [1]. Le scanner détecte mieux les changements structurels, alors que l’IRM est privilégiée pour sa capacité à détecter les changements physiologiques, notamment la présence d’un signal liquidien dans l’os [4, 5]. L’imagerie structurelle reflète les caractéristiques physiques de la région imagée, telles que la taille, la forme, la densité et les contours, alors que l’imagerie fonctionnelle dépend des caractéristiques physiologiques qui se déroulent à l’échelle cellulaire ou moléculaire. La TEP est une méthode d’imagerie fonctionnelle qui, dans le cas de l’examen osseux, détecte l’accumulation de 18F-NaF dans les zones osseuses présentant une perfusion accrue et un remaniement osseux, où l’agent est adsorbé par les cristaux d’hydroxyapatite exposés (encadré). Une étude montre que la TEP au 18F-NaF détecte plus fréquemment les anomalies de l’os sous-chondral que le scanner, et que ces anomalies sont associées à l’état clinique du cheval [3].
Cette même étude suggère qu’un remaniement osseux léger à modéré est fréquent au niveau de la plaque sous-chondrale médiale de la phalange proximale des chevaux de sport et serait le plus souvent secondaire à un processus physiologique induit par l’exercice [3]. En revanche, un remaniement osseux de l’aspect dorsal de l’os sous-chondral du condyle métacarpien ou métatarsien médial serait davantage détecté dans les membres boiteux, dû à une fatigue osseuse pathologique causée par une sollicitation répétée et excessive. La localisation des lésions et la quantification de leur intensité sont deux éléments clefs de l’interprétation de la TEP. La combinaison de l’IRM et de la TEP au 18F-NaF est très utile pour l’évaluation de l’os sous-chondral. Dans ce cas, la sclérose du compartiment médial du boulet détectée via l’IRM aurait pu être consécutive à un processus physiologique induit par l’exercice. Néanmoins, l’ajout de la TEP au 18F-NaF a permis de constater un remaniement excessif, probablement dû à une fatigue osseuse causée par une sollicitation répétée et excessive, et cela précocement, avant l’apparition d’autres changements structurels tels qu’une résorption de l’os sous-chondral. Les lésions de l’os sous-chondral de la gorge sagittale de la phalange proximale ont été identifiées comme un site de prédilection pour les traumatismes osseux du boulet chez les chevaux de sport. Dans notre cas, le remodelage osseux à cet endroit est léger et bilatéral, sans anomalie associée à l’IRM, et probablement dû à un processus physiologique induit par l’exercice.
Ce cas illustre également les difficultés que peut rencontrer le praticien pour interpréter les résultats des anesthésies diagnostiques, avec une diffusion proximale possible de l’anesthésie, et une anesthésie digitale palmaire résultant en la réduction d’une boiterie provenant du boulet [2].
Le cas présenté démontre l’intérêt d’une approche d’imagerie multimodale pour établir le diagnostic d’une boiterie légère chez un cheval de sport, ainsi que l’utilité de la tomographie par émission de positrons pour identifier des lésions de l’os sous-chondral. Lorsque le diagnostic est établi à l’aide d’éléments obtenus via la réalisation conjointe des examens d’IRM et de TEP, la tomographie par émission de positrons devient une modalité idéale pour le suivi des lésions. Elle fournit en effet des informations de nature fonctionnelle, peut être mise en œuvre chez le cheval debout et permet une acquisition rapide des images. Ainsi, la TEP est utile pour l’évaluation de la guérison, le suivi d’éventuelles récidives et l’ajustement des programmes de rééducation.
Aucun
• La combinaison de plusieurs examens d’imagerie permet d’établir un diagnostic plus précis, notamment lorsque la boiterie est légère.
• La TEP au 18F-NaF est une modalité fonctionnelle d’imagerie très utile pour l’évaluation de l’os sous-chondral.
• Une anesthésie digitale palmaire peut réduire une boiterie provenant du boulet.
Tout comme la scintigraphie, la tomographie par émission de positrons (TEP) est une technique d’imagerie qui utilise un agent radioactif. Cet agent, le fluorure de sodium (18F-NaF), se distingue du technétium-99m par des propriétés physiques. L’énergie des rayonnements gamma émis est plus élevée (511 keV versus 140 keV), mais sa demi-vie est plus courte (2 heures versus 6 heures) et la dose administrée beaucoup plus faible : 15 mCi (555 MBq) versus 200 mCi (7,400 MBq). En fin de compte, la dose reçue par le personnel de médecine nucléaire est similaire pour la TEP et la scintigraphie, se situant entre 0,5 et 3 mRem par examen (5 à 30 µSv). Minimiser la durée des examens et optimiser la distance entre le personnel et le cheval sont les clefs de la radioprotection.