Les papillomes chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 224 du 01/01/2025
Pratique Vétérinaire Equine n° 224 du 01/01/2025

ARTICLE DE SYNTHÈSE - DERMATOLOGIE

Cahier scientifique

Tumeurs épithéliales

Auteur(s) : Didier PIN

Fonctions : (DipECVD)VetAgro Sup
campus vétérinaire de Lyon
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

Généralement bénins et guérissant spontanément, les papillomes peuvent se présenter sous des formes cliniques variées. Seule la forme génitale est associée à un pronostic réservé, notamment lorsque la découverte est tardive.

Les papillomes, appelés verrues dans le langage courant, sont des tumeurs épithéliales bénignes fréquentes, dues à l’action de virus de la famille des Papillomaviridae. Ils représenteraient entre 5 et 10 % des tumeurs chez le cheval [10].

ÉPIDÉMIOLOGIE

Les papillomes sont observés chez le cheval et l’âne. Aucune prédisposition de race, de sexe ou d’âge n’est signalée. Toutefois, la papillomatose classique affecte surtout des chevaux âgés de moins de 3 ans [12]. La forme génitale, qui nécessite une activité sexuelle, est décrite chez des animaux adultes ou âgés (16 à 18 ans) [12]. Les facteurs qui favorisent l’infection sont les traumatismes cutanés. L’expression clinique et la persistance de l’infection sont quant à elles favorisées par la naïveté immunologique et la génétique de l’animal, les cofacteurs environnementaux et l’immunodépression [12].

ÉTIOLOGIE

Les papillomavirus sont des virus à ADN (environ 8 kb), non enveloppés. Leur capside présente une structure icosaédrique composée exclusivement de protéines virales. Les papillomavirus sont spécifiques d’espèce, cependant certains papillomavirus bovins peuvent passer chez le cheval ou le chat, mais aussi la souris, le lapin et le hamster. Actuellement, 14 papillomavirus peuvent infecter les chevaux et les ânes. Il s’agit de 3 papillomavirus bovins (Bos taurus papillomavirus 1, 2 et 13, ou BPV1, BPV2 et BPV13) responsables des sarcoïdes, de 2 papillomavirus asiniens (Equus asinus papillomavirus 1 et 2, ou EaPV1 et 2) et de 10 papillomavirus équins (Equus caballus papillomavirus 1 à 10, ou EcPV1 à 10) [4, 14]. À l’exception de certains papillomavirus bovins, qui peuvent infecter et se répliquer dans les fibroblastes, engendrant des fibropapillomes, les papillomavirus possèdent un tropisme très précis pour les épithéliums stratifiés, peau ou muqueuses, en multiplication active.

PHYSIOPATHOGENÈSE

L’infection de l’épiderme, le plus souvent directe, a lieu à la faveur de brèches épidermiques ou de traumatismes même minimes tels que des piqûres d’insecte [2]. Les papillomavirus ne semblent pas pouvoir infecter un épiderme intact. La transmission indirecte est possible, par simple contact, au sein de brèches épidermiques, de virus répandus dans le milieu environnant par la desquamation naturelle des cornéocytes infectés, et cela d’autant plus que ces virus sont extrêmement résistants dans le milieu extérieur. Le virus persiste ainsi sur les végétaux comme des buissons d’épineux, les barrières en bois ou dans le sol. Il n’y a pas d’étude chez le cheval mais, chez l’humain, le papillomavirus responsable des verrues plantaires est notamment présent à la surface du sol autour des piscines. Sur ce type de surface, les papillomavirus ne sont détruits que par une solution d’eau de javel ou de formol. Le cycle infectieux d’un papillomavirus commence par l’infection des cellules basales de l’épiderme, puis le virus se réplique dans les kératinocytes des couches supérieures pour donner des particules virales dans les couches granuleuse et cornée [2].

EXPRESSION CLINIQUE

Plusieurs formes cliniques sont décrites, plus ou moins associées à des espèces de papillomavirus : la papillomatose virale classique, due à EcPV1, la papillomatose génitale due aux EcPV2, 4, 7 et 9, les plaques auriculaires dues aux EcPV1, 3, 4, 5 et 6, et la papillomatose généralisée due à l’EcPV8 [1, -9, 11]. L’EcPV9 a été identifié dans des échantillons de sperme d’un cheval présentant une lésion du pénis et l’EcPV10 dans un prélèvement vaginal réalisé à l’aide d’une cytobrosse chez une jument infertile [5, 14].

Papillomatose classique

La papillomatose classique touche essentiellement les jeunes chevaux [8]. Elle est caractérisée par un nombre variable de papillomes qui sont des tumeurs exophytiques, en “chou-fleur” ou sessiles, à l’aspect sec et verruqueux, parfois coalescentes, de 1 à 3 cm de diamètre, souvent nombreuses et groupées, situées classiquement sur les lèvres, la face, les extrémités des membres ou les organes génitaux (photo 1). Après une phase de croissance et de multiplication, la guérison spontanée intervient en quelques mois, même si certaines lésions peuvent persister un an ou plus.

Papillomatose génitale

La papillomatose génitale est caractérisée par des papules ou des plaques plutôt planes, à la surface lisse ou irrégulière, plus ou moins nombreuses, parfois confluentes [3-5]. Les papillomes sont situés sur les lèvres de la vulve, le vestibule du vagin ou le clitoris chez la femelle, et sur le pénis, le corps ou le gland et le versant muqueux du fourreau chez le mâle (photo 2). Ces lésions, asymptomatiques au début, passent longtemps inaperçues et sont souvent découvertes fortuitement. Lorsqu’elles sont volumineuses ou nombreuses, elles peuvent entraîner une gêne mécanique (béance du prépuce, trouble de la miction) ou une inflammation locale (œdème du fourreau, écoulement muqueux ou mucopurulent). Les virus responsables se transmettent par voie sexuelle.

Plaques auriculaires

Les papillomes auriculaires sont des papules et des plaques (aural plaques en anglais) de taille variable, à l’aspect verruqueux ou à la surface lisse et brillante, sessiles, le plus souvent en grand nombre et coalescentes, situées sur la face interne des pavillons auriculaires (photo 3) [1, 3, 4, 7, 11]. Exceptionnellement, ils ne touchent qu’un pavillon. Fréquemment douloureux au toucher, ils peuvent générer une crainte chez le cheval lors de la manipulation. Ils apparaissent chez des chevaux de tout âge. Il est toutefois rare d’en observer chez des animaux âgés de moins de 1 an [12]. La guérison spontanée est très longue. Les mouches noires semblent jouer un rôle dans la transmission. Dans une étude récente sur 108 prélèvements de papillomes auriculaires, au moins un EcPV a été détecté dans 97 % des biopsies et une coinfection dans 59 % des cas [7]. L’EcPV4 apparaît comme le plus fréquent. Le type du virus ne semble pas influencer les caractéristiques cliniques des plaques auriculaires.

Papillomatose généralisée

La papillomatose généralisée a été décrite récemment chez 4 chevaux âgés de 2 à 10 ans, dont 3 de race quarter horse, et chez un croisé palomino âgé de 12 ans [6, 9]. Les animaux présentaient des dizaines, voire des milliers de papillomes en plaques, de 0,5 à 1,5 cm de diamètre, à la surface verruqueuse, au niveau des creux axillaires et de la région inguinale. Les 3 de race quarter horse présentaient en plus une atteinte des racines des membres, du thorax, de l’abdomen et des faces ventrale et latérale de l’encolure. Les lésions étaient parfois confluentes dans les zones ventrales. La face, les oreilles, l’extrémité distale des membres et les organes génitaux étaient quasiment épargnés. Les chevaux étaient par ailleurs en bonne santé. L’un d’eux a été perdu de vue. Les lésions ont presque complètement disparu chez un cheval après un an et demi, alors qu’elles ont persisté au moins pendant 4 ans chez un autre [9]. La persistance des lésions a conduit à l’euthanasie d’un cheval [6].

DIAGNOSTIC

Le diagnostic différentiel des papillomes cutanés classiques inclut les néoformations exophytiques telles qu’une sarcoïde verruqueuse, un carcinome épidermoïde exophytique, une lésion de molluscum contagiosum, plus rarement un mélanome ou un mastocytome [10, 12]. Le diagnostic des papillomes auriculaires, de la papillomatose génitale et de la papillomatose généralisée est aisé, tant le tableau clinique est évocateur. En cas de doute, l’examen complémentaire de choix est l’examen histopathologique d’une biopsie ou pièce d’exérèse d’une lésion. Celui-ci montre une hyperkératose orthokératosique, un épiderme acanthosique siège d’une hyperplasie papillomateuse plus ou moins marquée (photo 4).

Des kératinocytes de grande taille et pâles, avec un cytoplasme granuleux et un noyau pycnotique, parfois vacuolisés, contenant des inclusions éosinophiles cytoplasmiques (koïlocytes) sont également observés (photo 5). Le derme est le siège d’un infiltrat inflammatoire, bigarré, non spécifique.

ÉVOLUTION ET PRONOSTIC

L’évolution varie selon la forme clinique. La guérison spontanée est la règle pour les papillomes cutanés, et vraisemblablement pour les papillomes auriculaires, même si dans ce dernier cas elle est lente. L’évolution de la papillomatose généralisée semble varier selon l’animal, alors que la papillomatose génitale évolue le plus souvent vers une transformation tumorale, en donnant d’abord des carcinomes in situ puis des carcinomes épidermoïdes. Le smegma serait un facteur favorisant [12]. Le pronostic dépend donc de la forme clinique : il est excellent pour les papillomes classiques, bon pour les papillomes auriculaires, mais réservé pour la papillomatose génitale, d’autant plus que les traitements sont très limités [10, 12]. Le pronostic de la forme généralisée reste incertain [6, 9].

TRAITEMENT

Le traitement des formes classique et génitale se limite à l’exérèse des lésions gênantes pour l’animal. Il n’existe aucun moyen de prévenir la transformation tumorale des papillomes génitaux. Pour traiter les papillomes auriculaires, une exérèse et l’application répétée d’imiquimod ont été proposées. Le retrait chirurgical, qui consiste à “peler” la face interne du pavillon auriculaire, est très délabrant. L’imiquimod est un dérivé imidazoquinolinique qui n’a pas d’effet antiviral direct, mais induit la production locale d’interféron alpha et d’autres cytokines [10]. Deux études ont décrit l’utilisation de ce produit chez un total de 29 chevaux [13, 15]. L’imiquimod, sous la forme de crème à 5 %, était appliqué trois fois par semaine, 1 semaine sur 2 ou tous les 2 jours, jusqu’à la guérison. Le traitement a duré entre 2 semaines et 8 mois [13, 15]. Les effets secondaires, observés chez tous les chevaux, étaient une inflammation locale marquée, exsudative et douloureuse. Cette inflammation a nécessité une sédation de la plupart des chevaux lors des soins et a justifié l’arrêt du traitement chez un quart des animaux [13]. Les chevaux ont été suivis pendant 6 mois dans une étude et jusqu’à 22 mois dans l’autre, après l’arrêt du traitement. Six chevaux ont présenté une récidive après un premier traitement [13, 15]. Parmi ceux-ci, 4 ont bénéficié d’un deuxième traitement à l’issue duquel 2 ont présenté une récidive, nécessitant une troisième série d’applications [15]. Par le passé, divers traitements ont été proposés, tels que la résine de podophylline (antimitotique), la teinture de thuya, l’injection intraveineuse de chlorure ou de sulfate de magnésium, les injections de lévamisole, l’immunothérapie à l’aide d’autovaccins, mais aucun n’a fait la preuve de son efficacité [10].

CONCLUSION

Les papillomes sont des tumeurs fréquentes, dont les formes cliniques sont multiples. Généralement bénins et guérissant spontanément, ils ne nécessitent aucun traitement. Toutefois, les papillomes génitaux sont associés à un pronostic réservé en raison de leur tendance à la tumorisation, surtout lorsqu’ils sont découverts tardivement, d’autant qu’il n’existe aucun moyen de prévention.

Références

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  • 2. Jones SE. Papillomaviruses in equids: a decade of discovery and more to come? Equine Vet. Educ. 2022;34 (5):236-240.
  • 3. Lange CE, Tobler K, Ackermann M et coll. Identification of two novel equine papillomavirus sequences suggests three genera in one cluster. Vet. Microbiol. 2011;149 (1-2):85-90.
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  • 5. Li C, Chang W, Mitsakos K et coll. Identification of a novel equine papillomavirus in semen from a thoroughbred stallion with a penile lesion. Viruses. 2019;11 (8):713-720.
  • 6. Linder KE, Bizikova P, LuffJ et coll. Generalized papillomatosis in three horses associated with a novel equine papillomavirus (EcPV8). Vet. Dermatol. 2018;29 (1):72-e30.
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Conflit d’intérêts

Aucun

ÉLÉMENTS À RETENIR

• Les papillomes équins sont des tumeurs épithéliales fréquentes, causées par des virus de la famille des Papillomaviridae.

• Ils se développent principalement à la suite d’une infection virale, via des microtraumatismes de la peau, et peuvent être transmis par contact direct ou indirect.

• Plusieurs formes cliniques existent (classique, génitale, auriculaire et généralisée), chacune avec des caractéristiques spécifiques.

• Le pronostic varie selon la forme clinique, les papillomes génitaux étant à surveiller en raison de leur potentielle transformation en tumeurs malignes.